Islam et littérature

LINEAMENTS D’UN DIALOGUE DES RELIGIONS DANS LA PERCEPTION DE L’ISLAM PAR GOETHE

Ethiopiques numéros 66-67

Revue négro-africaine

de littérature et de philosophie

1er et 2ème semestres 2001

A Dieu est l’orient !

A Dieu est l’occident !

Les contrées du Nord et du Sud

Reposent dans la paix de ses mains

(Goethe : Divan occidental-oriental)

Liberté de conscience et tolérance religieuse sont des principes fonda­teurs de la philosophie des Lumières. La reconnaissance de ces valeurs suprêmes, fondées sur l’exercice sans entraves de la liberté de culte a accompagné la lutte des philosophes des Lumières contre le fanatisme religieux, tout cela au nom de la Raison. Cette révolution majeure ne s’est pas arrêtée à ce stade. Certains penseurs sont arrivés à dire et à faire croi­re que sans liberté de conscience et sans tolérance religieuse. Il n’y a véri­tablement pas de foi religieuse salvatrice. Lessing et Herder sont de ceux­-là. Goethe s’est approprié cette vision, et il a rajouté un apport majeur.

Si ce cheminement a commencé depuis la philosophie des Lumières, la contribution majeure que la période classique weimarienne sous l’em­preinte de Goethe, a donné à cette modernité repose sur la conviction que l’intolérance ne se nourrit que d’ignorance. Dans l’œuvre colossale de Goethe, l’idée est très répandue, que l’exclusion et le fanatisme de type social ou religieux ont pour cause principale l’ignorance. Mais Goethe ne fut pas qu’un simple adversaire des haines nationale, sociale et religieu­se. En réalité, il est un farouche opposant des dogmes, surtout quand ceux-ci ne se nourrissent que de la seule sève des barrières et autres haines ethniques, sociales et culturelles. Deux passages suffisent pour illustrer cette aversion :

La haine de l’étranger qui dérive d’un sentiment national excessif est chose curieuse. Elle s’exprime avec le plus de véhémence dans les milieux les plus bas de la société. Mais il existe, au contraire, une classe sociale où elle dis­paraît complètement, où l’individu s’élève dans une certaine mesure au­-dessus de l’idée de la nation et ressent le bien et le mal qui affectent les peuples voisins comme s’il les éprouvait lui-même.

(Goethe Entretien avec Eckermann 14 Mars 1830, 542)

La puissance spirituelle de son sens de l’équilibre repose sur la possi­bilité de tirer profit du dialogue des différences. Cette idée a conduit Goethe à prendre ses distances par rapport au romantisme allemand. Sur les questions de religion, de langue, d’ethnie et de culture. Goethe est très attentif. Plus que tout autre auteur de langue allemande, il a développé jusqu’à un stade jamais égalé la langue et la culture allemandes cependant il a toujours fait la différence entre langue, culture et religion. Voici à ce propos la deuxième illustration de son cosmopolitisme :

La force d’une langue ne se manifeste pas par le fait qu’elle rejette ce qui lui est étranger, mais qu’elle se l’incorpore.

(Goethe Maximes et Réflexions 1983, 317)

Avant d’aller plus loin dans notre analyse, posons nous la question sui­vante : Qu’est ce qui peut pousser Goethe, fils de protestant à s’orienter si intensivement vers une religion apparemment aussi lointaine que la sienne, au point de faire dire à certains que l’intérêt qu’il porte à Islam dépasse les limites de la sympathie ?

On peut déjà l’entrevoir, la relation de Goethe avec la religion des Musulmans a un triple intérêt : théologique (monothéisme), philosophique (nature et philosophie chez Goethe) et esthétique (La sublime beauté du Coran et la perfection poétique de ce livre Saint).

Bien plus qu’une curiosité intellectuelle d’un classique embarrassé et dépassé par les troublantes questions de son temps, nous pouvons conce­voir ce triple intérêt comme un des fondements du nécessaire dialogue inter-religieux, que les études sur Goethe ont insuffisamment mises en exergue.

Pourtant, l’actualité de Goethe réside dans le potentiel de dialogue intellectuel et de tolérance religieuse qui transparaissent dans sa relation avec l’Islam.

Les deux études de la germaniste américaine : Katharina Mommsen : Goethe und die arabische Welt, (Francfort 1988) et Goethe und der Islam (Francfort et Leipzig 2001) ouvrent une intéressante perspective sur les importantes réflexions de Goethe sur l’Islam. La dernière publication qui se veut une étude de Goethe sur l’Islam est en fait un résumé des principales réflexions de Mommsen sur Goethe et le monde arabe. L’admiration de Goethe pour l’Islam a une histoire.

C’est d’abord son coreligionnaire, le protestant Herder qui attira l’at­tention de Goethe sur l’Orient, le monde arabe et l’Islam. C’était durant leur ardente jeunesse des années 1770. Ces années de Strasbourg cor­respondent dans la pensée de Goethe à l’époque de la révolution littérai­re du Sturm und Drang et à la recherche de la poésie nationale. C’est dire que c’est au moment où Goethe essayait d’asseoir les bases d’une littérature nationale allemande, qu’il s’est ouvert aux motifs externes et univer­sels d’une littérature d’émancipation. Mais il s’est toujours gardé, dés le départ, de s’enfermer dans un ghetto national. Cette constance l’a amené à voir l’intime liaison, l’unité dialectique entre le particulier et le général :

Le particulier est éternellement soumis à l’universel ; l’universel doit éternellement s’incliner devant le particulier.

(Goethe, Maximes et Réflexions 1983, 308)

C’est sous l’impulsion de Herder que Goethe a pris date avec l’Islam. Ses réflexions sur cette religion participent du même mouvement pendu­laire qui traduit un besoin d’équilibre interne entre le général et le parti­culier, l’international et le national. L’inspiration de Herder ne le quitte plus depuis lors. A 23 ans déjà, Goethe écrit un chant pour le prophète Muhammed, à 70 ans, il est profondément pris par la rédaction et le com­mentaire du Divan occidental-oriental. Ces deux oeuvres importantes, auxquelles il faudra ajouter les notes et autres observations de Goethe sur le prophète Muhammed et l’Islam, constituent la charpente de l’analyse de la présente étude.

Si la tradition germanistique a éclairci depuis les travaux de Mommsen l’intérêt philologique de Goethe et l’Orient arabe, il reste à s’interroger sur la pertinence de cet héritage islamique et son impact sur un dialogue intellectuel et culturel entre les religions. Ce dialogue, rappelons-le a été initié en Allemagne par Herder. Son livre Idées pour la philosophie de l’his­toire de l’humanité est bien plus qu’une simple fouille dans l’archéologie de l’esprit humain. Le principal traducteur de Herder en français, Max Rouché a raison de signaler dans la préface de Idées pour la philosophie de l’histoire de l’humanité la nouvelle religiosité, qui sous l’impulsion de Herder, prend date en Allemagne

Les Idées sont filles de théologien, écrites pour lire le destin de l’humanité dans le livre de la création ; Herder réalise enfin ici l’idée qui dès 1772 ins­pirait son plan d’études pour le jeune von Zeschau, mais qu’il n’avait pas eu le temps d’appliquer dans Voici une philosophie de l’histoire en 1774 : puisque le même Dieu est à l’origine de la Nature et de l’Histoire , celle-ci s’explique en partie par celle-là ; toutes les deux manifestent un grand plan divin qu’il s’agit de discerner. Une telle harmonie entre la nature et l’histoi­re porte la marque de l’époque et la condition de l’auteur : c’est une idée de pasteur, et de pasteur de la fin du XVIIIème siècle, qui de la meilleure foi du monde croit trouver dans les sciences ce que sa religiosité y a introduit, il nous avertit qu’il personnifie la Nature uniquement afin de ne pas dépré­cier par un usage trop fréquent le saint coran nom de Dieu.

En interprétant la nouvelle bible de l’intelligentsia allemande, Idées pour la philosophie de l’histoire de l’humanité comme une homélie d’un prélat protestant qui veut relier l’influence chrétienne et la philosophie des Lumières, Rouché (Ibid. 8) indique le contexte qui permet de comprendre comment et pourquoi Herder et Goethe, au nom de la rationalité du 18ème siècle, cherchent dans les religions révélées judaïque, chrétienne et musulmane) des réponses sur l’Histoire et la Nature.

L’attachement à l’évolution progressive et positive que l’un et l’autre portent au genre humain en est la principale justification. Cette évolution, Herder la voit comme une progression vers un but qualitativement plus élevé, qui préserve en même temps la diversité des espèces. Son credo est unicité et diversité. Dans le 18ème livre Une autre histoire de l’humanité, Herder défend cette thèse :

L’intelligence pratique des humains devait s’épanouir et porter fruit dans toutes ses variétés ; c’est pourquoi à l’espèce la plus diverse fut donnée une terre si diverse. (Rouché 2000,177)

C’est un véritable renversement de la grille des valeurs et des juge­ments de valeur sur le monde arabe et l’Islam qu’opère Herder dans les milieux intellectuels d’Allemagne, en rompant avec la tradition colportée des croisades du Moyen âge :

La langue des Arabes acquit de la finesse dans les discours imagés et les sentences bien avant de savoir les écrire. Sur leur Sinaï, les Hébreux avaient reçu leur Loi et presque toujours habité entre eux, dès que les chré­tiens apparurent et se persécutèrent entre eux, certaines sectes chré­tiennes se tournèrent vers eux. Ne fallait-il pas donc nécessairement du mélange d’idées juives, chrétiennes et propres à leurs tribus, sous un tel peuple, dans une telle langue, au bon moment une fleur nouvelle apparut et, quand elle surgit, fût en état de trouver la plus grande expansion à par­tir de cette pointe de terre entre trois continents, au moyen du commerce, de guerres, d’expéditions et d’écrits ? L’arbuste adorant de la gloire arabe, issu d’un sol si sec, est donc un miracle très naturel, dès qu’apparut l’hom­me qui sut le faire fleurir.

Au début du septième siècle cet homme apparut, étrange mélange de tout ce que sa nation, son groupe ethnique, son temps et sa contrée pouvait donner, marchand, prophète, orateur, poète, héros et législateur, tout cela à la manière arabe. C’est de la plus noble tribu d’Arabie, conservatrice de l’idiome le plus pur et du vieil objet sacré de sa nation, la Kaaba, qu’était issu Mahomet, jeune garçon de belle mine, pas riche, mais élevé dans la demeure d’un homme considéré.

(Rouché 1962,421-423)

L’homme d’état et de lettres, le législateur et enfin le chef militaire, ce sont ces principales qualités que Herder découvre chez Muhammed. Ces trois caractères que le prophète des Musulmans unit dans sa personne, est une source qui inspire beaucoup Goethe.

Il (Muhammed E. I D) se trouva dans des circonstances qui lors de ses voyages commerciaux lui procurèrent une connaissance précoce d’autres peuples et d’autres religions, et plus tard en outre une fortune convenable[…] Vraisemblablement, tout cela durant les quinze ans où il mena une vie contemplative, agit si profondément sur son âme qu’il se crut, lui le Koréischite, l’homme éminent élu pour établir la religion de ses pères dans ses doctrines et ses devoirs et se révéler comme un serviteur de Dieu. Non seule­ment le rêve de son voyage au Ciel, mais sa vie et le Coran lui-même montrent combien son imagination était brulante et que pour s’imaginer investi d’une mission de prophète, il n’eut pas besoin d’une imposture concertée. Ce n’est pas sous les traits d’un jeune homme bouillonnant que Mahomet se présenta sur la scène, mais dans sa quarantième année de son âge.

(Rouché Ibid. PP 424)

L’estime de Herder pour l’Islam trouve sa cause dans les points sui­vants ; elle a une source théologique, scientifique, littéraire et linguistique. Le monothéisme que l’Islam recommande, entraîne la sympathie de Herder. En plus de cela, les répercussions sociales positives dans l’orga­nisation sociale de cette religion sont des arguments supplémentaires qui pèsent sur son jugement.

La religion et la langue des Arabes eurent une autre grosse influence sur les peuples des trois continents… Or en ce qui concerne les opinions qu’en­seigne cette religion, il n’est pas niable qu’elle a élevé les peuples païens qui se convertissent à elle au-dessus de la grossière idolâtrie des êtres de la Nature, des astres célestes et d’hommes terrestres et a fait d’eux de zélés adorateurs d’un Dieu unique, créateur, gouverneur et juge du monde, qu’ils servent au moyen des dévotions quotidiennes, d’Oeuvres de charité, de propreté corporelle et de résignation à sa volonté. En défendant le vin, elle a voulu prévenir l’ivrognerie et les disputes, en défendant les aliments impurs, elle a voulu favoriser la santé et la modération, de même elle a interdit l’usure, le jeu pour l’argent ainsi que mainte superstition, et élevé maint peuple d’un état de rudesse ou de corruption à un degré moyen de civilisation. La religion de Mahomet imprime aux hommes un repos de l’âme, une unité de caractère. (Rouché Ibid 413-433)

Le développement positif des sciences dans le monde arabe et isla­mique accentue la sympathie de Herder pour cette civilisation : « Poésie et philosophie, géographie et histoire, grammaire, mathématiques, chimie, médecine ont été pratiquées par les Arabes et dans la plupart d’entre elles ils ont agi sur l’esprit des peuples en inventeurs et agents de diffusion, donc en conquérants bienfaisants » (Rouché lbid 435).

L’intérêt philologique est tout aussi présent : « La poésie était leur vieil héritage, fille non de la faveur des califes, mais de la Liberté » (Ibid 435). « La grammaire fut pratiquée par les Arabes comme une gloire de leur race ». (Ibid 439) Le rapport fécond et intime entre philosophie et poésie que les Arabes ont entretenu, grâce â l’apport de l’Islam, était juste en ges­tation en ce début du 18ème siècle en Allemagne. En fixant son regard sur une lointaine évolution de plusieurs siècles écoulés, il attend un progrès similaire chez lui en Allemagne, lequel progrès des Arts et Lettres ne verra le jour que sous l’apogée de la littérature et à la philosophie classiques allemande. Philosophie et Poésie devinrent alors les soeurs jumelles de la pensée allemande :

Et de même que plusieurs philosophes arabes furent en même temps poètes, au Moyens âge chez les Chrétiens aussi la mystique marcha tou­jours aux côtés de la scolastique, car leurs limites se confondent.

(Rouché Ibid 439)

Les jugements, projections et analyses de Herder ont beaucoup inspi­ré la réflexion de Goethe sur l’Islam. Tous les deux développent presque les mêmes thèmes : l’exégèse et la lecture canonique du Coran, son ins­piration monothéiste, l’organisation sociale, politique et administrative sous Muhammed. Tous les deux penseurs partent du principe que la religion s’adresse de façon intégrale au genre et au développement humains.

Quelles que soient les particularités qu’une lecture anthropologique peut donner des Ecritures Saintes, comme le Coran, lecture faite par un philosophe allemand façonné par Les Lumières et ayant en outre un culte religieux bien différent, il demeure indéniable, que l’effort intellectuel four­ni par Goethe, sous l’influence de Herder, cherche à réhabiliter une religion, que l’on combat en Occident, par ignorance. L’action de réhabilitation de Goethe vise un but : partager ensemble les valeurs communes. Sous cet éclairage, une religion qui mérite ce nom, vise l’universalité. C’est pour cette raison qu’il s’efforce de comprendre l’Islam.

En 1772, Goethe lit intensivement le Coran traduit par l’Allemand Mergelin. Les études faites à ce sujet précisent les passages du Coran qu’il a particulièrement annotées, sur la base de l’édition précitée et parue en automne 1772. Il s’agit des extraits suivants :

Sourates II, 106, 109, 159, 166, 172, III, 138, 174, IV, 142, V, 70, 101, VI, 75, X, 10, XII, 8, XVII, 80, XX, 26, XXIX, 43, 47, 49 (Uchtenberger 1954, XV). Goethe ne s’est pas limité à la traduction de Mergelin, dans laquelle il décèle beaucoup de lacunes et de préjugés défavorables à l’Islam. Mommsen, à la suite de Uchtenberger cite de l’édition latine de Maraci qui a aussi servi de lecture au poète allemand (Uchtenberger Ibid. XV) et (Mommsen 2000, 33).

Cette lecture nous amène à tirer ces quelques conclusions partielles : Goethe interprète les versets 106 et 172 de la Sourate II de la manière sui­vante : la croyance réelle et la vraie observation des règles spirituelles ne se limitent pas à une manifestation extérieure. La véritable foi, qui mène vers la dévotion, n’est pas une question d’apparence. Elle est quelque chose d’infiniment intérieur.

Kant ne dit pas autre chose quand, comme Goethe, il s’en prend à l’observation superficielle des règles religieuses :

Les cantiques, les prières, la fréquentation des églises, toutes ces choses ne doivent servir qu’à donner à l’homme de nouvelles forces et un nouveau courage pour travailler à son amélioration ; elle ne doivent être que l’ex­pression d’un coeur animé par la représentation de bonnes oeuvres, et l’on ne peut plaire à l’Etre suprême qu’en devenant meilleur.

(Kant 1981, 80)

En s’appuyant sur les versets 109 et 159 de la deuxième, Goethe explicite la représentation de Dieu : Dieu n’a pas de semblable. Il est unique. Dans le même ordre d’idées, les lois de la nature sont une émanation des lois divines. La divinité se révèle aussi dans la nature (Mommsen 2000, 39).

Les versets 138 et 174 de la Sourate III, expliquent, dans la compré­hension de Goethe, que le message de Dieu se révèle à travers plusieurs langues et chez différents peuples (Ibid. 39). Le verset 174 de la Sourate 5 inspire Goethe dans la délimitation de la frontière entre le mystère et le connu, le secret et le saisissable (Ibid. 43). D’ailleurs, cette vision du mys­tère se répercute sur la vocation du poète. Goethe dit dans ses Maximes et Réflexions :

La matière, tout le monde la voit ; le contenu (Gehalt) en revanche n’est trouvé que par celui qui possède quelque chose à y ajouter ; quant à la forme, elle demeure un mystère pour le plus grand nombre.

(Goethe Maximes et Réflexions 1983, 310)

La vocation du poète, dans sa fonction de déchiffreur, fait le trait d’union avec le prophète. La mission du prophète comme visionnaire et par analogie la faculté du poète d’éclairer la communauté constituent un moment d’intense introspection. En cela se justifie la liaison secrète entre Goethe et Muhammed. Mais il ne s’est pas arrêté à la simple lecture et interprétation canonique. L’Islam et le prophète apparaissent aussi dans son oeuvre littéraire.

. Le prophète dans l’activité littéraire et philosophique de Goethe est une figure complexe et fascinante. Dès 1772-73, Goethe s’intéresse à Muhammed. Il s’est par la suite occupé jusqu’à sa mort en 1832 de la vie de ce prophète. Le Chant de Mahomet comme fragment dramatique est écrit en 1772. Quatre thèmes majeurs apparaissent dans le texte :

Le prophète se soumet à la nature et à ses lois. Cette soumission est acte d’obéissance à un Dieu suprême. Cette piété envers la nature est un élément important dans l’oeuvre de Goethe. Les lois de la nature sont l’émanation de lois divines dans son monologue, Muhammed évoque les signes des astres, la lune qui guide les étoiles, et enfin le soleil ardent :

Mahomet seul

Ô magnifique ! Toi aussi, tu disparais ?

Et d’épaisses ténèbres m’enveloppent.

Elève-toi, coeur aimant, jusqu’au Créateur !

Sois mon Seigneur, mon Dieu ! Amour universel,

Qui créas le soleil, la lune et les étoiles,

La terre et le ciel et moi-même.

(Mahomet, Fragment dramatique Lichtenberger 1954, pp 35-36)

Cette dévotion envers la Nature, illustrée dans cette harmonie entre le prophète des Musulmans et le poète, ne peut pas ne pas rappeler l’inté­rêt que Goethe porta sur la nature divine de Spinoza.

. Le malheur et la peine instruisent l’homme et l’éveillent dans son éducation et sa formation.

Dans Vérité et Poésie, Goethe commente par une épitaphe la relation dialectique entre souffrance, labeur et bonheur intérieur. « L’homme qui n’est pas éprouvé ne s’instruit pas » (Porchat 1862, 1). Dans le dialogue qui suit entre Muhammed et Halima, sa mère adoptive, Goethe confirme que la révélation de Dieu à son prophète entraîne douleur et délivrance :

Mahomet : je n’étais pas seul ; le Seigneur, mon Dieu, m’a visité dans sa bonté.

Halima  : L’as tu vu ?

Mahomet : Ne le vois tu pas ? Près de chaque source paisible, sous chaque arbre en fleur, il vient à moi, je sens la chaleur de son amour. Que je le suis reconnaissant ! Il a ouvert ma poitrine, il a enlevé la dure écorce de mon coeur, pour que je puisse sentir son approche.

(Mahomet, Fragment dramatique Lichtenberger 1954 Ibid. p.36)

. Le troisième thème est le monothéisme : il bannit l’idolâtrie et le paga­nisme. En plus le Muhammed de ce fragment est le conquérant pacifique, le pacificateur non violent, celui qui réussit par la persuasion la recon­version des membres de la communauté. Une façon pour Goethe de s’écarter des violences religieuses.

Halima : Quel est ton Dieu ? Roba ! ou Al Fatas ?

Mahomet O peuple infortuné ! Tu cries à la pierre : Je t’aime ! et à l’argi­le : Protège-moi ! Ces dieux ont-ils une oreille qui entende la prière, ou un bras secourable ?

Halima : Celui qui habite dans la pierre, qui plane autour de l’argile, m’en­tend et sa puissance est grande.

Mahomet : Quelle peut-être sa puissance ? Ils sont trois cents pareils à lui, et vers chacun monte la fumée d’un autel de prières. Vous priez contre vos voisins et vos voisins prient contre vous. Ne faut-il pas que vos Dieux, tels de petits princes dont les frontières sont enchevêtrées, se querellent perpétuellement et se barren réciproquement le chemin ?

Halima : Ton Dieu n’a t-il donc point de pareils ?

Mahomet : S’il en avait, serait-il Dieu ?

Halima : Où habite t-il ?

Mahomet : Partout.

. Le quatrième thème aborde la construction de la Cité heureuse et conquérante, unie autour de son créateur, de son législateur et son administrateur, Muhammed :

Ali : Prends tes frères de la plaine !

Fatima : Prends tes frères des montagnes !

Ensemble : Emmènes-nous vers ton père avec toi !

Ali : Venez tous !

Et voici qu’il se gonfle, plus superbe,

Une tribu tout entière

Porte son prince au faîte des grandeurs ;

En sa marche triomphale il parcourt les royaumes, Il donne son nom aux provinces,

Des cités surgissent sous ses pas !

Fatima : Mais rien ne le retient, ni les cités,

Ni les tours au faîte étincelant,

Ni les palais de marbre, les monuments

De sa bonté et de sa puissance

Ali : Il porte tel l’Atlas, des nefs de cèdre

Sur ses épaules de géant, frémissantes

Bruissent au-dessus de sa tête

Mille voiles dressées vers le ciel

En signe de sa puissance et de sa magnificence

Et ainsi, il amène ses frères,

Fatima : Ses trésors, ses enfants

Ensemble : Vers son père qui les attend et les reçoit Dans son sein en mugissant de joie.

(Lichtenberger 1954 Ibid. p.39)

A la suite des lectures du Coran et du Chant, le Divan occidental-orien­tal est une oeuvre importante, dont l’analyse peut aider à comprendre l’impact de l’Islam sur Goethe. Compte tenu de l’extrême densité du roman et de son ouverture sur le monde oriental, ne peuvent être abor­dées ici que les questions de doctrine religieuse qui peuvent amener un esprit suffisamment éclairé comme celui de Goethe, au soir de sa vie, à chercher dans l’Islam des arguments de tolérance religieuse, alors que tout de son oeuvre avant le Divan occidental-oriental consacre avec maintes preuves tangibles sa grande disponibilité pour le dialogue inter­culturel. Les références au Coran et à l’Islam sont assez fréquentes dans le Divan. Mais Goethe n’en a pas une connaissance stéréotypée ou éclec­tique. Même si celles-ci en quelques endroits donnent l’impression qu’il verse dans des interprétations de détail, il faut plutôt retenir que cette concentration est un choix sur certains thèmes, répertoriés dans le Divan :

. Le Mahomet de Goethe dans les Notes et Dissertations pour aider à l’intelligence du Divan occidental-oriental

. Talisman dans Mohagoni Nahmeh

. Le livre de Hafis dans Hafis Nahmeh

  • Le livre des Maximes dans Hikmet Nahmeh
  • livre du Paradis dans Chuld Nahmeh
  • Certains passages de poésies des oeuvres posthumes.

Le plus remarquable passage du Divan consacré à Muhammed se trou­ve dans les annotations de Goethe. En le citant nommément, Goethe comme nulle part ailleurs, développe de long en large ses opinions sur cet homme qu’il juge « extraordinaire » (Lichtenberger 1930, 339). Sans doute. Goethe s’adressait à Hafis, le poète Perse, mais on pourrait à ce propos prendre l’épitaphe des Notes comme le condensé des avis sur Muhammed, sans qui certainement ni le vrai Hafis ni le Hafis de Goethe n’auraient pas vu le jour :

Qui veut comprendre la poésie,

Doit aller au pays de la poésie ;

Qui veut comprendre le poète.

Doit aller au pays du poète.

(Lichtenberger 1930, p. 325)

 

Dans son introduction, Goethe plaide lui-même pour une bonne com­préhension de son Divan :

Puissent nos efforts, dans le rôle nouveau que nous assumons, obtenir l’ap­probation ! Nous osons l’espérer : car en un temps où tant d’emprunts à l’Orient viennent enrichir notre langue, il semblera méritoire que, nous aussi de notre côté, nous nous efforcions de diriger l’attention sur un monde d’où, depuis des millénaires, tant de choses grandes, belles et bonnes nous sont parvenues et dont nous pouvons espérer chaque jour davantage.

(Lichtenberger Ibid p. 326)

Au coeur du traité Mahomet, trouve la poésie. Si Goethe trouve entre le Prophète et le poète une similitude qui s’explique par l’importance que l’un et l’autre accordent à la langue, l’un comme l’autre a son propre domaine de compétence et sa propre compréhension de la poésie.

Si maintenant nous cherchons à préciser la différence entre le poète et le pro­phète, nous dirons que l’un comme l’autre sont saisis et inspirés par un Dieu, mais le poète gaspille en jouissance le don qui lui a été départi, pour produi­re la jouissance, obtenir par ses productions la gloire ou tout au moins une vie aisée […] le prophète, au contraire, ne vise qu’un but très déterminé, et pour l’atteindre il emploie les moyens les plus simples. Il veut proclamer une doctrine et rassembler pour elle et autour d’elle les peuples comme autour d’un étendard.

(Lichtenberger Ibid. p. 340)

Goethe se réfère à Muhammed, et comme lui pense que « le Coran doit être considéré comme une loi divine et non comme un livre humain fait pour instruire ou pour plaire » (Ibid. p. 339).

La quintessence du Coran se trouve selon Goethe dans la deuxième Sourate. Son observation est une stricte obligation pour tout Musulman : Tout le contenu du Coran, pour dire beaucoup en peu de mots, se trouve au début de la deuxième Sourate dont voici le texte. « Il n’y a rien de dou­teux dans ce livre. C’est une instruction pour les fidèles qui tiennent vrais les mystères de la foi, qui observent les temps fixés pour la prière et font l’aumône avec ce que nous leur avons dispensé ; et qui croient aux révéla­tions envoyées aux prophètes ayant foi, et qui ont une assurance certaine sur la vie future : ceux-là sont conduits par leur Seigneur et jouiront du bonheur et de la félicité ; quant aux incrédules, peu leur importe que tu les avertisses ou ne les avertisses pas ; ils ne croient pas. Dieu a scellé leurs coeurs et leurs oreilles. Les ténèbres couvrent leur vue et ils subiront un châtiment sévère ».

(Lichtenberger Ibid. p. 340).

Le lecteur attentif de ce passage aura remarqué que Goethe dans la référence à cette sourate met volontairement en italique la prière, l’au­mône et relève aussi le mot prophètes au pluriel, ceci pour bien appuyer la place qu’occupent dans l’Islam tous les messagers des religions révé­lées que sont Abraham, Jésus et Muhammed. Cette vision est une façon de souligner toutes les voies de convergence des valeurs universelles et traduit toute la sympathie de Goethe pour une culture de rencontre et de dialogue. Le Livre des Musulmans a selon toujours Goethe quelque chose de sublime.

Le style du Coran est conformément à son contenu et son but, sévère, élevé redoutable et par endroits véritablement sublime. Ce livre n’en restera pas moins hautementefficace pour un temps éternel, car il est foncièrement pra­tique et parfaitement adapté aux besoins d’un peuple qui fonde sa gloire sur ses vieilles traditions et demeure attaché à ses coutumes héréditaires.

(Lichtenberger ibid. p. 341)

Dans son traité sur Muhammed, Goethe insère une citation de Jacob Golius (1506-1667) qu’il a trouvée dans la traduction allemande du Coran par Arnold (1746) et qui exprime de façon sans équivoque le fondement de la pensée de Goethe : on reconnaît dans cette citation les points de convergence entre la pensée de Goethe et le Coran :

Le but principal du Coran semble avoir été de grouper les adhérents de trois religions alors régnantes dans l’Arabie populeuse, qui mélangées entre eux le plus souvent, vivaient au jour le jour, errant au hasard sans pasteur ni guide : car la plupart étaient idolâtre et les autres, juifs ou Chrétiens de croyances très erronées et hérétiques. Le Coran devait les unir tous dans la connaissance et l’adoration d’un Dieu unique, éternel et invisible qui a créée toute chose par sa toute puissance et peut créer celles qui n’existent pas encore, un Dieu qui est le souverain le plus haut, le juge, le Seigneur, par la confirmation de certaines lois et par les signes extérieures de cer­taines cérémonies, les unes anciennement instituées, les autres plus récentes, qui étaient sanctionnées par la représentation de peines et de récompenses soit temporelles soit éternelles, cette doctrine devait les ame­ner tous à l’obéissance envers Mohamet, le prophète et l’envoyé de Dieu qui, après les avertissements répétés, les promesses et les menaces des époques précédentes, avait dû enfin propager et confirmer sur terre la vraie religion de Dieu par la force des armes, afin d’être reconnu comme le grand prêtre, l’évêque ou le pape dans les choses spirituelles et aussi comme le chef suprême dans les choses temporelles.

(Lichtenberger Ibid. p. 340- 341)

« L’évêque ou le pape dans les choses spirituelles et temporelles », nomen es omen : un chef suprême qui s’occupe à la fois du temporel et du spiri­tuel, et qui pour ce faire, doit être un esprit éclairé, voilà la substance qui, justifie les points de contact et de convergence entre Goethe et la vie de Muhammed. Son avis sur l’Islam celui d’un esprit éclairé qui tente de voir dans la doctrine de l’Islam d’abord une civilisation hautement humaine. Les principes qui guident cette civilisation sont, selon Goethe : une socié­té régie par des lois conformes à la tradition et un esprit éclairé qui unit dans la diversité des croyances sa communauté.

La citation qui sert d’introduction à la présente étude, tirée de Talisman dans le Chapitre Mohagani Nahmeh célèbre un Dieu qui unit les esprits et les coeurs dans la Paix et la Concorde. C’est une religion qui se répand en Orient et en Occident, dans les contrées du Nord et du Sudque Goethe vénère. Ce Dieu est juste et le poème de rajouter :

Lui, le seul juste

Veut pour chacun la justice

Qu’entre ses cent noms Celui-ci soit loué

(Divan occidental-Oriental Lichtenberger Ibid. p. 62)

Les cent noms d’Allah sont ici évoqués avec déférence ; et à Goethe de terminer ses louanges du poème précité, sur un ton de gratitude et de recueillement devant la puissance de la volonté divine :

Dans la respiration sont incluses deux grâces

Aspirer l’air, et s’en délivrer

L’un oppresse, l’autre soulage ;

Tel est le merveilleux mélange de la vie.

Remercie donc Dieu quand il te presse,

Et remercie-le donc encore quand il te relâche à nouveau.

(Divan occidental-Oriental Ibid. p. 63)

Dans le livre de Hafis, Goethe poursuit deux objectifs : d’abord rendre hommage à Hafis, qui par sa mémoire de poète délivre et perpétue le message des Ecritures Saintes du Coran, et d’autre part, il cherche à ressembler, de par sa vocation lyrique, au poète perse.

Le poète

Mohamed Schemseddin, dis-moi

Pourquoi ton peuple illustre

T’a-t-il nommé Hafis ?

Hafis

Je rends hommage

A ta question et j’y réponds.

C’est que, dans mon heureuse mémoire,

Je conserve inaltéré

L’héritage du Coran,

Et que, â cet égard, j’agis si pieusement

Que l’influence maléfique de la vie quotidienne

N’atteint ni moi, ni ceux

Qui estiment ainsi qu’il convient

La parole et la semence du prophète

Voilà pourquoi on m’a donné ce nom

[…]

Le poète

Ainsi je suis entièrement pareil à toi

Moi qui me suis assimilé l’image splendide

De nos livres sacrés,

Comme sur le linge bénit

S’imprima le portrait du Seigneur,

Qui réconfortait silencieusement mon coeur

En dépit de la négation, des obstacles, des attaques,

Par l’image sereine de la foi.

(Divan Le livre de Hafis Lichtenberger Ibid. pp. 85-87)

Le livre des Maximes Hikmet Nameh exprime cinq moments forts du lien de Goethe à la doctrine islamique : la reconnaissance du Créateur, le consensus dans le dogme, la construction de toute oeuvre humaine comme phénomène jamais achevé, le pacte spirituel entre l’Orient et l’Occident et enfin l’acte du péché et son absolution.

Pourquoi je remercie Allah de tout coeur ?

C’est parce qu’il a séparé souffrance et savoir

Chaque malade devrait désespérer

S’il connaissait son mal comme le médecin le connaît

(Divan le livre des maximes Lichtenberger Ibid. p. 163)

Goethe voit dans l’unité entre Divinité, humanité et savoir technique la source féconde du progrès humain. Sur un autre registre, il recomman­de pondération dans la formulation et l’expression d’avis personnel, et d’autre part lance un appel à une unité d’opinions, si on arrive à fournir la preuve de la vérité. La diversité et la convergence, la différence et la synthèse des valeurs essentielles dans les croyances, c’est ce que recherche Goethe dans son interprétation de l’Islam : La foi ne s’impose pas à l’hom­me par la force physique, mais s’acquiert et s’impose d’elle même par la persuasion et la force intellectuelle, qu’elle inspire aux humains. La foi assure des valeurs fortes, que les hommes doivent partager. Un postulat important, posé par Goethe est l’unicité de Dieu et la soumission à Dieu.

C’est folie que chacun pour son cas

Fasse valoir son opinion personnelle !

Si l’Islam veut dire : soumis à Dieu,

Nous vivons et mourrons tous en Islam.

(Ibid. p. 163)

L’oeuvre humaine n’est jamais achevée. Il n y a pas de limite au pro­grès. Le développement est un éternel recommencement :

Celui qui vient au monde construit une maison neuve,

Il s’en va et la laisse au second qui la dispose d’une manière,

Et ne termine le bâtiment

(Ibid. p. 165)

C’est par une remise en question, qu’on peut assurer le progrès humain. Cette remise en question nécessite néanmoins l’observation de certaines règles. Ce n’est pas sur la base de la simple insistance, encore moins sur l’impertinence fondée sur le faire-valoir que l’on arrive à faire triompher la vérité et le progrès. La lutte des idées pour le triomphe de la vérité s’appuie, de l’avis de Goethe, sur la culture du dialogue. Il invite celui qui veut recti­fier l’oeuvre à obéir aux normes de l’élégance et du style :

Qui entre dans ma maison peut blâmer

Ce que j’ai toléré bien des années ;

Mais il lui faudrait attendre à la porte

Si je refusais de croire à sa valeur.

(Ibid. p. 165)

Hafis et Calderon, deux figures marquantes de la littérature, symboli­sent aux yeux de Goethe le pacte d’union entre l’Orient et l’Occident. Hafis (1325-1390), dont le nom littéralement veut dire, celui qui connaît le Coran par coeur, par ailleurs classique du lyrisme perse a inspiré les recueils de vers du Divan de Goethe. Calderon de la Barca est l’un des plus grands dramaturges de la littérature espagnole (1600 – 1681). Son oeuvre El Principe constante fut mise en scène en Allemagne par Goethe lui même, en 1811, à Weimar. Hafis et Calderon abordent essentiellement la question du pouvoir temporel et spirituel. Tous les deux se sont distin­gués par la qualité hautement religieuse et spirituelle de leurs oeuvres.

Les deux classiques, Hafis et Calderon offrent en effet ce qu’ils ont de meilleur, l’art, pour sceller l’union spirituelle entre l’Orient et l’Occident :

L’Orient a glorieusement

Franchi la Méditerranée ;

Celui-là seul qui aime et connaît Hafis

Sait ce qu’a chanté Calderon.

(Ibid. p. 165)

Dans le principe qui dit le Mal se distingue par opposition au Bien. Goethe trouve la possibilité d’absoudre le péché commis. Si on arrive à pécher par ignorance ou par méprise, on peut s’empêcher de recommencer la faute, en se mettant à l’écoute de ceux qui ne portent pas le pêché :

Mais celui qui pèche est en meilleure posture encore,

il sait à présent distinctement ce qu’ils ont fait de bien.

(Ibid. p. 167)

C’est dans le Livre du Paradis, tiré de Chuld Nameh que Goethe explique le fondement de la croyance religieuse des Musulmans. Elle se base sur la foi ardente et la croyance aux promesses de l’Islam. De l’avis de Goethe, cette religion est une doctrine. Dans la compréhension philo­sophique, courante du 18ème siècle, la doctrine se définit comme un systè­me de pensée et d’action autonomes.

Le fidèle musulman parle du paradis

Comme s’il avait été lui même en ce lieu ;

Il croit au Coran et à ses promesses :

C’est là-dessus que se fonde la pure doctrine

(Ibid 269)

La foi bannit le doute. Le doute tue la foi :

Les doutes viennent souvent empoisonner la foi.

(Le livre du Paradis Lichtenberger Ibid 269)

 

La représentation du paradis chez le Musulman est aussi un sujet abordé dans le même chapitre. C’est un jardin des délices qui efface toutes les peines et souffrances du monde et récompense les fidèles ser­viteurs, en particulier ceux morts pour la cause de l’Islam. Goethe les nomme dans le texte les hommes privilégiés.

Certains passages de poésies des oeuvres posthumes constituent l’épi­logue où Goethe, dans les trois premières strophes, chante la rencontre entre l’Occident et l’Orient et célèbre l’unité intégrale de l’esprit humain :

l’Occident comme l’Orient

T’offrent à goûter des choses pures.

Laisse-là les caprices, laisse l’écorce,

Assieds-toi au grand festin :

Tu ne voudrais pas, même en passant,

Dédaigner ce plat.

————–­—–

Celui qui se connaît lui-même et les autres

Reconnaîtra aussi ceci :

L’Orient et l’Occident

Ne peuvent plus être séparés.

Heureusement entre ces deux mondes

se bercer, je le veux bien ;

Donc aussi entre l’Est et l’Ouest

Se mouvoir, puisse cela profiter.

(Lichtenberger Poésies Posthumes Ibid 301)

La question que l’on peut se poser sur la perception de l’Islam par Goethe, renvoie à une autre question qui est la suivante : En quoi la rela­tion de Goethe avec la religion des Musulmans peut-elle être d’actualité dans ce monde contradictoire traversé par deux extrêmes : la globalisa­tion sauvage et son opposé, le repli identitaire. L’universalité de Goethe n’est pas une uniformisation ou un nivellement des valeurs. Elle ne nie pas les différences. Goethe, nul ne peut en douter, ne fut pas adepte du prosélytisme, ni d’un quelconque syncrétisme religieux. Par contre, il a vivement appelé à communier dans et par les valeurs communément par­tagées. Le sens de son message fut le suivant : Ce qui différencie l’espèce humaine, ne doit pas la désunir.

BIBLIOGRAPHIE

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PORCHAT, Jacques (1862) : Mémoire de Goethe Poésie et Vérités in Oeuvres de Goethe, Volume VIII, Traduction nouvelle, Paris

[1] Maître de conférences au Département d’Allemand de l’Ecole Normale Supérieure – Université Cheikh Anta Diop de Dakar

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