Philosophie

MORT ET ALTERITE : APPROCHE SOCIO-ANTHROPOLOGIQUE D’UN PHENOMENE INDICIBLE

Ethiopiques n° 74.

Littérature, philosophie et art

1er semestre 2005. Altérité et diversité culturelle

L’altérité, c’est ce qui est foncièrement autre. C’est ce qui, en d’autres termes, porte, du point de vue de l’imaginal, le symbole du « catégoriquement différent ». C’est ce « quelque chose », ce « machin » symboliquement construit, voire socialement institué afin d’intégrer l’autre que l’on n’aime pas, la « chose » gênante – l’être humain est parfois chosifié. Les tortures « blanches », l’esclavage et les persécutions juives dans les camps de concentration sont des exemples concrets -, l’élément un peu, presque pas ou pas du tout tolérable, dans le registre de la bestialité, de l’inhumain, du « culturellement pathologique », de l’impur, du presque rien, parfois du rien ou du non-sens total. La notion d’altérité nous interpelle tous. Ainsi mobilise-t-elle toute une gamme de représentations qui, au demeurant, la rendent plus « bavarde ». Ne peut-elle être appréhendée qu’au pluriel ? Domaine de l’imaginaire fondateur d’imageries, elle ne peut, semble-t-il, faire sens que dans une logique culturellement instrumentée de désintégration absolue sinon de néantisation désirée de l’autre. Plus précisément, il s’agit de nier l’autre. La perspective est celle du déni de la personnalité et de la présence de l’autre, individu, groupe, communauté, ethnie, afin de mieux gommer son essence en vue d’altérer son existence du « visage » social. Cette « politique » insolite de négation de l’autre a, sans aucun doute, conduit L.-V. Thomas à penser qu’il n’y a pas de mort plus abominable que celle qui consiste à ôter un peuple de ses principes identitaires [2].

D’ailleurs, comme le dit si bien l’auteur de l’ouvrage Anthropologie de la mort, « Nier l’autre…, ce n’est pas simplement refuser de voir en lui le prochain, ni même le semblable ; c’est surtout et encore : soit l’ignorer en traçant sur lui un trait comme s’il n’existait pas (ce qu’on pourrait nommer : conduite de transparence ou d’abandon), soit la réduire à la condition d’objet – chose ou animal – qu’on utilise (esclave, prolétaire exploité, objet de jouissance sexuelle), soit le détruire dans l’éroto-sadisme, la suppression froide de l’autre parce qu’il « gêne »), soit enfin l’assimiler (c’est-à-dire consentir à l’élever à notre niveau, le convertir pour se donner bonne conscience)…Afin de mieux exploiter l’autre (lui ravir ses terres, utiliser à bon compte sa force de travail, éventuellement jouir de ses femmes), il suffit de lui dénier le titre d’homme et de lui refuser le droit de nous ressembler… » [3]. Avons-nous coutume d’aborder ainsi la question de l’altérité ? Pour sortir des sentiers battus, afin de mieux faire économie des zones-frontières intellectuelles institutionnellement balisées, nous nous intéresserons au concept d’altérité vu sous l’angle de la mort et plus particulièrement sous le rapport dialogique, socialement entretenu, entre les vivants de l’ici et certains « vivants » de l’ailleurs absolu. Le cimetière, « monde », par excellence, de l’altérité, « cité » incontestable du mysterium tremendum selon l’expression de R. Otto, nous permettra de comprendre que parler de l’altérité, c’est-à-dire de l’autre ou tout simplement des autres, peut, dans une certaine mesure, nous amener à asseoir la « philosophie » d’une mort en fait définie comme « la reine des épouvantables » – l’expression est de Paul – et à mettre davantage la lumière sur la place des morts défaits, ces « existences » indésirées à qui la conscience collective attribue, souvent, « ce » pouvoir horrible – du moins symboliquement – d’indisposer la paix sociétale. Au travers d’entretiens que nous avons faits en milieu wolof sénégalais et de lectures d’ouvrages qui traitent des représentations sociales de la mort en général, nous tâcherons, par le truchement de la comparaison, aussi bien avec les sociétés africaines qu’occidentales, de montrer en quoi la mort et les morts, insérés dans le phylum social, donc dans la vie, peuvent mieux nous informer sur ce qu’est réellement l’Autre absolument.

 

  1. LA MORT : COROLAIRE DE L’ALTERITE

Parmi les êtres vivants, seul l’homme a conscience de sa mort à venir. C’est, semble-t-il, parce qu’il est la première créature vivante à enterrer son semblable qu’il est consacré, par la force de choses, un être d’humanité et de culture. Cet événement inévitable de la vie nous informe sur notre fin. Ainsi, la mort devient, comme le dit E. Morin, « ce trou aveugle absolument » [4]. Par rapport à la mort, circonstance annonciatrice de notre néantisation posthume possible, les hommes, d’une culture à l’autre, d’un moment historique à un autre, proposent un ensemble de pratiques rituelles à la fois culturelles et cultuelles – n’oublions pas que le rite permet de « négocier avec l’altérité » [5] en vue de transformer l’au-delà de la mort en une vie symboliquement éternelle pour mieux exorciser le trauma occasionné par l’angoisse devant l’issue fatale [6]. A ce propos, la faucheuse devient un mythe et les vivants tentent de la transcender en construisant une symbologie sociale au travers de laquelle le mourir passe pour être l’équivalent d’un passage à un au-delà qui rend permissif, dans un ailleurs imaginé, la désirable survie post mortem. Ce faisant, il est question, dans toutes les cultures, d’un « monde autre » (Hadès, Walhalla, paradis, enfer, « village-sous-la-terre » selon l’expression africaniste de L.-V. Thomas), pour rejeter, hors du cadre de l’humainement acceptable, « l’idée de la finitude de la vie » [7] C’est, sans aucun doute, cette attitude humaine devant la mort, celle qui consiste à refuser, par peur, de regarder la mort en face, qui a poussé P. Baudry à écrire cette belle et instructive formule selon laquelle « La mort la plus redoutable n’est sans doute pas celle dont on ne sait ni le jour ni l’heure, mais celle qui empêche de vivre chaque jour » [8].

Il suffit de convoquer un ensemble de représentations sociales mortuaires et une certaine ritualité funéraire à l’œuvre dans les sociétés aussi bien « modernes » que « traditionnelles », avec toute la mise en scène nécessaire, pour se convaincre de l’omniprésence malencontreuse de l’idée de mort dans nos consciences individuelle et collective. Mais faudrait-il savoir que, contrairement à ce que nous avons coutume de penser de l’action rituelle, elle ne favorise pas seulement l’humanisation de la mort. « A l’inverse, elle met en scène le refus culturel de la mort, ou disons plutôt le refus, essentiel à la culture, d’intégrer la mort » [9] Ce faisant, le déni de la mort devient une activité universellement connue. Ainsi, l’élaboration d’un système de régulation sociale se met en œuvre afin de rendre « vivable » la pensée de la mort. C’est ce désir humain de vouloir, à tout prix, renverser l’ordre naturel des choses, de transgresser les lois existentielles de cette « nuit dans la nuit » qu’est l’acte mortel, qui nous conduit à la classer, sciemment ou inconsciemment, dans la sphère de l’altérité. C’est dans cette perspective d’ailleurs que la mort devient l’ennemie la plus redoutable de l’homme et certains de nos « partis », de véritables « sauvages de la civilisation ».

1.1 De quelques représentations sociales de la mort

La mort rompt l’ordre social existant. C’est pour cela que les créatures humaines trouvent les moyens de pallier le désordre qu’elle introduit dans la société, chaque fois que le besoin se fait sentir. Une lecture de l’œuvre de Van Gennep sur le folklore français et de celle de L.-V. Thomas sur le rapport entre la culture et la mort en Afrique met en évidence un ensemble d’usages traditionnels superstitieux dont la vocation première est de se protéger contre les forces maléfiques et contagieuses de la mort. La mise en voile des miroirs et des surfaces brillantes pour éviter que l’âme du défunt qui se « voit » belle prenne le goût de rester dans la famille ; l’action de stopper les horloges et de réduire le bruit ; l’interdiction, en terre négro-africaine, de prononcer le nom de certains défunts ; le recours à la casse, au jet ou à la mise en feu de quelques objets appartenant à la personne défunte ou contenant ses viatiques [10] sont autant de pratiques symboliques socialement élaborées en vue de « domestiquer » la mort et de contenir la colère des défunts « mécontents » afin de leur signifier leur altérité [11] Cela est d’autant plus vrai que L.-V. Thomas, très critique à l’égard de l’idée souvent reçue d’une familiarité médiévale de la mort, se pose une série de questions qui ne sont, en réalité, que la mise en discours de l’équation fondatrice de la mort-finitude. Ainsi écrit-il :

« Si la mort n’était pas ressentie comme terrifiante, on ne comprendrait pas pourquoi, dans la plupart des ethnies, on n’en parle pas ou seulement en termes symboliques …On ne comprendrait pas non plus pourquoi on s’emploie si souvent à la conjurer par des noms protecteurs, des offrandes, des sacrifices, des prières et des amulettes. On comprendrait encore moins le foisonnement de croyances et de rites, qui, pour la rendre supportable, s’appliquent à l’apprivoiser, à la définir comme nécessaire et féconde » [12].

Cette pensée de l’auteur de La mort africaine ne fait que signifier davantage cette soif humaine de vouloir, quel que soit le prix, vaincre la peur de la mort. Autrement dit, face à la défaite devant la mort, les hommes, par l’usage de subterfuges, font comme si elle n’existait pas. Et cela, parce que tout simplement la mort renvoie hypothétiquement au numineux. « La puissance d’une agression humaine quelle qu’elle soit », dit Maffesoli, « repose en fin de compte sur l’acceptation de la différence, de l’altérité, c’est-à-dire de la mort de soi » [13]. Piégés par ce « commun-vouloir-occulter-la-mort », les êtres humains, dans leur volonté quotidienne « de mieux lutter contre le pouvoir dissolvant de la mort individuelle et collective », élaborent des discours sur le trépas afin de l’interdire de nous parler [14]. C’est essentiellement parce que nous avons peu de choses ou rien du tout à dire sur la mort qu’elle se présente en nous comme foncièrement autre. Ainsi que le dit P. Valéry, elle s’adresse à nous « d’une voix profonde pour ne rien dire » [15]. C’est dans ce sens-là d’ailleurs qu’elle devient énigmatique pour notre raison et bute la capacité réceptive de notre entendement embarrassé [16]

Toutefois, il faut comprendre que notre attitude devant la mort et le mourir n’est pas seulement l’apanage d’une peur incontrôlée vis-à-vis du néant et de l’inconnu. C’est aussi un des avatars d’une société technicienne, individualiste et « isolationniste » à l’excès, qui valorise le primat de la raison sur l’affectif, du solitaire sur le collectif. Ainsi deviendrait-on des homo clausus, ces « existants » de la solitude et de l’anonymat qui n’ont d’existence réelle que par rapport à leur capacité manifeste de refoulement et de privatisation de la « fin de la vie ». La mort passe pour être la mauvaise compagne, cet « accident », cette antithèse de la vie, qui ne fait pas de quartier et qu’il faudrait donc confiner « dans les coulisses de la scène sociale » [17].

Enfin, disons plus simplement que la mort donne de la puissance. C’est pour cela que certains morts font réellement peur parce qu’ils sont censés être doués d’un pouvoir contaminant. L’utilisation d’ossements ou de restes de cadavres pour jeter le mauvais sort à autrui afin de le rendre malade, de lui nuire ou de le tuer est une pratique courante à l’œuvre dans les sociétés « traditionnelles » où la magie noire est un fait connu et reconnu. C’est ce pouvoir indomptable et dommageable, aux yeux des hommes, qui est à l’origine de comportements d’évitement et de méfiance exacerbés vis-à-vis des morts et de leur environnement. C’est à ce propos d’ailleurs que les peuples d’Afrique des Grands Lacs prennent les défunts pour des ennemis. « On les évite, on s’écarte d’eux au plus vite ; on ne visite pas les cimetières, on ne regarde pas du côté d’une tombe. On se refuse à rassembler dans un cimetière les morts d’un village, de peur qu’ils ne se coalisent contre les vivants : chaque mort est enterré à part à côté desa case, dans la bananeraie familiale », dit A. Kashamura [18]. Cette attitude est très tendue si on la compare avec celle d’autres communautés humaines, mais elle reste une activité universelle. C’est ce qui explique le fait qu’aujourd’hui, même dans les pays techniquement les plus développés, l’action de toucher le corps d’un mort est gênante. Ainsi, le simple fait d’invoquer un cadavre peut faire l’objet d’une forte émotion [19]. Les hommes cherchent toujours à se séparer des défunts et surtout, par le biais de la purification. Partout, il est question de souillure contagieuse du cadavre transmise, symboliquement et selon les cas, par la médiation de l’effleurement, de la vue, ou de la « parole » [20]. C’est ce qui explique le lavage des mains de ceux qui ont participé à l’inhumation d’un membre de la collectivité, en milieu wolof. Une bassine pleine d’eau est installée devant le portail de la demeure mortuaire. Les fossoyeurs et les accompagnateurs y plongent leurs mains afin d’y « déposer » leur impureté funeste.Après ce rituel lustral, le produit est versé dans un trou à combler immédiatement ou sur un endroit peu fréquenté afin d’éviter qu’il soit piétiné par une personne étrangère. Le contact, par inadvertance, pouvant être contaminant.

Du point de vue de la signification, cette pratique rituelle ne s’éloigne guère de la cérémonie du « yinge bip-bip » des Sereer du Sénégal. Pour éviter que le mort sème la zizanie à l’intérieur de la communauté, les femmes du lignage ballottent, à tour de rôle, la couverture mortuaire en guise de séparation [21]. Une autre pratique de mise en silence du mort et de la mort fonde le rituel funéraire bëti. A côté de la chambre du trépassé – celui qui est passé au-delà – se trouve une marmite d’eau dont il faut se servir pour se séparer des souillures funèbres [22]. Dans la préface de l’ouvrage de J.-P. Bayard, Le sens caché des rites mortuaires, L.-V. Thomas nous décrit un usage rituel d’Europe Centrale semblable à celui des Bëti du Cameroun. Les endeuillés déposent près du mort un récipient d’eau pure chargée de « récupérer » les péchés du disparu. Cette eau sera ensuite versée avec une attention particulière [23].

La thanatopraxie occidentale, rite séculier de « nettoyage » des défunts, n’est rien d’autre que la transposition, dans la modernité, d’une activité rituelle purificatrice ancestrale. Dans ce cas de figure aussi, la purification de la dépouille, sous le prétexte de la recherche unique de l’hygiène, est le maître mot. Chez les Dogon, la mort est le moment à partir duquel la personnalité humaine commence à s’effondrer. Toutes les parties constitutives de la personnalité se dispersent dans l’atmosphère et se confondent au vent dont elles prennent les caractéristiques intrinsèques. « Le défunt n’a plus de graines ; il n’a plus d’eau ni de sang, il est éminemment « sec », et cette sécheresse caractérise aussi ce qui lui reste de « parole » ». Le kikínu, l’âme d’un défunt errant, devient incontrôlable et dangereux comme le vent. Ainsi passe-t-il pour être assimilé au vent à la démarche « incertaine », inconsistante et desséchante. Le mort dispose, dès lors, de la toute-puissance du verbe violent et dangereux dont il use pour se faire entendre. C’est pour montrer le caractère néfaste du verbe des morts que les Dogon l’assimilent à un tourbillon indomesticable. Dans sa « promenade », cette « parole » cause des dommages ou rend tout simplement malade. Comme le dit G. Calame Griaule, « elle a la forme d’un vent tourbillonnant, lorsqu’elle « se promène ». Le souffle des morts donne la migraine en bouchant le nez et les oreilles de leur victime. C’est pour cette raison d’ailleurs que tout discours conçu comme nul et avenu et provenant d’un interlocuteur que l’on ne veut pas écouter est assimilé au vent. Ce qui, en réalité, est une manière sociale d’assimiler la parole de l’autre au verbe néfaste des défunts » [24].

La mort dérange. C’est en cela que certains défunts « malveillants » sont socialement perçus comme entachés du sceau de perturbateurs de l’ordre social partout souhaité et deviennent, du coup, des « déviants ». C’est, sans doute, ce pouvoir que les sociétés reconnaissent à leurs morts qui a poussé R. Girard à dire qu’ « avec le mort, c’est la violence contagieuse qui pénètre dans la communauté et les vivants doivent s’en protéger. Ils isolent le mort, ils font le vide autour de lui » [25].

Ces exemples ne sont pas exhaustifs. Toutefois, ils permettent de comprendre que, si la fin de la vie fait peur et renvoie à l’obscène et au scandaleux, c’est parce qu’elle nous met en face de notre individualité épuisable [26].

Le cimetière, espace mythifié de notre environnement, symbole matérialisé de l’impensable qu’est le décès [27], nous aidera à mieux asseoir notre réflexion sur l’altérité de la mort.

 

1.2 Le cimetière, « monde » de l’altérité par excellence

Il s’agit de montrer le caractère ambigu de l’« habitat » consacré des morts qui, de façon symbolique, s’apparente à la traduction spatiale des rapports humains. L’espace des morts est ambivalent. Ce faisant, il suscite le fascinans et le tremendum, termes que nous devons à R. Otto. Tantôt il éblouit, tantôt il fait peur. Les cimetières wolof et occidental nous serviront d’exemples pour montrer en quoi la « cité des morts » est la « porte » d’accès à l’Ailleurs, ce monde imaginaire des « foncièrement autres ».

Si nous nous intéressons à la question des étymologies, nous nous rendons compte que le vocable de « cimetière » renvoie à la vie. koimêtêrion est le terme à partir duquel sont nés les vocables cimetière cimitero, cemitério, cemetery. Les Latins se servent du mot dormitorium (« dortoir ») pour désigner l’« habitat des morts ». Koimêtêrion, terme que l’on rencontre dans l’œuvre de Socrate, est une équivalence de « lieu où l’on dort », tiré de koimân (« dormir ») [28]. C’est en fonction de cette logique interprétative que, aussi bien en terre africaine qu’en Occident, les cimetières sont censés être la partie visible, matérielle de l’habitat invisible et inabordable des vivants du « village-sous-la-terre », comme le pensent les Africains, l’aire du grand repos, le lieu où se cristallise le silence éternel des « disparus » rendus invisibles par la nuit de la mort. Cette manière de se représenter cet environnement insolite n’est, semble-t-il, qu’un moyen détourné de canaliser humainement le traumatisme occasionné par la réalité de la mort biologique et certainement par la thanatomorphose, « ce je ne sais quoi qui n’a de nom dans aucune culture », selon l’expression de Bossuet. Le cimetière, par sa présence, traduit donc forcément, pour les humains, la mise en scène socioculturelle de l’action triomphale de la mort qui aura toujours le dernier mot. Espace « parleur » de « choses » lugubres, il est, dans le même temps, ce lieu autre qu’il faut rejeter à la périphérie des villes afin qu’il échappe au regard des hommes. Il semble d’ailleurs que « C’est précisément au moment où l’homme se soucie du « devenir immortel » pour reprendre l’expression d’Ettinger, que les morts deviennent encombrants et posent, aux urbanistes, de délicats problèmes. Jadis, en effet, dit L.-V. Thomas, les défunts reposaient pieusement au cœur de la cité… » [29]

Ces propos qui apportent la lumière sur l’esprit de banalisation et de désacralisation de la symbolique des cimetières d’aujourd’hui demeurent révélateurs. C’est par rapport à cet état d’esprit modernisant poussé à son paroxysme, d’urbanisation et de rénovation massives, qu’émergent, en Occident, des « cimetières parcs », des « cimetières forestiers ou paysagistes », des « cimetières jardins », des « cimetières immeubles », des « HLM de la mort », des « cimetières-tours » avec des ascenseurs, des « cimetières-musées », etc. Tous ces édifices, parfois extraordinaires, sont construits, par l’homme, pour mieux exorciser le démon de la mort-anéantissement. Toutefois, il faut comprendre que l’enjeu véritable de ces monuments est, paradoxalement, la quête de la quiétude des survivants, ces éternels battus du jeu mortuaire qui font usage de rites et d’actions ritualisées pour se détourner de la pensée de la mort, ennemie impitoyable de la vie, et de briser astucieusement le caractère macabre des cimetières traditionnels.

En société wolof sénégalaise, même s’il n’est pas d’usage d’installer les morts loin du centre des grandes agglomérations [30] afin de faire de leur demeure éternelle l’île de l’oubli, la coutume veut que la concession des défunts se situe au cœur du village, du quartier ou de la ville, soumise aux regards quotidiens des vivants du « village-sur-la-terre ». Elle n’est pas l’objet de dissimulation. Elle est, en quelque sorte, l’espace sauvage du symbole, l’aire indomestiquée où peuvent se déclencher, à tout moment, les forces obscures de la nature. Les Wolof considèrent, par ailleurs, le cimetière comme étant le domaine réservé du « numineux impur », l’endroit privilégié de repos des esprits difficilement domptables. Il faut porter ses chaussures à l’intérieur du cimetière afin d’éviter le contact avec l’impureté cadavérique du sol. Il est d’usage aussi, chez les Wolof, de ne pas jeter le regard sur la tombe, après l’inhumation. A la fin de l’oraison funèbre, l’assemblée retourne silencieusement dans la maison mortuaire pour présenter les condoléances à la famille en deuil. Il ne faut surtout pas fréquenter les cimetières à certaines heures de la journée et la nuit où se retrouver seul face au silence des morts et à l’écoute des âmes dangereuses est synonyme de risque. Ces moments coïncident au temps de la montée en puissance des forces numineuses maléfiques. C’est l’ensemble de ces représentations sociales culturellement déterminées qui font des cimetières le lieu le plus approprié pour la mise en application efficace et la réussite de certaines liturgies secrètes comme l’acte de sorcellerie [31], de « maraboutage », de magie noire ou de culte paranormal [32]. Un détour chez les Venda permet d’avoir une compréhension significative sur le bien-fondé de l’existence de cimetière-brousse. Dans cette communauté, la « brousse », comme le dit L.-V. Thomas, est la terre de l’inconnu, celle des « bébés-cosmiques » ou « bébés-eau » en Venda et celle des ancêtres.Elleest considérée aussi comme la superficie résidentielle des morts qui n’ont pas encore obtenu le statut d’ancêtres et les « revenants », à qui la société refuse d’office l’accession à l’ancestralité [33]. Dans cette perspective, il est naïf de croire que l’action de fleurir les cimetières rend cet espace muet et banal. Comme cela se passe en Occident, l’acte d’humanisation de la surface attribuée aux morts n’est que l’extériorisation non maîtrisée du vécu intime d’une société désolément en panne de rituels. P. Baudry, qui fait allusion aux cimetières parcs ou musées occidentaux, l’exprime bien en ces termes :

« Cette lourde pierre qui vient en lutte contre la putréfaction, cette pierre massive et lisse, est aussi une porte lourdement refermée sur celui dont on entend qu’il n’aille pas s’échapper de l’endroit où on l’enferme » [34].

Faudrait-il, néanmoins, tenir compte de la distinction entre le cimetière, « brousse » culturellement balisée, et la « brousse » tout court, espace sauvage de la nature destiné aux morts de mauvaise mort : ces défunts malheureux de la culture, souvent abandonnés, qui ne cessent pas de déranger le tranquille sommeil des survivants.

  1. LES « VIVANTS » INDESIRABLES DE L’AILLEURS ABSOLU

La mort, ce « dernier ennemi », s’oppose à la vie. C’est, en définitive, l’accident qui vient naturellement rompre le cours normal de la vie. Elle défie toujours le temps, notre temps, et installe dans notre cœur et au centre de notre quotidienneté ce qui fonde notre être. Nous existons véritablement parce que nous sommes des êtres de la finitude, des existants, c’est-à-dire des êtres-pour-l’instant. C’est l’événement du dés-ordre, le phénomène humainement fâcheux qui vient momentanément déconstruire la marche correcte de l’instant temporel. Ainsi, l’accident mortel appartient au domaine de l’innommable, voire de l’indicible, et charrie un désir universel pour les hommes de vouloir le vaincre. « La mort qui est irruption de l’au-delà dans le monde des vivants souille tout ce qui l’approche », écrit A. Stamm [35]. Se construit alors, socialement parlant, la réalité d’une opposition imaginaire entre la « bonne mort », celles des défunts « honorables » et la « mauvaise mort », celle dont sont victimes les « derniers » de la société, les défunts « exécrables », ces morts sociaux voués à la néantisation, c’est-à-dire à l’errance éternelle. Ce sont ces derniers qui nous intéressent dans le cadre de cette étude parce que, interdits d’être des ancêtres par décision sociétale, ils deviennent, symboliquement, les adversaires ennemis des vivants de l’ici. Pour corrompre le courroux de ces morts « méchants », l’action rituelle vient, au moment opportun, au secours des hommes afin que soit possible la séparation définitive avec ces morts socialement désavoués.

2.1 Les « vagabonds » du « village-sous-la-terre »

Dans toutes les sociétés, les défunts semblent refuser leur statut de morts aux vivants. Ils ne sont pas morts, ils sont partout, dit le poète wolof. C’est par rapport à cet état d’esprit, que certains qualifient, à tort, de traditionnel, que les Bakiga « vivent sous la crainte constante de la mort » et font du trépassé un étranger à la communauté. L‘esprit et le fantôme de ce dernier sont redoutés. Les morts n’étant plus en mesure de profiter, comme les vivants, des réalités du monde sensible, deviennent jaloux et s’opposent à la paix des membres de la parenté en les obligeant, en guise de vengeance, à se livrer à des activités sacrificielles ou en leur apportant des maladies [36] C’est en cela qu’ils deviennent de véritables « outsiders », c’est-à-dire des « criminels », si l’on s’en tient à la définition sociologique durkheimienne du terme [37] .

En milieu joolaa [38] , certains morts ne sont plus des membres à part entière de la société. Il s’agit du roi, des grands prêtres, du forgeron, du lépreux, du sorcier « mangeur d’âme » (asay), du fou, du suicidé, du noyé, du circoncis mort pendant la réclusion, du « fiancé qui construit sa case », de la femme enceinte, de la femme stérile, des « jeunes enfants » et de l’étranger dont le corps n’est pas rapatrié vers la terre natale [39] . Ces derniers « tyrannisent », car ils ne sont pas morts de mort naturelle, seule forme de disparition attribuable aux dieux qui, en principe, peuvent et doivent donner la vie et la mort.

Parmi ces morts « terroristes », nous choisirons de nous intéresser davantage à ceux-là dont le rejet est un phénomène social connu dans d’autres aires culturelles.

En pays wolof, deux types de mort provoquent l’horreur. Il s’agit de mort survenue dans des conditions catastrophiques : accident faisant apparaître du sang et suicide. Ces issues fatales socialement mal comprises violentent la communauté tout entière. Elles sont qualifiées de « vilaines » mort. C’est pour cette raison d’ailleurs que toute forme de mort qui a lieu dans des conditions atroces (accident de la route, assassinat, bagarres sanglantes) est souvent attribuée aux influences des génies malfaisants, aux comportements socialement déviants devenus pratiques courantes (fornication, crimes, adultère, etc.) et aux dëmm (sorciers anthropophages) » [40] .

Toutefois, nous précisons que les Wolof redoutent le plus le suicide et y recourent rarement. Ce fait semble, tout de même, se généraliser en Afrique noire où le taux de suicide reste, encore aujourd’hui, très bas comparativement au nombre de suicidés et de suicidants dans les sociétés occidentales. En Afrique, l’acte suicidaire est provoquant, scandaleux et monstrueux. Il est souvent lié à la faiblesse, à l’aliénation, à l’autarcie et au désespoir, phénomène courant dans les sociétés où il est question du primat de la conscience collective sur la conscience individuelle. Chez les Sar du Tchad, par exemple, les yo-mosa (« morts de sang », accidentés, morts par homicide, suicidés) sont jugés porteurs de souillure extrême au point qu’ils sont enterrés dans la clandestinité et leurs funérailles escamotées [41] . Comme les Wolof, les Ashanti de Ghana et de la Côte d’Ivoire, les Joolaa de la Casamance craignent certains suicidés plus dangereux qui passent à l’acte suicidaire pour embarrasser les survivants en usant de leur « force » posthume pour jeter le mauvais sort à la communauté. C’est le « suicide-vengeance » ou « suicide offensif » dont parle L.-V. Thomas, dans Mélanges thanatiques(1993), activité mortelle déjà repérée par M.D. Jeffrey pendant son séjour en Ouganda [42] . Cependant, même s’il faut reconnaître que les Africains n’aiment pas le suicide, il semble que certains d’entre eux craignent exagérément la mort au point qu’ils se livrent délibérément à cette « nuit dans la nuit » afin d’« aller au-devant d’elle » et d’éviter « de la laisser frapper à son heure [43] » . Toutefois, une lecture de l’œuvre de Lévi-Strauss informe sur la croyance, en Europe, en l’existence des morts « malfaisants et jaloux » que sont les suicidés, les tués ou les ensorcelés [44] . Le folklore européen aide à comprendre la prégnance sociale de ces représentations par rapport aux morts qui font peur.

Nous n’allons pas clore ce chapitre sans parler d’un mort spécial, une créature déjà morte dans la vie. C’est le fou, l’ahuy des Joolaa à l’esprit « gâté », qui n’a de funérailles que de nom. Les rites funéraires destinés à sa « mémoire » sont tronqués [45] . C’est dire que la situation du fou « (dof amul bopp (wolof)« sans tête ») ) n’est pas plus confortable en milieu joolaa qu’en pays wolof. Chez les Wolof, la place sociale du fou est désastreuse. Etre autour de qui et au travers duquel s’articule le numineux, l’aliéné mental accrédite le tremendum de la folie. Par le truchement de sa possession symbolique démoniaque, il est banni socialement. Pour les Wolof – les Joolaa aussi -, la folie est un grand malheur. « C’est le déjà-là de la mort », pour reprendre l’expression de M. Foucault [46] . Elle est le symbole humain du néant. Ainsi, son discours et sa « personne » sont logés dans le « tombeau » du nul et du non avenu, basculent dans l‘infernal et chaotique silence, mutisme intenable qui irrite la conscience divagante des vivants. La tête caractérise notre humanité. Dans cet ordre d’idées, perdre la tête est l’occasion par l’intermédiaire de laquelle son exclusion de la hiérarchie sociale est malheureusement signée. Le non usage des principes normés de ses capacités mentales entraîne la mort sociale, la pire des morts selon Socrate. Du coup, le fou de l’espace wolophone perd sa « personnalité » physique et morale, ce qui implique l’annulation de son âme vouée à la néantisation et la banalisation de son existence gênante et honteuse.

Toutefois, force est de constater que les « morts-bandits » ne sont pas souvent assez torturés. La communauté met en œuvre un ensemble de pratiques rituelles qui servent de bouclier contre la puissance maligne des mânes au caractère pernicieux. Une autre forme de violences symboliques que les êtres humains ne parviennent pas encore à canaliser.

2.2 De quelques usages rituels « domesticateurs » : pour la paix des vivants de l’ici.

On ne dira jamais assez que les morts et plus particulièrement les défunts sinistres empêchent de vivre. Telle est la leçon que nous avons apprise au cours de nos lectures thanatologiques et de l’expérience que nous avons eue lors de nos investigations en milieu wolof.

Les Joolaa chassent les morts avec des coups de fusil ou de pierres ; les Pygmées les font tourner en dérision en empruntant d’autres voies après l’inhumation dans le cimetière, les Haoussa effacent toute trace qui montre la présence d’une tombe [47] . A Madagascar, certains clans se séparent définitivement de leur mort en figeant au centre de la sépulture un piquet auquel les parents attachent une corde qu’ils tiennent aux mains. La rupture de la corde étant le signe de départ d’une course au travers de laquelle les membres de la parenté vont se cacher [48] . Chez les Dogon, la mort du prêtre (le hogon) est l’objet de pratiques insolites. Pendant la célébration de la levée du deuil (le dama), les rôles socioculturels des hommes et ceux des femmes sont inversés afin de permettre au sexe faible de se moquer de la mort [49] . Des pratiques plus « outragées existent et ont pour objectif de châtier violemment le cadavre de l’impie. Ainsi, chez les Sara du Tchad, les initiés qui divulguent les secrets de l’initiation sont abandonnés sans sépulture au moment où les Sakalava de Madagascar les destinent, en guise de nourriture, aux caïmans et les Karamojong d’Ouganda aux fourmis et aux hyènes [50] .

Pour conclure, nous soulignerons que de tout temps, l’omniprésence de la mort ne cesse de heurter notre conscience. Sachant que nous sommes des mortels, nous refusons l’issue fatale – sans jamais arriver d’ailleurs à la « tuer » – en empruntant la voie de la toute-puissance des rites ou du verbe. Les Africains parlent au mort afin de connaître les causes de sa mort (l’interrogatoire du défunt chez les joolaaest un exemple concret), alors qu’en Occident, les spécialistes du paranormal, nous pouvons même parler de « parascientifiques », nous apprennent qu’il est possible de dialoguer avec les chers disparus. L’ouvrage de F. Brune [51] sur la communication avec les morts est révélateur. C’est très certainement parce que ce dialogue s’installe difficilement que nos sociétés décident d’honorer les ancêtres, ces « beaux » et « illustres » défunts, en les opposant aux « mauvais » morts, ceux-là qui resteront des éternels morts.

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[1] Département de Sociologie, Université Ch. A. Diop.

[2] THOMAS, L-V., 1975, Anthropologie de la mort, Paris, Payot, p.59.

[3] THOMAS, L.V.,Anthropologie de la mort, op.cit.,p.60,1975

[4] MORIN, E., L’homme et la mort, Paris, Seuil, 1970.

[5] A propos du rite, voir A. Van GENNEP, Les rites de passage. Etude systémique des rites, Paris, A. & J. Picard, 1981 ; P. BOURDIEU, Langage et pouvoir symbolique, Paris, Fayard, 1982 ; 1982, « Les rites d’institution », in Actes de la Recherche en Sciences sociales, 43, p.58-63 ; W.V. TURNER, Les tambours d’affliction. Analyse des rituels chez les Ndembu de Zambie, Paris, Gallimard, 1972 ; J. MAISONNEUVE, Les rituels, Paris, P.U.F., 1988 ; L.-V. THOMAS, Rites de mort, Paris, Fayard, 1985 ; L. NDIAYE, « L’initiation : une pratique rituelle au service de la victoire de la vie sur la mort », in Ethiopiques, n°72, 2004, p.199-217

[6] ARIES, Ph., L’homme devant la mort, Paris, Seuil, p.13-167, 1977.

[7] 6 ELIAS, N., La solitude des mourants, Christian Bourgois Editeur, 1988, p.11

[8] BAUDRY, P., Une sociologie du tragique, Paris, Cerf/Cujas, 1986, p.186.

[9] BAUDRY, P., La place des morts, Paris, Armand Colin, 1999, p.66.

[10] THOMAS, L.-V., Rites de mort. Pour la paix des vivants, Paris, Fayard, 1985, p.177.

[11] Ibid., p.174.

[12] THOMAS, L.-V., La mort africaine, Paris, Payot, 1982, p.109.

[13] MAFFESOLI, M., L’ombre de Dionysios, Méridiens/Anthropos, 1982, p.119.

[14] THOMAS, L.-V., Mort et pouvoir, Paris, Payot et Rivages, 1999, p.9-10.

[15] A ce propos, la formule d’EPICURE est révélatrice : « Tant que nous existons, la mort n’est pas. Quand la mort est là, nous ne sommes plus ». Voir L.-V. THOMAS, Mort et pouvoir, p.15.

[16] « C’est en face de la mort que l’énigme de la condition humaine atteint son sommet. L’homme n’est pas seulement tourmenté par la souffrance ou la déchéance progressive de son corps, mais plus encore par la peur d’une destruction définitive. Et c’est par une inspiration juste de son cœur qu’il rejette et refuse cette ruine totale et ce définitif échec de sa personne. Le germe d’éternité qu’il porte en lui, irréductible à la seule matière, s’insurge contre la mort. Toutes les tentatives de la technique, si utile qu’elles soient, sont impuissantes à calmer son anxiété : car le prolongement de la vie que la biologie procure ne peut satisfaire ce désir d’une vie ultérieure, invinciblement ancré dans son cœur ». Voir J. POT, Mort à voir, mort à vendre, postface de P. Colin (« La mort aura-t-elle le dernier mot ? », Paris, Desclée et Cie, 1970, p.222.

[17] ELIAS, N., La solitude des mourants, préface de M. Deutsch, 1988, p.8.

[18] KASHAMURA, A., Famille, sexualité et culture, essai sur les mœurs sexuelles et les cultures des peuples des Grands Lacs africains, Paris, Payot, 1973, p.59.

[19] « N’est-il pas remarquable à cet égard que, de nos jours, encore, dans les sociétés techniciennes les plus avancées, la plupart des individus ne touchent pas volontiers à un corps d’homme mort ? De plus, il est manifeste que la présence d’un cadavre (et parfois même sa seule invocation) déclenche, sauf exception, une forte décharge émotive ». A. BARRAU, Mort à jouer, mort à déjouer. Socio-anthropologie du mal de mort, Paris, P.U.F., 1994, p.57.

[20] MAISONNEUVE, J., Les rituels, 1988, p.30.

[21] FAYE, L. D., Mort, Naissance : le monde sereer,Dakar, N.E.A., 1983, p.26.

[22] LABURTHE-TOLRA, Ph., Initiations et sociétés secrètes au Cameroun. Les mystères de la nuit, Paris, Karthala, 1985, p.199.

[23] BAYARD, J.-P., Le sens caché des rites mortuaires, Saint-Jean-de-Braye, Dangles, 1993, p.25.

[24] CALAME-GRIAULE, G., Ethnologie et langage. La parole chez les Dogon, Paris, Institut d’Ethnologie, Musée de l’Homme, 1987, p.86-89.

[25] GIRARD, R., La Violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972, p.380.

[26] THOMAS, L.-V., La mort aujourd’hui, Paris, Eds. du Titre, 1988,p.40.

[27] Il ne faut pas oublier que le terme de « décès » renvoie à l’idée de départ et donc de séparation.

[28] URBAIN, J.-D., La société de conservation. Etude sémiologique des cimetières d’Occident, Paris, Payot, 1978, p.239.

[29] 28 THOMAS, L.-V., « Vie et Mort en Afrique : introduction à l’ethnothanatologie », Ethnopsychologie, I, 1972, p.103-122. Voir, à ce propos, les écrits de Ph. ARIES, L’homme devant la mort, 1977, p. 309-316 et de J.-D. URBAIN, L’archipel des morts, Paris, Plon, 1989, p.233 ; deuxième édition Paris, Payot, 1999,

[30] « Aujourd’hui les cimetières urbains sont saturés (à Berlin-Ouest, il faut attendre six semaines avant de trouver place dans l’un quelconque des cent seize cimetières ; au Japon, seuls les membres de la famille impériale peuvent être enterrés à Tokyo ; à partir de 1985, et malgré ses 145 000 tombes, le cimetière d’Arlington à Washington ne pourra recevoir que les Présidents ou des médaillés militaires) ; et l’on parle de plus en plus de refouler les défunts à 200 kilomètres au moins des grandes capitales ». L.-V. THOMAS, « Vie et Mort en Afrique… », in Ethnopsycholigie, I, op. cit., p.103-122.

[31] CAMUS, D., Pouvoirs et Sorciers. Enquête sur les pratiques actuelles de sorcellerie, 1988, préface de L.-V. Thomas, p.9. « Le sorcier doit non seulement éviter les contacts avec les objets maléfiques, porter des habits protecteurs, utiliser de multiples amulettes ou talismans, dire les oraisons appropriées, écrire les signes protecteurs (le cercle, la croix qui relie les quatre points cardinaux…) mais encore doit-il fixer le sort en pratiquant la sorcellerie triangulaire, c’est-à-dire « utiliser un substitut sur lequel, en cas d’échec de leur action, le sort ira se fixer ». Ce qui implique la stricte observance d’un rituel : condition de temps (si possible lors de l’équinoxe et du solstice ; agir à l’aube pour le désenvoûteur, le soir pour le jeteur de sorts) ; de lieu (préférencepour les carrefours, les cimetières, les pièces bien closes) ; de manière (en rapport avec les principes magiques de contagiosité, de contiguïté, de ressemblance) ».

[32] BAUDRY, P., La place des morts. Enjeux et rites, Paris, Armand Colin, 1999, p.101.

[33] THOMAS, L.V. et LUNEAU, R., La terre africaine et ses religions, Paris, Larousse, 1975, p.249

 

[34] BAUDRY, P., La place des morts, 1999, p.99. A ce propos, voir aussi J.-D. Urbain, La société de conservation, 1978, p.252 et suiv.

[35] STAMM, A., Les religions africaines, Paris, P.U.F., 1995, p.50.

[36] 35 BAMUNOBA, Y.K. et ADOUKONOU, B., La Mort dans la vie africaine, Paris, Présence Africaine/UNESCO, 1979, p.29-31.

[37] DURKHEIM, E., en posant la question du crime dans « De la distinction du normal et pathologique », écrit : « Nous constatons l’existence d’un certain nombre d’actes qui présentent tous ce caractère extérieur que, une fois accomplis, ils déterminent de la part de la société cette réaction particulière qu’on nomme la peine. Nous en faisons un groupe sui generis, auquel nous imposons une rubrique commune : nous appelons crime tout acte (légalement) puni et nous faisons du crime ainsi défini l’objet d’une science spéciale… », 1937, Les règles de la méthode sociologique, Paris, P.U.F., p.47-75. Mais, c’est dans son ouvrage De la division du Travail Social que DURKHEIM propose la définition la plus éclairante de la notion de crime. Il dit : « …Un acte est criminel quand il offense les états forts et définis de la conscience collective », p.47-48.

[38] THOMAS, L.-V., Cinq essais sur la mort africaine, Dakar, Faculté des Lettres et Sciences humaines, 1968, p.303-309.

[39] Chez les Nuer, nous dit EVANS-PRITCHARD dans sa monographie, l’étranger est un ennemi.

[40] NDIAYE, L., La relation parenté / mort chez les Wolof du Sénégal, thèse de doctorat, Université de Franche-Comté, 2000, p.146.

[41] THOMAS, L.-V., « Leçon pour l’Occident : ritualité du chagrin et du deuil en Afrique noire », in T. NATHAN et coll., Rituels de deuil, travail de deuil, Rhône-Alpes, La Pensée sauvage, 1995, p.24.

[42] JEFFREY, M.D., « Samsonic Suicide or Suicide of Revenge among Africans Studies », London, 1957, cité par L.-V. THOMAS, 1993, op. cit., p.172.

[43] BAMUNOBA, Y.K. et ADOUKONOU, B., op. cit., p.29.

[44] LEVI-STRAUSS, C., Tristes tropiques, Paris, Plon, 1955, p.269-270.

[45] THOMAS, L.-V., op. cit., p.306.

[46] FOUCAULT, M., Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972.

[47] THOMAS, L.-V., 1968, op.cit., p.39.

[48] DECARY, R., Mœurs et coutumes des Malgaches, Paris, Payot, 1951, p.254.

[49] THOMAS, L.-V., 2000, Les chairs de la mort, Paris, Sanofi Synthélabo, p.182. Voir aussi G. CALAME-GRIAULE, Ethnologie et langage, op. cit., p.299-300.

[50] MAERTENS, J.T., Le jeu du mort, Paris, Aubier Montaigne, 1979, p.12-14.

[51] BRUNE, F., 1993, Les morts nous parlent, Paris, Félin, 369 p.