Notes

TCHICAYA U TAM’SI EST BIEN VIVANT…

Ethiopiques numéro 14

revue socialiste de culture négro-africaine

avril 1978

Tchicaya U Tam’Si est bien vivant et connaît la Pleine saison de son œuvre comme l’atteste la parution simultanée de son dernier recueil de poèmes : « La veste d’intérieur » suivi de « Notes de veille » et de sa pièce : « Le Zulu » suivi de « Vwène le fondateur » aux Editions Nubia à Paris.

A quel point de son itinéraire d’écrivain se trouve Tchicaya au moment de cette double publication ? Nous avions vécu, après « Epitomé » dont personne ne nie l’importance et la signification pour le poète lui-même et pour la poésie négro-africaine dans sa totalité, d’autres hauts chants réunis sous le titre de « L’Arc musical » publié aux Editions P.J. Oswald, sans oublier, entre les deux, la déchirante et déchirée écriture d’un long poème-constat : « Le ventre » aux Editions Présence Africaine. Le titre « La veste d’intérieur » invite déjà à franchir un linteau…

« La veste d’intérieur » c’est d’abord un livre un peu plus intimiste que ceux qui l’ont précédé. L’écriture y est beaucoup plus lente, plus calme même. C’est Tchicaya U Tam’si qui sort de la ville et rentre chez lui. Après avoir passé une veste d’intérieur, il essaie de réfléchir sur les choses de la vie. C’est aussi banal que çà. Aucune invective, aucune quête…

– Aucune guerre ?…

-… Aucune guerre. S’il y a violence, elle est toujours portée contre moi-même et pas contre les autres. Si j’étais meilleur les autres le seraient aussi dit tel auteur, alors, je cherche le chemin d’être meilleur pour moi-même.

« Se refaire une mort

« rien qu’en rêvant de pluie

« debout sur le chemin

« qui mène au cœur de l’homme.

– Vous dites les choses de la vie. Lesquelles ?

– Je parle d’un seuil. Je parle d’un toit. Je parle d’une fenêtre, d’une porte.

Je parle de la danse. Je parle d’une fête, je parle de la Fête…

– Et d’un cri aussi, quelque part…

– Oui. C’est le cri qui échappe un soir, comme ça, parce qu’on a envie crier pour que l’autre entende. Pour que même entré en vous même, disparaissiez pas pour autant. Pour dire que vous êtes présent au monde.

« La veille un cri

« Une vertèbre à remettre en place

« Place à l’homme

« La charpente tient soudain seule

« Voici la soif s’en prend à tout

« Il faut jeter les dés

« La veille ronge les rotules Un Cri

« c’est le feu qu’un astre jette en pâture

« à la détresse de l’ homme qui l’interroge

En lisant « La veste d’intérieur » à haute voix, seul mot en pour moi de vérifier le choc dans sa véritable liaison avec le cœur -et j’ai toujours tenu le poème pour une affaire de cœur- j’ai eu le sentiment qu’il était de la veine d’« Epitomé »…

Oui et non, « Epitomé » comme le titre l’indique, est un résumé. Un résumé à cheval sur l’histoire et les malheurs d’un continent perçus à travers ceux du Congo alors qu’ici, il s’agit d’une retraite plus que d’un malheur. Mais cette redescente en soi, elle est bien sûr dans tous mes autres livres qui sont une plongée dans les autres, dans l’homme que je suis sensé être, que je voudrais être et que je ne suis pas tout à fait. « La veste d’intérieur », c’est aussi l’histoire d’une vie intime, personnelle… boiteuse.

« A Pâques ne pus rompre le pain qui ne leva

« un ventre refusa de traduire mon amour en chair

« en vain quémandais-je à cet adagio

« un asile qui fût moins une prison

« mais je n’eus que mon corps pour toute frontière

« allez je ne trahis pas le bleu des pervenches

« si mon Pied ne sait plus jauger l’ humus

Est-ce en fin de compte, un livre qui vient au bout d’autres livres ou des poèmes écrits au hasard d’autres poèmes ?

– « La veste d’intérieur » comprend des poèmes qui datent de 1963, une année où j’étais obsédé par le désir de faire le point…

…D’avoir une conversation avec vous même.

Voilà. Il y a de cela et pourtant, j’écrivais en même temps « L’Arc musical » qui a été publié il y a quelques années déjà. Et aussi « Le Zulu ».

Vous êtes comme fasciné par le personnage de Chaka. En somme, vous l’avez découvert un jour. il vous a poursuivi et vous l’avez poursuivi…

C’est toujours ce qui arrive quand on aime un personnage. On l’aime jusqu’à la possession réciproque. Ma pièce « Le Zulu » est une réflexion politique mais pas dans le sens politique politicienne. Je prends cette précaution à bon escient, parce qu’elle concerne un besoin de jeux de dosage, d’influences etc. Dans mon cas, c’est la nécessité de mettre des personnages en présence, en société, en cité, et de voir ce qui se passe. Dans « Le Zulu », il y a Chaka, un homme à qui je prête un certain nombre de pensées, ne sachant pas au juste si il les a effectivement eues, en jouant un peu sur les mots. Ainsi le mot « Zulu » a les mêmes racines que le mot ciel. Alors, les Zulus qui sont grands, doivent descendre du ciel ou du moins, ils ont été perçus comme tels par les autres ethnies qu’ils affranchissaient…

…Qu’ils asservissaient aussi.

– Qu’ils asservissaient pour agrandir un domaine. Et puis, ils étaient d’un courage surprenant, d’une éthique presque guerrière. C’était un peuple muscle. Surtout un peuple messianique. Il vient du ciel : il vient apporter une lumière. Il vient libérer, il vient sauver. Mais sauve-t-on aisément les autres ?… Il arrive que tout sauveur est toujours crucifié.

– Sachant la dévotion que vous portez à un autre personnage historique de l’Afrique, est-ce qu’on peut, en lisant votre « Zulu » et en écoutant les paroles que vous mettez dans la bouche des protagonistes de la Pièce, entendre en filigrane, un peu du destin de Patrice Lumumba, un homme qui a aussi rêvé de rallier, de rameuter le meilleur d’ un peuple, de refaire un pays, sans pour autant présenter le caractère sanguinaire du Zulu, mais qui finit également par le sacrifice ? Exemple, ce passage à la fin de la pièce :

« … Je suis venu avec la nouvelle du renouveau, avec la trêve qu’il faut à l’arbre, à tel moment de l’an pour que tout reverdisse, et que la fleur en exhalant laisse assez de saveur au fruit. Le fruit était le symbole du peuple à l’unisson…

Mais c’était trop rêver. Ils suent la peur. On a beau les aimer, rien n’y fait. Je pleure, moi le Zulu, parce que j’ai trop rêvé. Autour de moi, mes plus fidèles n’ont pas mon sang dans leurs veines. J’ai peur de mon sang comme ceux qui ont mon sang ont peur de moi ! Ils viennent pour que je ne sois pas leur obstacle ! Je ne réveillerai pas les fidèles qui dorment autour de moi ! Le soleil va se lever…

Une aube est toujours grosse de quelque chose qui fatalement échappe à l’homme… L’homme… Quel homme ai-je été ? Une caricature de moi-même, parce que je ne suis rendu ni maître de l’écume de la mer, ni féal du destin ! Allons donc ! L’homme est aveugle puisqu’il ne voit pas où il va. Moi je vois – ce que je vois est horrible. Pauvre terre ! Il n’est même pas consolant de savoir que je vais mourir… Mourir ! C’est l’échec inévitable, mais face à cette horreur qui vient, qu’y puis-je maintenant ? Et pourtant c’était la liberté… Ce n’est pas de moi ce legs d’esclavage. Non. »

– On pourrait établir ce parallèle, mais je ne l’ai pas fait sciemment…

– Mais vous ne niez pas à celui qui voit et entend votre Pièce la possibilité de s’abandonner à ce rapprochement…

Vous savez, en général, j’ai toujours permis à quiconque me lit d’entendre ce qu’il veut bien entendre. C’est la règle du jeu. Pour moi, « Le Zulu » est, comme je vous l’ai dit au début, une réflexion politique sur l’essence du pouvoir. Or un spectateur à A vignon, lors du festival où a été jouée la pièce, est venu me dire qu’il y avait trouvé la nuit des longs couteaux. Cela m’a d’abord surpris, mais en fin de compte, quand je suis retourné au théâtre voir la pièce une deuxième fois, il y avait sans doute quelque chose de la nuit des longs couteaux. Mais je dois avouer qu’à travers « Le Zulu », j’ai voulu régler un certain nombre de comptes avec ma pensée l’ai aussi voulu évacuer quelques rêves. J’ai rêvé être un politicien à la suite de mon père. J’ai ambitionné d’être un rassembleur, mais je me suis rendu compte que dans ce cas, on est toujours crucifié et je n’ai pas envie de l’être. C’est une fuite en avant. Cette même réflexion, je la continue, mais en étant moins dramatique, dans une deuxième pièce que je viens de terminer intitulée « Le destin glorieux du Maréchal Nnikon Nniku, prince qu’on sort »…

Vous avez eu l’amitié de m’en laisser lire quelques paysages, et je dois dire que si cette nouvelle pièce bénéficie d’une mise en scène en rapport avec son contenu, l’événement sera marquant. Pour revenir au « Zulu », vous l’avez dédié entre autres, à Léopold Sédar Senghor lui-même auteur d’un célèbre « Chaka ». Y a-t-il là cause à effet ?

Non… Simplement… et vous étiez là ce jour-là, en 1974, lors du vernissage d’un peintre sénégalais qui exposait à Paris, le président Senghor m’avait fait remarquer qu’on entendait plus parler de moi. « Vous n’écrivez plus ? » m’a-t-il demandé. Et vous vous souvenez de ma réponse. J’ai dit : « Monsieur le Président, je suis en train de subir mon éclipse », faisant ainsi un facile jeu de mot car ce même jour, il y avait une éclipse totale du soleil. Puis, on s’est tous retrouvé à Dakar pour célébrer l’anniversaire de Léopold Sédar Senghor. Là encore, il m’a demandé si j’écrivais toujours. Je lui ai alors appris que je venais de faire jouer une pièce au Festival d’Avignon : « Le Zulu ». « J’y mets en scène Chaka… » – « Mais j’avais moi-même l’intention de réécrire mon Chaka », m’a fait part le Président. A quoi j’ai ajouté : « Si vous le voulez bien, pendant que vous écrirez votre pièce, je vous dédie la mienne ! » C’était aussi pour effacer mon éclipse… Voilà la petite histoire de ma dédicace.

Pour terminer cet entretien, quelle part faites-vous au langage poétique dans votre théâtre et quelle part dramatique accordez-vous à la poésie ?

Je suis contre le théâtre poétique. Je vais nuancer : je ne suis pas pour le théâtre poétique. La poésie au théâtre a un autre cheminement que la poésie en poésie. Ce sont les situations elles-mêmes qui doivent dégager le poème et non pas les mots seuls. Ces derniers doivent être vecteurs de poésie. Si j’en crois le témoignage de ceux qui ont vu « Le Zulu » et celui de la presse, le langage a été jugé fort beau et fort poétique. Or je n’ai pas voulu écrire un seul poème dans la pièce, ni y faire place au lyrisme… Mais le personnage de Chaka est en soi dramatique et lyrique. Nolivé également. Exemple : j’ai voulu à un moment faire une scène d’amour entre Chaka et Nolivé et je n’ai pu en écrire une seule ligne. Même pas dans les dix brouillons du « Zulu » qui existent. La propre douleur de Nolivé quand elle apprend la mort de son père, son délire sont réalistes. Il est de tradition lors d’un deuil pareil en pays bantou, que les femmes aient le crâne rasé… Et puis il y a les regards. Je veux dire par là que si poésie il y a, elle est dans le quotidien des événements de la pièce.

Il reste que dans « LA veste d’intérieur » comme dans les « Notes de veille », dans « Le Zulu » comme dans « Vwène le fondateur », Tchicaya U Tam’si continue nous semble-t-il, une quête entreprise depuis « Le mauvais sang », son premier recueil : faire rendre mots au langage. Des mots pourquoi faire ? Peut-être pour franchir les barrières de l’octroi. En d’autres mots, pour vivre sans permission, ce qui rend à l’Africain comme aux autres, la plénitude.