Notes

MEMOIRE DE LA PLUIE de Charles Carrère, Euro-éditor – Luxembourg

Ethiopiques numéro 40-41

Revue trimestrielle de culture négro-africaine

Nouvelle série – 1er trimestre 1985 – volume III n°1-2

Très raffinés ces poèmes qu’un graphisme intelligent, vierge de virgules, met en valeur avec un rien de sophistication (chaque dernier mot d’un poème est le début du suivant qui se trouve sur l’autre page… on ne le comprend pas tout de suite, puis c’est un jeu).

Cette disposition savante compense une extrême simplicité du texte dans son lexique comme dans ses thèmes (la terre, la pluie, la sécheresse, la faim, la mère, la moisson, la poésie, l’espérance) .

C’est mélodique comme du Verlaine, et dansant comme du Léon Damas. Mais tout en économie, beaucoup plus diaphane, et avec parfois un clin d’œil à Birago :

« la pluie ».

rude

en rafale

serrée

paysans surpris

bêtes apeurées

enfants joyeux

la terre trempée

heureuse

Joyeuse

lumineuse

dans chaque grain de pluie

arc en ciel

dans chaque grain de mil

toutes les lueurs

étaient leurres ».

Je laisse aux professeurs la tâche de mettre à jour la science du rythme qui se révèle au cours de ces poèmes enfilés en chapelet et je préfère me laisser duper, griser, bercer par leur apparente naïveté, par ce débit de source, par les choses surgies à leur seule énonciation ; ces poèmes qui frôlent sans cesse le banal et le prosaïque, y échappent comme par miracle et je ne veux pas savoir si c’est grand art ou jonglerie. J’aime. Voilà tout.

« mes yeux sur ma mère

posent un regard de songe

ses mains lavent le poisson

épluchent l’ail

les oignons

coupent le gombo

son visage épouse la claire

lumière

du soir

que la bonté adoucit

tranquille

la cuisine a le calme

d’une chapelle

dans la paix hivernale

lourde

d’odeurs

d’encens

vespérales »

Et encore

« L’homme a méprisé

la terre

la terre méprise

l’homme

l’homme a négligé la terre

la terre néglige l’homme

la terre vie

la terre femme

l’amour pousse dans ses entrailles

il faut lutter

tous les jours

il faut aimer

l’amour

elle vous le rend

des lunes

des soleils ».