Poésie

MILLE OISEAUX ET MILLE REVES

Ethiopiques n°48-49

revue trimestrielle

de culture négro-africaine

Hommage à Léopold Sédar Senghor

Spécial les métiers du livres

1e et 2e trimestre 1988

– volume 5 n°1-2

La rue se vide

La ville se vide

La terre se vide

Et nos compagnes

Et nos fleuves et nos épargnes

Et nos yeux sans larme

Et nos cités sans âme

Et nos ventres sans entraille

Et nos vies sans bataille

Nos élans sans parfum

Nos odeurs sans levain

Nos sentiments sans source

Nos volontés sans ressource

Et nos têtes sans idée

Et nos mains dénudées

Et nos cuisines sans odeur

Et nos armes sans ardeur.

La terre se désole et se meurt

Elle se tait et se plie

Comme sous une lèpre

Virile.

Elle se craque et s’effrite

Elle se calcine et s’irrite

Comme sous un chemin

De chars.

Mais voici que s’éclaircissent

Nos grands horizons inespérés

Ils dormaient comme braise

Sous les cendres des foyers

Mais voici qu’à Maka-Diama

Plein d’eau en sel et de désert

Un jour vinrent buldozers

Et énormes scrapers

Remuer et raper la terre

Jusqu’au rouge rocher.

Les flots saumâtres n’iront plus

Jusqu’aux plaines du Ferlo

Lapider nos troupeaux et nos terres.

Voici Manantali coiffé

De collines en auréole

De blondins et d’immenses engins

Qui jusqu’aux monts

Portent béton, fer et machineries

Ici on bâtira notre temps

Comme on bâtit un grand temple

Ici va naître un lac

Plat comme mer

Et bleu comme l’espérance de nos rêves

Les gazelles y boiront.

Voici le bassin fontaine

Et auberge de nos peuples

Pour bien moins cher qu’une bombe

Pour bien moins cher qu’une fusée

J’attendrai ce jour prochain

Pour lâcher de mes mains

A tous vents

Mille oiseaux et mille rêves

Voici le Sénégal ferme et repus.