Abdoulaye Fadiga
Développement et sociétés

STABILISATION DES RECETTES D’EXPLOITATION DES P.V.D.

Ethiopiques numéro 20
revue socialiste
de culture négro-africaine
octobre 1979

Stabilisation des recettes d’exportation des pays en voie de développement [1]

A – Le problème et son cadre

Le problème de la stabilisation des prix des matières premières est un problème vieux de plus de trente ans, discuté de façon constante depuis la dernière guerre mondiale au sein des conférences économiques internationales ou d’organismes internationaux.
Déjà au début des années trente, l’organisation du commerce international des produits de base avait retenu l’attention de la Société des Nations (SDN) qui avait chargé une commission d’étudier les solutions propres à régulariser les cours de ces produits. Celle-ci avait, dans ses conclusions, recommandé la constitution de « stocks tampons ».
Toujours dans le même souci, la SDN avait préconisé en 1945 dans son rapport sur la « stabilité économique dans le monde » la création de stocks régulateurs.
Toutefois, c’est depuis la fin de la dernière guerre mondiale que le problème de la stabilisation des prix des produits de base a été directement rattaché à celui du développement économique et social des pays en voie de développement (PVD) qui sont les principaux producteurs et exportateurs de matières premières. Ils en tirent l’essentiel des ressources nécessaires à l’exécution de leurs programmes de développement et notamment à l’acquisition de produits manufacturés originaires des pays industrialisés. Cette liaison dialectique entre les prix à l’exportation des produits primaires et ceux des produits manufacturés n’a fait que se préciser au fil des années. Aussi, n’est-il pas étonnant que le problème de la détérioration du rapport des prix de ces deux types de produits ait été maintes fois soulevé au niveau de l’Organisation des Nations-Unies.

En 1952, l’Assemblée générale des Nations Unies avait confié à un groupe d’experts l’examen du problème de la stabilisation des prix des produits de base. Le rapport produit à cette occasion recommande notamment :
– au niveau des pays producteurs, la constitution de stocks régulateurs et la création d’offices de commercialisation,
– au niveau des pays consommateurs, l’abolition de mesures visant à la constitution de stocks de produits primaires et à la réalisation d’achats massifs susceptibles de perturber les marchés.
L’Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce (G.A.T.T.) prenant la relève des différentes commissions mises en place par la Charte de la Havane préconisa à son tour en 1958, la concertation entre pays producteurs et pays consommateurs de produits de base et la création de stocks régulateurs.
Toutefois, c’est la CNUCED qui est devenue le lieu privilégié où se poursuit le débat sur la stabilisation des prix des matières premières. C’est de cette tribune que furent discutés :
– en 1964 à Genève l’idée de la création d’un organisme international de financement compensatoire des recettes d’exportation de produits de base,
– en 1968 à New Delhi le principe d’une aide de 1 % du PNB des pays industriels aux pays en voie de développement, en 1972 à Santiago du Chili la Charte des Droits et Devoirs économiques des Etats, en 1976 « le Programme intégré » présenté par le groupe des 77 à Nairobi et qui met notamment en exergue le problème de l’indexation des prix à l’exportation des produits de base sur ceux à l’importation des produits manufacturés exportés par les pays industrialisés.
Cette dernière question était devenue brûlante depuis l’accélération, en 1970, du processus inflationniste mondial. En perturbant de façon sensible les données économiques mondiales, l’inflation avait rendu caducs, dans la pratique, la plupart des accords antérieurement conclus sur les produits de base amenant les pays producteurs à examiner de nouvelles formes d’action. C’est ainsi que les pays membres de l’Organisation des Pays Producteurs et Exportateurs de Pétrole ont pris, en 1971, la décision d’ajuster le prix du pétrole brut à l’indice des prix à l’importation des articles manufacturés.
Il convient également d’ajouter l’influence perturbatrice du dérèglement du Système Monétaire International qui abandonne à partir de 1971 le principe de la fixité des taux de change en vigueur depuis Breetown Wood.
Les principales étapes du cheminement de la question étant ainsi rappelées, l’étude soumise à votre attention se propose d’examiner :
– les tendances de l’évolution des prix des matières premières ainsi que les variations subséquentes des recettes d’exportation des pays en voie de développement,
– les principales tentatives de stabilisation de ces recettes d’exportation,
– une proposition d’indexation des prix de produits de base qui visera en même temps une stabilisation des recettes d’exportation des pays en voie de développement.

1 – EVOLUTION DES PRIX DES MATIERES PREMIERES

L’analyse de l’évolution des prix des produits de base doit tenir compte d’une part de la tendance à court terme et, d’autre part de celle à moyen terme.

1) Tendance à court terme et évolution récente des prix des produits de base

La plupart des matières premières exportées par les pays en voie de développement font l’objet de cotation dans des bourses de commerce localisées dans les pays industrialisés. Les deux places les plus importantes sont Londres et New York à côté desquelles existent d’autres places de moindre importance telle que Chicago, Rotterdam, Paris.
Bien que les cotations soient effectuées en fonction de la loi de l’offre et de la demande, la possibilité de prise de position à terme sans obligation de mouvements effectifs de marchandises donne lieu à des opérations spéculatives sans lien véritable avec les niveaux de la production et de la consommation. Les sources de fluctuation de prix sur le marché sont aussi diverses que difficiles à contrôler.
Les liens étroits existants entre les différents marchés internationaux ainsi que les possibilités d’arbitrage sur deux places distinctes font qu’en définitive le jeu des cotations des différents marchés conduit à l’établissement d’un « prix mondial » qui sert de référence aux transactions effectives.
Le plus souvent, les pays producteurs sont sans moyen d’action efficace pour orienter les cotations des marchés qui fluctuent à court terme avec d’importantes amplitudes au gré de facteurs divers. Au cours de ces dernières années, le dérèglement du Système Monétaire International a fait jouer aux matières premières le rôle de valeurs refuges contre la dépréciation de certaines devises, accentuant ainsi les fluctuations de leur prix. C’est compte tenu de cet aspect que la conjoncture économique et monétaire internationale constitue un facteur déterminant dans l’évolution à court terme des prix des matières premières.
Le tableau ci-après, pour un certain nombre de produits, compare les taux de fluctuations enregistrés sur les périodes 1964-1969 et 1970-1975.

TABLEAU I

FLUCTUATION DU PRIX NOMINAL DE CERTAINS PRODUITS DE BASE 1964-1975 (Pourcentages)

Ecart moyen par rapport à la tendance [2]
Prix mensuel Prix annuel
1964-1969 1970-1975 1964-1969 1970-1975
PRODUITS ALIMENTAIRES ET DE BOISSONS
Zone tempérée
Sucre 57,7 61,7 45,5 41,6
Riz 12,3 36,6 9,3 31,4
Blé 6,3 25,6 4,5 2,3
Zone tropicale
Cacao 16,5 25,8 12,8 20,9
Thé 10,7 10,5 4,6 8,2
Café 6,2 10,9 3,0 6,7
GRAINES OLEAGINEUSES ET HUILES VEGETALES
Type fluide
Huile de soja 14,3 33,4 9,6 29,3
Huile de tournesol 16,5 31,5 11,3 26,5
Huile d’arachide 10,6 25,5 7,1 22,5
Arachides 9,1 24,4 7,5 19,5
Type laurique
Coprah 13,4 55,7 8,3 49,3
Huile de palmiste 12,8 53,6 8,2 46,6
Autres
Huile de palme 12,6 32,4 9,0 28,8
MATIERES PRMIERES
Matières premières agricoles
Caoutchouc 12,0 30,7 10,3 27,7
Coton 4,4 23,6 3,5 15,6
Métaux non ferreux
Zinc 7,9 49,2 4,7 33,6
Cuivre 20,6 31,9 12,9 23,6
Etain 9,6 21,3 5,8 18,4

Source : CNUCED : Bulletin mensuel des prix des produits de base.

L’examen de ce tableau laisse apparaître une accélération du taux de fluctuation à partir de 1970. Les taux les plus élevés étant observés au niveau des produits alimentaires et boissons.
La période 1970-1975 qui correspond à la phase d’accélération de l’inflation mondiale mérite un commentaire particulier dans la mesure où elle reflète les liens étroits qui existent entre la conjoncture économique internationale et le niveau des prix des matières premières.

Les deux tableaux ci-dessous retracent l’un l’évolution du taux de croissance du P.I.B. dans les pays de l’O.C.D.E. entre 1971 et 1975 ; l’autre, les variations sur la même période de l’indice des prix de certains produits de base.

TABLEAU II

CROISSANCE DU PRODUIT INTERIEUR BRUT DES PAYS DE L’O.C.D.E. 1971-1975

1974 Taux annuel d’accroissement
1971 1972 1973 1974 1975
  En milliards de dollars [3] (en pourcentage)
Etats-Unis (P.N.B.) 1.398 2,7 6,1 5,9 – 2,1 – 3,0
Communauté Economique Européenne (P.I.B. – P.N.B.) 1.152 3,2 4,0 5,6 1,9 – 3,0
Autres pays d’Europe Occidentale (P.I.B. – P.N.B.) 303 [4] 4,3 6,3 5,4 3,0 – 1,0
Japon (P.N.B.) 453 6,4 9,4 9,9 -1,8 1,3
Canada (P.N.B.) 145 5,8 5,8 6,9 2,8 -1,0
Total O.C.D.E [5] 3.543 3,4 5,7 6,3 0,1 -2,0
Coefficient déflateur du P.N.B. (sept pays) [6] .. 4,5 7,1 12,1 10,5

Source : O.C.D.E, perpectives économiques et principaux indicateurs de l’OC.D.E.

TABLEAU III

EVOLUTION DES PRIX DES PRODUITS EXPORTES PAR LES PAYS EN VOIE DE DEVLOPPEMENT ENTRE 1970 ET 1975.

Produit A : Prix nominal [7]
B : Prix réel [8]
1970 1971 1972 1973 1974 1975
Produits tropicaux (Indices 1968 = 100)
Café : A
: B
135
124
120
103
135
108
166
114
182
102
194
94
Cacao : A
: B
93
85
75
65
89
71
157
108
216
121
173
87
Huiles fluides
Arachides : A
: B
137
226
153
132
156
125
241
165
355
199
265
133
Huiles d’archides : A
: B
140
128
165
142
158
126
201
138
400
225
319
160
Huiles lauriques
Coprah : A
: B
95
87
81
79
61
49
147
101
284
160
109
55
Amandes de palmiste : A
: B
92
84
80
69
64
51
143
98
257
144
113
57
Autres huiles
Huile de palme : A
: B
154
141
156
134
129
103
223
153
399
224
250
129
Matières premières
Coton : A
: B
99
91
115
99
120
96
199
136
214
120
177
89

SOURCE : C.N.U.C.E.D : Bulletin mensuel des prix produits de base.

L’examen de ces deux tableaux révèle l’existence de trois phases selon le degré de variabilité des prix des matières premières, en liaison avec la situation économique des pays industrialisés.
La première phase va de 1970 à 1972 et correspond à une faible expansion de l’activité économique dans les pays de l’O.C.D.E. dans un climat d’évolution modérée des prix, le déflateur du P.I.B. ne s’établissant qu’à 4,5 % en 1972. L’indice de la CNUCED des prix des produits de base est demeuré stable à 116 points en valeur nominale.
Les évolutions sont divergentes selon les secteurs. Les produits tropicaux sont dans l’ensemble demeurés stables, notamment au niveau du café et du cacao, cependant que chez les oléagineux, une certaine appréciation s’est produite sur les huiles fluides. En termes réels, c’est-à-dire compte tenu de l’évolution des prix à l’importation des produits manufacturés, la tendance a cependant été baissière, l’indice passant de 106 à 92, soit une diminution de 13 %.
La seconde phase qui couvre la période 1972 à 1973 correspond à une forte reprise de l’activité économique dans les pays industrialisés accompagnée d’une accélération de la croissance des prix, le déflateur du P.I.B. pour les pays de l’O.C.D.E. s’établissant à 7 % en 1973. Cette expansion qui s’est poursuivie jusqu’au milieu de 1974, a été à l’origine d’un renforcement de la demande de matières premières tant alimentaires qu’industriels, à un moment où l’offre de ces dernières avait été sensiblement amoindrie, soit par une baisse de la production au niveau mondial, du fait des mauvaises conditions climatiques, soit par un épuisement des stocks en raison du non renouvellement, sur plusieurs années, des investissements agricoles dans les pays producteurs peu motivés par la baisse en valeur réelle du niveau des produits de base au cours des années précédentes.
C’est donc, à la suite d’une position statistique favorable que les prix des produits de base ont connu une envolée, jusque-là sans précédent, de 101 % en valeur nominale et de 41 % en termes réels. Il convient sans doute de tenir également compte de l’effet de chaîne créé par la réévaluation d’autorité du prix du pétrole brut par les pays producteurs regroupés au sein de l’OPEP.
Le second semestre de 1974 a connu une baisse sensible du niveau de l’activité dans les pays industrialisés qui s’est poursuivie en 1975 dans un climat de forte hausse des prix. Pour la première fois, depuis la seconde guerre mondiale, on a assisté à une variation négative du P.I.B. des pays de la zone O.C.D.E., singulièrement aux Etats-Unis où la baisse fut de 2 %.
Entre 1974 et 1975, les prix des produits de base ont baissé de 17 % en valeur nominale et de 26 % en termes réels. Cette chute s’est manifestée au niveau de tous les produits.

2) Tendance à long terme des prix des produits de base

Sans reprendre les débats sur le lancinant problème de la détérioration des termes de l’échange, il convient de donner certaines indications sur les tendances à long terme de l’évolution comparée des prix des produits de base et ceux des produits industriels. On se référera dans ce qui suit :
– pour les produits de base, à l’indice de la CNUCED et celui de la Banque Mondiale,
– pour les produits industrialisés, à l’indice des prix à l’exportation des principaux produits manufacturés établi par les NationsUnies.
Le tableau IV retrace l’évolution, entre 1953 et 1972 de l’indice des prix des produits de base tel que calculé d’une part par la CNUCED, d’autre part par la Banque Mondiale, en comparaison avec celle de l’indice des valeurs unitaires à l’exportation des articles manufacturés.

TABLEAU IV

EVOLUTION DES TERMES DE L’ECHANGE (INDICES C.U.N.C.E.D. ET BANQUE MONDIALE

ANNEE C.N.U.C.E.D. Banque Mondiale
Indice des valeurs unitaires des exportations de produits de base [9] (1) Indice des valeurs unitaires des exportations d’articles manufacturés [10] (2) Termes de l’échange des prduits de base (3) = (1) + (2) Termes de l’échange des produits de base (4)
1953
1954
1955
1656
1957
1958
1959
1960
1961
1962
1963
1964
1965
1966
1967
1968
1969
1970
1971
1972
118
127
122
117
114
108
103
104
100
95
100
106
103
105
102
106
110
115
107
113
94
92
92
95
98
97
96
98
99
99
100
101
103
106
107
107
110
117
124
134
126
138
133
123
116
111
107
106
101
96
100
105
100
95
95
99
100
98
86
84
122
137
130
128
118
111
110
106
98
97
100
109
109
109
100
102
104
102
89
87

Source : C.N.U.C.E.D. : document TD – B – 563, page 516.

Pour des raisons d’ordre statistique, les séries de prix de produits de base observées sur les périodes 1950-1952 et 1973-1974 ont été écartées de l’analyse parce que s’étant produites dans des circonstances exceptionnelles (guerre de Corée puis crise de l’énergie). On se limitera donc aux neuf années allant de 1953 à 1972. Les termes de l’échange retenus ici mesurent le rapport entre l’indice des prix des produits de base et celui des produits industriels.
L’indice CNUCED des prix des produits de base reflète une baisse tendancielle de – 0,45 % par an en valeur nominale. Par contre, les prix des produits manufacturés accusent une hausse moyenne de 1,9 % par an. Il en découle une détérioration moyenne tendancielle de 2,1 % par an. Selon la série de la Banque Mondiale, la perte de pouvoir d’achat en équivalent d’articles manufacturés des prix des produits de base ressort à 1,8 % par an.
En tout état de cause, il apparaît que ce résultat est dû, plus à la poussée des prix des produits industriels qu’à une forte baisse des prix des produits de base. Il importe par conséquent, afin de ne pas décourager les pays producteurs de matières premières, qu’un ajustement puisse être opéré entre l’évolution des prix des produits de base et ceux des biens industriels. Il s’agit là de la problématique fondamentale de l’indexation qui, au-delà des valeurs unitaires devrait viser l’ensemble des recettes d’exportations perçues sur ces produits.

II – ANALYSE DE L’EVOLUTION DES RECETTES D’EXPORTATION

1) Dépendance des pays en voie de développement vis-à-vis des recettes d’exportation des produits de base
Les pays en voie de développement tirent l’essentiel des ressources qui leur sont nécessaires pour réaliser leur programme de développement de l’exportation de produits de base.

TABLEAU V

PARTS DES PRODUITS DE BASE DANS LES EXPORTATIONS TOTALES DES PAYS EN VOIE DE DEVELOPPEMENT ET FLUCTUATIONS SUR LA PERIODE 1973-1974

Part du produit dans les recettes totales d’exportation de chaque pays indiqué en 1972-1974 Variation des recettes réelles tirées de l’exportation de chaque produit entre 1967-1969 et 1972-1974 Ecart des recettes réelles par rapport à la tendance 1967-1974
PRODUITS AGRICOLES

Cacao

Ensemble des pays en développement dont :
Côte d’Ivoire
République Unie du Cameroun
Togo

Café

Ensemble des pays en développement dont :
Côte d’Ivoire
Burundi
Ouganda
Colombie

Coton

Ensemble des pays en développement dont :
Tchad
Mali
Haute-Volta
Bénin

MINERAIS ET METAUX

Cuivre

Ensemble des pays en développement dont :
Zambie
Chili
Zaïre

Minerai de fer

Ensemble des pays endéveloppement dont :
Mauritanie
Libéria

(pourcentage)


23,8
16,2


83,4
66,9
51,4

62,4
36,6
31,3
21,21

92,6
69,8
59,8

75,7
64,6

(pourcentage par an)

1,1
3,0

– 0,7

1,8
7,1
5,6
1,4

– 5,4
26,7
2,3
24,5

– 2,7

– 1,4
1,7

2,8
3,3

(pourcentage)

14,5
20,1
29,0

7,3
19,2
5,4
12,0

9,9
29,4
25,6
19,1

20,4
14,8
15,6

10,5
4,2

Source : F.A.O. : Annuaire du commerce.

Le tableau V retrace, pour un certain nombre de pays en voie de développement, la part des quelques produits d’exportation. On trouve également le degré de variabilité des revenus annuels tirés de ces exportations.
Parmi les cas de forte dépendance, il convient de citer la Zambie où le cuivre représente 93 % de la valeur des exportations et le Burundi où le café entre pour 83 % dans la composition des exportations.
Si le cacao est le produit dont les recettes d’exportations sont les plus sujettes à des fluctuations, avec un écart moyen de 14,5 % par rapport à la tendance entre 1967 et 1974, les autres produits présentent des écarts importants dans certains pays. C’est ainsi que les recettes tirées du coton par le Mali et la Haute-Volta ont fluctué respectivement de 29,4 % et 25,6 % par rapport à la tendance moyenne entre 1967 et 1974. Cette variation est de 20,6 % pour le cuivre en Zambie.
L’origine de ces variations se trouve certes, pour l’essentiel, dans les fluctuations de prix mentionnées dans le chapitre précédent, mais les recettes d’exportation subissent également l’influence des aléas du climat, de l’élasticité du prix de la demande dans les pays consommateurs, notamment en période de crise économique aiguë.

2) Evolution des recettes d’exportation des produits de base

Le tableau VI retrace, entre 1953 et 1974, l’évolution des prix des produits alimentaires et des matières premières d’une part, des combustibles d’autre part.

TABLEAU VI

TENDANCES A LONG TERME DE LA VALEUR DES EXPOTRATIONS DE PRODUITS DE BASE DES PAYS EN VOIE DE DEVELOPPEMENT

1953-1955
à
1963-1965
1963-1965
à
1967-1969
197-1969
à
1972-1974

PRODUITS ALIMENTAIRES ET MATIERES PREMIERS
Valeur nominale
Valeur réelle

COMBUSTIBLES
Valeur nominale
Valeur réelle

(Pourcentage annuel moyen de changement)
2,6
1,7

7,1
6,2

3,5
1,7

9,0
7,1

14,0
5,2

36,9
25,0

Source : C.N.U.C.E.D.

La période examinée a été répartie en trois sous-périodes correspondant à différents taux de progression des recettes d’exportation : 1953-1955 à 1963-1965 ; 1963-1965 à 1967-1969 ; 1967-1969 à 1972-1974.
Entre les deux premières sous-périodes, les recettes d’exportation ont faiblement évolué accusant même, pour les produits alimentaires, une stagnation en termes réels, c’est-à-dire comparativement à l’évolution des prix des produits industriels. Au cours de la troisième sous-période, et grâce à la situation exceptionnelle qui a prévalu en 1973-1974, les recettes d’exportation ont enregistré des taux de progressionspectaculaires en valeur nominale,mais plus modestes en valeur réelle. La décision des pays producteurs de pétrole de quadruplerle prix du brut a porté le taux de progression des matières premières énergétiques à 25 % alors que celui des produits alimentaires et autres matières premières ne s’établit qu’à 5,2 %, ce qui paraît faible à bien des égards. Il convient de rappeler qu’en annonçant la stratégie internationale du développement, l’Assemblée Générale des Nations-Unies avaitindiqué qu’un tauxdeprogression des recettes d’exportation d’au moins 7 % était nécessaire pour assurer aux pays en voie de développement une croissance annuelle de 6 % de leur Produit Intérieur Brut.
Le relèvement et la stabilisation du pouvoir d’achat des pays en voie de développement sont devenus une nécessité même pour les pays industrialisés.
En effet, l’expérience de ces dernières années permet de lier la persistance de la crise économique des pays industrialisés à une expansion insuffisante de la demande aussi bien intérieure qu’extérieure. C’est pour cette raison qu’un intérêt commun aux pays en voie de développement et aux pays développés réside dans la mise en place d’une disposition efficace pour à la fois indexer le prix des matières premières et garantir le pouvoir d’achat des recettes d’exportation des produits de base.
Durant les années 70, les pays en voie de développement, pour pallier la faiblesse et l’irrégularité de leurs recettes d’exportation, ont recouru de façon importante à l’endettement dont le niveau est maintenant jugé excessif.

B – L’indexation des prix des produits de base

I – LES DIFFERENTS POINTSDE VUE SUR L’INDEXATION

Devant l’accélération particulièrement vive, à partir de 1970, de l’inflation mondiale, il est devenu urgent de trouver une solution à la détérioration des termes de l’échange, c’est-à-dire à la baisse du pouvoir d’achat exprimé en équivalent produits manufacturés, des prix des produits de base. Partant du fait que c’est grâce aux recettes tirées de la vente de produits d’exportation que les pays en voie de développement financent l’essentiel des importations de biens industriels nécessaires à l’exécution de leurs programmes de développement, il a paru logique de lier les unes aux autres, les évolutions des prix des produits échangés. L’indexation constitue l’une des solutions les plus appropriées à résoudre le problème posé.
Il s’agit, selon ce procédé, de veiller à ce que le prix nominal des matières premières exprimé en monnaie courante conserve un pouvoir d’achat satisfaisant en dépit de la hausse des prix des produits industriels. En d’autres termes, on veut que l’indice du prix réel des matières premières, défini comme étant le rapport entre l’indice des prix nominaux tels qu’ils sont observés sur les marchés, et l’indice des prix des produits industriels se maintienne à un niveau objectif fixé de manière à permettre, d’une part une juste rémunération des efforts consentis par les pays producteurs et d’autre part un approvisionnement normal des pays consommateurs. On peut distinguer deux types d’indexation selon les moyens employés pour arriver à la stabilisation en termes réels ; il s’agit de l’indexation directe et de l’indexation indirecte.

1) Indexation directe

  1. a) Principe

Ce procédé s’applique produit par produit, par ajustement de leurs prix nominaux à ceux d’un certain nombre de produits industriels. On pourra se référer par exemple à l’indice des prix industriels établi par les Nations-Unies.
Pour ce qui concerne la fixation du « prix objectif » celle-ci pourrait se faire par référence à une évolution « normale » du marché des produits de base qui comporte deux tendances : l’une à moyen et long terme, l’autre à court terme. Il serait par conséquent judicieux qu’un prix d’équilibre deréférence soit calculé, pour chaque produit susceptible de ressortir de ce procédé d’indexation, un prix moyen sur une période de dix ans. La période 1967-1977 pourrait être retenue. Pour permettre une flexibilité du système et éviter des interventions trop nombreuses sur les marchés, on pourrait convenir d’une stabilisation à l’intérieur d’une fourchette de + – 10 % autour du « prix objectif ». Cela veut dire qu’il faudrait ajuster de façon systématique la valeur du prix nominal de manière à maintenir le prix réel à l’intérieur de cette fourchette.

  1. b) Mécanisme

Agir sur le prix nominal implique une intervention directe sur le marché des produits. Le moyen le plus efficace pour cette action semble devoir porter sur les disponibilités. Deux choix peuvent alors être envisagés.
Les pays producteurs peuvent, de leur propre chef, réduire le niveau de production et arriver, par ce biais, en contractant les approvisionnements du marché, à accroître les prix en valeur nominale. Il convient bien entendu que soient étudiées avec soin les répercussions que la mise en œuvre de l’indexation directe pourrait avoir sur la production individuelle des pays concernés.
Le tableau VII résume, les principales conclusions chiffrées d’une étude réalisée par la CNUCED sur les effets au niveau de la production d’une indexation autour d’un « prix objectif ».
Il laisse ressortir que les contraintes sur la production rendues nécessaires par l’application d’une politique d’indexation sont, bien entendu, d’autant plus fortes que l’on cherche à être le plus près possible du prix objectif, mais qu’elles dépendent également des élasticités du prix de la demande. Les résultats préliminaires des calculs, basés sur une évolution normale des stocks et sur un prix réel calculé sur la période 1970-1974 font ressortir une contrainte plus faible sur le café (1 ,4 %) pour un prix réel objectif constant, que sur le cacao(8,3%) et pour l’étain (12,4 %). En tout état de cause, les évolutions de prix nominaux qui ont eu lieu en 1976 et 1977 pourraient permettre d’affiner les résultats en matière d’élasticité de la demande, et également de tenir compte de l’effet de l’utilisation de produits de substitution.

TABLEAU VII

REDUCTION DE LA PRODUCTION ENTRAINEE PAR L’APPLICATION D’UNE POLITIQUE D’INDEXATION DIRECTE : EXEMPLE DU CACAO, DU CAFE ET DE L’ETAIN SUR LA PERIODE 1975-1980

Produit

Cacao
Café
Etain

Stabilisation autour du prix réel d’objectif à l’intérieur d’une fourchette Prix réel d’objectif maintenu constant [11] Maintien d’un prix réel minimum [12]
 + – 10% + – 5%
6,0
0,02
6,6
(en porcentage)

8,3
1,4
12,4

6,0
0,22
6,6

Source : C.N.U.C.E.D. : TD – 184 – supp. I.

  1. C) Indice de l’application de l’indexation directe sur l’inflation

Un des arguments majeurs utilisés contre le principe de l’indexation directe consiste à dire que celui-ci est générateur d’inflation dans la mesure où il tendrait à amplifier la hausse des prix des produits manufacturés dans les pays industrialisés. Il convient, à cet égard, de s’interroger sur l’incidence réelle de la hausse des prix des produits de base sur le niveau de l’inflation dans les pays industrialisés.
Sans entamer le débat de fond sur cette question, il importe néanmoins d’apporter, ici, certaines précisions.
La consommation apparente totale de matières premières brutes et transformées sans double comptage s’établit, pour les pays de la zone O.C.D.E., entre 20 et 21 % du Produit National Brut de 1970. En ce qui concerne la seule consommation de produits de base bruts, elle est évaluée pour la même année entre 10 et 11 % du P.N.B. Encore que dans cette estimation sont compris des produits originaires, pour l’essentiel, de pays développés tels que les aciers bruts (2,5 %), la viande (2 %), le blé, l’orge, le maïs et les produits laitiers (ensemble 2 %), le charbon (0,75 %). Par ailleurs, la part du pétrole brut s’évalue à environ 1 à 1,5 %. Il reste donc une part relativement faible pour les produits dont l’indexation peut être envisagée. Selon les calculs du Secrétariat de l’O.C.D.E., les importations des pays de la zone en provenance des pays en voie de développement ont pu contribuer, à concurrence de 0,5 %, à l’augmentation de l’indice des prix dérivé de la demande intérieure globale.
De toute façon, l’incidence du prix d’un produit de base donné dépendra essentiellement de deux facteurs : d’une part le degré de transformation qu’il subit dans les pays industriels et d’autre part des différentes étapes de la distribution. Le Secrétariat de la CNUCED a établi pour un certain nombre de produits la situation comparée de la valeur du prix unitaire à l’exportation et du prix de détail au niveau du pays importateur.
Les trois tableaux ci-après reprennent les principaux résultats obtenus pour le café, le cacao et l’huile d’arachide.

TABLEAU VIII

INCIDENCE DU PRIX DU CAFE IMPORTE SUR LES PRIX DE DETAIL DANS LES PAYS CONSOMMATEURS

  Valeur unitaire à l’exploitation Prix de détail Rapport
Brésil Ensemble des pays en voie de développement Etats-Unis R.F.A. France (1) (1) (1) (2) (2) (2)
(1) (2) (3) (4) (5) (3) (4) (5) (3) (4) (5)
$ U.S. par kg (pourcentage)
Moyenne 1955-60
Moyenne 1961-66
Moyenne 1967-72
Moyenne 1973
0,89
0,75
0,80
1,16
0,92
0,73
0,80
1,14
1,99
1,69
1,86
2,29
4,68
4,24
4,44
6,30
2,45
2,11
2,36
3,49
45
44
43
51
19
18
18
18
36
36
34
33
46
43
43
50
20
17
18
18
38
35
34
33
18,0 (pourcentage)

18,0

12,7

11,7

15,5


0,82


0,67


0,77


0,92


0,69


0,76

TABLEAU IX

INDICE DU PRIX DU CACAO IMPORTE SUR LE PRIX DE DETAIL DANS LES PAYS CONSOMMATEURS

Moyenne 1955-1960
Moyenne 1961-1966
Moyenne 1967-1972
Moyenne 1973

Valeur unitaire à l’exportation Prix de détail du cacao en poudre Rapport
Brésil Poudre de cacao Ensemble des pays en voie de développement R.F.A. France Royaume-Uni Etats-Unis (1) (1) (1) (1) (la) (la) (la)
(1) (la) (2) (3) (4) (5) (2) (3) (4) (5) (2) (3) (4) (5)
$ U.S par Kg (pourcentage)
0,33
0,14
0,21
0,27
029
0,19
0,28
0,37
2,37
2,34
2,32
3,32
2,03
1,84
2,02
2,66
1,39
1,37
1,40
1,60
0,82
0,74
0,82
0,92
14
6
9
8
16
7
10
10
24
10
15
17
41
18
25
29
12
8
12
11
14
10
14
14
21
14
20
23
33
26
34
40
Pourcentage
38,0

23,4

10,9

11,0

6,5

6,8

– 2,8

-2,8
0,07

– 2,7

– 2,7
0,18

– 2,7

– 2,8
0,07

2,7
0,32

0,11

0,22

0,05

0,63

TABLEAU X

INCIDENCE DU PRIX DE L’HUILE D’ARACHIDE IMPORTEE SUR LES PRIX DETAIL DANS LES PAYS CONSOMMATEURS

Valeur unitaire à l’exportation Prix de détail Rapport
Sénégal Ensemble des pays en voiede développement France R.F.A. (1)


(3)

(1)


(4)

(1)


(3)

(1)


(4)

(1) (1) (3) (4)

Moyenne 1955-60
Moyenne 1961-66
Moyenne 1967-72
Moyenne 1973

$ U.S. par Kg Pourcentage
43,8
37,3
31,1
48,5
36,1
32,0
32,8
42,0
70,9
63,4
68,9
100,6
56,3
55,3
64,7
102,8
62
59
48
48
78
67
51
47
51
50
48
42
64
58
51
41
Pourcentage
13,0

– 1,5

 

11,7

 

15,2

17,3
+ 1,9

– 1,6
0,46

– 2,5
0,10

– 0,4
0,50

– 1,7
0,40

Source : C.N.U.C.E.D. : TD – 184 – Supp. ICes trois tableaux appellent les commentaires suivants :

CAFE

Sur les trois périodes considérées, la part du prix du produit brut dans le prix de détail est plus élevé dans les pays comme les Etats-Unis et la France. Ceci tient, pour l’essentiel, à la fiscalité intérieure qui frappe ce produit. Néanmoins, le pourcentage du prix du brut n’excède pas 50 % du prix du détail. En Allemagne, il s’établissait en 1973 à 18 % contre 33 % en France et 51 % aux Etats-Unis.

CACAO

En se référant à la poudre de cacao, les parts relatives des prix unitaires à l’exportation dans les prix de détail semblent plus faibles que pour le café. Les taux les plus élevés se retrouvent aux U.S.A. avec 29 % en 1973, alors que l’Allemagnecontinue de détenir le coefficient le plus faible (8 %).

HUILE D’ARACHIDE

En raison de la faiblesse de la valeur ajoutée par le raffinage de l’huile brute, les prix de détail recèlent les proportions les plus grandes de valeurs unitaires de produits bruts à l’exportation. Pour la République Fédérale d’Allemagne, les taux calculés pour 1973 sont respectivement de 47 % et 48 %.
Il ressort de ces différentes considérations qu’il existe une marge suffisante entre les prix nominaux des produits de base et ceux des produits transformés pour que l’argument de la génération du processus inflationniste puisse être aisément rejeté.

2) Indexation indirecte

  1. a) Principe

L’indexation indirecte repose sur le maintien du pouvoir d’achat des produits de base par le versement de montants compensatoires calculés sur la base de l’écart observé entre le prix de référence défini d’un commun accord entre pays consommateurs et pays producteurs.
Le prix de référence peut être défini comme un prix d’équilibre à moyen terme compte tenu de la loi de l’offre et de la demande.

  1. b) Fonctionnement

Lorsque le prix d’un produit de base fluctue en dessous du niveau deréférence, les pays exportateurs de ce produit reçoivent un montant compensatoire correspondant à l’écart observé multiplié par le volume de ses exportations.
Les fonds nécessaires à la mise en œuvre du système peuvent provenir de contributions de pays importateurs proportionnellement au montant de leurs importations de produits de base.
Toutefois, la mise en œuvre d’untel système impose, soit la création d’un organisme financier centralisateur, soit l’utilisationdes structures du Fonds Monétaire International. Cette dernière alternative faciliterait le démarrage du procédé et assouplirait le système du tirage.
S’agissant d’un système destiné à stabiliser les cours autour d’une valeur d’équilibre, son application strictedevrait entraîner des versements en sens inverse lorsque le prix du marché serait supérieur au prix de référence. Il s’agirait peut-être, dans ce cas, de veiller à ce que ces paiements ne soient pas supérieurs, par pays, aux montants cumulés des versements reçus.

  1. c) Avantages et inconvénients du système

Contrairement à l’indexation directe, la mise en œuvre de l’indexation indirecte n’impose aucune action sur les marchés. Une fois défini, le niveau du prix de référence par recours au rapport entre les prix nominaux des marchés et l’indice des prix à l’importation des produits industrialisés, les marchés continuent à fluctuer librement. Ceci constitue sans nul doute un handicap pour une stabilisation à long terme du pouvoir d’achat des produits de base. Le principe du reversement proportionnel aux quantités exportées représente, à certains égards, un encouragement au développement de la production, peut-être au-delà des besoins réels d’approvisionnement.
Le système de l’indexation indirecte à lui seul apparaît insuffisant à résoudre le problème dela stabilisation du pouvoir d’achat des pays en voie de développement.
On examinera, dans ce qui suit, les principaux systèmes de stabilisation de recettes d’exportation actuellement en vigueur avant d’exposerles principes qui, à nos yeux, correspondraient mieux aux soucis d’une stabilisation efficace des recettes d’exportation des pays en voie de développement.

C – Les différents systèmes internationaux de stabilisation des recettes d’exportation

I LE FINANCEMENT COMPENSATOIRE DU F.M.I.

1) Mécanisme

Mis en place en 1963 et révisé en 1966 puis en 1975, le financement compensatoire du Fonds Monétaire International est destiné à aider lespays en voie de développement dont la balance des paiements subit les contre-coups des fluctuations des recettes d’exportation, à condition toutefois que les causes de ces fluctuations soient temporaires et indépendantes de la volonté dupays concerné. Les moins values sont évaluées sur la période de douze mois précédantla demande de tirageparrapport à un niveau deréférence calculé surla tendance à moyen termedes exportations du paysmembre dont l’encours globalne peut dépasser 75% de cette même quote-part. _Venant s’ajouter auxtirages dans les tranchesde crédit ordinaires, le mécanisme compensatoire donne lieu à une obligation de rachat dans les mêmes conditions, c’est-à-dire dans un délai de trois à cinq ans ou, de façon anticipée, lorsque la situation de la balance de paiement le permet.

2) Avantages et inconvénients

L’objectif visé par le mécanisme du Fonds est essentiellement de compenser l’instabilité à court terme des marchés des produits de base. Il ne peut, de toutes façons, être considéré comme un instrument de stabilisation du pouvoir d’achat des recettes d’exportations. Par ailleurs, la limitation à 50 % de la quote-part du pays membre du montant des tirages de ce dernier limite assez sensiblement la portée du mécanisme, les fluctuations dépassant largement ce montant.

II – LE FONDS DE STABILISATION DES RECETTES D’EXPORTATIONS (STABEX)

1) Mécanisme

Conclu entre les neuf pays de la C.E.E. et les 46 Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (A.C.P.), le mécanisme du STABEX prévoit le versement de montant compensatoire en cas de fluctuation à la baisse par rapport à un niveau de référence des recettes d’exportation vers la Communauté de douze produits de base et dix-sept produits semi-transformés originaires des Etats A.C.P.
Les produits retenus ont été définis par rapport à leur importance dans les recettes d’exportation totales. Pour être éligible au STABEX, un produit donné devra intervenir pour au moins 7,5 % dans le total des recettes d’exportation de l’année précédant l’année d’application. Pour les pays enclavés et insulaires, ce taux a été ramené à 2,5 %. Il a également été fait exception pour le sisal pour lequel un seuil de 5 % a été admis. Le tableau ci-dessous retrace la liste par pays des produits concernés avec indication, pour l’année 1973, des différents seuils de dépendance.

Pays Produits
Bénin Produit du palmier (34%)
Botswana Cuirs et peaux (9%)
Burundi Café (86%) Cuirs (6%) Coton (3%)
Cameroun Cacao (23%) Café (26%) Bois (12%)
Empire Centrafricain Café (23%) Bois (21%) Coton (18%)
Congo Bois (42%)
Côte d’Ivoire Cacao (38%) Café (23%) Bois (29%)
Ethiopie Café (38%) Cuirs et peaux ((13%)
Fidji Huile de coco (5%)
Gabon Bois (32%)
Gambie Arachides (94%)
Ghana Cacao (61%) Bois (19%)
Haute-Volta Arachides (8%) Coton (22%)
Jamaïque Bananes (4%)
Kenya Café (22%) Thé (11%)
Libéria Minerai de fer (71%)
Madagascar Café (30%) Sisal (3%)
Malawi Thé (17%) Arachides (7%)
Mali Coton (39%) Arachides (7%)
Mauritanie Minerai de fer (73%)
Niger Arachides (15%) Huile d’arachide (9%)
Ouganda Café (61%) Coton (15%) Thé (5%)
Rwanda Café (61%) Peaux (4%)
Samoa Cacao (28%)
Sénégal Arachides et huile (35%)
Sierra Leone Minerai de fer (10%) Palmiste (5%)
Somalie Bananes (26%) Coprah (45%)
Soudan Coton (56%) Arachides (9%)
Swaziland Coton (3%)
Tanzanie Café (19%) Coton (13%) Siasal (9%)
Tchad Coton (69%)
Togo Cacao (26%) Café (13%)
Tonga Coprah (50%)

Le niveau de référence correspond à la moyenne des exportations sur la C.E.E. au cours des quatre années précédant l’année du tirage.
Le déclenchement du mécanisme est provoqué par une baisse d’au moins 7,5 % (ou 2,5 % pour les pays insulaires et enclavés) des recettes perçues sur les produits éligibles. Cette baisse est calculée sur la valeur F.O.B. des exportations. L’écart constaté représente la base du transfert à effectuer en faveur du pays concerné. Des consultations peuvent cependant avoir lieu entre la C.E.E. et l’Etat demandeur dans le cas où des modifications importantes seraient intervenues dans la structure des exportations de ce pays.
Le versement compensatoire peut se faire sous forme d’avance semestrielle afin d’assurer une compensation aussi rapide que possible de la baisse des recettes d’exportation. Ces transferts ne portent pas intérêt. Les remboursements doivent intervenir dans un délai de cinq ans, la Communauté étant en droit de demander à un pays ayant bénéficié du tirage de participer à la reconstitution du fonds s’il est constaté, pour une année donnée, que la valeur unitaire calculée sur la période de référence.
Le montant total des ressources mises en place par la C.E.E. pour assurer le fonctionnement du système représente 375 millions d’unités de compte répartis en cinq tranches annuelles de 75 millions.

2) Avantages et inconvénients

Bien que représentant une innovation importante qui mérite d’être saluée, le STABEX ne conduit toutefois pas à une stabilisation du pouvoir d’achat des recettes d’exportation des pays en voie de développement de la zone A.C.P.
L’instauration d’un seuil de dépendance relativement élevé tend à favoriser la spécialisation de certains pays dans la production et l’exportation de nombre limité de produits. Dans ce sens, le STABEX ne constitue pas un encouragement pour ceux des pays A.C.P. qui voudraient se lancer dans une diversification de leurs cultures d’exportation. En effet, les efforts consentis ne pourront recevoir de garantie financière qu’à partir du moment où les exportations des produits expérimentés atteindraient 7,5 % du total des exportations. Le système pêche par conséquent par son côté conservateur.
Par ailleurs, certains produits transformés, tels que la pâte et le beurre de cacao, le café soluble, les cuirs tannés et les bois sciés du fait de leur apparition récente et donc de la faiblesse de leur part relative dans les exportations sont pratiquement exclus du système.

D – Proposition d’un système de stabilisation des recettes d’exportation

I – EXPOSE DES PRINCIPES

Avant d’aborder la discussion sur le sujet brûlant que constitue la stabilisation du pouvoir d’achat des recettes d’exportation des pays en voie de développement, il semble utile de faire état de certaines considérations qui vont sous-tendre la plupart des principes qui vont être développés dans l’exposé de la méthode proposée.
Les recettes d’exportation sont fonction des quantités exportées et des valeurs unitaires perçues sur les produits. Les pays producteurs ont, au cours des décennies écoulées, consenti des efforts importants en vue d’assurer un approvisionnement suffisant en produits de base aux pays consommateurs. Dans le domaine agricole, les superficies mises en exploitation l’ont parfois été au détriment, soit des cultures vivrières, soit de la culture végétale qui est un élément fondamental pour la régularisation des conditions climatiques ; malheureusement, les pays producteurs sont encore désarmés devant certains aléas climatiques tels que la sécheresse, les gelées et les inondations qui peuvent grandement compromettre les efforts déployés en matière de production.
Jusqu’à ces dernières années, les pays producteurs n’ont pas réussi à influencer de façon efficace l’évolution, dans l’ensemble défavorable, des prix des produits de base. Ceux-ci sont déterminés en règle générale dans des marchés situés dans les pays industrialisés et leur fixation tient compte de facteurs qui ne sont pas simplement liés à la loi de l’offre et de la demande. La multiplicité de l’intermédiation, les fluctuations monétaires ont accentué les pressions spéculatives, soit à la hausse, soit à la baisse.
Dans les pays consommateurs, la demande finale est sensible aux caractéristiques de la conjoncture économique propre à ces pays : croissance des revenus, inflation, etc.
Devant une telle situation, il s’agit : pour les pays producteurs, de recevoir une juste rémunération des efforts consentis et de pouvoir financer sans discontinuité leur programme de développement économique et social, pour les pays consommateurs, d’être assurés d’un approvisionnement suffisant et sans à-coup.

II – EXPOSE DE LA METHODE

Il s’agit, pour les pays producteurs, de disposer d’un moyen d’action suffisamment efficace pour obtenir uneévolution des prix nominaux de leurs produits d’exportation leur permettant de faire face à l’accroissement des prix des produits manufacturés qu’ils importent pour les besoins de leur développement économique et social.
Pour répondre à cette exigence, l’indexation directe des prix des produits de base est, à bien des égards, le moyen d’action le plus efficace. Il semble toutefois utile de le compléter par la mise en place d’un Fonds de Stabilisation qui serait, de préférence, alimenté et géré par les pays producteurs eux-mêmes.
Le schéma exposé ci-dessous indique les principales orientations de ce qui pourrait être appelé Système International de Stabilisation des Recettes d’Exportation perçues sur les Produits de base (SIREX).

1) Détermination des prix de référence

Les deux éléments fondamentaux entrant dans la détermination des prix nominaux de référence sont, d’une part, l’évolution de l’offre et de la demande et d’autre part, celle des prix des produits manufacturés exportés par les pays industrialisés.

  1. a) Tendance de l’offre et de la demande

L’analyse des perspectives d’évolution de l’offre pourrait se faire sur une période de cinq ans sur la base d’informations fournies par les pays producteurs relatives à la production exportable par produit.
S’agissant des perspectives d’évolution de la demande, elle se ferait également sur la même période et tiendrait compte :
– des tendances prévisibles de l’économie mondiale,
– des implications de l’inflation internationale,
– de l’impact de l’utilisation des produits de substitution.
Le rapprochement sur la période de projection des statistiques d’offre et de demande laisse apparaître l’évolution prévisible des stocks qui constitue un déterminant majeur des variations des prix nominaux.
Il est alors possible pour la période considérée d’établir unesérie« normale » de prix nominaux.

  1. b) Calcul des prix de référence

L’évolution tendancielle des prix nominaux déterminés selon la méthode exposée ci-dessus sera ajustée en tenant compte de l’inflation mondiale qui pourrait être mesurée par l’indice des prix des produits manufacturés publié par les Nations-Unies. L’ajustement se fera de manière à maintenir le pouvoir d’achat en termes réels des prix de référence par produit.
Certes des problèmes se poseront au plan technique étant donné les différentes spécialisations commerciales et donc de cotations sur les marchés qui peuvent exister pour un même produit. Il conviendra alors de composer un prix indicatif par produit reflétant les différents types commerciaux et sur lesquels sera basée la détermination du prix de référence.

Mise en œuvre du SIREX

  1. a) Action sur les prix

Afin de réaliser les niveaux de prix nominaux compatibles avec le souci de la préservation de leur pouvoir d’achat, les pays producteurs ont comme moyen d’action le plus efficace pour orienter les marchés, celui touchant au niveau de l’offre.
Il est nécessaire, pour qu’une telle action puisse porter tous ses fruits, que :
– les déclarations de productions découvrent les capacités réelles des pays concernés afin que l’effort de stabilisation soit supporté par tous de façon équitable,
– au plan de politiques de ventes, qu’une plus grande concertation soit de rigueur, afin de réaliser le niveau de prix de référence visé.

  1. b) L’action sur les recettes d’exportation

Il peut arriver, pour une raison ou pour une autre, que malgré la réalisation du prix de référence, les recettes d’exportation d’un pays donné s’inscrivent en baisse par rapport à ses recettes de référence du fait généralement d’une baisse accidentelle de sa production.
La mise en œuvre du principe de l’indexation directe par action sur les disponibilités conduit à des besoins de stockage qu’il conviendra de financer.
Dans un cas comme dans l’autre, la mise en œuvre du système proposé rend nécessaire la création et la gestion d’un fonds de stabilisation. Celui-ci devrait avoir une existence autonome et être directement géré par les pays producteurs.
Les ressources de ce Fonds pourraient provenir de l’instauration d’un impôt mondial de solidarité ainsi que l’a suggéré Monsieur Lattes, lors de la quatrième Assemblée Générale du Club de Dakar qui s’est tenue au Luxembourg du 21 au 23 novembre 1977. Fonctionnant selon le mécanisme de la Taxe à la Valeur Ajoutée, cette imposition serait perçue sur toutes les matières premières importées par les pays industrialisés et relevant du système de stabilisation. Quoique légèrement différent du procédé présenté par Monsieur Lattes en ce sens qu’il ne concernerait pas la part des produits de base transformés à l’intérieur des pays producteurs, ce système répondrait au souci de faire participer les pays développés, à la stabilisation des recettes d’exportation des pays en voie de développement.
Toutefois, les contributions de base devraient provenir des pays producteurs eux-mêmes sous forme de prélèvement sur la valeur de leurs exportations.
Les interventions du Fonds se feraient sous forme d’aides non remboursables dans le but, soit de financer les stocks, soit de compenser des recettes d’exportation.

E – Conclusion

La stabilisation des recettes d’exportation des pays en voie de développement revêt une importance toute particulière dans le processus de mise en place de moyens propres à assurer un développement autonome et durable de ces pays. Pour l’essentiel, ces ressources proviennent de l’exportation de matières premières agricoles ou minières. Il n’est donc pas étonnant que le problème posé par le commerce des produits de base ait, depuis plus de trente ans, été au centre du débat entre pays développés et pays en voie de développement. Schématiquement, il se résume dans le souci des pays producteurs de matières premières de tirer du commerce de ces pays les ressources nécessaires à l’acquisition auprès des pays à développement économique plus avancé l’équipement et la technologie nécessaires à leur propre développement économique et social. Or, l’expérience des décennies passées a révélé un développement tendanciel des prix de produits de base. Malgré l’existence de certains accords par produit, les pays de production primaire sont, dans une large mesure, restés impuissants à infléchir cette tendance. La plupart des mécanismes mis en place pour atténuer l’effet de cette évolution défavorable des deux termes de l’échange sont d’ordre conjoncturel et revêtent la forme de transferts de fonds compensatoire.
Ce faisant, ces mécanismes ont jusqu’à présent évité de s’attaquer au problème réel et n’apportent de remèdes qu’à ses conséquences. Les taux élevés atteints par l’inflation mondiale au cours de ces dernières années et singulièrement depuis 1970 oblige à revenir au cœur du débat qui est celui de l’indexation des prix des produits de base sur ceux des produits industriels. Ce moyen devrait permettre aux pays en voie de développement de stabiliser le pouvoir d’achat des recettes d’exportation de leurs produits de base.
Pour être efficace, le procédé à mettre en œuvre doit être celui de l’indexation directe qui, par une action mesurée sur les disponibilités offertes sur les marchés, permet de réaliser des niveaux de prix susceptibles de compenser l’érosion de pouvoir d’achat générée par l’inflation. Certes ce souci des pays producteurs d’avoir leur mot à dire sur l’évolution des marchés ne pourra se concrétiser que pour autant qu’ils mettront en place des politiques de production et de vente concertées et objectives. Ceci demande des moyens financiers destinés aussi bien à financer les stocks éventuels dans les pays producteurs qu’à compenser des pertes de recettes d’exportation nées de déficits imprévus de récolte. Il convient en conséquence que l’indexation directe soit complétée par la mise en place d’un Fonds de Stabilisation directement géré par les pays producteurs.
Ce sont là les idées essentielles soumises à la réflexion des membres du Club de Dakar sur le sujet brûlant de la stabilisation des prix des recettes d’exportation des pays en voie de développement.

 

[1Ethiopiques remercie le Club de Dakar et M. Abdoulaye FADIGA de l’avoir autorisé à publier ce texte soumis à l’attention des membres du Club.

[2] Les pourcentages correspondant aux taux de variation de chaque prix par rapport à la tendance.

[3] En prix courants et taux de change courants

[4] Portugal non compris

[5] Y compris Australie et Nouvelle-Zélande, non compris Portugal

[6] Concerne uniquement les pays suivants : Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon, République Fédérale d’Allemagne, Royaume-Uni ; chiffre fondés sur les coefficients de pondération du P.N.B. et les taux de change de 1973.

[7] Prix en dollars courants.

[8] Prix nominal divisé par l’indice Nations-Unis des valeurs unitaires des articles manufacturés exportés par les pays développés.

[9] Chiffre calculé d’après les valeurs unitaires des exportations de café, cacao, thé maïs, riz, sucre, bananes, coprah, huile de coco, huile de palme, huile d’arachide, coton, jute, sisal, caoutchouc naturel, laine, cuivre, étain, plomb, zinc, bauxite, alumine, aluminium, minerai de fer, phosphate, minerai de manganèse, en provenance des pays en voie de développement et les valeurs unitaires des exprotations mondiales d’oranges (et de mandarines) et de tabac. Cet indice a été pondéré par les valeurs 1963 des exportations des pays en voie développement. En 1963, la valeur totale des exportions de ces produits en provenance des pays en voie de développement a représenté 67,5% de la valeur totale de l’ensemble des exportations d’articles exportés par les pays en voie de développement.

[10] Indice des valeurs unitaires des exportations d’articles manufacturés établi par les nations-Unis.

[11] Prix réels moyens entre 1970 et 1974.

[12] Prix réels moyens entre 1970 et 1974.