Islam et littérature

L’IMAGE DU MARABOUT DANS LE ROMAN NEGRO-AFRICAIN FRANCOPHONE

Ethiopiques numéros 66-67

Revue négro-africaine

de littérature et de philosophie

1er et 2ème semestres 2001

Qu’est-ce qu’un marabout ?

Cette question, posée à brûle-pourpoint même à un islamologue, provoquerait un embarras certain. Laissons donc de côté les définitions divergentes qu’en donneraient les hommes de cette science, pour écou­ter les avis des profanes, particulièrement ceux de nos romanciers. Pour la simplification du débat, contentons-nous de ce que nous dit le Grand Larousse encyclopédique, à savoir que le marabout serait au départ « un moine guerrier vivant dans un ribât, couvent fortifié pour la guerre sainte ». Il s’est transformé plus tard, soit « en personnage pieux, menant dans une Zawiya une vie ascétique et contemplative, pour atteindre l’union extatique avec Allah », soit « en fondateur d’une confré­rie mystique », attirant vers lui des milliers de zélateurs.

Mais aujourd’hui, tous les marabouts sont-ils des ascètes ou mystiques ? Dans l’Afrique sub-saharienne, n’existe-t-il pas d’autres types de marabouts ? Quelle place occupent-ils et quel rôle jouent-ils dans la socièté ? Appuyons-nous sur le roman négro-africain franco­phone pour tenter d’apporter un éclairage à cette triple interrogation.

Si l’on ne sait pas où et quand apparurent les premiers marabouts en Afrique noire, on sait par contre que dans son processus de propa­gation de la foi, l’islam a laissé une certaine lattitude au croyant dans la pratique de sa religion, comme par exemple la possibilité de com­muniquer directement avec Allah.

Le marabout n’existe donc pas parce qu’il fallait à l’homme des inter­cesseurs auprès du Très-Haut, comme l’ont été les prophètes. Dans la plupart des grandes religions, il existe des gens qui ne sont pas d’es­sence supérieure comme les prophètes, qui vivent parfois quotidienne­ment les problèmes du peuple, que les pratiquants peuvent consulter pour toutes sortes de motifs et à tout moment. C’est ainsi que dans le boudhisme officient les bonzes tandis que le judaïsme a institué les rabbins et le christianisme les prêtres. L’islam n’a pas prévu cette forme d’intercession. Mais voilà qu’en Afrique noire, « contrairement à l’esprit et à la lettre de la Révélation coranique, partout est apparu, dans une religion sans clergé, l’intermédiaire entre la créature et le Créateur ». [2] C’est… le marabout. On est même arrivé à concevoir progressivement l’existence de diverses catégories de marabouts, puis des types au sein de ces grandes divisions. Les témoignages des romanciers nous permettront de les catégoriser et de les caractériser, selon leurs degrés d’instruction en arabe ainsi que selon leurs fonctions religieuses et sociales. Ces intercesseurs « obligés » ne sont pas à confondre avec le muezzin, l’imâm ou le « hadj ». Voyons auparavant qui sont ces derniers.

En sa qualité de muezzin du quartier dioula de la capitale, nous dit Ahmadou Kourouma, Fama doit se rendre cinq fois par jour à la mosquée, où il « monte dans le minaret, au sommet s’arrête et crie de toute sa force, de toute sa gorge, l’appel à la prière » [3]. C’est aussi au muezzin qu’incombe, durant les trente nuits du mois de Ramadan (neuvième mois de l’année lunaire musulmane), la tâche de réveiller les fidèles. Tous ceux qui observent le jeûne rituel doivent interrompre leur som­meil pour prendre l’unique repas de la journée, avant que pointe l’au­rore. C’est dans ce but que le muezzin de Togobala sillonne les ruelles de tout le village, en chantant des versets du Coran et en criant de ter­ribles imprécations capables d’ébranler la conscience d’éventuels velléitaires :

« Toi, c’est à toi que je m’adresse… Lève-toi et prie, songe et compa­re ! Le Tout-Puissant, le dernier appel, le dernier jugement, l’enfer, la douleur terrifiante des flammes de l’enfer est infinie ! Et l’appel de Dieu ne s’annonce pas ! La prière est le viatique de l’éternel voyage. Lève-toi et salue ton Seigneur » [4].

Cependant, ces deux tâches ne requièrent pas une connaissance approfondie du Coran, comme l’exigerait le statut de l’imâm. Les fonctions de ce dernier commencent lorsque le muezzin a fini l’appel à la prière. Ousmane Socé, dans Karim, écrit à ce sujet :

« Ce fut un universel recueillement durant lequel l’imam murmura les versets du Coran. Visages tournés vers la Kabah ! (…) tous réci­taient en sourdine la même prière à Allah, le même hommage millénaire que les Arabes sont venus leur révéler et qu’ils redisent après neuf siècles ! La voix de l’imam s’éleva encore :

« Asslamou Alikoum » L’imam se retourna face à la foule ; il salua puis prêcha l’amour d’Allah, l’amour du prochain, la justice, la piété, l’honnêteté (..) Le prêche terminé, on s’en alla ». [5]

L’imâm non seulement dirige à la mosquée les cinq prières quoti­diennes, mais préside également celles des jours de fêtes comme l’Aïr El Kébir ou fête de la Tabaski, l’Aïr El Ftr ou fête du Ramadan. Non seulement il doit prêcher au cours de ces diverses cérémonies reli­gieuses, mais aussi il est tenu, lors des veillées de lecture coranique comme la nuit du Maouloud (anniversaire de la naissance du prophè­te Mohamet), de répondre à toutes les questions d’ordre théologique que les fidèles lui posent. D’où la profonde science qu’il est censé déte­nir. C’est aussi l’imâm qui doit diriger la prière funèbre de toutes les cérémonies d’inhumation chez les musulmans. L’exception soulevée par l’auteur de Saint Monsieur Baly, confirme la règle :

« Dès le lendemain de sa mort (Monsieur Baly) nous connûmes l’un des plus grands scandales de notre histoire : l’imâm d’abord refu­sa de prier pour son âme parce que, disait-il, cet homme priait avec des gestes de musulman mais au fond il avait renié l’Islam dans ses pensées et ses paroles ; c’est un kaffre qui buvait ;il sera condamné éternellement aux feux de l’enfer ». [6].

L’imâm exercerait donc une discrète mais sévère surveillance sur la vie religieuse de ses concitoyens, selon le témoignage que vient de nous donner Williams Sassine.

A côté du muezzin et de l’imâm, nous avons une autre catégorie d’homme de culte, du moins à l’origine du mot. Il s’agit du « hadj » dont Yambo Ouologuem nous donne la définition suivante : il « fit dévotement un pélerinage à la Mecque d’où il revint au bout d’un an, paré du titre de El Hadji (pélerin de la terre sainte) » [7]. On se souvient des premiers Noirs sur le chemin de la Kaaba et du mobile qui les y guidait. Le faste du pélerinage de Kankou Moussa est encore vivace dans les mémoires, grâce à toutes les chroniques qui lui ont été consacrées ; la dernière en date étant celle du professeur d’histoire africaine, Ibrahima Baba Kaké [8]. A cette occasion, Kankou Moussa a fait libérer des esclaves et distribuer une quantité d’or. Amadou Hampaté Bâ, de son côté, nous a retracé en des termes très élogieux, le pélerinage historique d’Askia Mohamed Touré et celui d’El Hadj Omar Saïdou Tall, dans son Empire Peul du Macina. [9]

Ce qui caractérisait ces « hadj », c’étaient une profonde érudition et une foi ardente. Il fallait en effet beaucoup d’abnégation pour pouvoir tout sacrifier dernière soi et entreprendre un voyage à pied qui pouvait durer une année, voire des années. On peut considérer ces « hadj » comme des hommes de culte car au retour de leur pélerinage, ils se signalaient par leur piété (ou leur sainteté) acquise autour de la Kaaba et du tombeau du prophète Mohamet. Leurs actions, de retour chez eux, tendaient à encourager l’enseignement de l’arabe et du Coran et aussi à propager, par tous les moyens, la religion islamique. Tel fut le cas par exemple des trois illustres hadj que nous venons de citer. Pendant longtemps donc, le hadj avait plus d’influence et d’autorité que le muezzin et l’imâm. D’ailleurs ceux-ci, une fois hors de la mos­quée, reprennent leurs statuts de simples citoyens alors que les hadj étaient pris en exemple par les fidèles. Le prestige des premiers péle­rins s’attache toujours à la vague des hadj qui déferle aujourd’hui sur l’Afrique musulmane. Les trafics aériens, organisés par les compagnies commerciales lors des pélerinages rituels, ainsi que lors des « Oumoura » [10] deviennent de plus en plus nombreux. Dans le même temps, la foi des pélerins devient de plus en plus tiède. Les mobiles qui les guident vers la terre sainte deviennent de plus en plus étrangers à la religion. Conséquence logique : de nos jours, le titre de hadj et de hadja (hommes et femmes) est devenu moins prestigieux que celui du muezzin et de l’imâm.

Si un choix sévère préside à la nomination du muezzin et de l’imâm, il n’en est pas de même pour l’obtention du titre d’El hadj qui s’acquiert aujourd’hui par le simple pélerinage fait à la Mecque. On hésiterait à placer tous les « hadj » actuels dans la catégorie des hommes de culte pour les raisons que nous venons d’évoquer. Des romanciers, comme Sembène Ousmane dans Xala, [11] se font accusateurs de ces dérives reli­gieuses : il y campe un individu sans foi ni loi, qui spolie de braves pay­sans pour s’enrichir en confisquant leurs terres. Cette richesse lui per­met d’acquérir une place de choix dans le monde des affaires, d’épou­ser plusieurs femmes. Il n’hésite pas à utiliser cette fortune frauduleu­se en se payant un pélerinage à la Mecque, non pour faire pénitence mais pour s’auréoler du titre d’el hadj. La nouvelle médaille qui man­quait à son palmarès !

Il existe en quatrième position un type de religieux musulmans qui n’entrent dans aucune des classifications précédentes. Ce sont eux que le peuple appelle généralement les marabouts. Si l’on veut cepen­dant chercher des points communs entre ces différents hommes de culte, on retiendra la connaissance (souvent approfondie) qu’ils ont du Coran, à laquelle il faudrait ajouter « une conduite sans reproche » [12] ]]. C’est pourquoi nous avons estimé qu’une étude du marabout qui igno­rerait le muezzin, l’imâm et le hadj, serait quelque peu incomplète, car eux aussi exercent parfois la fonction de marabout.

Le marabout est ainsi désigné dans les langues sahélo-soudanaises par « Tyerno chez les Toucouleurs, Seriny chez les Wolofs, Karamoko chez les Mandé, Moodiboo (arabe mu’addib) et Fodyo chez les Peuls, Alfa ou Afagha au Soudan et en Basse Côte, ce qui correspond au Mallam des pays haoussas » [13]. La masse des croyants en dehors des pays moyen­-orientaux et maghrébins ne parlant pas et n’écrivant pas l’arabe, la seule langue de prière autorisée par l’islam, du coup est devenu mara­bout en Afrique occidentale non seulement « le religieux musulman sanctifié par l’ascétisme » [14] mais tout individu plus ou moins lettré en arabe, connaissant plus ou moins parfaitement les lois du Coran et les commandements de Dieu.

Les marabouts n’ont pas de statut religieux bien spécifié comme le muezzin et l’imâm. Certains d’entre eux n’ont pas fait le pélerinage à la Mecque, mais leur influence n’en est pas moins étendue. Leurs portes sont ouvertes à toute heure de la journée ou de la nuit à quiconque veut les consulter à propos d’une question d’ordre religieux ou autre. Au début de l’implantation de l’islam en Afrique, ces marabouts for­maient une sorte d’îlôt de connaissances religieuses et mystiques au milieu de l’océan de la masse démeurée en majorité illetrée. Les mara­bouts se signalent encore aujourd’hui par la particularité de leur habillement et de leur habitation, et surtout par la singularité de leur mode de vie. Ces critères permettent de distinguer deux types de mara­bouts que nous désignerons (comme le christianisme triomphant en Europe désignait ses moines) par marabouts « réguliers » (lorsqu’ils s’en tiennent à l’observance stricte des règles coraniques) et marabouts « séculiers » (lorsqu’ils choisissent de vivre avec leur siècle, dans le monde, hors des grandes contraintes religieuses).

Mème si le titre de marabout n’est pas soumis à éligibilité, il devrait exiger une qualité : la profonde érudition. C’est elle qui a caractérisé les premiers marabouts, les marabouts « réguliers » ou spiritualistes.

Tel est par exemple le cas de Tierno Bokar. Dans son livre, Amadou Hampaté Bâ insiste sur les diverses étapes que franchit le personnage, pour devenir tyerno [15].

L’Aventure ambiguë nous donne également l’occasion d’admirer un autre marabout. Grâce à une profonde érudition, ce dernier était deve­nu le maître inconstesté de tout le pays des Diallobé et même d’au-delà :

« Des maîtres venaient des contrées les plus lointaines, le visitaient pério­diquement et repartaient édifiés » [16]. Ce type de marabout ne se signale pas seulement par son savoir, mais aussi par une conduite irrépro­chable. Son profil étique, écrit l’auteur de L’Aventure ambiguë, accuse les contraintes physiques auxquelles il soumet son corps pour s’abîmer dans la contemplation divine.

Dans Maïmouna, Sérigne Thierno par exemple « avait la réputation de ne manger le jour qu’une fois l’an, à la korité. Tout le reste du temps il jeûnait. Sauf à la mosquée on ne le voyait presque jamais. Il s’était enve­loppé de nuit et de mystère » [17]. A cette rigueur le marabout astreint non seulement son corps et ses organes, mais aussi son esprit ; ce qui se ressent profondément dans ses habitudes. Le Sage de Bandiagara par exemple, en arrivait même à l’observance d’une étiquette si stricte qu’à « tel jour de la semaine, en telle saison, à telle heure, nul n’ignorait où se trouvait Tierno Bokar et ce qu’il faisait » [18].

Que faisait le marabout ? C’est Cheikh Hamidou Kane qui répond :

« Deux occupations remplissaient sa vie : les travaux de l’esprit et les travaux champêtres  » [19]. Et le fait qu’il ne consacre aux travaux des champs que le strict minimum de son temps, prouve le peu de cas que le mara­bout « régulier » fait des biens terrestres. Il attache plus d’importance aux « valeurs de mort » c’est-à-dire au spirituel. Il a la conviction que le séjour des êtres humains sur terre ne constitue qu’un temps de pas­sage éphémère, un test auquel le Seigneur soumet ses créatures pour les éprouver.

La prééminence du spirituel chez ce genre de marabout le pousse à une générosité qui va souvent jusqu’au dépouillement de soi, nous dit Cheikh Hamidou Kane. Ainsi, lorsque Thierno reçoit du Chef des Diallobé par Samba Diallo interposé un cheval pour ses labours, il en fait aussitôt cadeau au Directeur de l’école française jugeant que « cette bête sémillante serait mieux à sa place à l’école nouvelle qu’au Foyer Ardent » [20]. C’est ce mépris des biens matériels qui explique le dénue­ment si caractéristique des lieux saints musulmans et partant, de la demeure du marabout.

Cheikh Hamidou Kane n’exagère rien lorsqu’il écrit que Thierno dort peu parce qu’il prie toujours, si bien que l’on peut dire : « qu’il ne vit pas, il prie » [21]. Il prie et observe scrupuleusement les commandements du Coran qui promet alors après la mort, la félicité éternelle aux croyants, aux charitables et aux justes. A eux « les délices de l’Eden aux ouries éternellement vierges, aux fleuves de lait, sous les arbres pen­chant jusqu’à votre bouche la pomme, la datte ou l’amande désirées » [22], ajoute Ousmane Socé, dans Mirages de Paris.

L’arabe, pour des besoins théologiques, fut enseigné par l’intermé­diaire des marabouts, dans toutes les couches sociales, sans distinc­tion de classes. Que cet enseignement ait eu du succès, on ne saurait le nier. A Bandiagara (actuel Mali), les enfants que Tierno Bokar formait « furent d’abord quinze, vingt et bientôt cinquante. Aux plus beaux de ses jours, la Zaouia compta près de deux cents élèves » [23].

La plupart des maîtres d’école coranique avaient à cœur de bien dis­penser leur enseignement. Thierno s’y consacra durant plus de qua­rante ans, écrit Cheikh Hamidou Kane. Dès l’instant où le marabout accepte cette tâche, sa vie cesse en quelque sorte de lui appartenir en propre car tout ce qu’il a, « tout ce qu’il est, il le met au service de Dieu et de ceux qu’il forme » [24]. Le marabout en tire aussi quelque fierté et une certaine réputation. Par exemple dans le pays des Diallobé, les plus grandes familles se disputaient l’honneur d’envoyer leurs garçons à Thierno. Pour le marabout par contre, l’honneur c’était d’avoir à « ouvrir à Dieu l’intelligence des fils de l’homme » [25]. C’est pourquoi il arrive même à certains de ces pédagogues de ne s’engager à accepter l’instruction des enfants qu’on leur confie, qu’après les avoir vus. Tel était le princi­pe du maître des Diallobé.

Si l’enseignement apporte au marabout honneur et réputation, ce dernier n’oublie à aucun moment qu’il a la redoutable tâche d’ensei­gner « les paroles que le Maître du monde a véritablement prononcées » [26]. Aussi exige-t-il de l’élève qu’il soit précis en les répétant, après le Seigneur.

Pour rendre attachant son personnage de marabout, Cheikh Hamidou Kane écrit que le degré de violence de maître Thierno, pen­dant qu’il exerce son métier, était fonction de l’intérêt qu’il portait à chacun de ses élèves. Dans le cas de Samba Diallo, c’est Thierno lui même qui avait sollicité la faveur d’éduquer l’enfant, alors que d’ordi­naire il se faisait longuement prier pour inscrire les élèves appelés « tali­bés », dans son école. La raison serait selon le marabout, que le garçon était de la « graine dont le pays des Diallobé faisait ses maîtres » [27].

Indépendamment des imâms, chaque marabout peut organiser chez lui des veillées de récitation du Livre Saint. La 27éme nuit du mois de Ramadan ou la veille de la Maouloud, des marabouts se donnent ren­dez-vous dans la cour de la mosquée ou sur la place publique. Ensemble durant ces « nuits du Coran », ils lisent et traduisent les ver­sets à l’intention du public illettré. Ce qui rend la scène plus solennel­le selon Ousmane Socé c’est que, pendant que les marabouts officient, des fidèles tiennent à bout de bras « un grand voile blanc sur lequel devraient descendre les anges charmés » [28].

Ce rôle culturel (car c’en est un) peut prendre de l’ampleur et déboucher souvent sur des conversions. C’est l’évidence de ces conver­sions qui a fait dire à Vincent Monteil que :

« L’Islam noir est un Islam en marche (…) il n’est arrêté ni par le bou­clier mossi ni par la forêt » [29].

Si l’islam a acquis droit de cité dans les villes, il pénètre aussi les contrées les plus reculées de l’Ouest Africain. Il les gagne, nous confie Seydou Badian :

« grâce au courage et à l’abnégation de ces humbles marabouts, apôtres anonymes qui vont par les pistes difficiles avec leur sac à provision et leur livre ». [30]

Certains de ces marabouts, grâce à la profondeur de leur science islamique, se sont faits fondateurs de confréries religieuses. Les grandes branches confrériques en Afrique Occidentale ce sont celles des Layennes, le Hamallisme, le Wahabisme, la Tidjania et surtout la Qadriya, la plus importante qui « à partir de Tombouctou rayonna sur le reste du Soudan » [31]. Il existe également une infinité de sectes dues à des marabouts aux conceptions différentes et à leurs différentes façons d’interprétrer le Coran. Amar Samb nous dit par exemple que « El hadj Sy, à côté d’Ahmadou Bamba Mbacké, est le marabout qui compte le plus d’adeptes dans les villes sénégalaises » [32]. Si le premier, El hadj Malick Sy, est un disciple de la Tidjania, le second Ahmadou Bamba, a créé la confrérie mouride qui signifie en arabe « postulant, aspirant à la vie mystique ». De nos jours, le mouridisme s’impose comme étant la deuxième force religieuse du Sénégal et son rayonnement va au-delà des frontières du pays.

Ces confréries naissent au fur et à mesure que l’audience du mara­bout grandit et que le nombre de ses talibés croît. Le marabout nomme « ses lieutenants et délégués désignés respectivement par khalifa et moqaddem » [33]. Le petit coin de terre où il a choisi de se fixer nous dit encore Amar Samb, cette « Zaouïa », devient rapidement un centre influent où convergent périodiquement tous ceux qui se réclament de son école où voudraient s’y convertir. Les adeptes se fixent, le hameau devient un village. C’est ainsi que le marabout en plus de son rôle spirituel est amené à jouer un rôle économique et social, puisqu’il aura alors la responsabilité de « nourrir » tout le monde, d’assurer leur pro­tection ainsi que celle de leurs biens. C’est ainsi qu’aux leçons de théo­logie et d’initiation pratique à la vie de furturs citoyens, le Sage de Bandiagara ajoutait, à l’intention de ses talibés, des leçons de civisme et de morale : « Faites votre travail, non pour l’espoir du gain, mais pour faire toujours de votre mieux ce que vous avez à faire » [34].

L’intérêt économique passe au premier plan lorsque le marabout conseille à ses disciples de faire la culture industrielle. C’est ainsi nous dit Ousmane Socé, que sous l’égide du grand marabout Ahmadou Bamba, puis de ses successeurs, les mourides ont mis en valeur la région arachidière du Sénégal qui est un passe de devenir une des plus prospères du pays.

En plus de ce rôle économique, intervient à son tour Ahmadou Kourouma, le marabout Souleymane Doumbouya par exemple, a joué un rôle de patriarche éclairé : « Togobala s’étendit, prospéra comme une ter­mitière, comme une source de savoir où vinrent se désaltérer ceux qui séchaient du manque de la connaissance et de la religion » [35].

Détenteurs du pouvoir spirituel aux côtés des chefs détenteurs du pouvoir temporel, les marabouts ont souvent joué un rôle politique non négligeable. Thierno, dans L’Aventure ambiguë [36] en est un exemple : pour toutes sentences ou toutes grandes décisions engageant la vie de la com­munauté, le Chef des Diallobé ne manque jamais de le consulter.

Tous les marabouts mis en scène par les romanciers n’ont peut-être pas eu l’envergure de Thierno, mais tous ont rempli des fonctions plus ou moins importantes, au sein des populations. A l’époque où la police (d’inspiration occidentale) était absente de la société, toute forme de justice et de loi de protection des individis et des biens n’était pas absente. En effet des marabouts ont joué le rôle de cadis c’est-à-dire de juges, en confor­mité avec le droit coutumier musulman qu’ils ont institué. D’autres ont ainsi exercé des rôles religieux et civils en même temps. Nous pensons ici à la fonction de notariat dont parle le héros de Matraqué par le destin : « A mon retour donc du cimetière, le soir, un juriste musulman (…) versé dans le partage des parts successorales, confia à mon oncle Ali Guévane, ce qui me revenait de l’héritage maternel » [37]

De tout temps, ce sont les marabouts qui dirigent les grandes cérémo­nies dans les communautés musulmanes : mariages, décès etc. Cet offi­cier d’état civil qu’est le marabout est aussi sollicité pour diriger d’autres cérémonies. Dans Les Soleils des Indépendances, ce sont des marabouts qui président les cérémonies du quarantième jour du décès du cousin Lancina, comme ils ont sûrement dû présider celles du septième jour et celles de l’inhumation. A son arrivée à Togobala, Fama manifestera le désir d’aller se recueillir sur la tombe de son cousin. La coutume exige en pareille circonstance qu’un marabout dirige le convoi [38].

Dépassant ces diverses fonctions culturelles, sociales, économiques, des marabouts se sont fait bâtisseurs d’empires. L’empire peul du Macina par exemple, doit son existence à un marabout du nom de Chèkou Amadou Bari. Celui des Toucouleurs qui s’édifiera sur ses ruines, fut l’œuvre d’un marabout de plus grande envergure, El Hadj Omar Saïdou Tall. Ils porteront par la suite des coups fatals aux royaumes païens alentours, au nom de l’islamisme.

Au moment de la conquête coloniale, se produira un autre événe­ment. Les Français lors de leur implantation, ont voulu bousculer toutes les institutions dans leurs colonies ; ils ont voulu tout ignorer et tout remplacer par ce que bon leur semblait. Ils seront contraints pour­tant à leur grand étonnement, de compter avec certains marabouts tel Ahmadou Bamba, écrit Amar Samb [39]. En effet, lors même qu’ils ne pre­naient pas les armes, certains marabouts ne constituaient pas moins des obstacles à l’implantation de l’administration française et chrétien­ne. Ignorant la présence du Commandant blanc, les Noirs continuaient à se faire rendre la justice par leurs rois et leurs cadis, souvent par ces derniers seuls lorsque les rois étaient emprisonnés ou exilés. Alors s’imposa cette autre réalité : « au moment où les puissances coloniales démantelèrent le pouvoir des rois (on assista) à la montée du pouvoir des marabouts » [40]. Constatant que les marabouts étaient politiquement aussi puissants que les rois, le colonisateur fut contraint de les traiter avec les marques d’honneur dues aux rois. Par contre, aux marabouts qui refuseront de composer avec eux, les nouveaux venus réserveront le même sort qu’aux rois « récalcitrants ». Ils seront comme ces derniers humiliés, emprisonnés, ou même proscrits. Ce fut le cas, nous dit l’auteur de Matraqué par le destin [41], d’Ahmadou Bamba le fondateur du mouridisme, au Sénégal.

Ainsi, les marabouts « réguliers » peuvent être considérés comme des adeptes de l’orthodoxie religieuse. Ils maîtrisent parfois parfaitement la langue arabe. Ils sont, soit les fon­dateurs de confréries religieuses et leurs héritiers spirituels, soit les créateurs de zawiyas pour l’enseignement de l’islam. Certains sont devenus les auteurs dans leurs langues maternelles d’ouvrages théologiques, de monographies, de chro­niques et d’épopées écrits en arabe. Cette littérature est souvent complétée par une abondante correspondance. Dernier détail : ces marabouts se contentent d’accorder gratuite­ment leurs bénédictions aux fidèles, mais se refusent à don­ner des médicaments. S’ils soignent (rarement), c’est sans remunération d’aucune sorte.

De telles exigences à savoir : la profonde science et le mode de vie austère, limitent sévèrement le nombre des marabouts « réguliers », ceux qui se réclament d’un islam principiel pur et immuable. A côté d’eux, les romanciers nous peignent une autre catégorie : les mara­bouts « séculiers », qu’un examen minutieux permet de regrouper en deux classes. La première est constituée par des citoyens aisés, dont la notabilité est visible à leur habillement, à leur habitation ou à leurs habitudes (train de vie) qui tranchent sur ceux des autres membres de la communauté.

Les romanciers insistent d’abord sur l’habit qui ici, fait le moine. Ce sont de pieds en cape, des articles importés de pays arabes : des « sou­liers semblables à ceux que portent les Ulémas marocains ou égyptiens, une ample robe d’apparat à la Ibn Séoud d’Arabie et un turban ou un capuchon » [42] se moque Amar Samb, dans son roman Matraqué par le destin. A cela le marabout ajoute l’éternel chapelet qui ne le quittera plus et souvent une canne ou une ombrelle pour se protéger du soleil.

La tenue d’un tel marabout est généralement blanche, sans doute pour témoigner de la pureté morale de celui qui la porte. Mais, « habillé comme pour une cérémonie » [43] ironise aussitôt Sembène Ousmane, dans Les Bouts-de-bois de Dieu, n’a-t-il pas plutôt la prétention d’en imposer aux paysans et aux ouvriers, tous ces besogneux qui n’ont ni les moyens, ni l’occasion (sauf peut être les jours de fêtes) de s’habiller proprement ? Nous y reviendrons.

L’habitation de cette catégorie de marabouts n’échappe pas, par ses détails, à un œil quelque peu observateur. Si la demeure de sérigne Mada par exemple « était identique à toutes les autres quant aux éléments de construction, sa dimension était seigneuriale » [44] souligne Sembène, dans Xala. On a en effet de la peine à imaginer un tel marabout vivement dans une demeure qui soit pareille à celles du commun des mortels. Même le marabout de Konina selon Mamadou Gologo, n’est pas insensible au confort, lui qui, pour des raisons que nous examinerons plus loin, doit être classé parmi les marabouts réguliers ! Dans son désir de glorifier son marabout, l’auteur du Rescapé de l’Ethylos ne manque pas de recourir à des expressions appropriées, comme le mot « pélerinage » pour parler du voyage qu’il fit, pour aller dans le village de Konina. Il nous apprend que le marabout vit dans un « domaine mystérieux » [45].

L’auteur nous fait ensuite la description détaillée de la demeure du marabout :

« Nous arrivâmes devant un petit appentis bien ombragé par des tentures multicolores fixées à une estrade de terre battue, elle ­même recouverte d’une peau de bœuf soigneusement tannée, d’une blancheur éclatante. Cette peau de bœuf était brodée d’un tapis très mou aux franges nettes. De l’ensemble de ce décor se déga­geait une impression de propreté irréprochable et de respect poi­gnant. On était vite convaincu de se trouver réellement dans une atmosphère extraordinaire » [46]

L’auteur ajoute que, dans ce « sanctuaire de la vérité » l’atmosphère est paradisiaque et cette impression se trouve renforcée par l’aspect physique de l’hôte de cet habitacle.

« Ce qui me frappa d’abord chez ce personnage, ce fut la limpidité de son regard (…). Sa bouche était fine, garnie de dents blanches qu’éclairait un sourire très humain » [47].

Recherchant toujours des effets de style pour convaincre le lecteur, l’auteur devait écrire plus loin : «  Il apparut enfin, droit comme un i malgré son âge avancé. Ses yeux étaient lumineux et son visage plus serein que celui d’un jeune homme de vingt ans à la conscience tranquille » [48].

Cette accumulation de détails est destinée à donner du marabout une opinion favorable. Le personnage fascinait tellement l’auteur que ce dernier en arrive à conclure : « Il ne me serait jamais venu à l’idée de jouer avec lui au plus fin » [49]

Cette catégorie de marabouts « séculiers » ne dédaigne donc pas les biens terrestres lors même qu’ils observent strictement la Morale et ne souffrent d’entretenir des rapports qu’avec les « gens propres de corps et d’esprit, les croyants rigoureusement honnêtes appréciant la vertu et honorant la foi » [50].

Nous en arrivons à un deuxième type de « marabouts séculiers », ceux dont la notoriété n’est due ni à leur aspect extérieur (habillement et habitation) ni à un quelconque dilettantisme. Ces marabouts ont par­fois une connaissance du Coran tout juste suffisante pour les différen­cier du petit peuple Toucouleur, Wolof, Peul, Mandé etc. Cependant leur pouvoir vient de ce qu’ils compensent cette déficience en arabe par une autre science.

Dans Nini, mulâtresse du Sénégal, Abdoulaye Sadji écrit :

« Ceux qui pratiquent cette science infuse sont des docteurs dans ces parties de la vie qui échappent aux appareils et aux instru­ments (…). Dans leur sombre retraite, entourés de savoir et de mys­tère, ils semblent être en contact avec les morts et la divinité (…). Ils peuvent fouiller à loisir dans le passé, le présent et l’avenir ; la clé d’une vie humaine et détourner le cours d’une existence. Leurs yeux à demi clos voient en des profondeurs qui nous sont cachées ; et leur bouche voilée profère des incantations dont la puissance se mesure à l’influence qu’elles produisent sur une destinée » [51]

Les marabouts « séculiers » se rencontrent un peu partout dans les villes et les villages sahéliens. Lorsqu’il s’agit de marabout de zone rurale comme le témoignage que nous en avons dans Nini, son habita­tion est quelque case retirée au bout du village, à l’orée des bois. Dans tous les autres cas, c’est une case quelconque du village. Il s’agit presque d’une masure d’où il toise cependant d’un air hautain, l’as­semblée des autres hommes. Indifférent apparemment à leurs préoccupations, étranger à leurs multiples soucis, c’est en fait lui qui, de son observatoire insolite, préside la destinée des villageois.

Lorsque cette catégorie de marabout habite un centre urbain, c’est généralement dans quelque taudis en plein quartier populeux. Là, il ressemble apparemment à n’importe quel citadin, sauf qu’il ne travaille pas. Ce n’est pourtant pas un nécessiteux car il n’est ni un chômeur, ni un gueux, ni un infirme. Il arrive curieusement à pourvoir à tous ses besoins. Son univers semble se limiter à sa vétuste demeure qui lui sert en même temps de chambre à coucher, de salon et d’office où il reçoit riches et pauvres, petits et grands.

Ces quelques témoignages et d’autres encore que nous ne pourrions pas rapporter ici, faute de place, concourent à recouvrir de plus d’opa­cité la personne du marabout et son statut social. La seconde grande interrogation consisterait à se demander quelles fonctions exercent les marabouts, qu’ils soient « réguliers » ou « séculiers » ?

Disons tout de suite que les premiers marabouts, ceux qui ont res­pecté le credo, s’étaient fixés pour tâche essentielle d’enseigner la reli­gion musulmane à travers les Ecritures. Beaucoup de romanciers, nous parlant d’ailleurs de l’enfance de leurs héros et héroïnes, insistent sur la formation religieuse de base qui leur a été inculquée par un marabout. Fara, Magamou, Tierno Bokar, tout comme Omar, Tante Astou et Samba Diallo ont débuté « leurs humanités » très tôt, dès l’âge de six ans, entre les mains d’un marabout généralement réputé pour sa science islamique. Les uns ne trouveront pourtant pas à cet ensei­gnement le même goût que les autres. Si les héros de : [Mirages de Paris (Fara) La Plaie (Magamou) Tierno Bokar (Tierno Bokar) ont été jus­qu’au bout de leur première scolarité c’est-à-dire jusqu’à l’âge où l’en­fant généralement passe des mains du marabout à celles de l’institu­teur, dans Matraqué par le Destin (Omar) Buur Tillen (Tante Astou) et L’Aventure ambiguë (Samba Diallo) nous apprenons que les héros se rébellent au bout d’un laps de temps très court. Il est vrai que Samba Diallo ne regimbe pas, mais c’est la Grande Royale qui fera interrompre brutalement sa première scolarité, pour l’envoyer acquérir la science occidentale.

Ces prises de position différentes face à l’école coranique ne doivent pourtant pas nous faire oublier que cet enseignement fut la première tentative d’alphabétisation de masse dans la zone sahélo-soudanaise, voire dans tout le continent africain, si l’on excepte l’acquisition du savoir à partir des langues et des écritures authentiquement africaines dans l’Egypte ancienne, Axoum, la Nubie, Kouch, Méroë, de même que beaucoup plus tard au Liberia (écriture vaï) en Sierra Léone (écriture mendé) au Nigeria (écriture nsibidi), au Kenya (écriture gincandi) au Cameroun (écriture bamoum), etc.

A côté des marabouts spiritualistes et des marabouts qui ont occu­pé des fonctions temporelles, il existait et il existe encore aujourd’hui d’autres qui remplissent d’importantes fonctions dans la communauté ouest africaine : ce sont les voyants et les guérisseurs. Malick Fall nous en donne des détails dans son roman.

Dans La Plaie, apparaissent trois figures de marabouts : Sérigne Massall « dont la foi purifie », Khar – l’Ancien dont « la science soigne » et Koné le devin « dont les cauris parlent ». Serigne Massall est un mara­bout qui vit entouré de respect et de crainte parce qu’il s’abîme conti­nuellement dans la prière et la réflexion ; mais il est catégorique avec Magamou lorsque ce dernier vient le consulter pour soigner sa plaie :

« Mon métier est de méditer, d’assister les malheureux par mes prières. Si tu as le cœur bien accroché, va consulter un médecin (…). Aux uns leur don, leur science aux autres leur foi qui ne soigne pas, qui purifie » [52]

Tous les marabouts cependant n’ont pas de l’éthique la même inter­prétation que Serigne Massall. Koné en est un exemple, lui qui a choi­si d’utiliser sa science à des fins pratiques. Ses dons de voyance sont appréciés de tous : aussi la foule l’entoure-t-elle toujours et prête-t-elle une oreille attentive à ses révélations.

Abdoulaye Sadji abonde dans le même sens dans Maïmouna [53]. Le marabout consulté par Yaye Daro, lui remet une poignée de sable et lui intime l’ordre de murmurer ses voeux. C’est à partir de ce « cable » de transmission de la parole que Sérigne Thierno va prophétiser. Il n’uti­lise pas « d’énigmatiques coquillages » comme Koné le devin. C’est par la géomancie qu’il va révéler à la veille Daro l’avenir de sa fille, Maïmouna.

Ahmadou Kourouma nous dit que Fama, à la veille de prendre toute grande décision engageant son repos et sa fortune, donc pouvant constituer une menace pour lui, a la « sagesse » de consulter au préa­lable les marabouts.

Ousmane Socé ajoute son témoignage dans Karim. La mère du héros consultera un marabout, d’abord pour savoir si le séjour à Dakar apportera paix et bonheur à son fils et si ce dernier lui reviendra sain et sauf à Saint-Louis ; ensuite elle lui demandera d’indiquer quel jour de la semaine sera faste pour entreprendre ce voyage.

Le troisième marabout dans le roman de Malick Fall, La Plaie, est Khar – l’Ancien. Dans le domaine qui est le sein, il est presque difficile de marquer la frontière séparant la science coranique de la science ani­miste et partant, de savoir si le personnage est un marabout ou un féti­cheur. Ouvrons une parenthèse pour demander son avis à Abdoulaye Sadji. Il nous propose des définitions de ces deux personnages :

« L’un a bâti son prestige sur l’infaillibilité de certains versets du Coran qui guérissent la maladie, font répudier une rivale dangereuse ou confè­rent le succès et la fortune (…) L’autre arrache leurs secrets aux djinns et les fait agir selon sa volonté. il les convoque et ils arrivent, il leur parle et ils tremblent ; il les subjugue enfin et les fait marcher pour ou contre l’homme » [54]

Dans le récit fait donc par Malick Fall, nous apprenons que le gué­risseur sut traiter cette plaie suppurante que Magamou traînait, han­dicap qui faisait du héros presque un déchet humain. La thérapeutique de Khar-l’Ancien surclasserait ainsi celle de l’hôpital, où l’on disposait pourtant de toute la science moderne pour soigner les patients.

Ainsi, marabout et féticheur ont la possibilité chacun de guérir la maladie, de faire répudier une rivale, de conférer le succès et la fortu­ne. Aussi trouvera-t-on souvent sous la plume des romanciers l’appel­lation de guérisseur ou féticheur pour désigner ce type de marabout.

Dans Xala, le héros El Hadj Abdoul Kader Bèye s’aperçut au soir de son troisième mariage, qu’on lui a « noué l’aiguillette [55] pour le frapper d’impuissance sexuelle. Plus confiant aux guérisseurs qu’à l’hôpital, il battra la campagne sénégalaise à la recherche des marabouts. Son attente sera comblée puisqu’effectivement chez l’un d’eux il frappera à la bonne porte. Il sera guéri, retrouvera la virilité sans laquelle il per­drait ses attributs d’homme et donc son titre de chef de famille. En plus de ces différentes maladies charnelles, le marabout peut guérir des maladies morales ou psychiques comme l’éthylisme dans lequel avait sombré le héros du Rescapé de l’Ethylos. Ici, l’intention manifeste de l’auteur de « donner la primauté à la foi religieuse » lui fait dire que le guérisseur l’inculquait aussi à ses patients. « La Foi ? je l’ai découverte pendant mon pélerinage (…) Je la cultiverai parce qu’elle est à la base de mon salut. Cela est indiscutable » [56]

Selon certains romanciers, les marabouts n’ont pas seulement que des dons de voyance et des pouvoirs de guérison. Ils savent aussi conjurer le sort, détourner une calamité ou tirer quelqu’un d’une mau­vaise passe. Impliqué malgré lui dans une rixe, Omar, le héros de Matraqué par le destin [57], se retrouve le lendemain dans un cachot du commissariat de Police de la Médina à Dakar. On menace même de déférer l’affaire au parquet. Omar serait sans doute écroué pour quelques mois voire quelques années si sa sœur n’avait eu la présence d’esprit de faire intervenir un marabout. L’innocente victime sera relaxée aussitôt après la consommation de galettes dotées de pouvoir magique remises par le marabout. L’efficacité du produit a été telle, nous dit l’auteur, que tous les autres détenus qui se trouvaient dans la même cellule et avec qui Omar avait partagé les galettes, furent élargis.

Le marabout a la possibilité d’intervenir dans bien d’autres cas, soit pour protéger l’individu, soit pour lui procurer l’amour et le succès. Ce sont de telles raisons qui ont guidé le héros, de Karim vers Serigne Samba qui lui promit qu’il triomphera des autres prétendants et « épousera la belle Marème » [58].

Les miracles sont aussi à la portée des marabouts. Dans Dramouss, Kessery le griot de Kouroussa raconte le cas de l’un d’eux qui, devant tout le peuple rassemblé, avait enroulé une natte autour d’un prince. Après avoir récité des prières en égrenant progressivement son chape­let pendant que la foule l’observait dans un silence religieux, il retira lentement la natte. A la place de son fils, qui était un nain à la laideur robuste, le roi vit un prince aussi grand que lui, « beau et charmant » [59].

Les marabouts peuvent prévenir un malheur qui menacerait l’exis­tence paisible du village en prescrivant à toute la communauté un cer­tain nombre de prières à réciter et des sacrifices publiques à faire. Au cas où ils n’auraient pas pressenti venir la calamité et qu’elle surpre­nait et frappait le village (ou le pays), ils peuvent se réunir à la mos­quée et relire « ensemble le Coran pour conjurer l’épidémie, ou implorer Dieu de donner la pluie, lorsque la sécheresse menace les jeunes pousses » [60].

Les miracles et autres succès réalisés par certains marabouts ont contribué à faire la réputation de tous les autres. Ainsi, au bon grain s’est mêlée l’ivraie. Progressivement, nous assistons à la « déliquescen­ce » des pouvoirs maraboutiques et de la foi musulmane, les deux pro­blèmes étant liés le plus souvent. Les romanciers examinent ici les conséquences qui vont en découler, dans un style de plaidoirie.

Pour servir leurs ambitions personnelles, certains marabouts, comme le dit Thierno dans L’Aventure ambiguë [61], ont prétendu offrir ou retirer Dieu aux hommes comme si l’on pouvait se servir du Tout­Puissant. Prétextant qu’ils se mettaient ainsi au service de Dieu, ils ont maintenu à leur tour d’autres hommes sous leur obéissance. Au nom de l’islam, ces marabouts ont entrepris des guerres saintes qui ont secoué et déchiré les empires de Ghana, du Mali, de Gao, les empires toucouleurs et peuls, les royaumes wolofs, bambaras, haoussas etc. Almamys, hadj et mahdis ont voulu ainsi légitimer leurs conquêtes. Si cette arme idéologique a permis l’édification des empires et royaumes théocratiques, elle a parfois donné lieu à de très graves abus, débou­chant par exemple sur le fanatisme et le fatalisme.

C’est le fanatisme que les marabouts inculquent aux fidèles pour les pousser à la guerre dite « sainte ». Ils s’appuient, dans la tradition isla­mique, sur la promesse que le prophète Mohamet avait faite, à savoir que tout croyant qui meurt à la guerre sainte aura automatiquement la rémission de tous ses péchés et ira au Paradis. Les fanatiques ont considéré de tout temps leurs marabouts comme les remplaçants du prophète, donc comme des êtres d’essence supérieure. « Mais, comment expliquer les comportements de ces mêmes marabouts, enchaîne l’auteur de Tierno Bokar, lorsqu’ils font se jeter leurs fidèles, sabre à la main, souvent contre d’autres croyants ? Tous prétendent parler au nom de Dieu, et chacun veut tuer son prochain au nom de ce même Dieu » [62].

Examinant le problème du fanatisme, Seydou Badian dans Sous l’orage, élève le ton et l’assimile à la force brutale qui tente de triom­pher de la sagesse et de la raison. Kourouma aussi intervient pour dire, que bien qu’elles soient de nature pacifique, la naissance et la prospérité de la dynastie des Doumbouya de Togobala doit s’inscrire dans le cadre de la conquête et de la guerre sainte contre « les autochtones Bambaras animistes ». Et Ahmadou Kourouma de conclure sarcastiquement : « toute puissance illégitime porte comme le tonnerre, la foudre qui brûlera sa fin malheureusement » [63].

Amadou Hampaté Bâ conteste lui aussi, la légitimité des guerres dites saintes, telles qu’elles ont été généralement menées en Afrique noire. Il fait chorus à Ahmadou Kourouma à propos du châtiment que reçoivent toujours les marabouts conquérants. Il conclut : « Et c’est sans doute bien ainsi » [64].

Quant au fatalisme, il semble être plus pernicieux : il n’a pas fini de causer du tort aux masses africaines islamisées. C’est sur le compte de ce fatalisme inculqué par les marabouts, qu’il faut mettre l’attitude résignée et bon enfant de Ibrahima Dieng, le héros du Mandat [65] : voici un homme à priori sain de corps et d’esprit, d’apparence respectable à cause de son âge avancé, de surcroit père d’une famille nombreuse, mais dont le raisonnement et le comportement seraient automatique­ment condamnés par toute personne dotée du moindre bon sens. Dieng se fait sciemment escroquer par le boutiquier du coin qui majore régu­lièrement le prix de ses marchandises, par le photographe qui ne lui remettra pas les photos qu’il a pourtant payées d’avance, par un parent douteux qui retirera le fameux mandat à la poste mais ne lui rendra pas l’argent, sous prétexte d’avoir été victime d’un vol, etc.. Dieng, en bon musulman nous dit ironiquement l’auteur, met chacune de ses mésaventures sur le compte de Dieu qui aurait tout prévu. Selon lui, l’Omniscient et l’Omnipotent déciderait du sort de toutes les créatures et nul être humain ne devrait se révolter contre sa divine volonté. Dieng justifie ainsi son comportement, pour ne pas dire sa passivité et sa soumission aveugle, en disant que la rétribution future de chacun (croyant et non croyant), sera fonction de sa plus ou moins obéissance aux décrets divins.

Dans Saint-Monsieur Baly, nous retrouvons la même attitude fata­liste. Le héros éponyme est persuadé que ce n’est pas par naïveté qu’il a été la victime de l’exploitation de deux marabouts : si ces hommes de Dieu ont disparu avec son argent c’est que Dieu lui-même « l’a voulu ainsi » [66]

Dans la même lancée, examinons ce qui s’est passé dans Matraqué par le destin. Le héros du roman est né dans une famille de marabouts, où à chaque effet on recherche une cause mystique. Malheureusement pour Omar, le sort a voulu qu’il vint au monde au moment où son père le quittait. Pour les siens, ce fait corroborerait ce que les marabouts avaient prédit : né sous une mauvaise étoile, il était condamné sans appel ici-bas. Au nom de ce principe de causalité, le bébé et sa mère seront mis en quarantaine par les autres membres de la famille. Parce que Omar était « matraqué par le destin » [67], il connaîtra les pires traite­ments et personne ne songera à le plaindre.

Le fanatisme et le fatalisme ne sont pas les seuls aspects négatifs du rôle des marabouts « séculiers ». Par le passé, ces derniers ont mystifié le peuple en faisant toutes sortes de promesses. Aujourd’hui encore, beaucoup continuent à exploiter la crédulité populaire. Leurs victimes restent toujours dans l’attente de la réalisation des promesses qui leur ont été faites. Pire, bien des croyants courent encore vers eux, lors­qu’ils se trouvent dans des situations embarrassantes. Ainsi : « Les marabouts peuvent être, suivant l’enseignement qu’ils dispensent, les promoteurs ou les adversaires du progrès individuel, seul capable de faire naître les initiatives et de renouveler par l’intérieur, les structures traditionnelles » [68]. Ce qui inquiète les romanciers que nous avons consultés, c’est que certains marabouts prétendent avoir remèdes à tout. Ils offrent en toutes circonstances des gris-gris dont la proliféra­tion est en rapport avec le nombre croissant de marabouts guérisseurs, de conjurateurs de sorts, etc..

L’auteur de Maïmouna écrit que Yaye Daro acceptait des marabouts « des sachets de poudre et des boules de papier qu’elle fixait sur le corps de Maïmouna, ce qui accroissait sans cesse le nombre déjà considérable de ses amulettes » [69].

Bien que faisant partie de l’élite du pays (les gens dits évolués) El hadj Abdou Kader Bèye, lorsque les circonstances l’amènent à consul­ter les marabouts, observe scrupuleusement leurs recommandations, écrit Sembène Ousmane dans Xala.

La prolifération des gris-gris de toutes sortes est donc la résultante, de cette croyance aveugle aux marabouts de tous acabits. Non seule­ment les gris-gris sont à la mode en Afrique occidentale, mais on ne jure plus que par les marabouts. Dans les villes, écrit Amar Samb, on peut constater de nos jours que la mode est à l’inscription de leurs noms ou même celui de leurs zaouias sur les carrosseries des véhicules de transport. Ceux qui le font, ont l’illusion de s’entourer de plus de garantie que lorsqu’ils imprimaient les noms de Dieu auparavant, ajou­te ironiquement l’auteur. Malick Fall enfonce le clou en écrivant que cette catégorie de marabouts véreux prétendent pouvoir garantir les véhicules (grâce à des gris-gris) contre tout risque d’accident. C’est pourquoi en entreprenant son voyage, le héros de La Plaie était tranquille : « Les amulettes qui chamarraient la cabine veillaient sur notre sécurité, comme la mécanique disciplinée par les gris-gris, les cornes de béliers, les sachets de sable titanifère » Les faits se sont pourtant char­gés de prouver le contraire car le véhicule fera bel et bien un accident dont Magamou ne sortira pas indemne : « Expliquera qui pour­ra, ce qui se produisit. Me voici enfoui dans la boue d’un marigot » [70]. Il ne s’en sortira qu’avec une plaie béante au pied, plaie qui a donné son titre au roman.

De telles promesses sont à la base du drame de Pierre Dam’no dans Les Fils de Kouretcha. Le consultant a placé sa confiance dans le mara­bout Moussa Doumbyia, réputé pour avoir des pouvoirs surnaturels, comme l’invisibilité, la faculté d’obtenir des génies tout ce qu’il désire et enfin un don d’ubiquité. C’est pourquoi Dam’no se saigne à blanc afin de lui offrir, au fil des mois : poulets et moutons blancs, argent et autres sacrifices. Le marabout lui a promis ferme que tant que le fleu­ve charriera ses eaux (ici le Kouretcha), le succès sera à sa portée. Il obtiendra aux dires du marabout la promotion sociale (il sera élu dépu­té aux prochaines élections) et l’amour de Marie Claire (la fillette la plus instruite du village) que Dam’no compte justement épouser pour rehausser son prestige terni. Le consultant laissera ses affaires en plan pour aller se cloîtrer chez Moussa pendant six mois afin d’« être à la place du maître d’hier (c’est-à-dire le Blanc), d’occuper son fauteuil » [71], grâce à l’aide du marabout.

Le héros de Saint Monsieur Baly rappelons-le, avait reçu de Sériba l’un des marabouts les plus attirés de la région, des assurances que grâce aux esprits qui le visitent, il fera fructifier en des milliers de billets de banque, toute somme que le consultant lui remettra. Monsieur Baly en a justement besoin pour construire une école privée, entreprise à laquelle sa pension d’instituteur à la retraite ne suffit pas. Le héros n’a pas tellement confiance en ces genres de tractations, espérant sur des moyens plus légaux pour obtenir les fonds dont il a besoin. Mais Sériba se fait si pressant qu’il finit par « endormir les der­niers soupçons de sa victime » [72].

Le marabout dont il est question dans Force Bonté, c’est Thierno Samba. Il a eu l’idée géniale d’aller s’installer à proximité de la caserne des tirailleurs sénégalais et il leur fabrique des gris-gris « prêts à por­ter ». La main sur le cœur il déclare au héros narrateur partant au Maroc, qu’au front il passera « à travers les maladies et les pluies de balles » [73]. Il jure que le héros reviendra indemne au pays natal et lui ser­rera la main de reconnaissance. Fort de telles déclarations, le consul­tant se croira réellement prémuni contre les balles et les obus de mor­tiers ; il ne s’entourera pas des précautions les plus élémentaires. Bien mal lui en prendra, conclut l’auteur.

Dans Les Soleils des Indépendances, l’auteur nous décrit les préoccupations de Salimata l’épouse de Fama, qui croit être devenue une femme stérile, depuis que Tiécoura le féticheur l’a violée le jour même de son excision. Aucun des marabouts consultés n’a réussi à la guérir. Chacun d’eux lui a prescrit, en plus des sourates pieuses à réciter, cer­taines pratiques à exécuter chaque soir avant de se coucher : « trépidations, convulsions, feuilles à brûler pour s’encenser les dessous de pagne, contenu de gourde pour se oindre certaines parties du corps etc » [74]. Mais, rien n’y fit. Elle restait sans enfant.

Comme Salimata, Rihanna dans Maïmouna a son bonheur conjugal terni par la stérilité. Elle compte tout naturellement sur les marabouts pour être apte à procréer. D’ailleurs beaucoup d’entre eux, consultés par l’intermédiaire de Yacine la gouvernante, lui ont déjà garanti que Bounana « lui sera éternellement fidèle » [75]. Si ce point est acquis, le bébé, lui, se fait attendre, insinue ironiquement Sadji.

C’est pour provoquer la grossesse tant désirée de sa belle fille Isabelle (de race blanche), que la mère d’Omar Faye dans O pays, mon beau peuple ! [76] vaconsulterunmarabout.Quant à la mère de Kany dans Sous l’Orage c’est pour « assurer le bonheur de sa fille » [77] après le mariage, qu’elle se rend chez Tiécoura.

Certaines personnes font le maraboutage par conviction personnel­le, d’autres vont se jeter dans les griffes du marabout, parce qu’elles ne savent plus à quel saint se vouer lorsqu’elles se décident à franchir le seuil de sa demeure. L’auteur de Matraqué par le destin nous dit aussi que des sportifs avant de monter sur le terrain, des lutteurs et des boxeurs avant de monter sur le ring, passent au préalable chez le mara­bout, chacun escomptant ainsi une victoire facile sur l’adversaire ! Toujours selon l’auteur, les marabouts avec leurs gris-gris promettent monts et merveilles aux :

« les hommes politiques qui veulent garder leur place, aux fonction­naires qui désirent se concilier les faveurs de leur supérieur ou monter en grade, aux jaloux et aux envieux qui souhaitent voir ter­rasser leurs rivaux… » [78]

Saïf ben Issac El Heit lui, a trouvé une toute autre utilisation à l’is­lam, pour arrêter l’envahisseur français et continuer son règne de potentat sur le Nakem. L’auteur du Devoir de violence nous le montre « recherchant dans la réligion, sa supériorité perdue » [79]. Pour rallier en effet le peuple fanatique à sa cause, il multiplie les pratiques magico­-religieuses :

« tremblements de terre, tombeaux entrouverts (…) sources de lait jaillies à son passage (…) seaux de bois de villageois remontés du puits plein de sang… (métamorphose) de trois feuillets du Livre sacré, le Coran, en autant de colombes au devant de son chemin comme pour réclamer le dévouement des peuples à sa cause » [80]

Comment le peuple du Nakem pourrait-t-il ne pas obéir à un roi-­marabout, un dévot qui fait des miracles quotidiens ? semble ironiser Yambo Ouologuem.

L’intrusion des valeurs de civilisation européenne, en bouleversant les structures étatiques de l’Afrique occidentale, a peut-être contribué aussi à ébranler progressivement l’autorité politique des marabouts. Leur autorité spirituelle a également été sapée. Pire, la valeur culturel­le de leur enseignement a été petit à petit, remise en question.

Dans Matraqué par le destin, Omar se plaint de la méthode pédago­gique du marabout ; elle est basée sur le seul psittacisme. D’ailleurs le marabout lui-même ne « fait que réciter par cœur les versets cependant qu’il n’en comprend pas le sens » [81].

Contestant elle aussi le savoir du marabout, Tante Astou dans Buur Tileen trouve que le résultat est douteux puisque :

« dans le brouhaha qui les enveloppe les garçons profèrent des mots obscènes ou des déclarations d’amour à l’adresse des filles. L’on s’invite à la guerre entre groupes pour plus tard en sortant de l’éco­le. L’essentiel étant de crier, l’endroit a l’aspect d’un marché… » [82]

Dans Les trois volontés de Malic, les cousins du héros ont eu la chance d’être recrutés à l’école française du village. Ils vantent à la sor­tie des classes cette école et ne peuvent s’empêcher d’établir des com­paraisons. Madiop, l’un d’eux, déclare :

« l’instituteur n’est pas comme le marabout. Il ne torture pas les petits enfants (…) auprès de lui on ne voit ni cravache, ni martinet (…). L’instituteur est l’ami de ses élèves, il est leur grand camarade » [83].

Dans La Plaie, Magamou traite son marabout de « brute dont toute la pédagogie se résume à l’emploi immodéré des coups de toutes sortes » [84]. Selon Omar, le héros de Matraqué par le destin, le châtiment corporel infligé aux élèves à tort et à travers, comporte : « des claques et surtout des coups de cravache qui vous meurtrissent les oreilles, les flancs, les membres etc. Le résultat obtenu est le plus souvent catastrophique » [85]

A propos de l’école coranique, le même Omar déclare :

« le talibé grandit en abruti, toute la sensibilité morte à force de souffrances, toutes les facultés mentales, exceptée la mémoire qui n’oublie pas la douleur (…) se relâchent, s’abêtissent, s’abîment. L’enfant perd peu à peu le lien qui le rattache à l’humanité » [86]

Selon l’auteur, ces mauvais traitements provoquent souvent des blessures, des fractures même, qui peuvent entraîner la mort de l’en­fant. Ainsi s’est dégradée la noble tâche à laquelle s’étaient dévoués le maître des Diallobé et le Sage de Bandiagara. Le spectacle que nous offre de nos jours la vie à l’école coranique, nous autorise en tout cas à le dire.

Beaucoup de marabouts « séculiers » , dénués de scrupules, ont méthodiquement exploité le peuple et certains continuent encore aujourd’hui à le faire. Les réactions qui résultent des relations du marabout avec ses clients seront soit timides (révoltes implicites) soit brutales (révoltes explicites). Au départ, nous retrouvons le même cli­mat de confiance : le consultant a une foi absolue dans le marabout, dont la compétence est pourtant fort limitée. Quel que soit le motif pour lequel ces marabouts sont consultés, nous dit Abdoulaye Sadji, « leur conclusion était toujours la même : un maléfice accompagnait le rêve le plus innocent ». Passe encore que les charlatans prescrivent selon leur humeur du moment, toutes espèces d’animaux à tuer ou autres sacrifices à faire et que, par la même occasion, ils distribuent avec pro­digalité des gris-gris ! Ils entreprennent encore de terroriser leurs pauvres clients, telle la vieille Daro, qui s’était fait interpréter par plu­sieurs marabouts (pour écarter tout doute) un rêve de sa chère petite Maïmouna. Yaye Daro ne gâchera pas seulement ses amitiés ; désor­mais comme une personne tombée sous le coup de l’hypnose, elle fera ce que les marabouts lui recommanderont.

Après avoir campé le personnage du marabout Manding dans Nini, mulâtresse du Sénégal, Abdoulaye Sadji porte ici un nouveau coup aux faux guérisseurs. Ainsi, Galaye Kane le fiancé en titre de « l’Etoile » de Dakar, n’échappe pas à cette forme de mystification lorsqu’il est amené à consulter un marabout au sujet de Maïmouna souffrante. Serigne Elimane, venu des confins du Walo, décrète que Maïmouna (qui entre parenthèse a un début de grossesse) est tombée sous le coup des « esprits malins » qui torturent les humains et des « mauvaises langues dont les pro­pos infernaux brûlent » [87]

Cheik Ndao porte un autre type d’accusation. Selon lui, quelques marabouts « séculiers » confondent volontiers leur métier de pédagogues avec une partie de plaisir. Ainsi, déclare Tante Astou dans Buur Tilken :

« Le bonhomme prend un malin plaisir à pincer les cuisses des fillettes en fermant les yeux, comme pris dans une jouissance inavouable. Etendu sur son tapis, il ordonne aux jeunes filles déjà pubères de lui masser les jambes… » [88]

Ainsi, au lieu de garçons, le marabout s’acharne toujours sur les filles. Il leur pince les cuisses et non les oreilles. L’expression « pris dans une jouissance inavouable » est chargée d’implications érotiques. Quant à l’espace, il est aussi précisé par la narratrice : l’action se passe « sur le tapis » du marabout, qui se trouve être aussi celui de la prière. Quel pécheur impénitent !

Ce que Raki, la nièce de Tante Astou ne comprend pas, c’est que le peuple ne soit pas encore parvenu à démasquer les marabouts mysti­ficateurs de foules, cachés sous des apparences de prédicateurs. « La crédulité populaire me navre s’emporte-t-elle. J’ai assisté plusieurs fois à des chants religieux, j’en suis partie indignée. Le crâne luisant, la moustache abondante, noire, comme passée au cirage, le comédien se dresse au centre de la foule, le micro à la main, il promet des châtiments apocalyptiques, gesticule, lorgne les femmes aux parures aguichantes, il flatte la naïveté féminine, les compare aux futures gazelles du paradis ; louis d’or, bijoux s’entassent devant l’orateur qui s’empresse de les pous­ser vers ses assistants » [89]

Dans Les-Bouts-de-bois de Dieu la révolte de Ramatoulaye s’inscrit dans le même cadre, elle qui s’insurge contre l’autorité spirituelle de certains marabouts : elle fait allusion à ceux qui avaient entrepris une campagne de démoralisation des grévistes du chemin de fer du Dakar-­Niger en 1947. Aux prises avec El hadj Mabiqué, elle le traitera publi­quement de « menteur, de fornicateur, de vieille bique » [90]. Le marabout refuse d’avouer qu’il a abandonné le chemin de Dieu pour composer avec le Blanc, dans le seul but de s’assurer un confort matériel sur terre, celle de l’autre monde lui paraissant moins probable. Elle humi­liera pour les mêmes raisons, Serigne Ndakarou, dans une scène au commissariat de police. Se drapant dans sa fierté, Ramatoulaye décla­re avec une moue dédaigneuse à son intention : « Ces gens-là ne sont ni des parents, ni des amis, ils sont prêts à lécher le derrière des toubabs pour avoir des médailles (…). Moi j’ai assez vu leurs figures » [91]

Le héros narrateur de Force Bonté, celui à qui Thierno Samba avait donné des garanties d’une protection absolue sur les champs de bataille, sera blessé à la bataille de la Marne, à Sillery. Il ne retournera pas non plus chez lui : cette décision avait été prise en toute liberté par le héros mais elle démentait la deuxième prédiction du marabout. Les blessures du tirailleur sénégalais, d’abord au bras gauche, ensuite à la bouche, nécessiteront jusqu’à « treize opérations ». C’est alors que le désenchante­ment chez le héros provoquera cette critique amère et violente :

« Mais hélas gris-gris, preuves éclatante d’imaginations (…) pauvres matières inertes dis-je, vous que des âmes vivantes ont cru sacrées de par la foi d’idées qui datent de lointains siècles, que gardez-vous des puissances mystérieuses que les hommes vous lèguent publiquement ou en cachette ? Comment expliquer que des êtres qui redoutent tant la mort ou simplement la souffrance, vous créent pour se confier à vous, au moment où ils vont se faire la guerre ? Et moi vilain être de leur espè­ce… » [92].

Si la révolte du tirailleur Bakary Diallo reste toute implicite, il n’en est pas de même pour d’autres personnages de romans. Dans Buur Tilleen, la révolte longtemps implicite de Tante Astou contre le mara­bout ignare et luxurieux qu’elle avait pour maître d’école coranique, s’extériorise un jour qu’il voulut la rouer de coups. « Lorsque la cravache l’atteint à la joue, comme folle, Tante Astou assène la tablette sur le crâne de l’homme qui s’écroule, baigné de sang » [93]. Cet acte a d’abord couvert de ridicule le marabout : nous imaginons aisément la posture dans laquelle il se trouve, en face des autres talibés qui le regardent et se retiennent d’en rire. Cette aventure le discrédite désormais : « ainsi elle a brisé l’auréole de respect rayonnant autour du Maître », ajoute le romancier, plein d’humour.

L’auteur des Fils de Kouretcha nous décrit un bonimenteur du nom de Moussa Doumbyia qui se fait passer pour un marabout. « Quand Moussa se met à parler de l’au-delà, les gens sont attentifs. Si ce qu’il disait était faux, comment aurait-il pu échapper aux bombes, aux gaz, aux atrocités de cette guerre ? » [94]. A cette démonstration par l’absurde des pouvoirs supposés du marabout, l’auteur ajoute ce détail satirique : l’homme a un « visage d’oiseau de proie », caricature que complète « son teint alcoolique… presque bleu ». L’oiseau de proie pourrait symboliser la rapacité (exploitation du peuple à outrance) du marabout qui est en même temps un ivrogne invétéré. L’alcool étant décrété boisson illicite par l’Islam, c’est donc un grand péché que commettent tous les mara­bouts qui en consomment.

Sur un ton badin, Ahmadou Kourouma dans Les Soleils des Indépendances, avant de nous raconter la tragique scène de consulta­tion entre Salimata et Abdoulaye, charge le marabout d’épithètes iro­niquement élogieuses : « La sorcellerie et la magie couraient sous sa peau comme chez d’autres, la malédiction… Abdoulaye cassait et péné­trait dans l’invisible comme dans la case de sa mère » [95]

La dénonciation des charlatans et des rebouteurs ne s’arrête pas seulement à la mise en exergue de leurs pratiques de mystification. Les romanciers dénoncent également le profit que les mystificateurs en tirent. Minimisant les multiples prérogatives (et quelques petits avan­tages financiers) qui s’attachaient au maraboutisme, certains mara­bouts « séculiers » ont poussé leur soif du gain à un point de dégrada­tion extrême, en taxant fort leurs consultations. C’est de cette cherté des prix que se plaignait Salimata. Pourquoi Abdoulaye dans la fixation de prix de ses consultations, ne distingue-t-il pas entre les riches et les pauvres ?

Dans Maïmouna, l’héroïne du même nom plaindra l’exploitation dont sa mère, Yaye Daro est l’objet : « elle se laisse tromper par les mara­bouts qui l’exploitent » [96].

Le vieil instituteur, dans Saint Monsieur Baly, avait compris lui aussi combien étaient onéreuses les prescriptions des charlatans. L’un d’eux, consulté sur les voies et moyens pour parvenir à construire une modes­te école privée, lui avait dit de sacrifier : « sept chameaux, sept chevaux, sept moutons et sept coqs blancs. Le vieil instituteur eut une réaction louable : « En somme dira-t-il, de quoi construire l’école de mes rêves » [97]. Tous les clients cependant n’ont pas le même bon sens. Monsieur Baly lui-même ne s’est-il pas laissé prendre deux fois par des multiplica­teurs de billets de banque ?

Dans Les Fils de Kouretcha, si Pierre Dam’no négocie le prix de la consultation avec Moussa Doumbyia (qui lui demande onze mille francs pour le sacrifice d’un mouton blanc) cela ne l’empêchera pas ensuite de se faire ruiner par le marabout, au point de n’avoir plus de monnaie pour prendre le taxi populaire, afin de pouvoir rentrer chez lui. L’auteur nous peint Moussa Doumbyia comme un être vénal : il prend avec empressement l’argent que lui tendent ses clients et le serre « avec le soin extrême de l’avare » [98], dans son porte-feuille.

Serigne Mada, dans Xala, conscient de la supercherie que font cer­tains citadins en libélant des chèques sans provisions, menace El hadj Abou Kader Bèye qu’il venait de guerrir de son « xala ». Celui-ci lui donne un chèque, ne pouvant pas payer en espèces sonnantes et tré­buchantes sa consultation. Soupçonneux, le marabout menace : « J’ai ton chèque dit-il ! Ce que j’ai enlevé, je peux le remettre aussi rapidement » [99].

Dans Nini, le marabout Manding (qui d’habitude parle peu) devient subitement volubile lorsque la vieille Hélène lui demande le prix à payer pour son « Khalwa » et son filtre d’amour. Il explique avec force détails toutes les peines qu’il s’est données pour un tel travail. Et pour prouver son désintéressement, il déclare qu’autrefois les marabouts n’entraient en khalwa que « pour les princes et les rois… qui recompensaient avec des esclaves, des bœufs ou des troupeaux de chèvres » [100]. Ce prix ne saurait être évalué valablement en billets de banque de nos jours : il faudrait alors des sacs et des sacs d’argent. La vieille Hélène, comme le charlatan s’y attendait, fut éberluée par ce calcul cupide. L’homme parviendra néanmoins à lui soutirer, après toute une mise en scène, cinq mille francs et 20 mètres de bazin.

C’est ce même charlatan, consulté pour guérir la vieille mulâtresse à l’article de la mort, qui exigera :

« d’acheter un taureau noir ou rouge dont la robe n’aura aucune tâche différente, d’employer toute la chair à la préparation d’un même plat qui sera distribué comme aumône aux pauvres et aux voisins, de battre tam-tam pendant huit jours de suite etc… » [101]. Tante Hortense refusera un tel traitement.

Partout où dans les romans nous avons des scènes de consultation, les romanciers insistent sur le caractère vénal de la pratique. Ils savent là aussi discerner entre les vrais et les faux marabouts, les honnêtes gens et les profiteurs de toutes sortes.

Dans Karim par exemple, Serigne Samba avait dit au héros qui vou­lait lui donner cent francs pour le prix de son gris-gris : « Mon fils, garde ton argent : quand ma prédiction sera réalisée, tu reviendras » [102]

Le marabout de Konina, dans Le Rescapé de l’Ethylos, agit de même avec le héros « M.G.K : « Ce que vous me devez ? rien du tout (…) la recon­naissance est une dette que seuls réclament ceux qui font du bien avec ostentation :

De tels exemples sont rares et force est de reconnaître, qu’entre marabouts et peuple, ce ne sont plus des rapports de guide spirituel à ouailles qui subsistent. Progressivement, ces liens sont devenus ceux qui existent entre marchands et clients. Le maraboutage est devenu une sorte de commerce prospère, un pactole, et le singulier commer­çant agit d’ailleurs en toute impunité.

Nous ne saurions en quelques pages analyser tous les témoignages que les romanciers nous apportent sur les marabouts. Nous retien­drons néanmoins que : les marabouts « réguliers » ont généralement de la science islamique une connaissance plus ou moins diffuse. Si quelques uns parviennent à déchiffrer les versets du Coran et à comprendre des bribes de mots en arabe, la plupart ne lisent pas et ne parlent pas l’arabe. On ne leur connaît géné­ralement aucun leadership, ils ne sont les auteurs d’aucune initiative sur le plan politique et social. Par contre, sensibles aux biens matériels, ils sont à la fois anges et démons.

Certains sont des guérisseurs efficaces mais des milliers d’autres ne sont que des charlatans, des mystificateurs, des escrocs, etc.

L’appel à la vigilance ou au sursaut lancé par les romanciers est hélas loin d’être entendu par les populations négro-africaines qui sont de plus en plus naïves et crédules parce que de plus en plus désempa­rées, face aux problèmes de leur vie quotidienne.

Les descriptions physiques et morales que les romanciers font des marabouts négro-africains n’apportent que plus de nébuleuse à la défi­nition que nous avons eu tantôt du mal à établir. Se posait alors la question de leur statut social ?

De la pénétration islamique en Afrique noire à nos jours, des géné­rations de marabouts ont joui d’une grande popularité et parfois enco­re aujourd’hui, une minorité d’entre eux mérite l’estime que leurs cor­religionnaires leur portent. Certains ont été « fondateurs de confréries mystiques », quelques uns ont méné, durant leur passage sur terre, « une vie ascétique », tandis que d’autres ont assumé des tâches sociales, pour le plus grand bonheur des populations islamisées.

Mais les temps ont changé ! La prolifération des marabouts de tous genres et de tous acabits justifie le traitement littéraire qui est fait d’eux. Aux dires des romanciers par exemple, la plupart de ces prétendus hommes de culte, tout en se référant au Coran, mèneraient des activités souvent inavouables. Les différents témoignages écrits que nous avons consultés (et bien d’autres encore !) conduisent à se demander si ces marabouts ne sont que les produits ou les victimes d’une société africai­ne en pleine désociabilisation, ou si au contraire, ils ne devraient pas être classés parmi les principaux responsables de cette situation, au même titre que nos hommes politiques ? La deuxième question qui se pose et s’impose dès lors à notre esprit est de savoir si les marabouts peuvent ou non être considérés comme facteurs de progrès ?

[1] Institut de Français pour les Etrangers (IFE) – Faculté des Lettres, Université Cheikh Anta Diop de Dakar

[2] Monteil, vincent (1964), L’Islam noir, Paris, Seuil page 121

[3] Kourouma, Ahmadou ( 1965), Les Soleils des Indépendances, Paris, Seuil, page 25

[4] Idem, page 124.

[5] Socé, Ousmane (1948) Karim, Paris, Nouvelles Editions Latines, page 40.

[6] Sassinen Williams (1975) Saint Monsieur Baly, Paris, Présence Africaine, page 216

[7] Ouologuem, Yambo (1968), Le devoir de violence, Paris, Seuil, page 16.

[8] Kaké, Ibrahim Baba (1970) Le fabuleux pélerinage de Kankou Moussa, Dakar, N.E.A.

[9] Bâ, Amadou Hampaté et Daget, Jean (1963) : L’empire peul du Macina, Paris, Mouton.

[10] « Oumoura » – Prière et receuillement dans la Kaaba tous les vendredis, considérés comme jours saints par l’Islam. Cette prière ne dispense pas le fidèle du pélérlnage rituel.

[11] Sembène, Ousmane (1973), Xala, Paris, Présence Africaine, page 118

[12] Mollien cité par Vincent Monteil in L’Islam Noir op. cit, page 121.

[13] Vincent Monteil – L’Islam Noir, op. cit, page 123.

 

[14] Petit Larousse – Paris – Librairie Larousse 1965, 20e tirage.

[15] Bâ, Amadou Hampaté( 1957), Tierno Bokar le Sage de Bandiagara, Paris, Présence Africaine, page 8.

[16] Kane Cheikh Hamidou (1961) L’Aventure ambiguë, Paris, Julliard, page 18.

[17] Sadji, Abdoulaye (1958) Maïmouna, Paris, Présence Africaine, page 59.

[18] Tierno Bokar, le sage de Bandiagara – op. cit., page 32,

[19] L’aventure ambiguë, op. cit. page 17.

[20] L’aventure ambiguë, op. cit., page 106.

[21] Idem Page 125

[22] Socé, Ousmane (1964) – Mirages de Paris, Paris, Nouvelles Editions Latines, page 10.

[23] Tierno Bokar, op. cit. page 31.

[24] Idem, page 31.

[25] L’aventure ambiguë, op. cit. page 15.

[26] Idem, page 15.

[27] ibidem page 22.

[28] Mirages de Paris, op. cit. page 8.

[29] L’islâm Noir, op. cit., page 11.

[30] Badian, Seydou (1972), – Sous l’orage, – Paris, Présence Africaine, page 172.

[31] Musulmans d’Afrique Noire, op. cit. page 222.

[32] Samb, Amar ( 1975),- |Matraqué par le destin – Dakar, NEA, page 13.

[33] Musulmans d’Afrique Noire, op. cit., page 212.

[34] Tiemo Bokar, op. cit. page 35.

[35] Les Soleils des Indépendances, op. cit. page 101.

[36] L’Aventure ambiguë, op. cit., page 45.

[37] Matraqué par le destin, op. cit., page 199.

[38] Les Soleils des indépendances, op. cit., page 119.

[39] Matraqué par le destin, op. cit.

[40] Kane Mohamadou, « L’héritage » de Birago DIOP : Roi et Marabout, page 34.

[41] Matraqué par le destin, op. cit., page 16.

[42] Samb, Amar (1975) Matraqué par le destin, ou la vie d’un talibé, Dakar, NEA, page 13.

 

[43] Sembène, Ousmane (1971) Les bouts-de-bois de Dieu, Paris, Présence Africaine page 81.

[44] Sembène Ousmane ( 1973) Xala, Paris, Présence Africaine, page 108.

[45] Gologo Mamadou (1963) Le rescapé de l’Ethylos, Paris, Présence Africaine, page 332.

[46] Idem page 338

[47] Ibidem, page 341.

[48] Ibidem. page 332.

[49] Ibidem. page 340.

[50] Le rescapé de l’Ethylos, op.cit., page 340.

[51] Sadji Abdoulaye (1965) Nini, mûlatresse du Sénégal, Paris, Présence Africaine, page 344.

[52] Fall Malick (1967), – La Plaie, Paris, Albin Michel, page 146.

[53] Sadji Abdoulaye (1958), Maïmouna, Paris, Présence Africaine, page 344.

[54] Sadji Abdoulaye (1958), – Maïmouna, Paris, Présence Africiane, page 59.

[55] Xala, op. cit., page 112.

[56] Le rescapé de l’Ethylos, op. cit. pages 334 à 346.

[57] Matraqué par le destin, op.cit., page 126.

[58] Karim, op cit. page 149.

[59] Camara. Laye (1974) Dramouss, Paris, Presse Pocket, page 149.

[60] Karim, op. cit. page 149.

[61] L’Aventure ambiguë, op. cit. page 137.

[62] Tiemo Bokar, op. cit., page 11.

[63] Les Soleils des Indépendances, op. cit., page 101.

[64] Tierno Bokar, op. cit., page 11.

[65] Sembêne Ousmane (1965), Le Mandat, Paris, Présence Africaine.

[66] Saint Monsieur Baly, op. cit., pag,117.

[67] Matraqué par le destin, op. cit., page 8.

[68] J.C. Froëlich – Musulmans d’Afrique noire, op, cit., page 313.

[69] Maïmouna, op. cit., page 21

[70] La Plaie, op. cit., page 41

[71] Loba. Aké, – Les fils de Kouretcha, Paris, Edition de la Francité, page 115.

[72] Saint Monsieur Baly, op. cit., page 62.

 

[73] Diallo Bakary (1926), Force Bonté, Paris, Rieder et Cie, page 50.

[74] Les Soleils des Indépendances, op. cit.,

[75] Maïmouna, op. cit., page 130.

[76] Sembène Ousmane : Ô pays mon beau peuple, Paris, Presse Pocke

[77] Sous l’Orage op.cit., page 44.

[78] Matraqué par le destin op. cit. page 8.

[79] Le devoir de violence, op. cit., page 35.

[80] Le devoir de violence, op. cit., page 35.

[81] Matraqué par le destin, op. cit., page 40.

[82] Buur Tileen, op. cit., page 96.

[83] Diagne, Amadou Mapaté (1920) Les trois volontés de Malic, Paris, Larousse, page 8

[84] La Plaie, op. oit., page 37

[85] Matraqué par le destin, op. cit., page 40.

[86] Idem. page 40

[87] Maïmouna, op. cit., page 21

[88] Buur Tillen, op. cit., page 96

[89] Buur Tillen op. cit., page 58

[90] Les bouts de bois de Dieu, op. cit., page 81

[91] Idem page 96

[92] Force Bonté op. cit., page 199

[93] Les fils de kouretcha, op. cit., pages 171.

[94] Les Fils de Kouretcha op. cit page 171

[95] Les Soleils des Indépendances, op. cit. page 66

[96] Maïmouna op. cit., page 352

[97] Saint Monsieur Baly op. cit., 97.

[98] Les FIls de Kouretcha op. cit., page 16

[99] Xala op. cit., page 112

[100] Nini, op. cit., page 382

[101] Nini op. cit., page 382

[102] Karim, op. cit., page 148.