Littérature

POUR UNE APPROCHE SOCIO-PEDAGOGIQUE DE LA DERIVE DU MYTHE AU CONTE

Ethiopiques n°81

Littérature, philosophie et art

2ème semestre 2008

Cette étude, qui porte sur la dérive du mythe au conte, se fonde sur l’idée que la littérature orale s’actualise en s’adaptant aux nouvelles structures culturelles. Elle inspire ainsi les genres de la littérature écrite. Les enseignants doivent être en mesure de donner les informations préalables sur le genre du texte étudié, sur sa fonction littéraire et sociale et sur les moyens par lesquels la narration récupère toutes les données pour élaborer des récits. Aussi, plutôt que de faire apprendre par cœur les différentes définitions du mythe, il convient d’adopter une démarche par laquelle les élèves dégagent eux-mêmes les caractéristiques qui permettent de distinguer le mythe par rapport au conte. Dans les lycées, les élèves sont déjà habitués à l’étude du récit à travers des théories énoncées sur le roman, le professeur peut directement comparer le mythe aux autres genres narratifs comme le conte par exemple.

Notre objectif, dans cette étude, est de proposer à partir d’une analyse sociologique et structurale des applications pédagogiques permettant aux enseignants d’aider les élèves à faire une étude comparative entre le mythe, le conte et le roman, afin de dégager les caractéristiques qui leur sont propres.

Lévi-Strauss disait déjà que « le mythe se dégrade en conte selon un processus naturel. Le contraire n’étant pas pertinent ». Nous allons tenter de nuancer cette affirmation tout en l’étayant d’exemples précis tirés du corpus (un très grand nombre de récits, mythes et contes confondus, provenant de toutes les ethnies sénégalaises [2]). Notre démarche restera empirique. Elle partira des contes de ce corpus pour remonter jusqu’au mythe originaire ; on s’interrogera sur les aspects formels qui ont muté, et sur le pourquoi de ces mutations ; on s’interrogera aussi sur les changements de sens consécutifs aux changements de forme et sur les contenus nouveaux que ces mythes voyageurs acquièrent en s’enracinant dans d’autres terrains culturels.

Pour les orientations didactiques de ce travail, nous proposerons d’abord une grille d’analyse structurelle valable aussi bien pour le conte que le mythe, ensuite nous passerons à l’analyse pédagogique.

  1. ESSAI D’UNE ETUDE SOCIOLOGIQUE DE QUELQUES RECITS ORAUX

 

Pour commencer, signalons un conte soninke [3], malinké [4], wolof [5] et seereer [6] : c’est celui du héros qui arrive dans un village asservi par un serpent génie interdisant l’accès de l’unique puits ou rivière, sauf un jour par an où les villageois puisent à loisir, après avoir sacrifié une vierge. Le jeune homme va provoquer ce génie, en solitaire, le tuer et délivrer ainsi le village. Le chef lui donnera la fille en récompense.

Or, nous savons que les Soninkés sont voisins et cohabitent encore avec les Sénégambiens [7], et que leur mythe Bida [8] du Wagadou [9] est chez eux toujours raconté. Notre conte semble donc provenir du mythe du Wagadou dont il n’a gardé que la séquence comprenant les fonctions (au sens de Propp) [10]. Les plus frappantes pour l’imagination : le serpent gardien des eaux dans son puits, sa tutelle sur les habitants, le sacrifice d’une jeune fille, pour son anniversaire, le jeune homme qui l’agresse et le tue, l’union entre ce « preux » et la fille qui devait mourir.

Cependant, si cette structure est reconnaissable par tous ceux qui connaissent tant soit peu le mythe soninké, certains détails sont modifiés dans l’axe des indices (au sens de Barthes) [11] et méritent qu’on y réfléchisse. Le serpent, dans les contes, n’est plus ce Dieu Bida ayant fait alliance avec le peuple soninké, mais un tyran aveugle et sourd à toute prière. Le jour unique, accordé au village, a remplacé l’année d’abondance marquée par le seul jour du sacrifice sanglant. Ce sacrifice est conservé, mais dans le mythe, la jeune fille, la noble Asia Yatabere était consentante et sauvée malgré elle par Mamadou Sakho son fiancé rebelle : dans les contes, elle sera une victime anonyme, la fille d’un villageois ou parfois la fille du chef, qu’on donnera en mariage au vainqueur du monstre, comme prix de son exploit.

Le royaume du Wagadou, lui, s’est rétréci en village. Cependant, dans certains contes, on retrouve un royaume et son roi subissant le même préjudice collectif. D’autres détails encore sont évacués purement et simplement et avec eux des significations fondamentales pour le mythe ancien : ainsi le héros du conte est présenté en libérateur, sans aucune ambiguïté, et les connotations du conflit islam/animisme ont totalement disparu. Mamadou Sérékoto Sakho perd même son statut de personnage référentiel pour s’anonymiser en personnage anaphore ou en simple actant.

Enfin, et c’est capital, ces contes finissent toujours par un épilogue heureux : le village est délivré et le héros récompensé. A l’inverse du mythe où Mamadou Sakho devait fuir sous la réprobation populaire, car la mort du Dieu serpent entraînait la sécheresse et la ruine de royaume.. On remarquera, en outre, que les contes ont éliminé tous les éléments historiques du mythe : la migration des Soninkés, les étapes de leur voyage, les épreuves de leur installation, la rivalité des frères Xin et Diabé, la liste des clans de la noblesse.

Le contenu proprement religieux a été gommé : plus de quête initiatique du futur roi guidé par l’hyène et le vautour ; plus de pacte avec le propriétaire mythique des lieux ; plus de rituel lié aux pluies d’or qui faisaient du Wagadou le pays le plus prospère du Soudan. [12]

Dans le contexte peul, manding ou wolof, le mythe soninké largement amputé et résumé va épouser désormais les hantises de nos villageois obsédés par le problème de l’eau, cependant qu’il intègre l’idéologie du Ceddo avec le Jàmbar [13] sans peur affrontant le monstre qui fait trembler les simples Baadoolo (paysans). Idéologie guerrière dominant la mentalité rurale et correspondant aux structures politiques et sociales des royaumes soudanais des XXIIIe-XIXe siècles : Kajoor, Jolof, Siin, Segu, etc.

Ce motif, tiré du mythe de Wagadou, semble aussi être passé par un stade intermédiaire car on le découvre encastré dans l’épopée peul de Samba Gelaajo Jéegi du Fuuta Tooro. Il y constitue un épisode de l’initiation du héros Samba et dont la trame est exactement celle des contes. Le conteur épique l’agrémente de détails nouveaux (queue coupée, sandales abandonnées près du monstre, recherche du héros, faux prétendant, reconnaissance du vrai héros qui peut produire la queue du serpent et la seconde sandale). Détails existant dans le mythe mais bien connus dans tous les contes merveilleux.

Est-ce le conte déjà localement formé et détaché du mythe soninké (ce dernier remontant au VIIIe siècle) qui aurait subverti l’épopée de Samba Gelaajo Jéegi XVIIIe siècle ? Ou bien l’épopée l’a t-elle emprunté directement au mythe ? Et le conte est-il né de ce fragment détaché de l’épopée ? Si l’on s’interroge sur l’antériorité de cette formation littéraire orale il n’ y a pas de réponse vérifiable. Mais le bon sens permet de supposer qu’entre le VIIIe et le XVIIIe siècle, il y a tout le temps nécessaire pour la constitution d’un conte à partir du mythe et que Samba Gelaajo Jéegi a sans doute emprunté le motif au conte peul qui circulait dans la région du Fuuta (nord du Sénégal).

Un autre exemple sur lequel nous nous étendrons moins est un conte très populaire chez les Wolof, les Seereer et les Joola : c’est celui de Banjikoto ou « l’enfant terrible ». Voyons sa trame : trois frères partent pour aller rencontrer un fiancé dans un village éloigné. Leur cadet tout petit les suit malgré leur défense. Ils arrivent au village et la mère des fiancés, qui est sorcière, tente de les empoisonner. Grâce au cadet qui prévient ses frères, elle échoue. Durant la nuit, elle tente de les égorger, mais le cadet soit l’a occupée toute la nuit, soit a permuté les foulards des filles de la sorcière, dans une chambre, avec les bonnets de ses frères, dans une autre chambre. La sorcière égorge donc ses trois filles (thème du petit Poucet et l’ogre). Il s’ensuit une poursuite interminable de la sorcière qui veut tuer le cadet Banjikoto. Les aînés sont rentrés chez eux. L’enfant extraordinaire utilise des procédés magiques (œufs, cailloux, etc.) pour distancer la sorcière et celle-ci faisait de même pour le rattraper. Le conte ici rappelle la Baba Yaga des contes russes. Le garçon finira par lui tendre un piège dans lequel elle sera noyée ou brûlée selon les versions. On pourrait penser que ce conte est localisé au Sénégal et surtout dans le sud, tant il est connu et tant les gens prennent plaisir à le raconter. _ Cependant ce conte est tiré du mythe peul de Ndjeddo Dewaal dont Hampaté Ba a publié une traduction aux Nouvelles Editions Africaines (NEA) [14]. Mythe extrêmement long, relatant les villes mythiques de l’âge d’or des Peuls et les causes de leur destruction, leur état de nomades chargés de maléfices et qui s’acharnent sur leur race ; enfin la naissance de Bagoumawell, enfant sauveur, qui va entamer la guerre contre la sorcière buveuse de sang. La guerre va commencer avec ce périple des trois frères en quête de fiancées. A partir de là, le mythe peul recoupe le conte joolaa et, avec des épisodes plus symboliques ou grandioses, se terminera par l’élimination de la calamité faite à la femme.

  1. ANALYSE STRUCTURALE

Voici un modèle de tableau structural, matrice extensible, sur laquelle on peut projeter un conte ou un mythe quelque soit sa longueur.

Axe syntagmatique ou diachronique

Axe

paradigmatique

ou synchronique

 

–          Situation initiale     Séquence1   Séquence 2  Séquence 3            Séquence 4

Action            –          –          –          –          –

Actant           –          –          –          –          –

Lieu    –          –          –          –          –

Temps           –          –          –          –          –

Symbole       –          –          –          –          –

Social –          –          –          –          –

Economie     –          –          –          –          –

Psycho-moral          –          –          –          –          –

Politique       –          –          –          –          –

Nous avons inscrit d’abord la structure du texte sur un axe syntagmatique. Puis on en construit perpendiculairement l’axe des paradigmes qui fournissait les différents indices (Barthes) ou instances ou isotopes, bref les niveaux de signification contenus dans le texte à chaque séquence, ou fonction (Propp) ou segment, ou unité de signification distribué sur l’axe syntagmatique.

Cette méthode permet de lire le récit de manière détaillée, de mettre au jour l’implicite qui s’éclairera d’avantage lorsqu’on interrogera le texte dans son contexte qui est étroitement ethnique, avec en plus les données locales ou familiales qui rendent compte de certaines particularités.

Ainsi nous avons retrouvé le mythe peul de Ndjeddo Dewal (qui prend sa source au Macina) chez les Wolof, les Seereer et jusque chez les Joolaa de Casamance demeurant inchangé. Le mythe s’est transformé en conte et a pris toutes les implications métaphysiques, ethniques propres au groupe, pour devenir un récit assez semblable à la Baba Yaga des contes russes. Les contes wolof, seereer et joolaa ont éliminé, sur le plan de la structure, le très long début du mythe qui ne leur disait rien, Les questions relatives aux Peuls des villes et leurs troupeaux, leur corruption et leur excès, puis le Dieu qui crée une femme diabolique … Les Wolof sont des agriculteurs fortement islamisés ; les Seereer et les Joolaa sont des sédentaires très attachés à leur pangol et leur boekin (fétiches). Pour ces groupes, le pastorat et le nomadisme n’occupent pas le premier plan.

De même, pour le mythe du Bida, le découpage opéré par les contes reste très logique : toute la charge historique et religieuse perd son sens hors du contexte soninké. Ce mythe, qui était la charte de référence pour les descendants de l’empire du Wagadou, n’est plus qu’un récit pittoresque dont les auditeurs étrangers n’ont retenu que l’aspect fantastique et spectaculaire. La signification profonde du mythe leur échappant totalement, le public et les conteurs non soninké conservent cependant ce récit dans les parties qui les charment et qu’ils comprennent : ils les simplifieront donc, les réduiront à une aventure héroïque similaire à d’autres, celle du héros libérateur du dragon étant quasi universel ; dans le motif-index de Aarne et Thompson, c’est le type 300 ; 300B. S’il est donc intéressant de parvenir à reconstituer l’archéologie d’un conte ou d’un mythe pour retrouver ses significations originelles, on ferait néanmoins un contresens en essayant de les rendre opérationnelles une fois pour toutes. En passant dans une autre culture, un conte prend d’autres sens qui deviennent à leur tour les seuls valables pour cette culture d’arrivée.

Voilà une des raisons pour lesquelles tant de recueils de contes sont inutilisables sur le plan de l’analyse et même par les professeurs, dans la mesure où ces derniers connaissent peu ou mal les ethnies d’origine.

 

 

Première démarche pédagogique

Objectif

A partir des résumés des deux récits mythiques (Bida et Ndjeddo Dewal), les élèves doivent être capables de dégager les éléments qui correspondent à une définition du mythe.

Déroulement

Dans le petit Robert, on définit le mythe comme « un récit fabuleux le plus souvent, d’origine populaire, qui met en scène des êtres incarnant, sous une forme symbolique, des forces de la nature, des aspects du génie ou de la condition de l’humanité ». Jean Vansina pense, lui, que

« Les mythes comprennent les dogmes des religions primitives (…). La plupart du temps les mythes ne sont pas censés se dérouler dans le passé, mais dans un temps sacré qui se situe au-delà et à côté d’un temps profane (…). Leur caractère propre est de fusionner et d’interpréter les rapports entre la nature et la surnature et de déterminer par ailleurs l’ensemble de la vie religieuse en dehors de l’ordre moral » [15].

Pour Mircea Eliade enfin, les mythes relatent non seulement l’origine du monde, des animaux, des plantes et de l’homme, mais aussi tous les événements primordiaux, à la suite desquels, l’homme est devenu ce qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire un être mortel, sexué ; organisé en société, obligé de travailler pour vivre, et travaillant selon certaines règles [16].

Il n’est pas utile de mémoriser ces définitions mais de montrer qu’il est difficile de trouver une définition du mythe qui soit acceptée par tous les savants et soit en même temps accessible aux non spécialistes. Par contre, ces différences facilitent la tâche des élèves, dans la mesure où ceux-ci peuvent découvrir plusieurs aspects du mythe. Auparavant, le professeur aura pris le soin de donner à lire les deux récits mythiques (Bida et Ndjeddo Dewal). L’exercice consiste à retrouver à travers le mythe les éléments définis dans les trois citations ci-dessus.

Résultats.

En appliquant les définitions aux deux récits mythiques, la classe dégage les remarques suivantes :

– le mythe est l’histoire des actes et des êtres surnaturels (le Bida¬Mamadou Sakho le « preux ») ;

– son histoire peut être considérée comme « vraie » dans la mesure où elle exprime des réalités historiques, géographiques et ethnologiques que l’on connaît. Elle est aussi sacrée à cause de la période où elle est censée se dérouler (le Dieu Bida interdisant l’accès de l’unique rivière, sauf un jour par an où les villageois peuvent aller puiser à loisir après avoir sacrifié une vierge …) ;

– le mythe se rapporte toujours à la création d’un univers, d’un événement et prolonge ainsi la cosmogonie (le mythe du Bida explique l’espace géographique de l’Empire du Wagadou). Il permet donc de connaître l’origine des choses et par la suite de les maîtriser pour organiser la société (le mythe explique ici l’histoire des Soninke, leurs stratifications sociales, leurs convictions religieuses souterraines (officiellement ils sont musulmans). Pour tout Soninke ce récit est lié à son identité, même son ethnonyme étant justifié par ce mythe dans la mesure où il spécifie que le peuple fonde au cours de sa migration « la ville de Sonna d’où les Soninke tirèrent leur nom » ;

– le mythe ne se dit pas n’importe quand et n’importe où ;

– le mythe est toujours un événement à caractère collectif. Il implique toute une communauté dans ses récitations et dans les manifestations sociales qui y sont liées ;

– une fois que la classe a pu déterminer les aspects du mythe, le professeur pourra faire remarquer que le récit narratif n’est pas une copie fidèle mais une présentation de la réalité historique ;

– il opère une transformation littéraire qui distingue l’univers représenté du monde réel. Grâce à cette observation, l’enseignant pourra aisément aborder la deuxième phase de la démarche pédagogique.

Deuxième démarche pédagogique

Objectif

A partir des caractéristiques propres au mythe, les élèves devraient être capables de réaliser une comparaison avec les autres récits narratifs : le conte et le roman.

Déroulement

Il faut partir du principe que la classe connaît déjà le conte et le roman pour avoir étudié ces genres littéraires à plusieurs reprises. Dans le cas contraire, le professeur peut user de la même démarche qui a permis de dégager les caractéristiques du mythe. Puis la classe est invitée à découvrir les éléments qui font la singularité du récit mythique par rapport aux autres genres narratifs.

Le professeur peut formuler la question suivante : du point de vue de la forme et du contenu, quels sont les aspects particuliers du mythe par rapport au conte ou au roman ? Le professeur répartit la classe en groupes afin que les débats aboutissent à des conclusions multiples du genre :

 

– le conte, le mythe, le roman sont tous des récits narratifs dans lesquels des personnages, souvent fantastiques, réalisent un certain nombre d’actions ;

– sur le plan de la densité, en général, le roman est plus long que le conte et le mythe ;

– le roman est généralement écrit, tandis que le mythe et le conte utilisent les deux formes d’expression (oral et écrit) ;

– le temps du roman et du conte est profane, celui du mythe est sacré ; en plus, le conte merveilleux et le roman possèdent des personnages et des règles conventionnelles qui prennent un caractère ludique alors que dans le mythe l’histoire considérée comme « vraie » a une puissance magique. C’est pour ce fait que dans « les sociétés où le mythe est encore vivant, les sociétés distinguent soigneusement les mythes (histoire vraie) des fables qu’ils appellent « histoire fausse -Mircéa Eliade » ;

– l’histoire du mythe est toujours celle d’une communauté. Dans le roman et le conte, il s’agit de celle d’un individu. D’où l’opposition collectif/individuel qui permet de distinguer le mythe des autres formes de la narration ;

– le mythe est la tentative d’explication d’une création. Le conte et le roman, eux, révèlent une existence individuelle grâce au langage et à l’imagination. L’histoire narrée par le mythe a une dimension ésotérique dont les techniques d’expression sont le privilège de spécialistes.

A l’issue de cette séquence, le professeur peut récapituler les particularités du mythe sous la forme d’un tableau synoptique :

– en définitive il ressort de cette analyse que les présupposés contextuels sont nécessaires à une meilleure définition du récit mythique ;

– le conte et le roman désacralisent les événements et les personnages de leurs histoires et se refusent ainsi à toute interprétation religieuse ;

– malgré tout ils conservent des traits hérités du mythe. Dans le conte et le roman, par exemple, la quête du héros n’est en fait que le prolongement du scénario initiatique du mythe.

Après avoir précisé les présupposés contextuels du récit, le professeur peut procéder à l’analyse de l’histoire en tant qu’univers narratif organisé selon certaines règles. Que l’on comprenne toutefois que l’analyse contextuelle n’est pas une condition sine qua non pour toute approche narratologique. Il s’agit simplement d’une démarche pédagogique susceptible de favoriser une étude originale du mythe dans les établissements scolaires.

 

 

Ceci n’est certes qu’une maigre ébauche du travail qu’il faudrait entreprendre sur l’archéologie des contes … Par où commencer ? Il faudrait investiguer d’abord peut-être sur ces contes passe-partout car ce sont eux qui voyagent le plus. Mais évidemment on ne peut affirmer pour autant que tous ces contes sont des vestiges de mythes car il faudrait aussitôt le prouver.

D’autre part, rien ne prouve que certains contes bien spécifiques d’une culture ne puissent pas dériver de mythes provenant de cette même culture. Ainsi on trouve chez certains groupes peuls, toucouleurs du nord du Sénégal des récits sur le varan jumeau d’un homme qui sont présentés comme conte et dérivent des mythes isomorphes encore en activité dans d’autres groupes peuls. Ainsi pour les Subalbe, les Weccankobe, les Urube, les Jiawbe [17], ce récit est un mythe, celui du Camaba [18], lié souvent à un culte. Cependant, pour les Peuls du Fuuta Jalon, ou même les Peuls très islamisés des confréries tijaan, ces histoires ne sont plus que des contes distractifs à contenu moral. Donc l’extranéité culturelle du conte par rapport au mythe dont il dérive n’est pas obligatoire. Peut-être la meilleure méthode est-elle alors de ne pas en avoir, en ce domaine ! Mais seulement de rester attentif car il est toujours possible qu’un mythe soit embusqué derrière un conte, ou un mythe derrière un autre mythe. Il faut savoir alors les reconnaître … mais pour cela il faut connaître déjà le mythe caché ; le cercle est vicieux en vérité !

Dans l’état actuel de notre culture, des contes et des récits de l’Ouest africain, le moins qu’on puisse en dire, c’est qu’elle n’est pas exhaustive. On est loin de connaître tous les mythes, ne fut-ce que d’un pays. On n’a pas encore non plus la majorité des contes. Il faut donc attendre que les corpus s’accumulent et ce ne peut être le travail d’un seul chercheur. Cependant il faut tendre, prévoir, prédire qu’un jour on pourra établir une carte des grands mythes africains avec leurs sources, leurs points de contact, leur zone d’extension, leurs trajets migratoires. C’est la démarche qui est d’ailleurs préconisée par Stith Thompson pour retrouver les centres de diffusion des contes et la généalogie des versions19. On pourra à partir de là prévoir aussi qu’on rencontrera des fragments ou des vestiges de ces mythes au sein des sociétés situées sur ces parcours, car les récits ne font que suivre les hommes.

Enfin, il ressort de notre analyse pédagogique que les présupposés contextuels sont nécessaires à une meilleure définition du récit mythique. Dans le conte et le roman, par exemple, la quête du héros n’est en fait que le prolongement imaginaire du scénario initiatique du mythe. Après avoir précisé les présupposés contextuels du récit mythique, le professeur peut procéder à l’analyse de l’histoire en tant qu’univers narratif organisé selon certaines règles. Comme indiqué plus haut, l’analyse contextuelle n’est pas la seule méthode pour toute approche narratologique. Il s’agit simplement pour nous de suggérer une démarche pédagogique susceptible de favoriser une étude originale du mythe dans les établissements secondaires.

BIBLIOGRAPHIE

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Dictionnaire des mythologies, Paris, Flammarion, 1982.

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MIRCEA, E., Aspects du mythe, Paris, Gallimard, 1978.

– Le sacré et le profane, Paris, Gallimard ; 1979.

TODOROV, T., Littérature et signification, Paris, Larousse, 1967.

– « Les catégories du récit littéraire », in Communications n° 8, Paris Seuil, 1966.

[1] École Normale Supérieure d’Enseignement Technique et Professionnel (ENSETP), Université Cheikh Anta DIOP de Dakar

 

[2] Ce corpus est l’œuvre réalisée par les professeurs Lilyan KESTELOOT et Bassirou DIENG, Contes et mythes du Sénégal, Dakar, ENDA- IFAN-FLSH, nouvelle édition, 2007.

[3] Ethnie sénégalaise

[4] Idem

[5] Idem

[6] Idem

[7] Région sud- ouest du Sénégal

[8] Contes et mythes du Sénégal, op. cit.

[9] Province entre le Mali et le Sénégal

[10] PROPP, V., .Morphologique du conte, Paris, Seuil, 1970.

[11] « Introduction à l’analyse structurale des récits », in Communications, n° 8, Paris, Seuil, 1966.

[12] Le Soudan est une ancienne colonie française de l’Afrique occidentale devenue aujourd’hui république du Mali.

[13] Le Ceddo est le guerrier wolof, bambara ou peul qui soutient le pouvoir royal : le Jàmbar est l’équivalent du « preux » avec plus d’insolence et d’audace. Il ne respecte rien.

[14] Compte tenu de la longueur de ce mythe qui ne peut pas figurer en annexe, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage de Hampathé BA, Ndjeddo Dewaal, Abidjan, Eds N.E.I., 1994.

[15] De la tradition orale… Tervuren, 1961, p.132.

[16] Aspects du mythe…, 1978, p.21-22.

[17] Les groupes de l’ethnie peul.

[18] KESTELOOT, L., BARBEY, C. et NDONGO, M. C., Tyamaba mythe peul, Notes africaines n° 185 186, Dakar, IFAN, 1986

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