Poésie

CHANSON POUR KORA ET BALAFON

Ethiopiques numéro 9

revue socialiste

de culture négro-africaine, 1977

A Léopold Sédar SENGHOR

Dans le silence de tes savanes,

Dans la rumeur confuse de tes forêts,

Afrique, mon continent d’ambre,

J’entends le bruit mémorable

Du premier arrachement

Quand la frêle créature verticale

S’extirpa du limon originel.

Les séismes succédaient alors aux déluges

Et les dinosaures fabuleux coulaient,

Vivantes îles chavirées,

Dans les eaux de la fonte.

Dans tes grottes humides,

Aux blessures ouvertes de tes escarpements,

Afrique, mon continent d’ambre,

Je lis la geste première transcrite

Ocre et brune, magique

Par les mains inspirées des Fondateurs.

Sous les bras feuillus de tes arbres à palabre,

Sur tes pistes poudreuses qu’ébranlent les caravanes,

Afrique, mon continent d’ambre,

J’écoute le vent raconter la sagesse dogon.

Et que l’homme soit le grain de l’univers

Que, devant sa volonté, s’agenouillent

L’auroch et le mamouth domptés

Que les fruits de la mer pullulent dans ses nasses

Que, sous ses pas, lèvent, rythme ondoyant, les moissons

Et qu’au bout de ses doigts tendus

Resplendisse la myriade des météores.

Dans l’embrun des tempêtes,

Par-delà les routes océanes,

Afrique, mon continent d’ambre,

Je retrouve ton empreinte

Quand sur l’Ile vaudoue, ivre de vin de palme,

Iansan la sensuelle qui commande aux vents

Célèbre ses Noces de feu avec Shango.

Ou que, dans Bahia la brune,

Le Condomblé emmêle les femmes en transes,

Robes blanches étalées

Sur le sang sacrificiel des coqs noirs.

Les Dieux surviennent en leurs imposantes ambassades

Quand Oshala, l’Intercesseur, les invoque

Aux sons des tambours rituels.

Ogun s’irradie en son armure de fer

Et les vagues de la mer, soumises,

Viennent lécher les pieds d’Iemanja, leur Déesse

Tandis que Bessem lance, par-dessus leur étendue apaisée,

L’Arc en ciel de son désir…

Et j’ai reconnu ta voix, Afrique

Quand, attiré par le tropisme du Levant,

Mon esquif aventureux accosta aux rives dravidiennes

Et que s’éleva l’appel des tambours exilés

Au-dessus de la psalmodie védique.

Louanges de palmes

Paroles de bienvenue

Nostalgie et filiation reconnue…

O Masques dan,

Innerve mon corps de ton rythme

Et toi, statuette sénoufo, l’Androgyne

Sois garante de mon lignage.

Noces au mitan du fleuve de majesté !

Tes courbes sont mélodiques

Aux mains de l’affamé

Ton suc est de miel sauvage

A la bouche de l’Assoiffé

Pokoû, ô Reine du Don.

et les caïmans repentants

Lèchent tes pieds de tendresse.

Sous tes tropiques piqués de flamboyants,

A l’ombre de tes jacarandas épanouis,

Afrique, mon continent d’ambre,

Je m’étends

Et m’accueillent la glaise et l’humus fertile

Submerge moi de ta douceur

Arbre tutélaire

En pluie de fleurs mauves

Que leurs pétales me soient

La plus douce des pierres tombales

Immerge moi, l’Amant et le Fils,

Mère immémoriale

Dans l’incestueuse moiteur de ta matrice.

Que mon souvenir subsiste,

Voile diaphane et frissonnant,

Accroché à ton large front d’ombre immuable

O Soir ancien, Aube nouvelle,

Afrique, mon continent d’ambre.