ORAISON POUR UNE RENAISSANCE de Paulin JOACHIM, Ed. Silex 1984
Ethiopiques numéro 40-41
Revue trimestrielle de culture négro-africaine
nouvelle série – 1er trimestre 1985 – volume III n°1-2
Ce journaliste bien connu des lecteurs de Bingo comme des intellectuels qui participèrent à tous les grands Colloques de la Négritude, cet éditorialiste de la première heure qui baptisa les aubes des indépendances, bien avant Jeune Afrique et Afrique Asie Paulin Joachim dis-je, nous gratifie, tous les dix ou quinze ans, d’un bouquet-cadeau sous la forme d’une plaquette de poèmes, où il s’abandonne à la musique qu’il préfère, sans doute, mais qui ne le nourrit point.
Voilà pourquoi ces abandons sont rares !
« Un nègre raconte », et « Anti-grâce » nous laissaient espérer la naissance d’un poète et la confirmation d’un réel talent. Las ! le temps passa et Paulin fut pris par d’autres tâches.
« L’Oraison » qu’il nous présente aujourd’hui est bien jolie par endroits. Les mêmes qualités que jadis ; l’instrument n’est pas brisé, avec des accents plus amers en écho à l’histoire qui ne fut pas rose :
Le voilà contraint d’écrire en 84 :
« Il nous reste un pays à créer de toutes pièces où le Nègre puisse prendre cette attitude qui le purifiera à jamais des sordides diableries de familles… la vérité est que nous ne sommes frères qu’en puissance, en susurrements sur des lèvres biseautées… »
Et d’entreprendre, et d’abandonner en foute (comme on le comprend)
« Le catalogue de nos tristes exploits
(où) la justice (fut) prise en flagrant délit de forfaiture
… car bien piètres sont nos moissons
depuis l’an de grâce
qui nous rendit maîtres de notre destin ».
Joachim, quand il prend cette voix, se fait chantre-témoin de toutes les déceptions, de toutes les nausées de nos fiascos politiques.
Cependant, Joachim n’est pas un dépressif. La nostalgie chez lui n’est jamais longue. Son optimisme foncier le fait rebondir. Il reprend le dessus à partir de la femme, de la danse, de la vitalité de l’Afrique éternelle. Mais il s’appuie aussi sur des repères, des « temps forts » comme ce beau texte qui évoque le Festival de 1966, et qui est à extraire ici pour l’hommage spontané et sincère qui y est rendu à L.S. Senghor.
« Dakar bleue d’émotion
contenue
à jamais marquée du signe
d’élection
grave et concentrée
sur nos multitudes accourues
de tous les lieux
de suprême repli, semblables
à de grands
nuages animés le long des
artères
où les filles aériennes laissent gazouiller leurs jambes
d’antilopes surprises par l’aurore.
Et piqué au cœur profond
de cette ville-cathédrale
bruissante
de cultes de flûtes et de
xylophones
de trompes et de sifflets
d’écorce de cris de guerre et de joie,
un enfant de Joal et de brûlante négritude
ébranlé par la spirale
du devenir
qui emportait tout autour
de lui
allait entonner les cantiques de
la grâce conquise
célébrer urbi et orbi
l’office de la résurrection
culturelle
et consacrer sa terre source
d’art
de beauté et d’avenir
franchissant ainsi l’ultime étape
qui le bascule à jamais dans
l’Olympe des dieux.
Et nos visages soudain
Transformés
pavoisaient comme aux beaux
jours oubliés…
Nous n’étions plus un peuple
de grands arbres
décimés et déjà nous sortaient
par tous les pores les
épluchures
de mort lente ingurgitée.
Explosaient
en nos entrailles les brouillons
d’hommes
tombés en panne, les livres de
bord
de l’adolescence
mangés par un déluge de rats
d’eau
et toutes nos avidités noyées
de trombes.
le plus grand de tous
les virtuoses
devint ainsi le chantre
de tout un Continent
maître absolu du verbe dont l’exploit et le message
enflamment
steppes et savants
et toute l’immensité aquatique
qui en répand l’écho aux
quatre coins de la terre.
Nous retournerons à Dakar et
à toutes ses gueules
tapées pour ressusciter
l’Agora grec
autour des griots diserts
d’hier et de demain.