Islam et littérature

L’ISLAM ET LA FEMME SENEGALAISE

Ethiopiques numéros 66-67

Revue négro-africaine

de littérature et de philosophie

1er et 2ème semestres 2001

Au Sénégal comme dans la plupart des pays sous-développés, la reli­gion occupe une place centrale et a tendance à régir toute la psycholo­gie collective. Ainsi la recherche en sciences sociales accorde une place primordiale à la compréhension de son impact sur les relations inter-­individus. Les crises d’ordre économique, morale et surtout d’identité, contribuent à faire de l’Islam, une religion en pleine expansion. Les ten­tatives nouvelles de définir la foi sont au cœur du débat intellectuel pour beaucoup de Sénégalais ; par conséquent le statut de la femme avec ses corollaires comme l’avortement, la planification familiale, la question du divorce, la polygamie… n’échappent pas à la réflexion éma­nant de milieux aussi bien religieux que féministes. Pourquoi l’impor­tance de ce débat et où réside son intérêt ?

La société sénégalaise, à l’instar de ce qui se passe dans beaucoup de pays africains, est en pleine mutation. La crise économique ainsi que celle des valeurs projettent la femme au devant de la scène. Elle se situe au cœur du débat sur la modernité, la citoyenneté au Sénégal. Elle revendique plus d’instruction, plus de place dans les sphères de décision et une application intégrale de l’option démocratique par notre pays. Seulement pour freiner son élan, on invoque souvent les textes sacrés. Afin de combattre la manipulation, les femmes se mettent à l’école de l’exégèse coranique pour trouver des arguments allant dans le sens de l’égalité des droits. Peut-on par exemple, à partir des textes, combattre la polygamie, justifier l’autorité parentale ? Dans quelles conditions, une musulmane peut-elle s’adonner à la contraception ou à l’avortement, sans entrer en contradiction avec sa foi ?

Les femmes sont, aujourd’hui, en mesure de démontrer que la ten­sion qu’on essaie d’entretenir entre les forces de modernisation assi­milées, à tort ou à raison, à une tentative d’occidentalisation et un conservatisme d’essence musulmane, peut ne pas avoir de bases solides car :

– le Coran avait donné à la femme, à l’époque, un statut juridique supérieur à celui des autres femmes dans le monde ; – son sort varie d’un pays musulman à l’autre ; – jusqu’au milieu du XXème siècle, les modes de vie dans les pays occi­dentaux n’étaient guère différents. Seule la mobilisation des femmes a fini par faire la différence.

– Enfin, dans le difficile combat pour l’émancipation, la cible des musulmanes est moins la religion que les structures sociales et mentales sclérosées. Une exégèse des textes à la lumière de l’évo­lution s’avère comme un impératif d’où l’importance de l’Ijtihadj ou effort d’interprétation personnelle.

Avant d’en venir à l’objet de notre étude, l’Islam et le statut de la femme, il serait intéressant de définir très rapidement les contours de l’islamisation au Sénégal. Pour un meilleur éclairage des changements introduits par l’Islam, on évoquera la place de la femme en Afrique pré­coloniale. La dernière partie sera consacrée aux mutations.

I – SURVOL DE L’ISLAMISATION DU SENEGAL

L’Islam, comme le Christianisme, est une religion à vocation missionnaire. Son fondateur Muhammad (570-632), a imposé à tous ses disciples et donc à la communauté (la Umma) tout entière, le devoir de propager « la Vérité » et de convertir les infidèles.

L’islamisation de l’Afrique du Nord ayant été le résultat de la grande conquête arabe (VIIème – VIIIème siècles), celle de l’Afrique au Sud du Sahara s’est faite selon un tout autre schéma. L’Islam y est d’abord introduit par le biais du commerce transsaharien et restera très long­temps au niveau d’une certaine élite urbaine et de la cour royale.

Mais, dès le milieu du XIème siècle, les Berbères conquirent l’Empire du Ghana et c’est la première percée réelle de l’Islam sur les bords du Fleuve Sénégal. L’Islam apparaîtra, non comme une frontière mouvan­te des conversions des masses dans une zone continue mais plutôt comme une série d’enclaves urbaines dans les centres de commerce et du pouvoir politique tandis que les populations étaient très peu tou­chées ; il faudra attendre la deuxième moitié du XIXème siècle et le début du XXème siècle, pour que face à la pénétration coloniale, les différents mouvements religieux (omarien, l’expansion des confréries) contri­buent à la pénétration de l’Islam auprès des masses populaires. Aujourd’hui, ces confréries sont concurrencées, (surtout sur le plan idéologique) par les mouvements intégristes d’obédience iranienne (donc shi’ite) ou saoudienne (wahhabite, certes sunnite mais de l’école juridique la plus rigoriste : les hanbalites). Ce phénomène aura des conséquences à long ou moyen terme sur le statut de la femme.

II – STATUT DE LA FEMME SENEGALAISE ET SON EVOLUTION PENDANT LA PERIODE PRECOLONIALE.

Lorsqu’on aborde l’évolution de la situation de la femme sénégalai­se, on se rend compte qu’elle obéit aux transformations subies par la société soudanaise entre le XIème siècle et le XVlème siècle ; cette période est caractérisée par les différentes phases d’Islamisation avant la péné­tration coloniale.

IIème – Xème siècles – La puissance politique dominante au Soudan était l’Empire du Ghana. Le Rôle de la femme y paraît essentiellement politique et ceci par le biais de la succession matrilinéaire. Ce phénomène a été mis en évidence par El Bekri lorsqu’il écrit à propos du Ghana que : « Chez ce peuple l’usage et les réglementations exigent que le roi ait pour succes­seur le fils de sa sœur ; mais il ne peut être assuré que celui qu’il regarde comme son propre père le soit réellement » [2]. C’est là, un des fondements de la thèse de Cheikh Anta Diop sur le matriarcat. Pour l’auteur de l’Afrique noire précoloniale, la femme africaine avait, historiquement, beaucoup plus de liberté et jouait un rôle politique décisif avant l’intro­duction des conceptions patrilinéaires introduites par l’Islam et la coloni­sation. C. A. Diop définit le patriarcat comme une structure dans laquel­le la femme quitte sa famille pour fonder une nouvelle avec son mari. Inversement, lorsque la structure sociale est telle que l’homme qui se marie quitte son clan pour aller vivre dans celui de sa femme, on est en présence d’un régime fondé sur le matriarcat. Or le premier n’est conce­vable que dans la vie nomade et le second que dans la vie agricole ; c’est dans le cadre des communautés agraires, sédentaires, que la femme peut apporter une contribution appréciable à la vie agricole. Même s’il faut émettre quelques réserves sur le matriarcat, il faut admettre qu’il accor­dait une place réelle à la femme.

Le système matrilinéaire est certes un système de pouvoir transmis par les femmes, mais si les femmes transmettent tous les droits, elles n’exercent le pouvoir qu’à travers leurs fils ; elles n’ont de pouvoir qu’en qualité de mères des rois. Avec le développement des activités écono­miques, le système matrilinéaire est remis en cause au profit du patri­linéaire. En outre, il apparaît que chez les Diolas de la Casamance par exemple, où le système patrilinéaire est en vigueur, la femme exerce plus d’influence politique, sociale et économique que la femme sereer qui appartient pourtant à une société au mode de transmission matrilinéaire.

A partir du XIème siècle, un fait historique allait bouleverser la socié­té africaine : la révolution almoravide qui a voulu imposer un Islam pur et par-là une autre vision des rapports homme-femme tendant vers un abaissement du rôle de la femme.

III – INFLUENCE DE L’ISLAM SUR LE STATUT DE LA FEMME SENEGALAISE

A – Situation d’ensemble

L’Islam au Sénégal est dominé par son caractère confrérique qui n’exclut pas une dichotomie entre un Islam populaire et un Islam d’éli­te. Les visages multiples de l’Islam sénégalais se répercutent sur le sta­tut de la femme.

A côté des différentes confréries se réclamant du soufisme, il existe des mouvements fondamentalistes assez diversifiés localisés au niveau de groupes d’intellectuels qui n’ont pas pour le moment un impact réel sur les masses populaires. Mais tout d’abord, qu’est-ce que le soufisme ?

D’après Henri Corbin : « le Soufisme comme témoin de la religion mystique en Islam est un phénomène spirituel d’une importance inappréciable, c’est essentiellement la fluctuation du message spirituel du prophète, l’effort pour en revivre personnellement les modalités, l’introspection du contenu de la Révélation coranique ». Le Soufisme néces­site dans le détail, une technique qui varie selon les confréries : le Zikr ne s’effectue pas partout de la même manière ni le fait de franchir les différentes étapes ou daraja. Au Sénégal, aucune femme n’est fondatrice de confrérie mais le rôle de mère du fondateur est toujours mis en exergue (nous y reviendrons). Gravir les échelons de la part d’une femme dans toutes les confréries du Sénégal est une véritable gageure : sauf peut-être dans la confrérie qadrya où on trouve certaines femmes Cheikh mais aussi « Cheykal » ne signifie pas initiation à tous les secrets de la confrérie. Le problème de la souillure éloigne souvent la femme du Coran, lui complique la pratique du Zikr (sauf pour les femmes ayant atteint la ménopause). La femme acquiert d’une manière généra­le une éducation religieuse peu approfondie. Sa pratique répond beau­coup plus à l’émotion, ce qui l’expose encore plus à l’obscurantisme.

Il est évident que chaque confrérie a sa manière de traiter la femme même si on considère que les sources dont elles se réclament sont identiques.

Pour mieux comprendre les ambiguïtés qu’on trouve dans l’Islam vis-à-vis de la situation de la femme, il faut savoir que les préceptes de l’Islam se basent non seulement sur le Coran (Parole de Dieu) révélé dans un langage poétique et symbolique (ce qui se laisse la place à l’exégèse) mais également la Sunna du prophète modèle de comporte­ments normatifs, ainsi que les dires du Prophète : Hadiths transmis par ses compagnons, les membres de sa famille, notamment sa veuve Aïsha.

En plus de ces deux sources principales, il y a les interprétations, les branches qui en sont issues (sunnite, shi’ite, kharidjïte), les écoles qu’elles fondent (shafei’te, hanaffite, hanbalite et malékite). Les musul­mans sénégalais, dans leur immense majorité, sont sunnites et de rite malékite. Quelles sont les normes islamiques qui ont un impact réel sur le rôle et le statut de la femme. Il y a d’abord :

B – La valorisation du mariage et de la notion d’obéissance

Le Coran incite tout musulman à se marier et à fonder une famille : « de toute chose, nous avons fait un couple. Puissiez-vous vous en sou­venir », rappelle le Coran (S. 51, V. 49). Il n’existe pas de célibat religieux instauré en Islam. Ainsi chez certaines ethnies (Haal Pulaar), cela signifie souvent un mariage le plus tôt possible, parfois avant la puber­té. Certaines confréries célèbrent des mariages symboliques dès le jour du baptême : c’est l’exemple des Layènes et il est fréquent de voir au Sénégal des dignitaires religieux épouser des dizaines et des dizaines de femmes. Les mariages, comme les contractait le Prophète, avaient plutôt pour but : l’élargissement de son réseau de relations ; le marabout cherche t-il par-là, à l’imiter ? Il est fréquent au Sénégal de voir un marabout accepter sous forme de hadiya (cadeau) une femme, de la part d’un talibé.

Aujourd’hui la fonction de mariage est de plus en plus remise en cause : la crise économique avec le rôle de l’argent, l’école, l’urbanisation accélérée modifient sensiblement les comportements des jeunes vis-à-vis de cette institution. C’est ainsi qu’on note un nombre assez élevé d’unions libres (surtout entre Européens et jeunes Sénégalaises).

Mais malgré tout le mariage est une véritable hantise au Sénégal, ce qui explique le nombre de jeunes couples vivant sous la coupe de leurs parents.

En plus le mariage est beaucoup plus considéré comme une allian­ce entre familles qu’un choix individuel. Pourtant, si on lit les textes, l’approbation de l’individu est obligatoire. Un fait demeure, cependant, important dans l’Islam, il s’agit de l’interdiction des relations sexuelles hors mariage. Ainsi la mise en exergue de la virginité de la femme est restée pendant longtemps, au Sénégal, une question d’honneur. Le fait de rester vierge a eu, jusqu’à une période encore récente, des consé­quences sur le taux de la dot ; ne pas l’être peut être, encore, cause de divorce en milieu rural.

Qu’en est-il de l’obéissance de la femme à son mari (son père, tuteur ou frère), la manifestation de la subordination de la femme à l’homme ; les Hadiths, dans ce domaine, sont nombreux. Dans la société wolof, l’obéissance se traduit par ce fameux : « ligeey y ndey añu dom ». Une croyance avérée dans notre société selon laquelle l’enfant est le reflet du comportement de sa mère vis-à-vis de son père surtout et de la société. Ainsi les mères de fondateurs de confréries, Mame Diarra Bousso, Sokhna Safiétou Niang sont devenues des figures de légende au niveau des couches populaires, chez les talibés. Que d’histoires Qissa) sur les mères des guides religieux, portant sur leur abnégation, leur stoïcisme, leur générosité, leur patience (Muñ) fait-on circuler au Sénégal ? Cette vision s’élargit à toutes les femmes qui ont mis au monde des personnalités importantes, des hommes et femmes qui ont plus ou moins réussi leur vie : ainsi la mère de Senghor n’a pas échappé à ce phénomène. Le « ligeey u ndey » a été pendant très longtemps, l’expression de la domination de l’homme sur la femme, au Sénégal. L’avenir du rejeton a toujours été brandi pour faire endurer à la femme, les injustices au sein du ménage et face à la belle-famille.

Mais, avec les mutations, on observe que les enfants des parents pauvres réussissent moins. Les femmes des quartiers populaires, épouses d’hommes sans ressources, de déflatés de la fonction publique, deviennent les mères de délinquants de petits dealers. Elles ont souffert avec leurs maris polygames, incapables de subvenir aux besoins de la famille, souffrent pour leurs enfants qui ont quitté l’éco­le depuis très longtemps et qui sombrent dans le chômage chronique. Il faut l’admettre, que seules les personnes qui ont les moyens, qui vivent des ménages stables peuvent encore offrir à leurs enfants de réelles conditions de réussite.

C – La valorisation de la maternité

Le rôle de la maternité est sur valorisé dans l’Islam : « Coïtez et procréez : je tirerai gloire dans votre nombre le jour du jugement der­nier » s’exclame l’apôtre de Dieu. Cette formule est reprise par l’Imam Ghazzali.

Le fait d’avoir un grand nombre d’enfants, surtout de sexe masculin est une véritable obsession dans les milieux populaires. Le nombre d’enfants augmente dans certains milieux le prestige de la femme qui peut l’utiliser pour se maintenir dans son ménage ou rester dans la maison conjugale même divorcée ou obtenir une pension substantielle. Cette obsession pour procréer s’explique par le fait que le nombre élevé d’enfants est déterminant dans les questions d’héritage.

La stérilité, la mortalité infantile et périnatale des mères, les fausses couches sont de réels problèmes pour les politiques de santé. La sco­larisation, l’éducation, l’amélioration du niveau de vie ne constituent pas encore des facteurs déterminants pouvant contribuer à faire évo­luer la situation et à faire accepter à la société entière les bienfaits de la planification familiale.

D – Divorce et polygamie

On ne peut pas imputer à l’Islam d’encourager le divorce et la polygamie, même en se limitant à une lecture superficielle des textes et malgré l’acceptation de la répudiation. Le Prophète a tenté de les limiter.

La polygamie pendant très longtemps et encore de nos jours en milieu rural a été considérée comme un phénomène positif. Effectivement, elle a permis aux femmes de partager les lourdes tâches ménagères. Seulement, la polygamie, surtout en milieu urbain, s’avère comme une menace et une source d’insécurité pour la femme et ses enfants.

Comment explique t-on cette recrudescence de la polygamie même dans les milieux intellectuels épargnés, jusqu’à une certaine période ? Les femmes pour qui le célibat, demeure une véritable hantise – elles conçoivent difficilement leur vie sans mari – sont les premières à faire l’apologie de la polygamie, même en cas d’indépendance économique. Pourtant les pères de famille, avec l’approfondissement de la crise éco­nomique, ont de plus en plus de mal à prendre en charge leur progéniture et renoncent à leur rôle de chef de famille. Le Code de la famille, dans son application protège de moins en moins la femme ; il serait intéressant de connaître le taux de ménage monogames à l’origine qui se sont transformés en ménages polygames : les femmes se résignant sous la pression sociale, d’aller en justice.

En milieu urbain : la polygamie est devenue un véritable fléau social.

Il n’est pas rare de voir dans une petite maison des HLM, de la SICAP s’entasser 2 à 3 femmes avec leurs enfants. Les conséquences sont graves pour leurs enfants, leur avenir. Nous pensons qu’il faut mener une réflexion sérieuse sur la polygamie et ses conséquences, au moins.

La polygamie et le divorce sont deux éléments de la culture qui peu­vent présenter pour les femmes, une source d’insécurité. Le Code de la famille n’a pas complètement aidé à l’éradication de la répudiation.

De nos jours, le discrédit entourant le statut de divorcé a beaucoup diminué en raison de l’éducation et des changements survenus dans la structure familiale (les couples arrivent parfois, malgré le nombre d’obstacles à s’individualiser). Les veuves sont encouragées à se rema­rier : les pratiques du ubële (le fait de prendre comme épouse, la sœur de la défunte pour le veuf) ou du « donn » (épouser la veuve du frère défunt ou de l’ami défunt) sont encore vivaces.

Toutes ces pratiques (polygamie, donn, ubële…) relèvent de la valo­risation du mariage, le fait de donner à la femme, « être mineur » un tuteur, trouvent leurs justifications dans le Coran et les Hadiths. Il est vrai que dans les mêmes textes, on trouve des éléments pour améliorer le sort de la femme comme la suppression de la répudiation, l’élimina­tion de la polygamie dont les conditions définies par ces textes sont dif­ficilement réunies sur le plan économique. Seulement le taux très élevé e l’analphabétisme chez les populations féminines, rend, encore plus hermétique, le message coranique qu’il faut surtout replacer dans son contexte historique et culturel.

L’accessibilité des textes dans nos langues, leur interprétation allant dans le sens d’améliorer le sort de la femme sont nécessaires pour per­mettre à la Sénégalaise, une meilleure connaissance de ses droits. La réflexion islamique est très avancée dans certains domaines ; ce qu’il faut faire ressortir.

E – Héritage et responsabilités financières

Lorsque l’Islam introduisait au 7ème siècle, le droit des femmes à l’hé­ritage, la femme dans la société africaine, bénéficiait d’un statut éco­nomique relativement enviable. Elle serait, même à l’origine de l’agri­culture. Héritière de cette double culture, le rôle de la Sénégalaise sur le plan économique ne lui confère pas la place qui lui revient en tant qu’agent du développement. Quelles sont les dispositions de la loi Islamique en matière d’héritage et de responsabilités financières ?

Pour ce qui concerne l’héritage, les lois islamiques sont assez com­plexes, mais généralement, les filles héritent la moitié de la part des gar­çons. Selon la Shari’a, même si la femme possède quelques biens, elle n’est pas obligée de dépenser son argent pour l’entretien de la famille, il revient à l’homme de prendre en charge sa famille. Aujourd’hui quel est l’impact de la crise économique sur cette disposition ? A combien s’élè­ve le nombre de femmes responsables de famille ? La loi Islamique à ce niveau relève du domaine de la discrimination sans tenir en compte l’évolution économique et sociale et pourtant, cette disposition est reprise par le Code sénégalais.

Les facteurs de modification des responsabilités financières des femmes sont les suivants :

– La migration des hommes. Dans une région comme celle du Fleuve Sénégal, le départ des hommes vers des contrées lointaines a entraîné des transformations profondes dans les structures fami­liales et sociales. Le rôle et le statut de la femme se transforment : elle bénéficie d’une relative liberté et de possibilités décisionnelles accrues. Même si le mari revient, cette situation a un impact sur l’évolution du statut de la femme ; elle a appris à gérer le budget familial, à s’organiser dans des associations de femmes, exercer une autorité réelle sur ses enfants. Mais la charge de travail des femmes augmente : il est impératif d’aider les femmes à faire face à cette nouvelle réalité avec des programmes d’alphabétisation, de formation (en tant qu’agricultrices, etc.)

– Le chômage : avec les politiques de rigueur menées par le FMI et la Banque mondiale, on note au Sénégal la fermeture d’un nombre accru d’usines, une augmentation de déflatés ; beaucoup de pères de famille perdent leur emploi. La femme qui depuis très longtemps s’est investie dans le secteur informel devient l’unique soutien de famille. En matiè­re de responsabilités financières, on peut conclure qu’il existe un déphasage réel entre le contenu des textes et la réalité quotidienne déterminée par les conditions économiques. L’Islam, au-delà des questions économiques, intervient sur d’autres aspects comme la tenue ves­timentaire. Le corps des femmes relève à la fois du domaine public et privé. L’importance de leur image fait que leurs apparences – beauté, tenue, vêtement – sont l’objet d’un enjeu.

IV – AUTRES VALEURS IMPORTANTES POUR L’ISLAM

A- La tenue vestimentaire

L’Islam recommande aux femmes, comme aux hommes d’ailleurs, une tenue vestimentaire décente. Malgré la richesse du patrimoine sénégalais dans le domaine esthétique, on voit de plus en plus, en milieu urbain, des Sénégalaises arborant le voile arabe.

A ce niveau, on ne peut que respecter la liberté des individus ; seu­lement il faut contribuer à mettre en exergue nos valeurs culturelles, nos tenues vestimentaires qui n’ont rien d’indécent et insister sur le fait qu’islamisation ne signifie pas arabisation.

B- Éducation

L’Islam ne s’oppose pas à l’éducation des femmes, même si on déplo­re le faible taux de scolarisation des femmes. La précocité du mariage, sa valorisation, la participation de la fille aux travaux ménagers ont constitué pendant très longtemps des freins à l’éducation des filles. La souillure a éloigné, très tôt, la jeune fille du Coran et des textes d’une manière générale ; ce qui explique la maîtrise médiocre de la femme des textes islamiques.

Les filles fréquentent l’école coranique en milieu rural comme en milieu urbain généralement avant l’âge de 7 ans (moment d’aller à l’école) – mais leur participation aux travaux ménagers limite leur assi­duité à l’enseignement.

Aujourd’hui, l’éducation des filles surtout en milieu urbain a fait de grands progrès : les femmes accèdent au plus haut niveau d’instruc­tion, mais puisque l’éducation religieuse ne fait pas partie des pro­grammes, c’est un domaine qu’on a tendance à laisser entre les mains des exégètes locaux qui donnent une interprétation souvent très conservatrice des textes, les femmes continuant à ignorer le contenu réel du message coranique.

Pourtant, on remarque la soif de connaissances des femmes en reli­gion : elles sont les plus grandes promotrices et organisatrices du « gammu » qui est une forme d’éducation initiée par les confréries. En général, les thèmes qui y sont développés portent rarement sur les droits des femmes, mais plutôt sur la vie du Prophète.

C – Santé et sexualité

Le problème de la santé est souvent lié à l’hygiène aux conditions sanitaires. L’Islam encourage à respecter un niveau élevé d’hygiène (cf. les nombreuses ablutions et bains rituels).

Cependant, il existe quelques problèmes de santé liés aux coutumes et traditions qui ne trouvent pas toujours « leurs justifications dans l’Islam », c’est le cas de l’excision qui est antérieure à l’Islam et aurait une origine africaine (Exemple en Egypte : aujourd’hui les musulmanes comme les coptes y subissent l’excision). Pratiquée par une minorité de Sénégalais (Hal Pulaar, Soninké), il est possible par l’éducation et la persuasion, d’éradiquer l’excision. Aujourd’hui, il est de plus en plus question de légiférer contre l’excision.

Quant à la planification familiale, l’Islam ne s’y oppose pas de façon explicite car il est admis le principe de la jouissance sexuelle n’ayant pas pour objet la procréation mais dans les limites du mariage. L’échec de la planification familiale au Sénégal est surtout à chercher du côté de l’analphabétisme des femmes, la rivalité entre co-épouses (dans le système de la polygamie), le nombre des enfants étant déterminant pour l’héritage (après le décès du père de famille). Mais de nos jours, cet argument se fragilise, en raison des conditions économiques difficiles qui donnent peu de chances aux pères de famille d’accumuler des richesses.

Il faut insister sur les autres facteurs socio-économiques : l’apport de l’enfant aux travaux domestiques et champêtres. Seulement, les dif­ficultés du monde rural entraînent l’exode vers les grandes villes comme la capitale, Dakar, avec tout ce que cela comporte comme conséquences négatives.

Quant à l’IVG, elle trouve des résistances au sein des musulmans parce qu’elle équivaudrait à l’assassinat sauf en cas de nécessité, par exemple lorsque la vie de la femme est en danger. Pourtant, l’Islam ne peut pas ignorer les mutations qui, sous l’effet de facteurs conjugués, sont en train de s’opérer.

V – ISLAM ET MUTATIONS SOCIALES

Les Sénégalais comme la plupart des populations africaines sont confrontés à une grave crise économique. L’absence de perspectives aussi bien sur le plan économique que sur le plan politique, a appro­fondi ou entraîné la crise des valeurs et des références sur le plan cul­turel : le retour aux sources de la tradition africaine et l’émergence d’un fondamentalisme religieux sont, parmi, les réponses préconisées, même s’il existe une autre voie qui est en train de s’affirmer, le respect de la démocratie et des droits de l’homme.

A- Le discours fondamentaliste

Le discours est apparu avant l’indépendance du Sénégal avec l’Union Culturelle Musulmane (UCM) dirigée par Cheick Touré. Dès sa naissance l’UCM opta pour l’Etat islamique, l’instauration de la Shari’a et une critique de l’Islam confrérique. A partir des années 70, l’UCM perd son caractère de mouvement islamique de réforme indépendant. Mais avec la crise économique, les années 80 voient émerger un certain nombre de mouvements, d’associations (Al Fellah, Wahda, CERID) pas toujours identifiables qui sont financés par les monarchies pétrolières du Golfe comme l’Arabie Saoudite. Ce discours qui a cherché à se matérialiser à travers la création d’un parti le PLDI, tend plutôt vers l’essoufflement. Cette situation est liée à la tournure prise par la guer­re du Golfe, les déceptions issues de la tenue du sommet de l’OCI à Dakar, mais aussi le lourd passif relevant de la situation en Algérie.

Aujourd’hui, l’avenir du fondamentalisme est assez incertain au Sénégal : quelle sera son évolution ?

Un des objectifs majeurs de tout mouvement fondamentaliste demeure le maintien de l’ordre patriarcal dans la société. Il est vrai qu’il existe des divergences idéologiques entre les mouvements fondamenta­listes mais pour ce qui est de la femme, leurs positions sont identiques. Leur interprétation de l’Islam s’avère restrictive vis-à-vis de la femme et tend à la renvoyer au foyer.

Les fondamentalistes considèrent la libéralisation de la femme comme une influence occidentale. A notre avis, la crise économique s’accompagne toujours d’une diminution de l’influence occidentale puisquele modèle occidental supposeunniveau de vie plus ou moins élevé, ce qui explique la recrudescence de certains phénomènes (la polygamie, le discours identitaire et religieux) même dans les milieux intellectuels. L’impact du discours fondamentaliste dépend surtout de l’évolution économique même si on peut ne pas craindre à moyen terme une « révolution islamique » au Sénégal.

L’ensemble des publications des groupes fondamentalistes (Le Musulman, Etudes Islamiques, L’Etudiant musulman) développe les mêmes thèses sur la femme et s’attaque au Code de la famille L’Etudiant musulman [3] titre « Code de la famille les dessous anti-isla­miques. En résumé, nous vous livrons le point de vue des fondamen­talistes : au rythme de nos balbutiements et de nos difficultés, à nous situer véritablement dans ce désordre planifié et suivi, le Code de la famille poursuit son cursus de malheur à travers le pays : impositions des structures familiales, dépravation continue des mœurs, multipli­cation effrénée des divorces, nombre impressionnant des cas de débauche, autant de tares qui ne peuvent s’accommoder avec le mini­mum de foi indispensable à des adeptes de l’Islam »… « d’autre part, il ne sert à rien de soutenir, ainsi que le font certains intellectuels musulmans, que certaines dispositions du droit musulman sont reprises par le Code si on accepte par ailleurs que l’Islam est tout un indivisible ». Pour les tenants de ce discours, il faut tout simplement abroger le Code, « la base de tous les malheurs du musulman sénégalais ».

Or le Code, dans la plupart de ses dispositions, se trouve, aujour­d’hui en déphasage avec les réalités quotidiennes. Il en est ainsi de l’hé­ritage ; gérer les querelles successorales dans la société sénégalaise relève d’une véritable gageure. Comment concilier le régime de la com­munauté des biens et l’impact des différentes familles du couple ? Est­ il juste de la part des neveux et des frères de dépouiller la veuve de l’oncle ou du frère qui a vécu avec ce dernier plus de trente ans et qui n’a jamais eu d’enfants ? Doit-on continuer à dépouiller la femme même si toute sa vie durant, elle a travaillé pour entretenir sa famille ne comprenant que des garçons ?

Toutes ces questions méritent réflexion et on ne peut plus aujour­d’hui faire l’économie d’un débat sur le Code de la famille si on veut avancer dans la lutte contre la discrimination à l’endroit de la femme.

Au discours des fondamentalistes, les femmes sénégalaises ont réagi de deux manières :

1) Exemple de Yeewu-Yewwi qui prône un discours de rejet illustré par l’organisation d’un colloque sur le thème suivant : « cultures en crise : quelles alternatives pour les femmes africaines ? » tenu à Dakar du 17 au 20 avril 1989.

2) L’acceptation du discours par les femmes militantes des organisa­tions islamiques qui se distinguent de plus en plus par la tenue ves­timentaire. Ces femmes, en général, sont porteuses d’un autre dis­cours sur « la situation des femmes dans Islam ». Elles estiment que les textes ne font que protéger la femme. Dotées d’un certain niveau intellectuel, des étudiantes surtout en médecine, cadres intermé­diaires dans divers services, généralement issues de milieux urbains et couches intermédiaires (parfois supérieures), ont obtenu leur entrée dans certaines mosquées et font l’exégèse des textes religieux sur tout ce qui touche à la femme. Seulement, elles ne donnent que l’illusion d’une certaine égalité entre l’homme et la femme.

Aujourd’hui, on note la baisse du nombre des adeptes femmes au discours fondamentaliste, en raison de la rigueur morale, la dureté que cela nécessite et auxquelles les Sénégalais ne sont pas réellement habi­tués. Mais avant d’aller plu loin, où en sommes nous avec le débat sur le Code de la Famille en cette fin du XXème siècle ?

Sous le Président Senghor, les initiatives premières, en vue d’une réforme politique sont discontinues, le caractère laïc de l’Etat fut affir­mé avec force. Cette option devient claire au moment de l’élaboration du Code de la Famille. La codification pour une loi nouvelle de la famil­le débuta sous le Président du Conseil Mamadou Dia, par le Décret du 12 avril 1961.

En 1965, Senghor désigna à nouveau, le Comité des options pour le Code de la Famille. Cette commission avait en charge, l’unification des dif­férentes formes de loi car il s’agissait de déterminer comment faire coexis­ter les lois relevant de la coutume, la Shari’a et le Code Napoléonien. Au bout de six années de travail, le Code de la Famille fut présenté aux Sénégalais en 1972. Ses principales caractéristiques sont :

– l’unification de la loi ;

– l’affirmation avec force du caractère laïc de la société ;

– la reconnaissance des principes des droits individuels et le princi­pe de l’égalité de tous les citoyens.

La déclaration du Conseil Supérieur islamique, en son temps, criti­qua vivement le Code. Relativement pratiqué en milieu urbain, cependant, le Code reste ignoré dans les zones rurales complètement sous l’influence des religieux. Ainsi le khalife général des Mourides, Abdoul Ahad Mbacké récusa la validité du Code de la Famille sur toute l’éten­due du territoire de Touba. D’ailleurs en 1977, le Président de la Cour Suprême, M. Kéba Mbaye tirait sur la sonnette d’alarme, le Code n’était pas rigoureusement appliqué, au moment où l’administration, sous Senghor, rejeta sa révision. Ce fut précisément le 19 novembre 1977.

Le débat sur la polygamie limité introduit par le FUNUAP avec les parlementaires, l’autorité parentale qu’exigent les associations de femmes et la lutte contre les violences faites aux femmes, relance la réflexion sur le rôle de l’Islam en tant qu’idéologie qui fonde toute la psychologie collective. Comment concilier les exigences du monde moderne et les croyances profondes de la foi ? Pour ce qui concerne l’Islam, il faut retourner aux méthodes de réflexion dans l’Islam des ori­gines. Avant de revenir sur cette question, essayons de voir la place des femmes dans l’Islam sénégalais.

B – Les confréries traditionnelles

Dans l’étude sur « l’Islam au féminin » Sokhna Magat Diop Cheikh de la confrérie mouride (Sénégal), C. Coulon et O. Reveyrand soutiennent que l’« Islam au féminin » existe bel et bien, malgré son statut subor­donné et que la dépendance religieuse institutionnelle des femmes n’exclut pas leur intervention dans le champ islamique ». La situation de la femme dans ces confréries est diverse.

1- – L’élite féminine

Sokhna Magat Diop, « khalife » d’un dignitaire mouride à Thiès, Sokhna Mariama Niass, exégète et maîtresse d’école coranique à Dakar, issue des Niassènes de Kaolack, Adja Khar Mané, et Oumy Soukho, Cheikhs de la confrérie qadriya, Adama Seck commentatrice du Coran à la télévision sénégalaise, sont autant de figures qui mon­trent l’existence d’une élite féminine dans les confréries religieuses.

Cette situation atteste, même si les femmes ne peuvent pas accéder aux fonctions d’Iman et de Khalife de confréries, de la vitalité et de l’im­portance du rôle de la femme dans les confréries religieuses. Il est évi­dent que cette élite recrute au niveau des Sokhna (femmes et filles de dignitaires), qui jouent un rôle beaucoup plus social que religieux. Mais le fait d’enseigner à des garçons aussi bien qu’à des filles (cas de Mariama Niass et de Magat Diop), de recevoir l’allégeance des talibés (jebbëlu), exemple de Magat Diop et de Sokhna Maï Mbacké, sont des cas isolés mais tout à fait significatifs. Il semble que la confrérie tidja­ne soit un peu plus réfractaire à « la promotion » féminine et nous pen­sons expliquer ce fait par l’influence nord africaine, arabe qui continue à marquer cette confrérie, même si le « Moustarchidina wal Moustarchidati  » est un phénomène assez spécifique, dans ce domaine.

Il ressort de l’étude de Coulon et Reveyrand que ce que l’on consi­dère comme des éléments limitatifs de la piété féminine sont, en réali­té, fondamentaux pour restaurer le soufisme. Peu importe dans ces conditions que Sokhna Magat Diop n’ait pas les mêmes pouvoirs légaux que les hommes, elle n’en est que plus sainte. Dans sa logique mystique, les limitations à son pouvoir qui semblent tenir à sa condi­tion de femme deviennent des actes religieux supérieurs ; son silence et sa réclusion sont la preuve de sa sainteté ; et ses exercices privés de piété acquièrent un statut religieux supérieur. Il est évident que même si le mysticisme « autorise d’une certaine façon un dépassement des catégories sexuelles et permet ainsi à des femmes d’atteindre des degrés élevés dans la carrière religieuse », il n’en demeure pas moins que leur rôle est complètement occulté. Sokhna Magat Diop est « Khalife » depuis 1943. Malgré sa baraka et sa piété, a-t-elle un impact aussi réel que celui de n’importe quel marabout ? Nous ne le pensons pas. Dans notre enfance nous étions mar­quée par une véritable soufie : Adja Astou Sow, originaire de Malicounda Bambara et épouse de l’Imam feu El Hadji Amadou Assane Ndoye. Aujourd’hui, même les gens de son entourage l’ont oubliée et pourtant, elle aurait pu faire l’objet d’une vénération et d’un culte réels parce qu’elle était une vraie soufie ; elle passait les 4/5 de son exis­tence à prier et à jeûner.

On peut toujours évoquer la levée de boucliers contre Ndiaye Mody Guirandou : pourtant son discours est moralisateur par rapport au fonctionnement actuel des confréries, mais elle fut tout simplement assimilée à « Cheytan ».

Malgré toutes les difficultés, on assiste à l’émergence de plus en plus, d’une élite féminine dans l’Islam confrérique : comme enseignan­te, exégète ou soufie ayant gravi des daraja (échelons). Elles tentent, toutes d’améliorer l’image de la femme dans l’Islam et à conquérir des rôles de plus en plus importants.

2 – Femmes et Islam populaire

Les femmes sont très nombreuses dans les daah’ira (associations religieuses) et constituent le gros de la clientèle des marabouts. Les daah’ira, structures de mobilisation des talibés permettent aux femmes de manifester leur ferveur religieuse à diverses occasions comme les ziara, maouloud, Magal, journées culturelles. Elles exhibent leur foi et s’imposent au sein des structures religieuses. On note que les daah’ira de femmes sont parmi celles qui mobilisent le plus, car les talibés de sexe féminin, cotisent avec plus de régularité (payer la hadiya des marabouts, le Takhdim des ziara) et sont à la base de l’or­ganisation de la plupart des gammu populaires. Le zèle de l’élément féminin est à la dimension de la discrimination dont il est victime au sein de la religion.

Ces daa’hira remplissent autres fonctions :

– Lieux de convivialité, elles permettent de lutter contre l’oisiveté, d’avoir des loisirs.

– On trouve aussi, une certaine solidarité financière au moment des cérémonies familiales.

– Lieux de rencontre au niveau matrimonial. Le marabout joue un rôle important dans les relations matrimoniales, surtout en ces moments où il est difficile à une femme de trouver un mari et à l’hom­me de rassembler la dot. L’exemple du Cheikh Béthio Thioune est édi­fiant à ce niveau ; courant 1991, il a eu à célébrer de nombreux mariages entre ses talibés. La tendance est aujourd’hui à la consolida­tion des daah’ira. Les femmes semblent être des éléments très faciles pour certains marabouts. On peut donner les exemples de Mustapha Sy avec son Moustarchidina wal Moustarchidati, de Mustapha Cissé et ses diwans où les femmes se font particulièrement remarquer.

D’un autre coté, les femmes sont aussi les premières victimes des fatw, ndiguël maraboutiques, comme l’interdiction, souvent renouve­lée, du khessal des tresses avec mèches artificielles, etc.

Un des cas extrême est celui du daaka de Médina Gounass : une retraite de trois jours où les adeptes de Tidjane Bâ se retrouvent pour prier, les femmes en sont complètement exclues.

Voilà présentée, la situation de la femme face à l’Islam. Nous esti­mons que dans les années à venir, la religion va continuer à jouer un rôle important. Les femmes se battront pour occuper une place pré­pondérante dans les structures animées par la religion. Mais il ne fau­drait que la religion constitue un blocage au rôle moteur que doit jouer la femme dans le développement du pays. Il est urgent pour les autori­tés de ce pays de prendre en charge la formation des populations en matière religieuse, de contrôler les différentes influences religieuses et surtout le message véhiculé par les médias. Il est vrai que nous n’avons pas pour le moment à craindre le syndrome de « l’Algérie » ; mais les germes qui en sont à la base peuvent bel et bien exister au Sénégal : les sources de financement, le fanatisme, l’influence de certains pays.

Pour le moment, les confréries religieuses jouent le rôle d’écran mais l’exacerbation de la crise économique, peut donner des bases de justi­fications aux extrémistes.

 

Notre conclusion va porter sur les perspectives du débat qui doit tenir compte des bonds significatifs que révèlent la réflexion et les tra­vaux de certains universitaires portant sur Islam et Modernité, Islam et Démocratie, les Droits de la Personne Humaine en Islam. Ainsi pour déterminer la place de la femme dans l’Islam, il faut connaître la reli­gion musulmane dans sa dimension textuelle mais aussi axer la réflexion autour de la culture arabe sur la longue durée.

On l’a déjà évoqué, on peut remarquer que l’Islam comporte sché­matiquement trois cercles concentriques. Le premier concerne la doc­trine musulmane telle qu’elle ressort des Ecritures : le Coran et la Sunna. Alentour s’élargit le deuxième cercle où s’agencent les interpré­tations canoniques, les branches qui en sont issues, les écoles juri­diques et les sectes qu’elles fondent. Le dernier cercle englobe les deux premiers, mais aussi les traditions préislamiques et les mœurs enraci­nées dans les divers lieux, ethnies et histoires, tous facteurs qui font que pour communier dans le premier, les musulmans ne cessent de diverger au fur et à mesure qu’on s’éloigne. Sur beaucoup de questions, comme les mu’amalat, les rapports sociaux, il faut considérer ces dif­férents éléments. L’interprétation des textes doit tenir compte de l’évo­lution des sociétés. Même en étudiant le Cora, on peut remarquer que pour ce qui concerne les Sourates Ibaadat, ou ayant trait aux croyances profondes, comme l’Unicité de Dieu, les punitions, Dieu s’adresse de façon égale aux hommes et aux femmes (Muslimiin wal muslimaat, muminiin wal muminaat), les différences sont observées quand il s’agit de faits sociaux ; puisque les sociétés évoluent et que rien ne s’oppose à ce que l’on fasse une lecture différenciée selon l’es­pace et le temps.

Dans une interview remarquable accordée au Magazine Jeune Afrique de la semaine du 6 au 12 janvier 1998, le professeur Mohamed, Talbi estime nécessaire d’utiliser toutes les ressources de la connais­sance scientifique moderne pour dissoudre certaines conceptions véhi­culées par l’imaginaire dominant. Mohamad Talbi assume l’intégrité du message coranique, mais ajoute : « je veux redonner la parole à Dieu, contre ceux qui l’ont accaparée et prétendent en être les seuls inter­prètes infaillibles ».

Abordant certains versets du Coran, on lui rétorque que l’inégalité entre sexes semble être fixée par le Coran ; Talbi rétorque qu’une histoi­re globale de la Révélation donne la réponse. Le fameux verset de la Sourate de la Femme, n’exprime pas une approbation mais une tolérance assortie de réprobation. Cela signifie qu’au moment opportun, cette tolérance devra disparaître puisqu’elle a été accordée dans un contexte parti­culier et qu’elle est globalement réprouvée par le législateur.

On peut aussi parler d’une nouvelle éthique musulmane. La foi est un acte individuel. D’ailleurs en Islam, aucune autorité n’est habilitée à juger du comportement du croyant qui n’a de compte à rendre qu’à lui-même : « je te donne l’absolution et te garantis le Paradis. Le Coran est très clair : « Nulle âme ne porte le fardeau d’une autre âme ». On y trouve 5 fois ce verset. Plusieurs autres versets insistent sur le fait que le Prophète a un devoir strict : transmettre intégralement le message.

Pour les questions liées à la démocratie, avant d’admettre le princi­pe de compatibilité ou d’exclusion entre Islam et démocratie, ne fau­drait-il pas au préalable savoir si la relation que l’on établisse entre religion et Etat est, de l’intérieur de l’Islam, la seule lecture reçue ? A ce titre, le théologien Azharien, Ali Abdrraziq et le juge Muhammad Saïd Al Ashmawy constituent une référence intéressante.

BIBLIOGRAPHIE

  • Un recueil des différents versets coraniques ayant trait au statut de la femme.
  • Puisque l’Islam sénégalais se distingue par son caractère confrérique, on peut consulter l’ou­vrage de Donald B. Cruise O’brien and Christian Coulon, Charisma and Brotherhood in African Islam, Oxford 1988.
  • Ascha Ghassan, Du statut inférieur de la femme en Islam. Parts Harmattan 1987 Boudhib A. Wahab, La sexualité dans l’Islam.
  • Fawzi El-Solh & Mabor Judy, Muslim women’s choices. Religious Belief and Social Reality, Oxford 1995.
  • Mernissi Fatima, Le Harem politique. Le prophète et les femmes, Paris Albin Michel, 1987

. Stowasser Barbara Freyer, Women in the Qur’an, traditions, and interprétations, Oxford 1994

. Par nous-même, Des femmes lisent le Coran. Femme sous Lois musulmanes.

. Zeghidour Selimane, « Homme-Femme dans l’Islam », Notre Histoire n° 75, février 1991.

Mbow P., « Femmes, violence, religion », Revue de l’IAD pour la Démocratie n° 6, Avril-mai-juin 1996.

Il est important aussi de s’informer sur le débat autour de la question des droits, de la démocratie de façon générale. En dehors du Coran et quelques recueils de Hadiths, on peut consulter les ouvrages suivants :

Abderraziq Ali, l’Islam et les fondements du pouvoir, Le Caire, 1925

Al Ashmawy M. Saïd, L’Islamisme contre l’Islam, Paris, Le Caire 1989.

L’Islam dans le monde, Dossier établi et présenté par Paul Balta, Paris, la Découverte 1986. Bayart J.F. (sous la direction de), Religion et modernité politique en Afrique noire, Paris, Khartala 1993

Eickelman Dale F. & Piscatori James, Muslim Politics, Princeton 1996.

Eposito J. & Voll J., Islam and Democrty, New York, Oxford 1996, Jeune Afrique n° 1930 du 6 au 12 janvier 1998.

[1] Département d’Histoire. Université Cheikh Anta Diop de Dakar.

[2] Al-Bakri, Kitab al Masalik wal mawal mawalik, cité par Cuoq, recueil de sources arabes, Paris 1968 p. 99

[3] L’étudiant musulman n° 5 (avril-juin 1991) et 6 juillet -septembre 1991)