Culture et civilisations

SOCIALISME ET SYNDICALISME SENEGALAIS

Ethiopiques numéro 10

Revue socialiste

De culture négro-africaine

Avril 1977

 

L’humanité est confrontée en cette fin du XXe siècle à deux grands systèmes : Marxisme-léninisme et le capitalisme qui se disputent l’hégémonie du monde. Vous, camarade Secrétaire général, avez su choisir, avec notre grand parti, une voie médiane, répondant à notre situation de pays en voie de développement et à notre désir sans cesse croissant de rendre les hommes plus heureux et meilleurs en leur procurant santé, abondance et cultu-re. Il ne saurait en être autrement. N’est-ce pas Léon Blum qui déclarait : « Les mêmes hommes qui ont su créer ou comprendre les plus belles formes de l’inspiration lyrique sont dignes de réaliser par l’effort de leur activité réfléchie, la science, la justice, le bonheur commun ».

Lors du VIIe congrès, vous nous invitiez à reprendre et approfondir notre doctrine, et aujourd’hui puisant les leçons dans nos expériences quotidiennes, nous nous sommes résolument engagés dans la voie du socialisme démocratique.

Intervention devant le Congrès Extraordinaire du Parti Socialiste, le 28 décembre 1976 à Dakar.

Le socialisme pour nous, classe ouvrière, n’est pas seulement un système économique plus rationnel et égalitaire, mais aussi une organisation sociale décentralisée qui permet de résoudre les contradictions et les conflits entre, d’une part, l’aspiration de la structure de base à plus d’autonomie et, d’autre part, la nécessité des arbitrages au niveau de l’Etat qu’exigent la complexité des rouages économiques, l’état des techniques, les innombrables relations d’interdépendance. Cette perspective pour nous a des conséquences immédiates sur l’action syndicale.

Le socialisme réalise l’aspiration séculaire des opprimés, système économique et social où l’exploitation de l’homme est bannie ; où nul ne peut s’enrichir du travail d’autrui, son but est, en conséquence, de répondre aux besoins matériels et intellectuels gran-dissants des travailleurs et du peuple, de créer les conditions susceptibles de libérer l’homme de toutes les oppressions politiques, économiques et culturelles et de permettre l’épanouissement complet de ses facultés et de sa personnalité.

Mais il est certain, que nombre de problèmes ne peuvent mûrir que dans un climat favorable, et qu’une problématique ne peut se généraliser et surtout trouver sa thématisation formelle que si certaines conditions se trouvent réalisées.

Vous avez su trouver camarade Secrétaire général, le moment opportun pour faire naître au cœur de cha-que Sénégalais un homme nouveau capable d’acquérir les moyens pratiques de rompre ses liens, de sortir de sa gangue et dans le même temps modifier ses schèmes mentaux, ses représentations du monde et de lui-même pour pouvoir d’abord découvrir qu’il est lié et oser entreprendre de se délier et arrive à s’affermir réellement. Selon l’expression du Père Teillard de Chardin : « aller de l’avant objectivement sans frein autre que celui de la sagesse, mais avec le bien-fondé de nos expériences et toute la puissance du machinisme actuel ».

Une question préoccupante s’est légitimement imposée tout au long du processus de préparation de ce docu-ment : est-il réellement possible pour la C.N.T.S. d’opter pour un socialisme démocratique étant donné les situations différentes et souvent contradictoires ?

Le syndicalisme sénégalais réunit-il actuellement les conditions objectives et subjectives nécessaires pour permettre l’application d’une telle stratégie, étant donné toutes les divisions, les confusions et les oppositions de tous genres qui persistent encore sa propre responsabilité, et interprétant la pensée de ses militants, l’organisation répond : oui, une stratégie de masse est nécessaire, par conséquent, tous les moyens nécessaires doivent être mis en œuvre pour la rendre possible.

Ce n’est pas la première fois que dans l’histoire du mouvement ouvrier, lorsqu’on constate qu’une chose est indispensable, les énergies profondes et créatrices des travailleurs se mettent en marche pour en faire une réalité. Le contraire signifierait oublier les pages les plus émouvantes et les plus glorieuses des luttes des travailleurs dans l’histoire de l’humanité.

L’existence de différences réelles exige l’étude dynamique et sincère des différences, des contradictions, mais ceci dans le but d’arriver, à partir de bases plus réelles et plus opérationnelles, à une plus grande convergence. Penser en termes monolithiques, sectaires, dogmatiques et rigides un socialisme démocratique serait un non sens historique, à l’heure où les grands empires et les grandes religions abandonnent toujours plus leurs prétentions à des modèles uniques, malgré les énormes moyens dont ils disposent pour s’imposer.

Toute élaboration d’une théorie doit inévitablement contenir des aspects généraux, idéologiques et philosophiques, surtout là où il s’agit de déterminer les grands objectifs et les options, de poser les diagnostics, mais, si cette théorie ne s’appuie pas en définitive sur chaque travailleur, sur les masses, dans les luttes quotidiennes, elle ne sera qu’un élégant exercice académique, dénué de la puissance historique qui permet d’attaquer les causes de la situation et de construire une nouvelle société démocratique et socialiste.

 

Une nouvelle société socialiste et démocratique

Cette nouvelle société, nous la définissons ainsi : un homme social et une société communautaire où, la dé-mocratie sera réelle par la participation politique effective des membres de la société, par la priorité sociale des biens de production, par une conception et une pratique humaine du travail, par une soumission du capital aux besoins de la société toute entière.

Ceci nous amène à procéder à une analyse objective de notre société et là, la question qui se pose est la sui-vante : Que se passe-t-il dans notre société ?

Pour répondre à cette question nous aurons recours à la méthode marxiste d’analyse de la réalité économico-so-ciale, on reconnaît en effet, en elle, l’instrument le plus adéquat. Comme nous nous réclamons du socialisme, cet outil est considéré comme à peu près le seul qui garantisse une analyse scientifique. Pour être aussi radical que le pasteur Albert Gaillard qui déclarait à l’occasion de la semaine de la pensée marxiste : « Je ne pense pas qu’on puisse faire à l’heure actuelle une autre analyse de l’histoire que l’analyse marxiste ».

Notre analyse ne se veut pas exhaustive mais elle permet de mieux saisir les motivations profondes de nos options. Il serait très présomptueux de vouloir décrire dans ce document la situation économique du monde actuel. Mais nous présenterons quelques aspects importants de l’économie mondiale.

Le processus scientifique et technologique actuel a des allures de révolution, car, il change radicalement les rapports de force des nations entre elles et des groupes sociaux entre eux. Elle a de profondes répercussions sur l’économie mondiale. L’application d’une production moderne exige, la production sur une plus grande échelle ce qui entraîne la concertation des processus de production des entreprises et, partant, de leur pouvoir. Cette concentration croissante des entreprises éloigne toujours plus les centres de décisions économiques.

Les entreprises multinationales reproduisent aujourd’hui à l’échelle planétaire ce gigantisme économique, animé par la course aveugle au profit et par la croissance pour la croissance. La révolution scientifique technologique suscite partout l’opposition d’une nouvelle classe dominante ; la technocratie. La technocratie constitue un pouvoir inaccessible aux masses populaires.

Le monde actuel est prisonnier d’un réseau de domination qui constitue un système d’exploitation de l’homme par l’homme, de l’homme par la techno-bureaucratie, des nations par d’autres nations, un système d’oppression des masses par des minorités qui détiennent richesse et pouvoir et accaparent à leur seul bénéfice le fruit du travail de tous les hommes.

Mais l’anti-capitalisme et l’anti-impérialisme en soi ne contribuent certes pas à l’avènement d’une société nouvelle. Il importe de parvenir à un consensus général sur les perspectives et sur les bases d’un tel projet. Il sera nécessaire de maintenir un dialogue permanent par le biais des cercles concentriques jusqu’à emmener l’humanité à trouver des valeurs et des perspectives communes permettant la construction solidaire d’un monde meilleur. C’est pourquoi loin de considérer certaines de ces rencontres comme un échec, nous pensons avec optimisme, qu’il finira par se dégager de ces conférences des structures qui vont sous tendre la libération du Tiers Monde et qui vont ouvrir la voie à un nouveau type de développement solidaire .

Point n’est besoin de revenir sur l’analyse scientifique de notre Etat national, en mettant en relief nos imperfections et en soulignant les aspects sur lesquels nous devons nous apesantir ; mais force nous est de constater que toutes actions doivent partir de l’ensemble des conditions de vie des travailleurs et – du peuple et que les ouvriers doivent se faire du mon-de du travail une vue plus globale, et savoir par exemple que seul le pouvoir d’achat des paysans constitue la garantie de l’expansion industrielle et partant de leur propre promotion.

C’est pourquoi, pour nous C.N.T.S. sont significatifs des objectifs tels que : Socialisme démocratique – Planification démocratique et Cogestion.

Le socialisme, nous le construirons par nous-mêmes et pour nous-mêmes tout en restant attentifs aux conditions particulières de chaque expérience. Il sera profondément enraciné dans les valeurs traditionnelles dont l’histoire a révélé qu’elles ont toujours placé l’homme au centre de leurs préoccupations.

Le socialisme, c’est la culture qui satisfait les exigences spirituelles de la vie en société. C’est elle qui permet d’élever le niveau de vie de notre peuple, épanouit notre personnalité collective et individuelle en nous intégrant au monde. Il s’agit de faire communier l’homme, tous les hommes, avec les forces vitales des autres hommes et à travers celles-ci avec les forces cosmiques. Paraphrasant le Camarade Léopold Sédar Senghor nous disons : L’homme, pour être pleinement homme, doit échapper à son aliénation par le capital et être un créateur de beauté.

Le socialisme devant être envisagé comme une réalité en mouvement, il importe que les travailleurs construi-sent immédiatement dans leurs usines, leurs bureaux, leurs quartiers, les fondements et en assurent activement la défense face aux tentatives de réaction de la bourgeoisie : quoi qu’on en dise.

 

La démocratie ne peut tolérer la domination d’un clan, d’une force politique ou économique, d’une classe, quelle que soient les formes plus ou moins brutales, plus ou moins totalitaires que revêt cette domination.

La démocratie ne se résume pas non plus à l’application mécanique du principe de la majorité. Elle est avant tout le règne du droit. Elle est une philosophie globale de la vie humaine et de la vie politique, un état d’esprit qui s’incarne dans une société dans des institutions, dans des organisations et qui impose à celles-ci le souci constant de procurer à chacun de ses membres les moyens de connaître les problèmes qui se posent, afin qu’ils puissent intervenir dans la recherche d’une solution et contrôler finalement l’application des solutions.

Cette démocratie est une création qui n’est jamais terminée. Il faut constamment la remettre en cause pour l’améliorer. Elle doit pouvoir alimen-ter une dialectique constante entre base et sommet, entre principes et réalités, entre la spontanéité des masses et les exigences du Parti ; la manière dont cette dialectique sera vécue déterminera la réalité de la démocratie et garantira à cette dernière une im-plantation solide et durable.

C’est dans cette perspective que démocratie et socialisme se rencontrent, c’est pourquoi il n’est pas exagéré de dire que la démocratie est inséparable du socialisme.

La planification démocratique : Il est heureux que l’infrastructure soit déjà mise en place par le biais de la communauté rurale, mais il faut aussi insister sur une liberté essentielle qui indique la qualité que peut avoir la participation des hommes à la vie collective : la liberté d’information. Il est indispensable que les citoyens or-ganisés en groupements aient accès à une information de base, identique à celle des dirigeants et des administra-teurs et puissent exercer une même influence que ceux-ci sur le contenu et l’orientation de la vie publique. Il faut que cette information puisse être re-çue, comprise et assimilée. Il va de soi que l’organisation de l’entreprise, de l’économie et des autres structures de la société exige du citoyen, du tra-vailleur, une haute aptitude à discerner les problèmes dont la solution demande une prise de position personnelle.

Les chances de succès d’une société réellement démocratique sont en grande partie soumises à la nature et à la qualité de l’éducation.

La cogestion : Si nous avons choisi cette théorie qui se situe entre le capitalisme et le socialisme, c’est qu’on ne peut gérer l’économie par le travail ou par le capital, il faut nécessairement une association des deux pour qu’une économie réponde aux exigences du monde contemporain. Ce qui est important, pour nous, c’est de situer l’homme au centre du débat.

Si l’évolution de la société nous a permis de constater que le capital gère le travail, nous inspirant des théories de Marx et de Engel, nous disons que l’élément producteur lui aussi doit participer à la gestion de la production et que les prolétariens du monde entier devraient s’unir, créer un certain pouvoir et se défendre contre le capital.

Il ne s’agit pas de surmonter cet obstacle et de faire de chaque travailleur un actionnaire, un mini capitaliste ou un collaborateur enthousiaste, par le biais de certaines formes de participation. Quel poids pourrait avoir le petit actionnaire auquel échappe complètement le contrôle des mécanismes compliqués et mystérieux qui assurent la domination des grands pouvoirs financiers.

Nous avons choisi la cogestion non pas comme un objectif final mais comme un moyen de parvenir sans difficulté aucune à l’émancipation totale de la classe laborieuse.

Cette cogestion pourrait se concevoir comme une participation effective des travailleurs à la conception, à la gestion et au contrôle de l’entreprise.

La C.N.T.S. vous invite à méditer cette phrase du Père Teilhard de Chardin : « Le phénomène social vers lequel nous nous acheminons inéluctablement est celui de la collectivisation humaine, d’un monde communautaire, lequel rentrera nécessairement dans sa phase sympathique sous l’influence de l’esprit d’évolution.

C’est dire que la question du passage au socialisme démocratique est posée. Il faut maintenant agir pour que toutes les conditions soient réunies afin que l’Afrique n’arrive pas les mains vides au rendez-vous du donner et du recevoir ».