Philosophie,sociologie et anthropologie

MARTIN HEIDEGGER, PENSEUR DE NOTRE TEMPS

Ethiopiques n°82.

Littérature, philosophie, art et pluralisme

1er semestre 2009

De la pensée hégélienne selon laquelle « toute philosophie est fille de son temps », elle-même reprise de fort belle manière dans les Morceaux choisis de Karl Marx, en ces termes : « Les philosophes ne sortent pas de terre comme des champignons, ils sont le produit de leur temps, de leur peuple dont la quintessence spirituelle s’exprime à travers les idées philosophiques… La philosophie n’est pas extérieure au monde », il est d’une évidence que la philosophie est l’interprétation, mieux la conceptualisation du milieu sociétal. Martin Heidegger, l’une des figures de marque de l’histoire de la philosophie, n’échappe guère à cette logique philosophique. Tout comme ses pairs, son philosopher, et bien plus, son être-là existential, portent les empreintes de son temps. Cependant, s’il nous faut convenir que les idées du penseur de Messkirch, loin de s’originer du néant, s’enracinent dans le sol natal, cela n’est pas sans ambiguïté. Au fond, cela soulève des inquiétudes essentielles ; en premier lieu, l’interrogation suivante s’impose : le philosophe aura-t-il su se tenir dans l’entre-deux du concept et du monde, c’est-à-dire aussi dans son milieu comme domaine de surgissement de la pensée objective ? En clair, le philosopher heideggérien n’est-il pas entaché d’obscurcissements du genre à invalider son économie de pensée ? (Toutes choses qui amèneraient à saisir qu’il ne suffit pas de penser – localement -, ou d’asseoir ses analyses dans une historicité de mauvais aloi !). Fort de cette préoccupation, on ne saurait, en second lieu, laisser sous silence cette autre : pourquoi évoquer Heidegger omme un penseur, non pas de son temps, mais de notre temps ? En quoi résiderait, spécifiquement parlant, la « temporellité » rassemblante de l’œuvre de Martin Heidegger ?

  1. INTRA-TEMPORALITE DE L’ŒUVRE DE MARTIN HEIDEGGER

Martin Heidegger appartient certes à un temps, à une époque, principalement le vingtième siècle, et, à ce titre, on pourrait en déduire qu’il est fils de son temps. Aussi bien, parce qu’issu d’un « lieu » précis, l’Allemagne, ou d’une terre particulière, celle de Messkirch, on pourrait affirmer que son œuvre philosophique en porte les traces. Cela constitue une certaine manière de voir qui n’est pas fausse, mais c’est véritablement se méprendre sur l’entreprise philosophique en général, à vouloir ainsi borner les choses, mais aussi et singulièrement sur celle de Heidegger. En réalité, l’œuvre du philosophe déborde son époque en traversant tout l’espace-temps de l’histoire humaine.

Pour comprendre cela, il suffit de se référer à son approche du temps qui s’entend de façon ek-statique. Pour le dire simplement, le temps, chez lui, en sa tripartition traditionnelle qu’il a d’ailleurs modifiée, est loin d’être figé ou de traduire la subsistance, au sens de ce qui se tient là-devant, dans sa stabilité. « La temporellité est l’« hors-de-soi » original en et pour soi-même. C’est pourquoi nous nommons les phénomènes ainsi caractérisés de l’avenir, de l’être-été et du présent, les ekstases de la temporellité » [2]. Il convient donc de comprendre les choses de la façon suivante : Heidegger, tout en se situant dans un temps particulier en tant que le présent, avait les regards projetés en avant de soi-même ou dans l’avenir, mais aussi et surtout dans cette dimension non moins essentielle du temps qui est son être-été. Enraciné dans une terre époquale, l’être heideggérien, en son déploiement, englobait toutes les dimensions (passé, présent et avenir) de la temporalité. Aussi sa pensée se voulait-elle, non pas temporelle ou locale, mais rassemblante. « C’est pourquoi la parole – mieux la pensée heideggérienne [3] – ne se tempore pas prioritairement dans une extase particulière » [4].

Une fois déterminée l’intra-temporalité de son œuvre, il importe de se poser la question suivante : comment sa pensée arrive-t-elle à embrasser les époques en leur être-été, présent et avenir ?

Heidegger et la tradition philosophique

Evoquant la question du rapport du Dasein avec son milieu, Heidegger écrivait ce qui suit : « Existant, il s’est déjà installé dans un espace de jeu » [5]. S’il en est ainsi de tout Dasein, déduisons que l’espace de jeu au sein duquel se tenait le Dasein heideggérien renvoie à celui de la philosophie, principalement de la tradition philosophique. Le philosophe de Fribourg se révèle en effet ce penseur qui se sera mesuré, en se confrontant, à toute la tradition philosophique. De ce grand dialogue avec les grands philosophes de l’histoire de la philosophie, depuis les penseurs matinaux grecs [6], en passant par Platon, Descartes, Kant, Hegel et Nietzsche, etc., jusqu’à ses contemporains, à l’image de Jaspers, Sartre, etc., on pourrait résumer son philosopher à partir de deux préoccupations centrales. D’un côté, le regard sur la tradition métaphysique et, de l’autre, la critique de la modernité (laquelle est d’ailleurs inséparable de la tradition métaphysique).

Sur la refondation de l’ontologie, une fois entré sur la scène philosophique, il parviendra à un triste constat qui, malheureusement, tenait les rênes de cette tradition. Il s’agit bien de l’oubli de l’Etre. Il faut ainsi comprendre la formule (inaugurale même) qui constitue le leitmotiv d’Etre et Temps comme une interpellation : « La question de l’être est aujourd’hui tombée dans l’oubli » [7]. Se situant dans le maintenant de son temps, et, parvenu à ce constat, celui-ci va se replier sur le passé historique de l’ontologie afin de la remettre sur les rails.

« L’élaboration de la question de l’être doit s’aviser qu’il lui faut orienter son questionnement vers sa propre histoire, qu’elle doit donc se faire historienne, afin qu’en s’appropriant de façon positive le passé, elle entre en pleine possession de ses possibilités de questionner les plus propres » [8].

Engager cette franche répétition de la question de l’Etre n’est possible que par le biais de ce que Heidegger lui-même appelle le Pas-en-arrière (Schritt-zurück). Une telle entreprise, qu’il nomme par ailleurs la désobstruction de l’histoire de la métaphysique, consiste à fouiller de fond en comble le sol métaphysique à travers son lieu d’émergence, à remuer cette terre en vue de lui restituer pleinement son élément original qui, hélas, s’y est trouvé congédié ou mis dans l’oubliance. Ainsi qu’il le signifiait avec force :

« S’il importe à la question de l’être elle-même d’arriver à voir clair dans sa propre histoire, il faut alors rendre à la tradition sclérosée sa fraîcheur et décaper les revêtements qu’elle a accumulés avec le temps. C’est cette tâche à accomplir dans la perspective de la question de l’être que nous entendons par la désobstruction du fonds traditionnel provenant de l’ontologie antique pour renouer avec les expériences originales dans lesquelles avaient été atteintes les premières et désormais directrices déterminations de l’être [9] ».

Si « ce qui est en jeu est donc d’abord une réinterprétation de l’ensemble de l’histoire de la métaphysique [10] », Heidegger, en historien de la pensée philosophique, ira à la source, chez les Grecs, et plus précisément les penseurs matinaux. Avec ces penseurs, celui-ci pense qu’il y a eu une certaine lueur de l’Etre ; ce qui signifie que la question de l’Etre a été intuitionnée en sa vérité, non pas comme Présence, mais comme Alèthéia. De là, ses nombreuses méditations sur Héraclite, Parménide, Anaximandre. Pourquoi alors l’image de Platon est comme occultée ? A ce sujet suivons ce commentateur :

« Pour Heidegger, Platon est un penseur fondamental qui représente un moment charnière et un tournant dans l’histoire de la pensée occidentale. Platon clôt l’histoire de la première pensée grecque, et ouvre l’histoire de la tradition métaphysique. Toute la pensée occidentale reste marquée de son empreinte. Avec Platon, la pensée se détourne de ce qui est à penser, c’est-à-dire de la question de l’être, de l’être en tant qu’être, pour ne plus considérer que l’essence de l’étant (l’être en tant qu’étantité – Seiendheit). Platon représente l’avènement de ce que Heidegger appelle le « nihilisme » c’est-à-dire l’oubli de l’être » [11].

 

Etant entendu que celui qui a ouvert l’histoire de la tradition métaphysique et qui influence toute la pensée occidentale a engagé l’oubli de l’être, il était impérieux, selon Heidegger, de dépasser la métaphysique. En effet, « le dépassement de la métaphysique est pensé dans son rapport à l’histoire de l’être. Il est un signe précurseur annonçant la compréhension commençante de l’oubli de l’être (…) Dépasser la métaphysique, c’est la livrer et la remettre à sa propre vérité [12] ». On comprend alors pourquoi la visée essentielle en jeu dans cette entreprise consistait à instituer une ontologie fondamentale, ce à partir de quoi l’Etre est saisi comme tel. Aussi, l’époque moderne, elle-même également engagée dans cette tradition oublieuse de l’Etre, va passer sous le crible de la critique heideggérienne. Parce que la modernité est ontologicide (meurtre de l’Etre) sous la forme de la métaphysique de la subjectivité, le héraut éponyme de l’Etre en appellera à la sérénité, à la prudence. Si le regard heideggérien montre bien qu’ « un phénomène essentiel des Temps modernes est la science. Un phénomène non moins important quant à son ordre essentiel est la technique mécanisée » [13], il ne manquera pas de fustiger l’errance technoscientifique née à partir du projet cartésien.

La techno-science moderne dépouille la nature de son essence en transformant toute chose, sinon tout étant en objet (utilisable) avilit l’espèce humaine et obscurcit la Terre. Par elle, en effet, le lieu de séjour de l’homme devient un foyer de perdition, mieux, l’homme est un sans logis, un être sans Patrie (Heimatlos). Erigé, en réalité, en sujet absolu, sur une terre, en tant que lieu de monstration de sa puissance d’être, l’homme moderne, selon le mot de Protagoras, est la mesure de toutes choses. Ainsi qu’en témoigne l’auteur lui-même :

« Le décisif, ce n’est pas que l’homme se soit émancipé des anciennes attaches pour arriver à lui-même, mais que l’essence même de l’homme change, dans la mesure où l’homme devient sujet. (…) Si à présent l’homme devient le premier et seul véritable subjectum, cela signifie alors que l’étant sur lequel désormais tout étant comme tel se fonde quant à sa manière d’être et à sa vérité, ce sera l’homme. L’homme devient le centre de référence de l’étant en tant que tel » [14].

Imaginons un instant que dans toutes les sociétés, de quelque espace ou lieu que ce soit, l’on accorde ce plein pouvoir à chaque individu en tant que devant être le maître de la Terre ou même de son milieu, de sa localité ! Ce qui s’ensuivrait est simple : le règne du chaos qui, au fond, équivaut à l’anéantissement de toute vie – disons de tout étant – sur ladite Terre, ledit lieu ou ladite localité. Cela invite à saisir que le monde des hommes n’est pensable que lorsqu’il est référencé à une réalité qui le ou les transcende. Si dans l’optique heideggérienne, ce centre de référence, loin d’être l’homme, est et demeure l’Etre Etre, cela est lourd de conséquences.

En premier lieu, la peinture faite des Temps modernes (inséparable de l’oubli de l’Etre) est une invite au Sacré, au Mystère ; surtout eu égard à une tradition moderniste qui s’impose comme l’autre de toute eschatologie. En second lieu, il faut apercevoir le philosopher heideggérien comme en rupture avec tout humanisme ou existentialisme, à la manière sartrienne. « Heidegger récuse la notion classique d’humanisme. Il ne cherche pas à dire quelque chose sur l’homme en tant qu’animal raisonnable. Il a en vue non pas l’homme, mais l’Etre en tant que la vérité de l’Etre est le propre de l’homme » [15]. Au-delà même de cet aspect doctrinal, le Fribourgeois, touchant au spectacle mondial de son temps, d’un temps de crises ou de conflits, exprimait aussi son désarroi. Selon Losurdo, « c’est dans ce tableau qu’il faut insérer le Heidegger de l’Introduction à la métaphysique ; le monde moderne dont la vraie nature découle du spectacle répugnant qu’offrent de concert les Etats-Unis et l’Union Soviétique, a comme « dimension dominante « l’extension », le « nombre », le « quantificatif » ; c’est une extension dénuée de « toute profondeur » (jede Tiefe) » [16].

Partant de ce souci heideggérien d’une dimension de profondeur, de s’assurer d’un fond comme fondement essentiel de l’établissement de l’homme dans un espace vital fiable ou un milieu d’existence au sein duquel subsiste l’unité quadripartite [17] ; toutes choses qui l’amènent à interpeller l’humanité sur les dangers de sommation ou d’arraisonnement de la nature par les techno-sciences modernes, en invitant l’homme à la Gelasenheit [18], ne peut-on pas dire de ce dernier qu’il est la pierre angulaire de la pensée contemporaine ? Mais les diverses mésinterprétations de son ontologie ne barrent-elles pas la voie à une telle vision ? Qu’en est-il véritablement de cette supposition ?

La pensée heideggérienne à l’épreuve de la contemporanéité

La philosophie contemporaine semble s’articuler de part en part autour de la pensée heideggérienne ; qui, dans le rang des « Amis », qui dans celui des « Ennemis » ou simplement dans la droite ligne d’une influence. Et, fondamentalement, ce qui se joue est et demeure la question nazie. Heidegger, on le sait, a eu des accointances avec le National-socialisme et, depuis lors, cet ancrage ne manque pas de lui être collé à la peau, mieux à son âme, à son Esprit. Qu’en est-il véritablement, sinon que faut-il en dire ?

Partons de cette note significative : « Disqualification suprême, Heidegger s’est inscrit au parti nazi. Lors de l’avènement d’Hitler au pouvoir en 1933, il fut quelques mois fonctionnaire du régime en tant que recteur de l’Université de Fribourg et s’il démissionna neuf mois plus tard, il refusa, jusqu’à la fin de sa vie, de s’excuser de cet engagement. S’il en exprima quelques regrets, ce fut surtout à propos des conséquences fâcheuses de cet engagement sur sa carrière de professeur » [19]. On pourra même encore radicaliser en disant – s’il était, à ce jour, encore vivant -, que ses regrets se rapporteraient aux conséquences d’un tel engagement sur son œuvre spirituelle. Il apparaît clairement que la question de l’engagement du philosophe se pose. Et bien évidemment, toute philosophie, de quelque forme ou orientation qu’elle puisse revêtir, est engagée. Il n’existe aucune philosophie neutre ou indifférente et l’on ne saurait interdire aux philosophes d’être engagés, sinon il vaudra mieux leur interdire d’écrire, ou d’exister simplement.

Par voie de conséquence, l’existence philosophique est un engagement au service de la pensée, elle-même saisie du temps ou de l’existence. Pour ne saisir que ces deux images, Marx et Sartre étaient bien des philosophes engagés, au sens plein ou concret du terme. Pour ne parler que de Sartre, on aura retrouvé, dans ses carnets, une note insigne relative à sa participation à la deuxième guerre, précisément durant septembre 1939 et juin 1940 ; il a écrit ceci : « Aujourd’hui que je sais qu’il y a eu une guerre, je me moque de celui que je fus et qui ne sut pas la prévenir » [20]. En ce passage, s’exprime le regret qui est vécu chez Sartre, dans les limites même de l’orgueil. Méditons un peu ce terme de regret en l’appliquant au cas Heidegger.

Le regret est un retour sur soi de la conscience, disons même d’une conscience malheureuse, du fait de l’aperception d’une faute, d’une erreur commise, voire d’un acte ou d’un engagement aux conséquences odieuses, horribles. S’il est donné aux êtres consciencieux de regretter, ce qui veut dire, de s’en vouloir, il n’en est pas ainsi des individus sans conscience ou qui l’ont simplement mise sous l’éteignoir ; alors que celle des premiers est aigue. Si les seconds agissent généralement, dans cette « sans conscience » qui les caractérise, en toute conscience, ou, ce qui revient au même, en connaissance de cause, les premiers entreprenant dans l’instant de leur acte, en « bonne conscience », ils ignorent la malheureuse portée de leur engagement. D’ailleurs, c’est pour cela que, faisant retour sur eux-mêmes, ils tombent dans le regret, pure conscience de la faute. C’est, somme toute, la conscience qui interpelle le moi fautif ; et même si ladite interpellation est bel et bien l’aveu de l’impuissance humaine devant l’irréparable, ou de son incapacité à prévoir avec précision, à prévenir (pour parler comme Sartre), ou à anticiper en toute effectivité sur l’à-venir, elle offre la possibilité d’un ressaisissement. Dans cette perspective, il nous faut indiquer que tel a été le cas Heidegger. Sinon quelle lecture faut-il objectivement faire de sa démission du rectorat, du regret ci-dessus mentionné ? Heidegger a fait un faux-Pas et de ce faux-Pas, il a entrepris « le Pas-en-arrière » lui permettant de se réapproprier (tant il est évident que les tournures que prenaient la politique du IIIe Reich étaient contradictoires à sa vision, aux exigences de son être-là (Dasein). Comme tel, si « l’appel accuse le Dasein d’être « en faute » [21], on doit tout aussi comprendre que « la conscience morale se manifeste comme appel du souci : celui qui appelle est le Dasein s’angoissant dans l’être-jeté (être-déjà-au…) pour son pouvoir-être. (…) L’appel de la conscience morale, appel à vrai dire du Dasein lui-même, à sa possibilité ontologique en ce que le Dasein est, dans le fond de son être, souci » [22].

Martin Heidegger, être-au-monde, jeté dans une situation historique concrète et critique, avait-il le choix de… ? Pouvait-t-il ne pas être engagé ? Ou sa pensée pouvait-elle ne pas porter les empreintes conceptuelles de ce que Losurdo appelle la « Kriegsideologie » ? Son être-jeté dans un tel monde, son être-la-au-monde (In-der-Welt-sein) déjà impliqué dans un Parti (le National-socialisme), pouvait-il s’abstraire des réalités au cœur dudit Parti ? Et celui-ci a-t-il pris parti, au sens d’une caution à part entière, sinon systématique, de l’idéologie destructrice du nazisme ? De quelque façon qu’on puisse répondre, la complexité du problème doit être prise en considération. Faut-il simplement s’évertuer à affirmer que « la biographie de Heidegger n’est pas autre chose que le récit d’une prise de parti pour la pulsion de mort » [23] ?

En un temps de guerre, pour un être dont la nation à laquelle il appartient y est engagée, y aurait-il un mal à penser la mort comme possibilité indépassable de l’existence ? En un tel temps, exister authentiquement consisterait-il à fuir en s’enfermant dans des sophismes de sécurité, ou à s’engager pour assumer une telle possibilité, tout aussi intrinsèque que situationnelle ? « Ainsi lit-on encore en 1932, à côté de la célébration de « l’héroïsme actif du risque », que « la vie la plus authentique est dirigée vers la mort », tandis que « la plus pauvre est réduite à l’angoisse face à la mort » ; « une vie plus haute » non seulement ne craint pas la mort, mais elle peut aller jusqu’à la désirer, non pas pour des raisons immédiates et superficielles, mais pour trouver en elle un « accomplissement » qu’aucun concept ne peut saisir » [24]. Les grands penseurs de ce lieu, tels que Weber, Husserl et Jaspers [25], porteront tous, à sa plus haute valeur ou considération, la pensée de la guerre, inséparable de celle de la mort. Le contexte d’émergence d’une écriture apparaît capital.

Par ailleurs, est-il légitime d’assimiler, comme Faye le fait, toute l’entreprise de Heidegger à la célébration du nazisme ? Selon lui, en effet,

« À mesure que les révélations se sont multipliées sur la durée et la gravité de l’implication nazie de Heidegger, nombre de ses défenseurs se sont efforcés de dissocier toujours davantage l’homme et l’œuvre, et de soutenir que son engagement politique dans le nazisme ne remettait pas en question son œuvre « philosophique ». Aussi avons-nous consacré notre livre à démontrer que la question du nazisme de Heidegger ne concerne pas seulement la compromission politique de l’homme, mais également les fondements même de son enseignement et de son œuvre » [26].

N’y aurait-il pas là un réductionnisme qui cache certains autres desseins ? Pire encore, n’y a-t-il pas dans l’entreprise des détracteurs du penseur allemand, un certain délire d’interprétation ? Si, pour Farias, « le délire d’interprétation suppose la perversion de toute réflexion, à laquelle n’est plus dévolue qu’une seule fonction : justifier le réflexe » [27], il est à signaler un danger réel dans cette entreprise : grande est la possibilité de tomber dans l’errance. S’il en est ainsi, c’est simplement parce que « le mauvais réflexe va donc jusqu’à inverser complètement les significations … Dans la situation de mauvais réflexe, il n’y a plus de point de repère fixe, et plus gravement encore, il y a menace sur la vérité au sens le plus simple du terme. Cette menace commence dès l’instant où l’idée préconçue commande d’avance ce qui doit être vu et même comment cela doit être vu » [28].

Devant ces réalités, depuis l’ouvrage de Victor Farias à l’œuvre d’Emmanuel Faye, n’importe-t-il pas d’être prudent quant aux allégations et chercher à rendre justice au penseur de Fribourg ? Et que signifie ici rendre justice, sinon toute quête qui fait siéger dans le calme reposant de la pensée qui, débarrassée de tout tapage et irrationalisme, et ainsi, accordée à son élément, sait reconnaître la grandeur d’âme de l’autre ! Surtout de cet autre qui, après avoir chuté, a su se relever. Le relèvement heideggérien invite à penser que, pris dans l’étau de ce qu’on pourrait appeler l’éthique de la responsabilité et celui de la conviction, de façon interactionnelle, il a pu se tenir droit, haut.

Répondant à l’appel rectoral aux fins d’assumer une responsabilité hautement spirituelle [29], il a en fin de compte démissionné pour des convictions qui lui sont chères et qui semblaient voler aux éclats sous le IIIe Reich. Par là même, n’offrait-il pas, aux yeux du monde entier, non seulement qu’il a le souci du Bien, mais aussi et surtout cette vérité essentielle : « Dans la vie, il n’est pas indifférent, loin s’en faut, que l’homme se préoccupe de tenir debout ou de se reprendre, parce qu’il est précisément cet être qui a toujours déjà chuté sur lui-même, mieux : qui a toujours déjà buté contre soi » [30]. Parce que cette réalité existentiale traduit la finitude humaine, ne doit-on pas voir cette chute heideggérienne comme l’expression du fait qu’il est simplement un homme ; et ainsi lui accorder ses lettres de noblesse aux chapitres des Humanités ? Mais sur quoi pourrait-on fonder la grandeur de sa pensée ?

  1. ESSENTIALITE DE LA PENSEE HEIDEGGERIENNE

L’actualité philosophique (comme déjà relevée), semble aujourd’hui se dérouler autour de la question du nazisme heideggérien. Deux positions s’affrontent et se confrontent, symbolisant ainsi ce qui, de fond en comble, définit la philosophie : la réflexion critique. Cet élément de fond, extirpé du champ philosophique, verrait l’extinction de l’élan philosophique, et, par voie de conséquence, la mort de la philosophie elle-même. Ainsi, Kierkegaard énonçait de fort belle manière ce qui suit : « Il ne faut pas penser du mal du paradoxe ; car le paradoxe est la passion de la pensée et le penseur sans paradoxe est comme l’amour sans passion » [31] … Disons que les positions paradoxales au sujet du cas Heidegger témoignent bien de la richesse de la pensée de l’auteur, de son inépuisable fécondité en tant que source nourricière de la philosophie en général, de toute philosophie, qu’elle soit antique, moderne ou contemporaine.

Mais sur quoi fonder particulièrement cette philosophia perennis ? D’ailleurs, les contestations de l’ontologie ne constituent-elles pas un discrédit, un démenti de la valeur de son édifice philosophique ? En clair, sur quoi établir l’essentialité de l’œuvre heideggérienne ?

Martin Heidegger, figure emblématique de la pensée contemporaine

S’il faut, aujourd’hui, déterminer une figure emblématique de la philosophie de notre temps, il ne subsiste pas de grand doute que le philosophe de Fribourg se situe au premier rang. Hormis la question nazie pour laquelle « Heidegger n’a pas bonne presse dans un large public » [32] ; laquelle, on l’a vu, se révèle problématique, quand on vient à questionner en direction de la profondeur de la pensée, Heidegger apparaît comme un grand esprit ; l’esprit de notre temps, de notre siècle, tant tout ou presque tout a été conceptualisé par lui. S’étant situé au cœur de l’histoire de la philosophie, c’est-à-dire aussi dans son centre, grâce à sa proximité ‘‘dialogale’’ avec ses prédécesseurs, il a fini par être le repère de ce siècle (le XXe sans oublier le XXIe commençant).

En effet, « en dépit de son engagement déplorable de 1933, en dépit des difficultés de son vocabulaire, notamment dans ses derniers écrits, Heidegger demeure « le philosophe du XXe siècle », tant pour ses élèves devenus célèbres comme Hannah Arendt et Herbert Marcuse que pour presque tous les grands noms de la philosophie française : Merleau-Ponty, Sartre, Derrida, Levinas, etc. » [33]. De ce point de vue, il faut, de façon imagée, dire de Heidegger qu’il représente les racines de la philosophie contemporaine. Ayant enfanté ou influencé ceux qui, aujourd’hui, sont les figures de proue de la philosophie, il ne peut qu’en constituer le référentiel par excellence. Sans ce référentiel, ou à vouloir l’isoler, c’est simplement la philosophie contemporaine qui serait supprimée, décimée ; tant il est évident qu’un arbre ne saurait subsister sans ses racines. Ainsi qu’en témoigne Guery,

« On peut mener une autre expérience et simuler la perte de Heidegger, sa radiation de lapenséefrançaisecontemporaine,pour savoir ce que nous perdrions. Merleau-Ponty et Sartre n’existeraient pas sans lui, on le sait. On dit moins ce que Foucault et Deleuze lui doivent quoique le premier ait raconté la révélation philosophique qu’a constituée pour lui la lecture de Heidegger. (…) La dette de Deleuze envers Heidegger reste certes à cerner, mais on ne peut imaginer un monde philosophique français privé de cet enracinement, privé de ses maîtres » [34].

Loin de se limiter à cet espace philosophique localisé, comme d’origine française, il vaut mieux le dé-localiser, à partir du moment où, au-delà de ce lieu, la pensée du Fribourgeois a tout aussi porté des fruits. Aussi ladite délocalisation ne signifie pas la relocalisation, au sens d’une fixation en un autre lieu particulièrement borné. Il nous faut simplement dire, plutôt que de vouloir encore désigner des noms, que sa pensée se situe au ciel de l’espace philosophique. Il a su se limiter à l’essentiel, au sens où lui-même affirmait que « penser, c’est se limiter à une unique idée, qui un jour demeurera comme une étoile au ciel du monde » [35]. Et, peut-on encore ajouter, en cette unique idée, elle-même pierre angulaire du philosopher, apparaît le simple en tant que rassemblant les rudiments conceptuels de l’édifice philosophique. Y aurait-il en effet un sujet oublié par l’auteur de Sein und Zeit ? La question de l’existence, de la mort, de l’histoire, de la nature (impliquant le paysage, l’environnement, l’art), sans oublier celle de la technique et ses dérivés qui fondent l’armature biotechnologique et éthique de notre temps, etc., sont des points essentiels de son questionnement. Dès lors, ce qui fait de Heidegger la pierre d’angle que des bâtisseurs contemporains veulent rejeter, « ce n’est pas tant le passé (…), c’est le présent actuel et vivant, c’est l’ouverture d’un avenir de pensée. (…) Nous n’aurons jamais trop besoin de cet ancrage. Il nous faut le faire nôtre pour être nous » [36]. Parce que notre avenir de pensée est un pro-venir, ne faut-il pas saisir l’ontologie heideggérienne comme ce qui, contextualisant son philosopher, fait de lui un penseur de tous les temps ?

L’ontologie heideggérienne, une philosophia perennis.

Depuis ses origines dans la Grèce antique où elle est née, jusqu’à nos jours, en passant par ses différentes formes de déploiement, qu’elle soit africaine, américaine, asiatique ou occidentale, la philosophie tient son essence d’un simple et unique concept : l’Etre. Philosopher revient donc à méditer l’Etre, c’est-à-dire, à vouloir savoir ce qui fonde tel ou tel fait de l’existence qui tombe sous l’interrogation des penseurs. Cette évidence exprimée d’une manière ou d’une autre par tel ou tel philosophe, mais aussi et surtout mise dans l’oubliance, aura trouvé son expression la plus haute et authentique dans l’histoire de la philosophie, chez Martin Heidegger. Comme l’a si bien fait remarquer Panis, « s’il fallait, par un mot ou une brève expression, caractériser cette pensée qui passe aujourd’hui pour l’une des plus marquantes du XXe siècle, à savoir la pensée de Heidegger, on serait généralement tenté par la formule « question de l’Etre » [37]. La Seinsfrage demeure la pierre philosophale du penseur. A travers les diverses préoccupations autour desquelles s’articulent ses questionnements, le fil directeur a été le même. En effet, « Heidegger pourra varier, dans son langage comme dans son cheminement ; il restera fidèle à l’appel muet de cette question fondamentale qui sonne à quatre reprises le glas de la métaphysique, dès 1927, aux paragraphes 2, 7, 59 et 83 de Sein und Zeit » [38]. Il faut en déduire que, au-delà de cette grande œuvre de 1927, tous les autres écrits portent entièrement la marque ontologique. On peut l’affirmer, celui-ci aura incessamment été habité par le souci de l’Etre. « De Sein und Zeit a Zeit und Sein, du traité de 1927 à la conférence de 1962, on ne compte plus les occurrences du mot Sein, tant il est notoire et évident que Heidegger, c’est le maître de la pensée de l’Etre » [39]. Mais y a-t-il un mérite à demeurer le maître de la pensée de l’Etre ? La pensée de l’Etre n’apparaît-elle pas, au bout du compte, comme aiment l’exprimer les philosophes du cercle de Viennes, un simple futile motif de bavardage ? Pire encore, cette ardeur heideggérienne, cette soif inassouvissable de l’Etre, ne cache-t-elle pas une fuite en avant de l’auteur vis-à-vis de l’humanité réelle, et ce, vers la barbarie ou l’affirmation de la destruction de l’Homme ? On sait bien la position heideggérienne telle qu’elle se déploie dans La Lettre sur l’humanisme. Son ontologie est loin d’être un plaidoyer pour l’inhumain, ni une défense de la barbarie. Seulement, si en dépit de ses positions qui ne souffrent d’aucune ambiguïté, « certains ont même émis l’hypothèse, dans la lignée de Levinas, que cette élection de l’« être », au détriment des « étants » et en particulier de l’étant humain, aurait naturellement conduit Heidegger à cheminer avec le national-socialisme, le champ d’un être totalisant préparant le terrain d’un pouvoir totalitaire » [40], il faut craindre qu’on veuille faire du héraut de l’Etre, un adversaire, voire un ennemi de l’humanité.

Or, est-il besoin de le rappeler, « la cause de la pensée serait meilleure, si déjà s’y rencontraient des tenants de vues opposées, et non de simples adversaires » [41]. Au-delà des paradoxes et des critiques qui caractérisent le philosopher, il faut avoir le souci de ne pas arriver à la diabolisation de l’altérité ; ce qui reviendrait à la diabolisation même de soi. Rechercher toujours l’essentiel, ce par quoi le concept devient lumière-éclaircissante et vie pour tous, marcher sur le chemin de pensée médiante, n’est-ce pas là le sérieux de l’être-penseur !

En cela, Heidegger est resté dans l’élément. Car « avec pour question directrice celle du sens de l’être, la recherche se trouve aux prises avec la question fondamentale de toute la philosophie. La manière de traiter cette question est la manière phénoménologique » [42]. Parce que l’ontologie heideggérienne n’est possible que comme phénoménologie, et en tant que « le terme « phénoménologie » exprime une maxime qu’on peut ainsi formuler : « Droit aux choses mêmes ! » [43], il pourrait apparaître absurde de taxer l’ontologie heideggérienne d’une philosophie détournée du vécu concret des hommes, sinon, il y faut lire tout simplement le procès de la métaphysique et par voie de conséquence le discrédit de la philosophie. Encore que notre ère est dominée par les techno-sciences qui ne cessent de démontrer leur caractère apodictique, nombreux sont ceux qui, – y compris des philosophes ou praticiens de cette discipline ; obnubilés par les objets que la technique produit, taxent la philosophie de savoir futile, sinon critiquent violemment la métaphysique.

Et qu’on soit du côté du sens commun ou de celui de philosophes et praticiens (de la philosophia) en mal de concrétude, il est à noter que « cette attitude universellement répandue à l’égard de la philosophie est véritablement effrayante » [44]. Comment ne pas s’effrayer du primat de la pensée calculante sur celle dite sereine, sérieuse, profonde, car médiante ? N’y a-t-il pas péril ou danger en la demeure philosophique, quand la métaphysique est, soit congédiée du fait de son abstraction, soit taxée d’obsolète ? Ces attitudes traduisent, de façon éloquente, le temps de détresse ontologique qui est le nôtre : l’oubli pur et simple de l’Etre au profit de l’étant.

L’homme contemporain, noyé qu’il est dans les assauts techno-scientifiques, se retrouve les yeux fermés sur cette vérité, à savoir : « Les sciences positives, ce sont les sciences de l’étant, de ce qui est posé là-devant pour la connaissance et l’expérience naturelle. La science critique, c’est la science de l’être, de ce qui n’est pas posé là-devant pour l’expérience naturelle, mais qui est en retrait » [45]. Et si la science positive, orientée et entièrement concentrée sur tel ou tel étant particulier, ne peut que saisir les choses localement, régionalement et même superficiellement ; la philosophie ou la métaphysique, en tant que savoir critique, est la pensée de la totalité, la pensée fondamentale par excellence. Comme tel, le sérieux de la métaphysique transcende la science. Si, en dehors de sa régionalisation, la science confesse ses limites vis-à-vis des questions fondamentales, en l’occurrence la question du Néant, elle a besoin du secours de la métaphysique, de sa proximité.

« Et c’est à l’unique condition que la science ex-siste de la métaphysique, qu’elle peut reprendre sans cesse sa tâche essentielle, qui ne consiste pas à collectionner et à classer des connaissances, mais à ouvrir, par une révélation toujours renouvelée, l’espace total de la Vérité, de la Nature et de l’Histoire » [46].

N’apparaît-il pas vain de vouloir liquider la métaphysique en proclamant sa ‘‘mort’’ ou sa ‘‘fin’’ ? D’ailleurs est-ce possible de parvenir à une telle entreprise suicidaire, tant « la philosophie – ce que nous appelons ainsi – n’est que la mise en marche de la métaphysique par laquelle elle accède à ses tâches les plus explicites » [47]. Ne suffit-il pas de se référer à l’arbre cartésien [48] pour réaliser l’impossibilité du projet ? Que dire encore, aujourd’hui, des formes plurielles sous lesquelles la sublime science réapparaît ! Convenons que « la métaphysique subit un sort étrange : alors que l’on proclame dans la boutique philosophique son trépas, se glisse dans la littérature et y prolifère son nom honni… » [49]. Tout s’éclaire avec Heidegger pour qui la fin de la philosophie qui est à penser non comme finition ou cessation, mais bien plutôt comme le rassemblement du tout de son histoire en sa possibilité la plus extrême et invite à penser sa véritable tâche (celle de la détermination de l’être en sa vérité).

En somme, il importe de revenir à l’essentiel qui semble congédiée : la Seinsfrage. Si « l’auteur d’Etre et Temps a en effet répété avec persévérance que la tâche de la philosophie tenait tout entière dans ce petit mot « être », que le monde moderne, même chez les philosophes de profession, aurait soustrait à notre mémoire », il nous revient, à nous autres hommes d’aujourd’hui, de demeurer dans la vigilance en ne retombant pas dans un autre oubli plus radical, danger qui menace l’époque ; mais nous avons à être les bergers de l’Etre, à nous tenir dans cette ouverture par laquelle notre lieu de séjour trouve sa parfaite réalisation. C’est tout comme dire que l’éclipse de l’Etre équivaut à l’obscurcissement de la Terre, lieu où l’Homme, qu’il soit d’ici ou d’ailleurs, est toujours en quête de son mieux-être.

Si donc philosopher, c’est déterminer l’être, l’ontologie est ce qui authentifie la philosophia perennis. Ainsi, il est clair que le penseur de Messkirch n’a pas fait œuvre inutile ; tant « une vie philosophique durant, il ne cessa de poser cette unique question, la question de l’être. Cette question n’a de sens que de rendre à la vie le mystère qui menace de disparaître dans la modernité » [50].

CONCLUSION

Tout au long de notre cheminement, il a été question de « la philosophie d’un penseur, (…) de ce penseur, le plus fameux de notre siècle, (qui) a exercé dans le domaine de la philosophie et de la culture une influence aussi grande (plus grande même) [51] que celle d’un Kant ou d’un Hegel » [52]. Il ne subsiste donc aucun doute au sujet du fait que le maître d’Allemagne est un penseur de son temps tout comme du nôtre. « Le nom même de Heidegger (Heide = lande, bruyère ; Egge = herse) porte l’empreinte du terroir natal, de la terre souabe…L’horizon de la méditation heideggérienne – qui le trans-porte au ciel de l’univers philosophique – est bien la question de l’Etre, mais d’abord le décor fascinant de la forêt noire. L’univers à propos duquel surgit cette question est celui de l’existence, mais d’abord le monde des paysans, des bûcherons, des artisans et des artistes. » [53] C’est dire combien en ce penseur, se trouvent réconciliés l’universel et le particulier. Aussi, au-delà de toute critique ou dénonciation de sa pensée, aura-t-il su, dans son effort de conceptualisation, penser grandement [54]. En cela se trouve légitimée l’appellation de penseur de notre temps qui lui est appliquée, Comment peut-il en être autrement si, après avoir refondé la tradition métaphysique, marqué de part en part ses contemporains, il a tout aussi jeté les bases de la réflexion actuelle !

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[1] Université de Bouaké, Côte-d’Ivoire

[2] HEIDEGGER, M., Etre et Temps, Paris, Gallimard, 1986, p. 389.

[3] L’expression impliquée dans les tirets ne figure pas dans le texte de l’auteur ; c’est un ajout que nous faisons pour mettre plus en relief l’idée que nous voulions souligner.

[4] HEIDEGGER, M., op. cit., p.410.

[5] HEIDEGGER, M., op. cit., p. 430.

[6] On fait référence ici aux présocratiques ; et on peut aussi comprendre l’intérêt méditatif accordé à ces penseurs.

[7] HEIDEGGER, M., op. cit., p. 25

[8] HEIDEGGER, M., op. cit., p. 46.

[9] Idem., p.48.

[10] VAYSSE (J.- M.), Le vocabulaire de Heidegger, Paris, Eds Marketing, 2002, p. 56.

[11] BOUTOT, A., Heidegger et Platon, le problème du nihilisme, Paris, PUF, 1987, p. 13.

[12] HEIDEGGER, M., Essais et Conférences, Paris, Gallimard, 1958, p. 90.

[13] HEIDEGGER, M., Chemins qui ne mènent nulle part, Paris, 1962, p. 69.

[14] HEIDEGGER, M, Chemins qui ne mènent nulle part, p.79-80.

[15] PAULHAC, F., Quelques pages sur Heidegger, Paris, Vrin, 2006, p. 11.

[16] LOSURDO, D., Heidegger et l’idéologie de la guerre, Paris, PUF, 1999, p.107.

[17] Cela renvoie au Quadriparti heideggérien unissant le Ciel et la Terre, les Divins et les Mortels.

[18] Gelasenheit est une expression utilisée par Heidegger pour désigner l’attitude de sérénité, de ni chaud ni froid dans laquelle doit se tenir l’homme vis-à-vis des objets que la technique, en son essence productrice, fournit. Cette égalité d’âme devant ces objets peut désaliéner l’homme. (Cf. Questions III)

[19] PAULHAC, F., op. cit., p. 9.

[20] Voir Carnets de Jean-Paul SARTRE, Drôle de guerre.

[21] HEIDEGGR, M., Etre et Temps, Paris, Gallimard, 1986, p. 338.

[22] Idem., p. 334.

[23] FARIAS, V., Heidegger et le nazisme, Paris, Verdier-Lagrasse, 1987, p. 8.

[24] LOSURDO, D., op. cit., p. 35.

[25] Ibid., voir précisément chapitres 1-2.

[26] FAYE, E., Heidegger, introduction du nazisme dans la philosophie : Autour des séminaires inédits de 1933-1935, Paris, Biblio essai, 2007, Préface de la deuxième édition.

[27] FEDIER, F., Heidegger : Anatomie d’un scandale, Paris, Robert Laffont, 1988, p. 47

[28] FEDIER, F., Heidegger : Anatomie d’un scandale, op. cit., p. 51.

[29] « Prendre en charge le rectorat, c’est assumer l’obligation de diriger l’esprit de cette Ecole supérieure », cf. « Discours de rectorat », in Ecrits politiques, Paris, Gallimard, 1995, p. 99.

[30] AUDI, P., L’éthique mise à nu par ses paradoxes même, Paris, PUF, 2000, p. 1.

[31] KIERKEGAARD, S., cité par Paul AUDI, op. cit., Apocryphe.

[32] PAULHAC, F., op. cit., p. 8.

[33] PAULHAC, F., op. cit., p. 10.

[34] GUERY, F., Heidegger rediscuté, Paris, Descartes & Cie, 1995, p. 7-8.

[35] HEIDEGGER, M., Questions III, Paris, Gallimard, 1966, p. 21.

[36] GUERY, F., op. cit., p. 8-9.

[37] PANIS, D., IL Y A LE IL Y A : L’énigme de Heidegger, Grèce, OUSIA, 1993, p. 7.

[38] MATTEI, J.-F., Heidegger et Hölderlin : Le Quadriparti, Paris, PUF, 2001, p. 8.

[39] PANIS, D., op. cit..

[40] MATTEI, J.-F., Heidegger, l’énigme de l’être, Paris, PUF, 2004, p. 9.

[41] HEIDEGGER, M., Questions III, Paris, 1966, p. 23.

[42] HEIDEGGER, M, Etre et Temps, Paris, Gallimard, 1986, p. 53.

[43] HEIDEGGER, M, Etre et Temps, p. 54.

[44] HEIDEGGER, M, Concepts fondamentaux de la philosophie antique, Paris, Gallimard, 2003, p. 15.

[45] Ibid., p. 20.

[46] HEIDEGGER, M., Qu’est-ce que la métaphysique ?, Paris, Nathan, 1985, p. 66.

[47] Idem, p. 69.

[48] René DESCARTES présente « la philosophie comme un arbre dont les racines constituent la Métaphysique, le tronc la physique et les branches qui sortent de ce tronc toutes les autres sciences qui se ramifient en trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale ».

[49] NEF, F., Qu’est-ce que la métaphysique ?, Paris, Gallimard, 2004, p. 31.

[50] SAFRANSKI, R., Heidegger et son temps, Paris, Grasset & Fasquelle, 1996, p.11.

[51] Les passages entre parenthèses ne sont que des ajouts.

[52] RESWEBER, J.-P., La pensée de Martin Heidegger, Toulouse, Edouard Privat, 1971, p.9.

[53] RESWEBER, J.-P., La pensée de Martin Heidegger, p. 17.

[54] « Celui qui pense grandement, il lui faut se tromper grandement » (Questions III, op. cit.)