Notes

CHAINE

Ethiopiques numéro 2

Revue socialiste

de culture négro-africaine

avril 1975

CHAINE

Saidou Bokoum

De cette humanité dévoyée être un membre, et de plus être noir. Au sein de l’humanité cruelle être pauvre, et noir. A Paris être un étudiant démuni ou un os, ou pis, un balayeur, et de plus être noir. Etre noir, le coefficient « N » qui multiplie à l’infini les postes de la détresse.

Ce livre est un flambeau : il brûle ou éclaire. On le rejette avec violence ou on ne le lâche plus, et plus que d’un écrivain, c’est d’un témoin qu’il s’agit, un témoin de l’enfer.

L’enfer d’abord en soi, et l’on se dit que l’Afrique discrète, secrète, protocolaire aurait refusé à ce fils les attitudes et les moyens de sa confession. Il fallait avoir dépouillé l’Afrique et être devenu un étudiant de Nanterre. Dès lors, mis en condition de se parler, le témoin ne nous épargne rien : les amours impossibles et l’abjection. Graffiti, sexe de lavabo, charogne et putainerie. Signés Paris. Signes Barbès.

Arraché au suicide à travers le feu, l’étudiant découvrira les autres et les autres lui offriront un salut d’une certaine sorte qui ne conduit nulle part, sinon à un grand rêve, mais c’est être déjà sauvé que de livrer dans la grande ville côte à côte avec les éboueurs leur « guerre des poubelles ».

Un livre inquiétant, désespéré aussi dans la mesure où le rêve d’un grand navire désertant l’Europe avec sa négraille rapatriée échoue devant les ports africains fermés à la preste des révoltés.

La langue du livre sert bien son propos. On aurait souhaité quelquefois que l’auteur narre plutôt qu’il n’explose, mais son lyrisme continûment noir est bien de notre temps sans espérance où le chant a changé de vocabulaire et de registre.