Notes

REVOLTE DANS LA VILLE

Ethiopiques numéro 04

Revue socialiste

de culture négro-africaine

octobre 1975

LES DIEUX DELINQUANTS par Augustin Sondé-Coulibaly

Ed. Coulibaly Frères Ouagadougou

Ce livre nous présente, en deux cent vingt-sept pages fort bien soignées et montées par l’Imprimerie Nationale de Ouagadougou, un problème qui n’est pas nouveau, même en Afrique : celui de la révolution urbaine, mais fomentée dans un secteur nouveau, inattendu, qui n’est pas celui devenu classique de l’universitaire cherchant l’alliance du syndicaliste ; c’est la révolution des talibés et autres jeunes mendiants et désœuvrés des grandes villes. Voici leurs escouades clandestines à l’assaut méthodique des nantis. Il leur a suffi de trouver des chefs, pas nombreux, et d’un lumpen de résignés ils sont devenus une classe à l’attaque.

C’est le temps des films de cow-boys et de karaté, et si c’est dans un jardin clos qu’ils s’entraînent à l’autodéfense et aux techniques de commandos, c’est dans les salles de cinéma qu’ils s’exaltent et c’est devant les cinémas des quartiers sombres qu’éclatent leurs rares bagarres publiques.

Le reste du temps, furtifs et silencieux, ils sont perdus dans le décor urbain, petits mendiants comme les autres. Mais, quand les consignes sont reçues et les tâches assignées, leurs commandos s’égaillent, et bientôt la ville n’en peut plus, la police est sur les dents, le moulin de la justice se met à tourner erratiquement. Au lendemain des beaux « coups », c’est le partage, suivi de fêtes à l’alcool et au marijuana.

Sans doute tout cela est-il fabriqué sur les données de films B et de serials TV, mais justement le film est un des grands maîtres de notre temps et l’université des salles obscures a déjà mis le monde entier au pas de sa culture. Dickens le populiste est resté pendant un siècle l’inoffensif prisonnier de la culture bourgeoise, mais il suffit d’un mauvais film pour faire des petits mendiants de Ouaga ou de Dakar des élèves de Fagin.

On sent partir son portefeuille devant AL AKBAR, on se retourne pour confronter des faces innocentes, le voleur est déjà loin ; ils étaient trois ou quatre.

Bernard Dadié, dans Papassidi, situe pareille scène au grand jour d’Abidjan, et la victime est un gendarme. Cela ne s’est pas fait tout seul, il y avait en opération une « école » au moins de quatre, et Sondé-Coulibaly n’a pas inventé de rien l’idée d’une « école » à Ouaga. Si la révolte organisée, qu’il veut prophétique, semble peu convaincante, c’est d’abord que l’auteur a noyé un propos ferme dans la vague aventure sentimentale d’un héros castré par « la mère » et que les lignes des caractères se perdent dans le flot du verbiage.

Nous voyons tout de même vivre un certain Ouaga, ville enceinte d’un « milieu » inconvertible, foetus cancéreux qui condamné à mort son progrès et nous percevons le dessein de l’auteur de formuler un grand message : Il n’est pas dit que l’Afrique doive essayer de se constituer en vain reflet de l’Occident.

Une Afrique consommatrice des poubelles de l’Europe serait mieux venue de tendre à une organisation du social qui lui permette de rassembler les éléments humains épars et déclassés en un ensemble solidaire, que de sécréter, comme par un ordre inexorable des choses, des marginaux.