Hommage à Léopold Sédar Senghor

LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR OU LA MAGIE ÉCHÉVELÉE D’UNE VIE

Ethiopiques numéros 37-38

Revue trimestrielle de culture négro-africaine

Nouvelle série 2eme et 3ème trimestres 1984 volume II n° 2-3

Les réussites et les grâces se communiquent et se répondent tout au long de la vie de cet homme que le poids du malheur et des peines n’a pas épargné aussi, obéissant ainsi à la rythmique d’un puissant destin qui mêle étrangement charme et douleur.

Senghor aura tout appris de la vie. Il en aura aussi tout désappris, telle la violence de ce destin cruel qui, ces dernières années, a rompu la symphonie d’une trame de vie tranquille que rien ne semblait vouer à des chutes brutales. Je pense, bouleversé encore, à la perte irréparable de son fils Philippe Maguilen. Pour le poète comme pour la bleue normande de la solitude et le vide sont encore grands.

Mais n’est-ce pas qu’il s’agit, aujourd’hui, de rendre hommage à l’académicien ! J’ai eu à le dire : Senghor à l’Académie Française, c’est donner à l’homme et au poète la part qui lui revient. Ce n’est enfin ni la consécration d’une vie littéraire encore moins le commencement d’une autre vie. C’est la continuité remplie, belle et profonde d’une action et d’une pensée qui ne touchent à aucune frontière achevée de la vie. Écrire est une course sans fin vers la lumière et vers l’ombre.

Le Poète et le Penseur confondus auront tout donné à la langue et à la culture françaises pour en mériter en retour des honneurs et une consécration qui ne peuvent hélas s’arrêter qu’à ce que la France a de plus grand à donner dans le domaine de l’ESPRIT : l’Académie Française !

Senghor y est aujourd’hui entré, et toute la France était là à travers l’homme qui incarne sa souveraineté et protège ses libertés : François Mitterrand, Président de la République. Elle a donné à Senghor tout ce qu’elle possédait.

Cher Poète, c’était leur lumière la plus avancée, leur grotte d’or qui n’abrite que l’homme accompli. Que te reste-t-il à faire ? Où te reste t-il à aller ? Fortifie cette lumière et peut-être qu’il en naîtra une autre. L’ESPRIT a tant à offrir !

Et de grâce, qu’on n’en veuille pas à ce Nègre d’avoir franchi les portes de cette haute demeure. Elle n’est pas faite pour une seule et unique race. Elle est faite pour l’homme et pour la gloire de l’homme. Sinon la France ne serait pas la France. Et d’ailleurs, l’esprit n’appartient à aucune frontière. Et tant mieux si le génie de l’homme a ce pouvoir d’assimilation et de dépassement qui lui permet librement d’enrichir et d’aimer d’autres cultures au seul profit de l’intelligence humaine et du rapprochement des races et des peuples.

Et c’est parce que Senghor appartient à l’esprit du monde, c’est parce qu’il n’appartient ni au Sénégal ni à la France que nous devons TOUS être fiers de son entrée à l’Académie Française. Ce n’est ni le triomphe de la France ni celui du Sénégal encore moins d’une quelconque Europe sur une quelconque Afrique. C’est le triomphe de la CULTURE. Celle qui unit et rapproche les races et les peuples.

Qu’elle me paraît si juste aujourd’hui, si belle et si souhaitable la thèse de la CIVILISATION DU METISSAGE CULTUREL que prône le Poète consacré Académicien. C’est bien là l’avenir paisible du monde en face de la fragilité de l’univers voué à l’apocalypse nucléaire.

Il n’y a et il n’y aura que les hommes pour se sauver eux-mêmes. Et il n’y a et il n’y aura que la CULTURE pour mieux les y aider.

Léopold Sédar Senghor à l’Académie Française : les générations futures se souviendront qu’il s’agit d’un fils de l’Afrique, qui le premier, osa proclamer la primauté de l’Esprit sur celle moderne de l’Economique.

L’histoire, si elle se répète, c’est qu’elle aura retenu tard la leçon du Poète et du Penseur africain.

L’Académie Française réactualise opportunément un génie.