PERMANENCE DE TAOS AMROUCHE
Ethiopiques numéro 14
revue socialiste
de culture négro-africaine
avril 1978
Ce poème est le meilleur témoignage que la Berbéritude, comme la Négritude, n’est pas opposée à renseignement de la langue et de la civilisation arabes en Afrique. La Berbéritude et la Négritude constituent l’enracinement nécessaire.
Je vois Tipasa, l’inoubliable pilier millénaire,
je vois l’ombre du blé sur la mer ;
et les femmes comme les hommes numides de pleine
errance, je vois
l’aiguille des pics et la honte séculaire !
ils se déchirent sur le champ, ils me déchirent !
C’est l’amour qui exacerbe l’épouvantable buisson,
le torrent des Aurès ; c’est Kahina, dit-on,
qui procède au compte des vieux surgissements !
Peut être rien, après tout, que la meule et la belle orge
et le berbère et le claquement de balles
et les timbales et les fêtes intermittentes
et la mort, enfin, bondie et qui recueille
en nous l’elixir agressif de l’atome.
D’avoir tourné le temps à ta faveur et tenu
jusqu’au bout -où l’on voit se convulser les Temps-
avec pour seule compagne une musique errante,
Mère, c’est en nous que ton soleil rayonne !
Il dresse sur nos rides, sur le pays un sang
neuf et si fort que se délitent les mémoires
de gel, Taos ! C’est encore là
que ton ombre plasmatique, entre veilles et rêves,
(incandescente d’henné, ombre de calme reflet
gisant sur ma musique !) Ah ! c’est encore plus bas
où l’on fourbit les armes rouillées des mercenaires ;
où l’on dresse la Tribu contre son sang !
où l’on fournit ses enfants au fournil !
où l’on pose ses pas sur la fourche du démon !…
Ah ! c’est encore plus bas, plus lontainement bas
que se tient, fripé, le grand sourire crispé
des peuples atroces qu’on enjambe comme une tombe
Debout parmi nous et dans ma nuit ionique !
aussi frêle, aussi belle dans ton manteau de roses,
debout dans ma voix, chroniquement debout,
avec moi sur les rires et les sanglots des nuits
fille de Nubie, fille des monts, ciel utérin !
nous-mêmes répudiés de nous-mêmes par le Commerce,
geôliers de nous-mêmes et nous exilant très loin ;
fille du sable fin que décrivent les scinques !
Mais une belle jamais ne meurt, mais une belle
jamais n’enfante autre chose que l’écrit vaste !
Une terre réprimée et qui revomit l’ogre
sous le ciel ancien brûleur de vieux bâtons !
mais une belle voix cinglant l’espace aveugle
essore les nuées et libère nos cœurs acerbes !
Car parmi moi, debout sur la dune, sur le délire,
te voilà soufflant en vent si puissant et si doux
que les planètes exudent nos morts et frémissent
de honte très lourde murée dans le silence !
Alors que ton éclat nuit aux étoiles précaires !