Poèmes

RACES, LA ROSE DE L’ONCLE HO, LES SAMPANS, TERRE PROMISE, BAGNEUX, MORT D’UN HOMME,

Ethiopiques numéro 14

revue socialiste

de culture négro-africaine

avril 1978

Races

Prends ma main, frère Africain

et dis-moi

si ma chaleur n’est pas la tienne

à confondre.

Expose au soleil ta main

la lumière coule sur ta peau

comme sur la mienne

le soleil pénètre dans notre sang commun.

Il est rouge.

Ta main est couleur noire

ma main blanche a sur elle

des traces de sang

noires

Etudiant,

Je me suis battu hier

pour toi

(1970)

La rose de l’oncle Ho

pour Dinih-Binih

En ce jour noir

Les roses s’étreignirent

comme des regards

les genoux des tiges plièrent

au soir automnal

les pétales un à un

comme du papier mâché tombèrent

sur l’herbe sans couleur

Les colombes

gisaient évanouies

aux pieds des rosiers

seule une rose rouge

exhalait son parfum

dans la main de pierre

de l’oncle Hô,

rose rouge et fraîche

parmi les colombes et les roses

jonchant le jardin

détruit.

Les sampans

Les sampans en rade de la baie d’Along

sont peints en crépuscule

où déjà la nuit s’insère

les mâts seuls debout plantés

taquinent le ciel apaisé

A l’intérieur

des hommes

aux portes du sommeil

sont bercés dans les bras du bois mouillé

Mais quelqu’un

dehors

veine sur les sampans

un homme vêtu de cuir

chevauche la rade

dans la calme baie d’Along

C’est l’oncle Hô

Il a des poches pleines de poissons

vivants pour son petit peuple de la nuit

(1970)

Bagneux, terre promise

Des centaines de pieds

ont suivi la mort

que l’on coucha dans la glaise.

Avez-vous vu son œil ?

l’un d’eux grand ouvert

regardait puissamment

du fond de sa fosse.

La terre sentait bon

sous un ciel sans soleil

sous les arbres sans ombres

La terre fraîchissait

sur le chemin du mort.

Penchées sur sa tombe

Deux femmes en deuil

vident leurs yeux

dans la tombe ouverte.

Des hommes s’éloignent

avec des cigarettes

de consolation

L’œil unique

toujours regarde

La porte franchie

en écrase les cigarettes

avec les semelles

lourdes de terre.

Les moineaux de service

terriblement jeunes

gazouillent dans les arbres

au-dessus de lui.

Oiseaux nés d’hier

sur la tombe d’aujourd’hui

Les cigarettes sont éteintes

qui donc est mort ?

Qui ?

Déjà on a oublié son nom.

Mort d’un homme

Saule qui pleure

d’un naturel touchant

comme le cygne qui meurt

à ses pieds

Larmes vertes et mort se comprennent

L’homme meurt solitaire

même auprès des siens

les étoiles qu’il vit aux soirs d’été

reviennent dans ses prunelles

A la dernière heure

Elles étaient une pléiade

Mais il n’en reste que deux

deux prunelles à lui

clignotant au plafond blanc

ciel de chaux de l’hôpital

Personne des siens n’y comprend rien

Mais il sait, lui, le malheureux

que sa vie s’achève…