Littérature

LE FAIT LITTERAIRE DANS L’ŒUVRE DE HENRI LOPES : ELEMENTS D’UNE SOCIOLOGIE DE LA LITTERATURE AFRICAINE

Ethiopiques n°52

revue trimestrielle

de culture négro-africaine

1e semestre 1989 – vol. 6 n° 1

L’œuvre de Henri Lopes accorde une place non négligeable au fait littéraire. On y dénombre plus d’un personnage à vocation littéraire, mais aussi de larges citations de titres de livres. Le fait littéraire dans cette œuvre dépasse en fait ces trois dimensions (création, lecteur, livre). Lopes thématise aussi les rapports littérature /société en faisant jouer un rôle essentiel au fait littéraire dans le développement des sociétés africaines.

Lopes fait la distinction entre les livres qu’on pourrait qualifier de « mauvais », auxquels il ne trouve aucune utilité sociale (romans policiers, romans-photo, bandes dessinées) et les « ouvrages sérieux » (Tribaliques, p.117) dont la lecture est profitable. Nous nous proposons d’analyser quelques rapports de la littérature à la société, tels qu’ils apparaissent dans l’œuvre de Lopes.

Lecture, émancipation et développement

Lopes ne dénie pas à la littérature son importance dans la formation scolaire de ses personnages étudiants et élèves. Mais le commerce avec la littérature en contexte scolaire porte le sceau de l’autorité et est fonctionnel : on lit, on étudie les livres « au programme » pour réussir à ses examens, donc pour se faire une place dans sa société, l’école étant encore aujourd’hui en Afrique noire un des garants de la promotion sociale. Le commerce avec le livre est donc fonctionnel dans ce cas.

A ces rapports rigides et prédéterminés, Lopes oppose les rapports libres. Ceux-ci remplissent aussi une fonction, non point matérielle comme dans le premier cas, mais morale : le livre devient un instrument au service d’une certaine émancipation individuelle dont peut profiter la société, à condition que le lecteur fasse bénéficier celle-là des connaissances et expériences acquises au contact du livre.

L’exemple le plus concret de cette émancipation nous est donné dans La nouvelle romance, où Wali, une femme doublement opprimée par son mari et la société (fonctionnant sur des bases traditionnelles) parvient finalement à s’émanciper grâce en partie à l’étude et à la lecture, émancipation qu’elle s’engage à investir au profit d’une révolution dans son pays.

Dans le même roman nous avons une autre femme, Awa, institutrice, qui se met aussi à l’étude et lit beaucoup afin de pouvoir intégrer l’intelligentsia du pays. Elle veut prouver aux hommes que les femmes peuvent les égaler. La lecture ici est une des armes de la lutte des femmes.

C’est surtout dans Sans tam-tam que Henri Lopes expose l’importance de la lecture. Gatsé, le héros du roman, citoyen modèle et dévoué au service de son pays (il refuse un poste de Conseiller Culturel à Paris pour rester le professeur de C.E.G. de brousse qu’il est), étale une culture livresque qu’on ne peut dissocier de sa personnalité. Chez Gatsé, le livre a joué un rôle important dans sa prise de conscience politique : « C’est oublier que je suis venu à celle-ci (la révolution) moins par la vie que par le livre. Celui-ci m’a aidé à déchiffrer celle-là. Et sans lui, ne perdrais-je pas ce désir de transformer notre monde ? » (p. 57). C’est dans ce même sens, et pour une connaissance et un amour plus profonds de l’homme que Gatsé, invite les hommes politiques à s’adonner à la lecture :

Le jour où toutes les directions politiques, hommes d’Etat ou de parti, auront avant d’être parvenus au pouvoir, lu, compris et assimilé Voltaire, Diderot, Rousseau, [L’idiot, Crime et châtiment, Souvenir de la maison des morts, ou Ubu roi, alors il ne sera plus nécessaire qu’ils aient subi l’humiliation de la cellule et de la salle de tortures pour avoir une vision plus humaine des droits de l’opposant politique (p. 83).

Le livre et la lecture peuvent être une école de la vie, faire acquérir au lecteur des expériences et une sagesse qui n’ont pas nécessairement besoin de naître d’une confrontation avec les réalités de l’existence ; ils offrent au lecteur l’occasion d’une précocité intellectuelle : « Quant aux romans, comme ceux de Peter Abrahams, Stephan Alexis, Jacques Roumain, Gorki, ce sont des expériences et des possibilités de mûrir avant les occasions de la vie » (p. 56).

Gatsé reproche à ses compatriotes leur médiocrité intellectuelle et morale, et leur conseille de se cultiver par la lecture plutôt que de consacrer leur temps de loisirs à des activités inutiles ou abrutissantes :

Mais ils (ses compatriotes) préfèrent utiliser leurs loisirs à s’égosiller au stade à danser comme des enfants et à courir leur makangou, plutôt que d’étudier seuls en de profitables lectures et de combler les lacunes laissées par le colon (p. 62).

Le rôle que joue la lecture dans la prise de conscience politique, dans la maturité du lecteur est indéniable. Mais alors se pose la question suivante : le lecteur, inspiré par les bonnes idées du livre, a-t-il toujours la possibilité de les transposer en actes concrets ? Si Gatsé tire profit de ses lectures et entend les investir, plus ou moins librement et de façon heureuse, dans le développement du pays, c’est qu’en fait il partage la même doctrine politique que les dirigeants du pays : le marxisme.

Par contre on s’imagine aisément que le passage de la théorie à la pratique devient impossible, sinon dangereux dans les pays où règne le parti unique, lorsque le lecteur ne se conforme pas à la ligne politique tracée par les dirigeants de l’Etat. Que reste-t-il alors à faire ? Cesser de lire des livres « sérieux » ou passer inévitablement dans le camp de la violence pour espérer mettre fin aux pratiques qu’il condamne et terminer probablement devant un peloton, à moins que, comme on l’a déjà vu, les dirigeants politiques eux aussi ne se mettent à lire « pour avoir une vision plus humaine des droits de l’opposant politique » :

Je te dis que je ne veux plus penser. Tous les Marx, Engels, Mao, que sais-je encore, je ne les ai pas sortis de mes malles depuis mon retour. Même les Shakespeare, Aragon, Césaire ou… Tolstoï. Je ne lis que des romans policiers. Je crois que si je lisais, ne serait-ce que Tolstoï et Ghandi, je serais obligé de me fabriquer des cocktails molotov pour aller les balancer dans cette sacrée société… Qu’est-ce que j’y gagnerais ? Hein ?… Dis-moi. D’être arrêté, pendu sur la place publique, déclaré martyr ? (Tribaliques, p. 99 demande Ndzodi, un jeune cadre, à son ami. La lecture de livres « sérieux » dans ce cas précis, peut être Source de frustration ou de résignation.

Autres avantages de la lecture

La lecture chez Henri Lopes n’a pas seulement cet aspect émancipateur. Elle peut aussi donner naissance à un certain orgueil, surtout chez les intellectuels qui n’hésitent pas, à l’occasion, à faire étalage de leurs connaissances livresques dans de beaux discours :

Et ils (les intellectuels) philosophaient en des termes trop compliqués à suivre, avec des mots obscurs qui finissaient tous par des ismes et des istes. Des savants, je vous dis. Ils citaient des noms que je n’ai pas retenus (..) Mais allez donc intervenir quand vous n’avez pas la chance de posséder la dialectique, vous (Le pleurer-rire, p. 17).

La connaissance des livres peut fonder aussi le droit à une certaine supériorité. C’est ce qu’on constate dans la Nouvelle romance, où les hommes justifient leur position dominante dans la société par leur meilleure formation intellectuelle. On comprendra alors pourquoi Awa l’institutrice dans ce roman s’efforce d’acquérir les mêmes connaissances que les hommes. Par ce biais elle cherche à s’émanciper.

La familiarité avec les livres peut encore être autrement profitable. Pour gagner les faveurs d’une femme par exemple, les personnages de Lopes parlent de leurs lectures, ou d’auteurs dont ils ont entendu parler, mais qu’ils ne connaissent que très médiocrement : « Pour briller devant Appoline, raconte Raphaël, je défendis quelques fois des points de vue que j’avais mal assimilés en prenant à témoins des auteurs que je n’avais pas toujours lus » (Tribaliques, p. 34).

La lecture enfin, sur un plan plus intime, peut-être d’un grand soutien moral dans les moments de détresse, une bonne compagne dans les moments de solitude. Ainsi en est-t-il dans la nouvelle romance où Wali se réfugie dans la lecture d’un livre d’Alfred de Musset pour oublier ses problèmes conjugaux : « Après le départ de Bienvenu (son mari) elle n’arriva pas à trouver le sommeil (…) Elle prit un livre que Awa lui avait prêté. Awa prétendait qu’un bon livre pouvait faire tout oublier » (p. 48).

Inconvénients de la lecture

On a déjà vu que la lecture peut conduire à la frustration, même dans les cas où elle est profitable. Il convient de ne pas en abuser. Du reste, les personnages d’Henri Lopes qui s’y adonnent le reconnaissent volontiers :

C’est ainsi que depuis l’Ecole Normale elle (Awa) avait cultivé le goût de la lecture qui lui était maintenant (elle se l’avouait quelques fois) un vice, voire une infirmité, la faisant paraître bizarre à son entourage (La nouvelle romance, p. 59-60).

C’est précisément à ce niveau social que le vice de la lecture prend de l’ampleur. Il oblige à la solitude : la lecture est un exercice à pratiquer dans le silence et la retraite. Le vice de la lecture fabrique alors des hommes associaux, égoïstes, réfractaires à toute forme de vie communautaire :

Un égoïsme (la solitude) que nos coutumes condamnent et dont je ne fais pas mystère outre mesure ; elle me pousse à rechercher, avec l’avidité et la persévérance d’un collectionneur, des moments à dérober à la chaleur du groupe, pour simplement lire un bon livre. Souvent, je le concède, lorsque je ferme la porte aux visiteurs importuns pour mieux m’adonner à mon vice, je me dis ne valoir guère plus qu’un vulgaire fumeur de chanvre (Sans tam-tam, p. 56).

Mais tous comptes faits, la lecture semble être un vice bénin. Finalement tous les personnages de Lopes qui s’y adonnent en tirent un grand avantage. Même les personnages peu sympathiques reconnaissent que le commerce avec la nature, cependant qu’ils dédaignent celle-ci, confère une certaine auréole. Ces derniers citeront aussi, par orgueil ou par souci de briller, mais faussement, des auteurs (comme M, le député Ngouakou-Ngouakou dans Tribaliques) : « Car comme le disait… euh !… euh !… comme le disait euh !… Enfin je crois bien que c’est la Fontaine… (Applaudissements…) Car, comme le disais-je, disait La Fontaine : « A travail égal, salaire égal » (Tonnerre d’applaudissements)… » (p. 55) ; ou possèderont des bibliothèques, si petites soient-elles, pour décorer leurs chambres. Pensant au contenu de celle de son voisin de chambre à l’université, Raphaël écrit :

Notamment je crois un recueil de poésies de Senghor, un Saint Exupéry d’une collection de poche, un livre intitulé La clé des songes, tout sur vous et les astres, et Comment devenir un bon orateur. Cette littérature entourait « Le petit livre rouge » et deux volumes d’une reliure chocolat, qui portaient en lettres d’or le nom de lénine. Je ne sais pas à quel moment il les feuilletait ou les lisait. C’était je crois un ornement au même titre que la photo de l’orchestre des Bantous qu’il avait accroché au mur (Tribaliques, p.28).

Lecture et écriture

La lecture est pratiquée aussi dans l’intention de se familiariser avec l’art de l’écriture. Nombreux sont les personnages de Lopes qui caressent le rêve de devenir un jour écrivains :

Mba et Raphaël dans Tribaliques, Awa dans La nouvelle Romance et Gatsé dans Sans tam-tam, s’adonnent passionnément à la lecture pour espérer réaliser ce rêve :

Cette discipline (la lecture) n’était pas gratuite. Ses (Awa) occupations avaient pour but de lui donner la formation nécessaire et à laquelle elle aspirait pour écrire. Ecrire.

Toute sa vie tendait vers ce but, car elle avait beaucoup à dire (…) Certes, ne se sentait-elle pas encore mûre pour le faire. Elle avait bien, par plusieurs fois commencé, mais avait brûlé ses pages, insatisfaite. Néanmoins, elle savait qu’un jour cela viendrait. Elle en était sûre. Pour le moment un commerce avec les grands écrivains lui permettait de mûrir la gestation (La nouvelle romance, p. 60).

Le métier d’écrivain est un métier pénible auquel se préparent patiemment les personnages de Lopes. Gatsé dans Sans tam-tam partage les mêmes expériences qu’Awa. Il tète ses débuts littéraires avec une pièce de théâtre, la pensée politique de Kwamé Nkrumah, et des poèmes. Voilà l’autocratique qu’il fait de ces débuts :

Déclamatoire et d’un didactisme plat, ma pièce était ennuyeuse, malgré (ou plutôt en raison de) quelques tirades d’une éloquence ronflante et démesurée. Je n’avais pas encore compris que même un militant ne va pas au théâtre pour voir un meeting. Quant à ma poésie, ce n’est ni plus ni moins qu’un discours politique, disons de la prose, où l’auteur allait souvent à la ligne pour donner l’illusion de la poésie. (p. 103)

Ce n’est donc pas seulement le militantisme d’un texte ou l’importance sociale du thème traité qui octroient d’emblée à la littérature son cachet spécial. La littérature reste avant tout un art qui requiert la maîtrise de l’expression et de la forme. C’est pour quoi, tout comme Awa, Gatsé renonce un moment à persévérer dans la médiocrité. Il vise à mûrir son art au contact des grands écrivains :

La maladresse de mon expression, disons mon manque de talent, a interrompu une activité à laquelle je ne renonce cependant pas. Je lis dans ce but. Je crois qu’à force de fréquenter et d’observer les virtuoses dans leur art, je pénétrerai bien un jour le secret de leur talent (Sans tam-tam, p. 104).

Ce débat sur l’esthétique littéraire appelle aussi la question de son objet. Chez les personnages de Lopes qui rêvent de devenir écrivains, il n’y a pas de doute qu’ils choisissent tous le parti d’une inspiration sociale.

Les femmes, telles Awa et Mbâ se proposent dans leurs futurs livres de faire connaître les problèmes de la femme africaine, d’aborder des sujets réalistes : « Et puis le monde dans lequel elle (Awa) vivait fourmillait de sujets, auxquels il lui semblait que la plupart des écrivains africains n’avaient pas touché » (La nouvelle romance, p. 60). Gatsé, pour sa part, pense non seulement à une autobiographie dans laquelle il raconterait les moments difficiles d’une enfance et d’une adolescence malheureuses (qui furent aussi le lot de tous les petits Congolais de sa génération), mais aussi à un thème qui lui inspire la médiocrité de certains fonctionnaires de l’Etat :

Tu me citeras, écrit-il à son ami, toute une camionnée de gens qui, sans complexe, n’ont pas refusé des fonctions plus délicates que celle que tu me proposes. Oui, je connais de tels tonneaux qui résonnent d’autant plus fort qu’ils sont vides. J’en ai souvent eu envie d’écrire quelque roman ou scénario de film (Sans tam-tam, p. 42).

Le vœu de Gatsé de devenir écrivain est exaucé. Gatsé lui-même ne le saura jamais puisque les différentes lettres qu’il adresse à son ami ne seront publiées sous le titre de Sans tam-tam qu’après sa mort. Une consécration posthume donc. Les thèmes qu’il se proposait un jour de traiter dans un livre trouvent déjà dans Sans tam-tam leur expression sous la forme d’une autobiographie doublée de considérations critiques sur la société.

L’inspiration sociale est admise de part et d’autre, mais une question reste ouverte : celle du médium linguistique de l’art littéraire. Faudra-t-il continuer d’écrire en Français ? Lopes aborde indirectement cette question lorsqu’il fait écrire dans Sans tam-tam à Gatsé qui réclame une de ses lettres à son correspondant de Brazzaville :

Tu sais, bien sûr, que je n’ai aucune crainte de te la voir utiliser contre moi. Par ailleurs, elle est banale à divers titres et sent un style décadent qu’une nouvelle génération régénèrera (en français ? en lingala ?) (Sans tam-tam p. 66).

Ce doute exprimé par Gatsé suggère la difficulté de résoudre le problème. Cette question de la langue adéquate pour une littérature africaine authentique appelle aussi celle de la forme. Lorsque Awa dans La nouvelle romance se propose d’écrire un jour, elle ne quitte pas l’idée de le faire dans une nouvelle « forme qui ferait d’eux (des écrivains africains) des oubliés, quand apparaîtraient une nouvelle floraison d’artistes et de lecteurs plus exigeants » (La nouvelle romance, p.60).

Aux questions précédentes, on peut ajouter la suivante : faudrait-il continuer d’écrire en se référant aux canons européens ?

La question de la langue et de la forme appropriées pour une littérature africaine authentique et originale implique aussi le problème de l’identité culturelle liée à la notion de littérature.

Gatsé se plaignait déjà sur les bancs de l’Ecole Normale du caractère aliénant de la littérature française figurant dans les programmes d’enseignement du Congo indépendant. A propos d’un sujet de dissertation française, il écrit :

Je m’attachais à lui (une camarade de classe, Sylvie) montrer le déplacé d’un tel sujet dans un pays qui venait d’accéder à l’indépendance et d’opter, depuis peu, pour le socialisme scientifique (Sans tam-tam, p.46)

Y a-t-il une littérature congolaise suffisamment consistante pour permettre la congolisation des programmes scolaires ? C’est la question que pose Sylvie à Gatsé, qui répond plus loin : « Nous ne pourrons congoliser nos programmes de littérature sans une production littéraire nationale suffisante par sa quantité et sa qualité » (Sans tam-tam, p. 87).

Il faut pour ce faire œuvrer à la promotion de cette littérature, pratiquer une politique efficace du livre. Comment ?

Les difficultés de promotion du livre africain

Les problèmes sont surtout d’ordre infrastructurel. A son ami qui lui reproche de s’être uniquement nourri d’auteurs non africains, Gatsé répond en énumérant certains aspects de ces problèmes :

  1. L’insuffisance ou la rareté de maisons d’éditions sur le continent, obligeant les Africains à se faire éditer en Europe, ce qui a pour conséquence que leurs livres n’atteignent que très peu le public africain et font l’objet d’une récupération douteuse par certains cercles européens :

Au bout du compte, chaque livre d’un auteur africain est une bouteille à la mer. Diffusé en Europe (qui sait y faire) il est reçu comme un article étrange et bizarre, quelques fois exotique, dans les meilleurs cas, mystérieux et ésotérique. Il nourrit les conversations des snobs et les chroniques de ceux qui croient avoir besoin de notre pardon. Etroit demeure encore le cercle des véritables et sains admirateurs (Sans tam-tam, p.77).

  1. Ce ne sont pas seulement les problèmes de l’édition qui freinent une promotion du livre en Afrique. Il y a aussi les problèmes de sa diffusion ; les bonnes librairies sont rares et les « boutiques dont l’enseigne manifeste le désir d’être une librairie » (p. 77) sont nombreuses qui vendent la plupart du temps plutôt des « romans policiers, de(s) best-sellers de Reader’s Digest » (p. 77), et point de « bons » livres.
  2. A cela s’ajoute les carences en matière d’informations et de critique littéraires pour faire connaître au public la sortie d’un livre. Gatsé constate qu’il revient au lecteur tout seul d’aller à la découverte du livre en général, et africain en particulier : « Savoir ce que vient d’écrire un nègre suppose beaucoup d’organisation. Le livre chez nous, ne va pas encore au lecteur mais exige que celui-ci aille à lui. Pire du livre de l’Africain » (Sans tam-tam p. 77).
  3. Dans cette dernière citation on voit que les problèmes de la promotion du livre africain s’étendent à celle du livre en général, encore qu’il faille y ajouter d’autres problèmes tels que la cherté du livre, le taux élevé d’analphabètes, les mauvaises lectures auxquelles s’adonne la couche de la population alphabétisée.

Il faudrait pouvoir arriver à résoudre ces problèmes divers pour permettre au livre de toucher un plus grand public en Afrique. Une alternative à ces problèmes auquel est confronté le livre serait le théâtre et le cinéma, surtout ce dernier qui est très populaire en Afrique :

Ceux qui veulent toucher rapidement les masses ont intérêt à choisir la voie du théâtre, voire du cinéma. Mais à lire la dernière interview de S. Ousmane dans Jeune Afrique je crois que là non plus, il ne manque pas d’embûches (Sans tam-tam, p.77).

Face à toutes ces difficultés auxquelles le livre est généralement confronté en Afrique, il faudrait se contenter des moyens du bord, c’est-à-dire les livres disponibles, quitte à ne se nourrir que de littérature non africaine : « Mais, cela dit, y a-t-il trahison de la patrie à utiliser les pensées qui ont atteint l’universel ? (…) Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup y ramène » (Sans tam-tam, p. 78).

Lopes accorde un rôle très important au fait littéraire dans le développement des sociétés africaines, malgré tous les problèmes qui freinent son impact sur les masses. Mais il n’est pas pour autant un utopiste pour vouloir conférer au livre une potentialité révolutionnaire excessive. La seule pratique de la lecture ne peut pas changer le monde, et Lopes fait dire à Gatsé : « Non, ce ne sont pas mes livres qui m’éduquent. Ils m’aident tout au plus. La vie de brousse m’est un maître bien plus grand » (Sans tam-tam, p. 81).

L’attitude à adopter consiste, par conséquent, à faire face à la réalité et savoir se forger les moyens de la maîtriser. C’est dans ce sens que le livre peut être un instrument de sensibilisation pouvant aider le lecteur à une prise de conscience sans laquelle aucun progrès n’est possible :

La meilleure détente n’est pas la danse. (Qu’) un bon livre est, en la matière, supérieur et (que) l’Afrique à force de rire et de danser s’était laissée surprendre par les peuples plus austères, (qu’) elle en avait été déportée et asservie (Tribaliques, p.29).

L’Oeuvre d’Henri LOPES

Tribaliques (Grand Prix Littéraire de l’Afrique Noire 1972), Yaoundé, Editions CLE, 1971. Nous avons utilisé l’édition de 1983 (CLE/Press Pocket) pour notre étude.

La nouvelle romance, Yaoundé, Editions CLE, 1977.

Sans tam-tam, Yaoundé, Editions CLE, 1977.

Le Pleurer-Rire, Paris, Présence Africaine, 1982.