Claude Estier
Développement et sociétés

LES SOCIALISTES FRANCAIS ET L’AFRIQUE

Ethiopiques numéro 03

Revue socialiste de culture négro-africaine

Juillet 1975

 

Les événements politiques en France, les débats qui ont eu lieu pendant la campagne présidentielle, ont amené de nombreux observateurs à penser que la vie politique française était largement circonscrite à ses aspects les plus locaux. Il est de fait que la politique Internationale est, depuis des années et particulièrement dans le cadre du système gaulliste, considérée par beaucoup comme un domaine réservé, une affaire d’expert qui ne concerne pas les intérêts du peuple. La dépolitisation des Français recherchée par les partis de droite ne peut qu’accentuer cette triste évolution. Et pourtant, jamais la politique internationale n’a été autant au cœur du débat : qu’il s’agisse des interventions impérialistes (Vietnam, Chili), de la politique de détente, de la fin de la décolonisation (Mozambique, Angola) et surtout de la question des matières premières, tout nous prouve l’importance fondamentale du contexte international sur les options politiques nationales.

Pendant la campagne présidentielle de 1974, de nombreuses voix se sont élevées pour stigmatiser les attitudes d’égoïsmes nationaux et pour demander aux candidats d’élargir le débat à son aspect le plus large. Des autorités religieuses, des associations de soutien, ont fait valoir tout l’intérêt que représentait, pour l’ensemble du monde, une prise de conscience claire de la situation relative des peuples. En particulier, la question de ce qu’il est convenu d’appeler le Tiers-Monde a été souvent évoquée et de nombreuses questions posées aux divers candidats. Si le débat mené sur ce sujet a été malheureusement trop peu suivi, il importe d’autant plus de le remettre à présent au grand jour.

Il n’est pas inutile de rappeler ici, sans verser dans la polémique facile, une phrase de M. Giscard d’Estaing, alors ministre des Finances, nous expliquant : « Nous ne guérirons pas la misère du monde ; elle est inscrite dans la fibre de l’homme, au même titre que la maladie et la mort ». Curieuse analyse pour un si haut responsable. Pour notre part, nous préférons nous référer aux déclarations de François Mitterrand, critiquant l’attitude des intérêts privés, face à la misère du Tiers-Monde, reliant cette misère au comportement des mêmes intérêts et réclamant une nouvelle politique et une nouvelle organisation économique, basée en particulier sur une revalorisation des richesses nationales des pays du Tiers-Monde.

La position des socialistes français, face aux problèmes du Tiers-Monde, est souvent mal connue. Elle s’affirme (et s’affine) pourtant de jour en jour. Elle n’est évidemment pas parfaite et homogène, mais ce fait même prouve l’intérêt du problème au sein du parti socialiste et l’importance que nous attachons au débat démocratique. Il est vrai que les motivations de certains sont plus charitables, les motivations de certains autres plus politiques. Il reste que la question est de plus en plus largement débattue et que le fait même avait amené à créer, au congrès de Grenoble, un secrétariat particulier pour les questions du Tiers-Monde. Depuis, nombreux ont été les camarades qui ont demandé à travailler et à réfléchir, en liaison avec le secteur. Le sentiment internationaliste qui soutient de nombreux militants a débouché sur une réflexion serrée et l’élaboration, de plus en plus claire, d’une doctrine socialiste.

Parmi les questions qui ont été le plus largement débattues, depuis quelques années, au sein du parti socialiste, figure celle de la coopération. Issue d’une idée gaulliste, celle-ci ne nous semble pas avoir atteint son objectif. Elle a, beaucoup trop souvent, servi de support à une forme de néo-colonialisme dont les effets ont été stigmatisés même par des personnes pourtant peu suspectes d’hostilité, tel que M. Pearson, premier ministre canadien.

Nous croyons qu’une doctrine de coopération nouvelle est à élaborer, dans le cadre du respect de l’indépendance des peuples, pour promouvoir le développement réciproque des pays concernés. Mais nous croyons aussi que cette réelle coopération ne peut se construire que dans le cadre de système débarrassé de la contrainte systématique et pesante d’intérêts particuliers qui influent sur les décisions en privilégiant leurs propres objectifs par rapport aux besoins des peuples. C’est pourquoi nous affirmons notre conviction que seul un régime socialiste en France pourra promouvoir une réelle coopération.

Du strict point de vue de notre sensibilité socialiste, donc largement internationaliste, nous ne pensons pas qu’une coopération socialiste devrait privilégier telle ou telle zone du monde. Tous les peuples sont frères et notre ambition de solidarité est mondiale. Notre diplomatie serait donc plus mondialiste. Néanmoins, de nombreux liens historiques, culturels et sociaux attachent le peuple français à la plupart des peuples africains. Nous ne pouvons que reconnaître ce fait heureux et que chercher à consolider ces liens dans le cadre futur d’une nouvelle politique.

Réfléchir sur les formes actuelles des rapports entre la France et l’Afrique, comprendre l’évolution politique et économique de cette partie du monde, élaborer des rapports futurs, débarrassés de toute pratique de domination, voilà des objectifs immédiats et dont l’intérêt est de plus en plus ressenti par une large fraction de la population française, malgré le silence ou l’information, souvent erronée, imposés par le pouvoir actuel.

Un faux système de coopération

Sous la pression des forces anti-coloniales, aussi bien autochtones que françaises (et les socialistes authentiques ont eu leur part d’activité en France face à ce problème), le colonialisme a certes disparu presque complètement en Afrique, mais il a été remplacé par une forme de rapports que nous n’hésitons pas à appeler néo-coloniaux. La structure juridique a évolué, l’exploitation demeure, voire s’accentue. Dans la zone franc, par exemple, le mécanisme de soutien des prix des produits tropicaux a disparu peu après l’indépendance.

Dans les années récentes, l’impérialisme économique s’est essentiellement traduit par la détérioration des termes de l’échange ; mais il est des formes d’exploitation plus subtiles qui ont toutes chances de se développer dans les années à venir, compte tenu des nouvelles exigences et de la solidarité naissante des pays producteurs de matières premières : les ventes de services à des prix prohibitifs, et surtout le jeu de multinationales qui permet, par exemple, de localiser les bénéfices aux endroits les plus avantageux.

Du strict point de vue de l’impérialisme français sur l’Afrique, le fonctionnement de la zone franc a été un élément fondamental. Le retrait de Madagascar et de la Mauritanie marque, s’il en était besoin, à quel point le thème de coopération n’a pas correspondu, dans la pratique, aux objectifs qu’il s’était fixe.

Il n’est pas de notre ressort de juger id de ce qui est bon ou mauvais pour les peuples africains. Mais il nous est quand même possible de marquer les aspects les plus négatifs des rapports qui ont été établis entre les peuples des pays développés (en particulier la France) et les peuples africains.

Un phénomène marquant, qui nous semble résulter de la forme prise par ces rapports, est la dépendance très importante, vis-à-vis de l’extérieur, de la plupart des pays d’Afrique.

– Le commerce extérieur joue un rôle très important dans le circuit économique. Une part souvent considérable de la production est exportée, alors que, dans les pays développés, elle est principalement destinée au marché intérieur. Corrélativement, les importations sont fortes et comprennent souvent, à côté des produits finis, des biens de première nécessité qui pourraient être produits sur place.

– Par ailleurs, le financement de l’économie (investissement, mais aussi souvent fonctionnement courant de l’administration) échappe en large part au contrôle des gouvernements africains. En effet, l’épargne est largement exportée (bénéfices des compagnies étrangères, parfois épargne de certains nationaux) ; de plus, la dégradation des termes de l’échange, en particulier sur les produits agricoles, nuit à la capacité d’investissement. La plupart des pays sont ainsi amenés à faire appel à la « bonne volonté » des capitalistes ou des gouvernements, à inviter les capitaux privés à s’investir, à s’endetter auprès des organismes internationaux, etc…

– Enfin, le phénomène de l’immigration, c’est-à-dire du transfert vers les pays développés d’une partie de la capacité de travail nationale, conséquences de la faiblesse de l’investissement local, hypothèque gravement les possibilités de développement des pays africains s’il n’est pas partie intégrante d’un plan de mise en valeur national que les intérêts capitalistes ne sont pas toujours prêts à accepter.

Dans ce cadre général, l’aide apportée par les pays développés aux pays d’Afrique ne doit pas être considérée indépendamment, mais comme partie intégrante du système global des relations qui relient le Tiers-Monde à 1’ensemble du monde capitaliste développé.

Faute de faire une telle analyse, on reprochera à l’aide d’être trop faible, de s’exercer à travers des mécanismes administratifs complexes et lourds, d’être mal orientée, bref, d’être inefficace. Ces reproches sont parfaitement justifiés. Ils le sont d’autant plus dans des périodes critiques telles que celle qui a été caractérisée par la sécheresse au Sahel. Combien de fois les socialistes et les autres partis de gauche, de nombreux catholiques de gauche et tout simplement de nombreux Français n’ont-ils pas regretté la faible importance qu’accordaient les gouvernements des pays développés à ce problème dramatique, l’aumône dérisoire qu’ils octroyaient à grand renfort de publicité ? Il reste que l’aide, considérée simplement comme une aide, ou pire, comme une assistance, ne peut être apte à résoudre les problèmes qui se posent actuellement à la plupart des pays d’Afrique.

Quel est donc la signification réelle de la coopération actuellement pratiquée ?

Sous le vocable de coopération, se retrouvent des réalités très diverses, aussi bien des dons de l’Etat, des financements publics et des financements privés. La gratuité de cette aide est très limitée. Les retombées en sont nombreuses pour le donateur ; les apports privés sont la contrepartie de contrats de ventes ou d’investissements ; ils sont donc guidés par des considérations strictement commerciales.

Il ne viendrait à l’idée de personne de considérer que les usines implantées par P.u.k. aux Etats-Unis sont une aide pour les Etats-Unis. Cependant, si P.u.k. installe une usine au Zaïre, le montant de cet investissement sera comptabilisé dans l’aide française à l’Afrique.

Pour ce qui concerne l’aide publique, il faut, nous semble-t-il, tenir compte de deux phénomènes : le type d’aide et la contrepartie de l’aide.

Pour ce qui concerne le type d’aide, nous constatons la forte prédominance de l’aide culturelle de la France à l’Afrique. Il va de soi que les échanges culturels entre peuples nous paraissent essentiels et sont à développer, ne serait-ce que pour favoriser la compréhension mutuelle. Mais l’obsession de la francophonie comme une fin en soi doit, à notre sens, être largement remise en cause. Nous ne croyons pas qu’aider un pays consiste à transplanter systématiquement nos valeurs, notre mode de vie et surtout notre type de développement. C’est aux peuples concernés qu’il appartient de découvrir et de mettre en œuvre leur modèle de développement. Il est, en ce sens, regrettable que peu d’efforts aient été faits dans le cadre de l’aide pour la recherche d’une meilleure organisation de l’agriculture dans de nombreux pays africains. L’agriculture a été très souvent la grande victime de la dépendance internationale que subissent les pays africains. Au lieu d’aider à l’organisation de la production agricole, en fonction des besoins des peuples concerné, l’aide a souvent orienté celle-ci vers les débouchés extérieurs, la soumettant elle aussi à toutes les fluctuations conjoncturelles ou climatiques (arachide, coton). Et pourtant l’amélioration de la production agricole est possible. Effort d’organisation, introduction de nouvelles espèces, progrès en génétique, campagnes d’assainissement, etc…

Les contre parties de l’aide ne sont pas moins regrettables. Le plus souvent, l’aide est liée, c’est-à-dire que les achats correspondant à l’aide monétaire se font dans le pays aidant, à des conditions souvent défavorables. C’est ainsi que le rapport entre commerce et aide est sensiblement égal à 4 pour l’Afrique francophone.

Tout cela ne signifie pas que l’aide soit totalement nocive. Mais il est clair qu’elle n’est pas toujours conçue en fonction des besoins des pays concernés.

Dans ces conditions, la question qui se pose fondamentalement aux pays africains n’est pas le volume de l’aide, mais le cadre dans lequel elle se place. En particulier, la possession des ressources nationales est un élément essentiel pour le développement national ; la commercialisation de ces mêmes ressources à un prix rémunérateur est le deuxième volet d’une réelle politique de coopération.

Nous ne sommes pas, nous socialistes, des critiques systématiques de toutes les tentatives des gouvernements de droite. Mais nous nous refusons à applaudir à la moindre de leurs velléités. La bonne conscience ne remplace en aucune façon l’action réelle. Et l’attitude des gouvernements français capitalistes prouve son refus d’un développement réel des pays qu’il influence, c’est-à-dire en particulier de nombreux pays africains ; qu’il s’agisse du refus de réelles actions régionales ou interrégionales, du refus de participer activement à une véritable politique agricole (conférence de Rome), de l’ambiguïté de ses positions vis-à-vis de l’échange inégal (conférence de Kingston), tout prouve à l’évidence la distance qui sépare les vœux des gouvernements capitalistes et les intérêts qui les soutiennent.

Une Afrique en pleine mutation

De près ou de loin, les socialistes français se sont toujours sentis concerné par l’évolution du continent africain. La situation actuelle ne peut qu’accentuer l’importance qu’ils accordent à cette partie du monde.

En effet, l’Afrique est actuellement le continent le plus riche en potentialités politiques. D’une part, il est au centre de la question brûlante des matières premières et donc très marqué par les problèmes de développement ; d’autre part, il est au cœur des contradictions de l’impérialisme (décolonisation, apartheid, question arabe).

En fait, l’Afrique est riche par la diversité des situations politiques qu’elle recèle : aussi bien trouve-t-on des séquelles du colonialisme le plus rétrograde et du racisme le plus odieux que des tentatives de développement national axe vers le progrès économique et social. Ce qui frappe cependant l’observateur politique, c’est que, malgré des niveaux très divers de conscience politique et de développement national, les peuples qui se reconnaissent en tant qu’Africains font preuve, en dépit de divergences inévitables, quoique parfois regrettables, d’une solidarité active, d’un réel esprit internationaliste. La récente affaire du pétrole ne nous semble pas devoir être analysée comme la création d’un nouveau clivage entre peuples, mais comme une victoire d’une partie des pays dominés, donc comme une victoire du Tiers-Monde sur l’impérialisme. La plupart des pays « pétroliers » l’ont compris qui ont apporté une aide à leurs frères, les autres peuples africains.

C’est pourquoi, préliminairement à toute analyse parcellaire et détaillée de la question africaine, nous tenons à affirmer notre certitude qu’il n’y a pas plus pour nous de démultiplication de la question du Tiers-Monde qu’il n’y a de démultiplication de la classe des travailleurs en France. Nous nous refusons à tout découpage dont l’objectif n’est que de dresser les uns contre les autres et qui sépare à l’infini les plus riches, les riches-pauvres, les moyens riches, les pauvres-riches, les petits pauvres, etc.…, etc…

Ceci étant, nous pouvons dire, pour entrer dans le détail, que l’Afrique n’est peut-être pas si mal partie. Elle nous semble être entrée dans une phase active de lutte contre l’impérialisme et de recherche de son développement.

– Une phase active de lutte contre l’impérialisme à la fois par des moyens économiques et par des moyens directement politiques.

Du point de vue économique, c’est tout d’abord la récupération des richesses nationales et leur utilisation de façon rentable pour la nation.

Si le grand public a surtout été frappé par la question pétrolière et l’a souvent assimilée à la question du Proche-Orient, il a oublié que l’Afrique était, plus peut-être que tout autre, concernée par cette question. Des producteurs africains de pétrole : l’Algérie, le Nigeria ont été largement concernés par ce problème. Qui plus est, des mouvements divers ont immédiatement suivi les décisions de l’O.p.e.p. Ce furent d’abord le relèvement du prix des phosphates marocains, sénégalais et togolais, de l’uranium du Gabon, puis des nationalisations en chaîne dans de nombreux pays africains.

Partout les pays africains prennent en main leur destin et particulièrement les leviers économiques de leur propre pays : phosphates au Togo, au Sénégal, fer en Mauritanie, etc…

Cette simple reprise en main ne suffirait pas si le rapport de forces établis restait le même. Mais l’organisation des peuples va de pair avec la prise de conscience. La coordination réelle entre les aspirations populaires a été clairement démontrée au cours des conférences les plus récentes, en particulier à Kingston, où l’Afrique a prouvé, face aux pays capitalistes, à la fois sa puissance, sa détermination, sa capacité d’analyse. Situation qui permet d’entrevoir, comme le préconise le président Boumediène, une nouvelle organisation économique mondiale. Bien entendu, tout n’est pas idéal et l’organisation des marchés est loin d’être satisfaisante ; mais nous sommes convaincus que l’évolution ne peut être que bénéfique à terme.

Du point de vue strictement politique, c’est évidemment face aux séquelles du colonialisme que l’activité a été la plus marquée ; il est réconforté de constater que c’est l’œuvre des mouvements progressistes africains qui a entraîné la chute du fascisme au Portugal. La situation, encore que très complexe en Angola, semble évoluer vers une solution de progrès. La libération de la Guinée Bissau et du Mozambique ouvrent en Afrique des perspectives tout à fait nouvelles. En particulier, la création d’Etats progressistes constitue dès à présent un barrage face à la tentative d’expansionnisme du racisme blanc en Afrique australe. Dès à présent, la Rhodésie doit reposer le problème de sa stratégie. Là encore, l’attitude générale de solidarité des pays africains a été un élément extrêmement positif. L’exclusion de la délégation d’Afrique du Sud à l’Assemblée générale de l’Onu est la résultante de cette solidarité.

Au fond, ce qui nous passionne et nous amène de plus en plus à croire en l’avenir de l’Afrique, c’est, pour nous socialistes, le sentiment d’un niveau de conscience politique très élevé dans l’ensemble du continent africain. Cette conscience est tout d’abord celle de l’identité nationale qui se fixe de plus en plus pour objectif le progrès et délaisse les faux semblants stériles de tout chauvinisme. Qu’il s’agisse de l’Afrique du Nord (Magreb, Mackrek), de l’Afrique francophone en général, de l’Afrique de l’Est (Ethiopie, Tanzanie, Zambie. etc.…), des anciennes colonies portugaises, etc.…, de plus en plus les dirigeants sont amenés par l’Histoire à orienter leurs pays vers le progrès économique dans le cadre de l’affirmation nationale.

Mais cette conscience est aussi celle de la signification et du rôle politique des masses dont la politisation nous semble progresser sous l’impulsion des dirigeants que, de plus en plus, elles choisissent. Il est vrai que cette évolution ne se fait pas sans heurts et que la démocratie, telle que nous la souhaitons, n’est pas toujours entrée dans les mœurs politiques africaines. Nous regrettons, par rapport aux principes du socialisme, certaines formes prises par l’action de gouvernements dont certaines orientations sociales et économiques sont pourtant positives.

Il va de soi que le tableau esquisse ci-dessus est idyllique et que, au cas par cas, la physionomie de l’Afrique quelques années et affirmée par de grands auteurs africains, tel que Ki Zerbo, nous semble favorable : une recherche de son développement, grâce à des expériences très diverses et souvent très originales.

L’énumération exhaustive des différentes expériences menées sur le continent africain serait certainement trop longue. Dans tous les domaines des expériences originales ont eu lieu qui ont fait enrichir notre propre connaissance.

Dans le domaine industriel, les formes de gestion, dans un cadre planifient des entreprises algériennes, ont marqué une étape essentielle dans le développement national des pays africains.

Dans le domaine agricole, des réformes agraires très diverses ont été effectuées. L’organisation de l’agriculture en Tanzanie marque, par exemple, pour nous, une tentative progressiste très intéressante. Divers essais d’organisation coopérative ont eu lieu : celle menée par des socialistes malgaches semble porteuse d’avenir à la fois en tant qu’embryon d’organisation nouvelle et en tant que méthode de formation des agriculteurs.

Dans le domaine du développement régional, les pays africains ont souvent associé leurs efforts et coordonné leurs plans afin de promouvoir un progrès local optimal. Les Etats de l’Afrique anglophone de l’Est ont ainsi marqué leur volonté et leur capacité de développement.

Ces quelques exemples montrent, s’il en était besoin, tout le potentiel que recèle l’Afrique, toute la volonté dont elle a fait preuve. Bien entendu, les résultats ne sont qu’embryonnaires et l’impérialisme ne peut accepter sans réagir ces évolutions positives.

De plus, le soutien des masses n’est pas systématiquement encore (malgré les progrès évoqués ci-dessus) conçu par certains dirigeants hésitants comme l’élément indispensable à toute réelle transformation de progrès. Néanmoins, l’objectif est à la hauteur des difficultés et là encore, nous ne pouvons que croire en l’avenir.

Des socialistes français face à l’Afrique

L’Histoire nous a prouvé une vérité. Il ne nous appartient pas à nous socialistes français, de diriger le processus de transformation des autres peuples. En ce sens, il est exclu que nous donnions des leçons ou que nous nous immiscions dans les affaires internes des pays africains.

Cette première constatation nous a souvent amené à critiquer l’action des divers gouvernements qui se sont succédés en France depuis 1958. En particulier l’ombre qui entourait l’activité du secrétariat de la Présidence de la République aux Affaires africaines et malgaches nous avait conduit à préconiser, dans le programme commun, sa suppression.

Nous ne prétendons pas, bien au contraire, prendre prétexte de ces principes pour nous laver les mains de l’évolution de l’Afrique. D’une part, nous croyons que l’intérêt réciproque des peuples réside dans la recherche d’une véritable coopération. D’autre part, trop de liens économiques, historiques et culturels nous attachent à l’Afrique pour que nous la considérions comme un simple ensemble de partenaires commerciaux.

C’est pourquoi nous pensons qu’un gouvernement socialiste devra concevoir une nouvelle politique de rapports avec le Tiers-Monde dans laquelle la spécificité de l’Afrique sera affirmée, bien qu’entrant dans le cadre général des nouveaux principes.

Ceci étant, nous pouvons dire, pour entrer dans le détail, que l’Afrique n’est peut-être pas si mal partie. Elle nous semble être entrée dans un phase active de lutte contre l’impérialisme et de n’est pas encore idéale. Il reste que la tendance générale installée depuis

Dans l’immédiat, n’étant pas nous-mêmes partie prenante du gouvernement de la France, notre action ne peut être que de propositions et surtout de soutien politique à toutes les tentatives progressistes. Mais il importe de préparer dès à présent le renouveau pour le jour ou le peuple français nous donnera mandat pour conduire la transformation. De nombreux camarades, de nombreux Africains, ont travaillé en commun dans le cadre des commissions d’étude du parti, pour élaborer une doctrine pouvant déboucher sur une pratique socialiste future. Ces travaux ont été largement utilisés par François Mitterrand au cours de la dernière campagne présidentielle. Ils servent actuellement à la sensibilisation du peuple français par le biais de brochures diverses et permettent de combattre l’influence lamentable d’idéologies de droite (cartiérisme, etc.…).

Au fond, la doctrine que nous préconisons se résume dans un seul mot : coopération. Nous ne sommes donc pas les premiers à préconiser la chose. Simplement, nous pensons que seul un gouvernement socialiste, débarrasse des intérêts divers qui fondent l’action de tout gouvernement capitaliste, peut réaliser une réelle coopération entre les peuples. Nous ne méconnaissons pas les bonnes intentions de certains dirigeants français jusqu’alors ; nous disons simplement qu’elles ne peuvent que rester au niveau des velléités.

Qu’est-ce donc qu’une coopération ? Tout d’abord ce sont des rapports entre partenaires égaux. La coopération suppose donc la souveraineté nationale, et donc, comme nous le signalions plus haut, la possession des richesses nationales. Les socialistes ne s’opposent donc pas au principe de la nationalisation. De plus l’égalité présuppose surtout la fin de ce que de nombreux théoriciens ont appelé l’échange inégal. Que signifie une coopération dont la caractéristique essentielle est, comme le disait P. Jalee, un phénomène de pillage ? Nous pensons donc justifiée la prétention des pays africains, prétention affirmée à Kingston, à Alger, etc.…, à la revalorisation et au soutien des cours des matières premières, bref à une réelle organisation mondiale des marchés. Ce faisant, nous ne prétendons pas faire œuvre philanthropique. Dans un monde où, paradoxalement, les économies occidentales manquent de débouchés alors que les 3/4 de la population mondiale ont des besoins insatisfaits, ou les capitaux ne trouvent plus à s’investir, le développement du Tiers-Monde semble, en bonne logique, une solution face à la crise. Mais cette solution n’est applicable que, d’une part, si les intérêts privés, qui freinent le développement, peuvent être contrariées, d’autre part, si l’organisation de l’économie est réellement planifiée. C’est pourquoi seul un gouvernement socialiste est apte à la mettre en œuvre ; il reste que, dans ce cas, le développement conjoint ne peut être que bénéfique à l’ensemble des peuples.

Voilà donc défini le cadre d’égalité dans lequel s’inscrira une réelle coopération. Quant aux modalités pratiques de la coopération, il apparaît évident que, dans le contexte, elle n’aura plus la signification d’une assistance, mais d’une aide au développement. Comment sera alors défini cette aide ?

Elle sera tout d’abord partie intégrante d’un plan librement négocié entre les pays en cause. Les liens nombreux qui nous lient à l’Afrique ne peuvent que faciliter l’élaboration concrète de ce plan.

Cette forme d’élaboration ne peut que favoriser les intérêts des peuples dans la mesure où se sont les confrontations de ces intérêts qui permettront de dégager les grandes orientations. Il va de soi que les socialistes français ne bâtiront donc pas par leur choix sur les mêmes critères que les représentants du capitalisme. Tout d’abord, la coopération sera menée de peuple à peuple et pas d’intérêts privés à l’Etat. Ceci veut dire qu’il n’y aura pas de coopération avec des gouvernements notoirement anti-populaires tels que régimes racistes ou fascistes (Afrique du Sud, Rhodésie). Ceci veut dire aussi que parmi les critères de développement pourront enfin émerger ceux qui correspondent à l’intérêt des peuples. Jusqu’alors trop de dépenses somptuaires, trop d’équipements strictement calqués sur notre mode de vie ont été élaborés. Il importe de définir, en collaboration étroite et dans l’optique du plan, les actions qui conviennent le mieux au développement local. Parmi les exemples les plus simples, citons la promotion de l’agriculture adaptée aux besoins locaux (plan d’irrigation, introduction d’espèces, méthodes intensives), les investissements collectifs directement adaptés au développement régional ou interrégional, les équipements sociaux, etc…

Il ne nous appartient pas de dresser ici les grandes lignes du développement de l’Afrique, il nous faut cependant nous préparer à y participer.

Au fond, l’Afrique a longtemps été pour nous une inconnue ; et ceci d’autant plus que nous avons fait semblant de la comprendre. Nous en sommes maintenant plus proches que jamais car nous avons, nous socialistes, abandonne l’idée stérile et dérisoire qui consiste à croire que nous avons la mission de révéler les peuples d’Afrique à eux-mêmes et que nous avons compris qu’elle était, par ses efforts constants, par l’action de ses travailleurs, de ses peuples, en train de se révéler à nous.

Il nous appartient maintenant d’œuvrer de conserve pour le développement du monde, c’est-à-dire pas seulement celui des pays dits sous-développés, mais aussi celui de la France. Notre coopération ne peut être que fertile. Nous avons tous à y gagner.