Littérature

BIRAGO DIOP : FOLIE ET VISIONS DANS « ABANDON » ET « SOUFFLES »

Ethiopiques n°81

Littérature, philosophie et art

2ème semestre 2008

« Le centre calme de ce maelström de rythmes, de chants, de cris, c’est la poésie de Birago Diop, dans sa majesté naïve : elle seule est en repos, parce qu’elle sort directement des récits des griots et de la tradition orale. Presque toutes les autres tentatives ont quelque chose de crispé, de tendu et de désespéré, parce qu’elles visent à rejoindre la poésie folklorique plus qu’elles n’en émanent » (Sartre).

Birago Diop (1906-1989) offre dans son unique recueil, Leurres et Lueurs (1960), une poésie pénétrante et dense sur les états de conscience du moi poétique et sur l’ontologie africaine, deux axes thématiques qui laissent entrevoir un paradoxe dans l’esprit imaginatif de l’écrivain sénégalais. L’activité poétique de Birago Diop a été marquée, à ses débuts, par le prestige de l’éloquence des maîtres français, tels que Victor Hugo et Alfred de Musset. Dans sa vocation de poète romantique, Birago Diop n’entendait pas se départir de son impassibilité devant les exactions du régime colonial. Sa sensibilité était tournée vers les profondeurs d’un moi gagné à la vie sentimentale. Les articulations de ses premières compositions définissent le poète plongé dans une douleur cuisante que les déceptions de l’amour lui ont causée. La négligence des sujets dramatiques, qui affectaient son peuple et préoccupaient ses confrères littéraires, faisait alors de Birago Diop un poète marginal. Plus tard, Birago Diop crut devoir couvrir les insuffisances de son génie poétique en adoptant un repli sur son héritage culturel. Pourvu d’un talent distinctif, Birago Diop réussit à restaurer les fondements ontologiques de la société africaine dans la deuxième partie de son recueil. Sa vision de la nature nous informe sur le vitalisme cosmique des êtres humains. L’élaboration de sa thèse porte sur le principe générateur de l’âme. Birago Diop définit la vie comme un mouvement perpétuel de recomposition, la revitalisation de l’âme s’effectuant à travers les éléments cosmiques. En postulant la permanence de la matière organique, Birago Diop cherche particulièrement à établir un lien d’interdépendance entre l’homme et la nature où se logent les ancêtres, régisseurs de la race. C’est à cette source spirituelle de l’univers que puisent les poètes de la Négritude pour augmenter leurs forces vitales. Dans ses élancements de cœur, comme dans sa savante exégèse de la métaphysique de l’être africain, Birago Diop adopte une composition poétique conforme aux conventions esthétiques aussi bien occidentales qu’africaines, et dont la confluence illustre la prééminence poétique de Birago Diop parmi ses contemporains.

Birago Diop est mieux connu comme conteur que comme poète, pour avoir publié Les Contes d’Amadou Koumba (1947), Les Nouveaux Contes d’Amadou Koumba (1958) et Contes et Lavanes (1963), dans lesquels il fait le compte du patrimoine culturel africain en y révélant ses us et coutumes, sa morale et son organisation sociale. Son apprentissage de la poésie était livresque. Birago Diop fréquentait les bibliothèques et passait beaucoup d’heures à lire ses auteurs favoris : François Villon, François Rabelais, Victor Hugo, Alfred de Musset et Charles Baudelaire, sans oublier Paul Valéry. Birago Diop était longtemps demeuré respectueux des conventions classiques, démontrant un grand attachement à la rime sous toutes ses formes. La majorité de ses poèmes sont des sonnets, deux choix pour lesquels il s’est expliqué ainsi : « Je n’entends des vers que rimés, venant de moi ou d’un autre – je n’ai jamais su ni citer, ni réciter un poème en vers libre […]. Victor Hugo (aussi) m’avait marqué qui affirme : Le poète en prose, en vers est prophète. Faut-il revenir à Boileau sans outrecuidance ? Un sonnet sans défaut » (cité par Kane, Birago Diop : 208).

D’emblée on perçoit Birago Diop s’orienter vers un conformisme traditionnel, exclusivement occidental. Se limitant aux conventions, il écrit à la manière de Musset et Valéry, et adopte les valeurs françaises. Birago Diop s’est affirmé en vrai poète africain dans Lueurs, la deuxième partie de son recueil qui fait l’objet de cette étude et dont l’intérêt porte sur l’imaginaire de la folie dans « Abandon » et Souffles ». Les Lueurs, par le symbolisme de leur clarté, provoquent un éveil, dans la conscience du poète, aux manifestations de son être original. Le dialogue permanent entre son âme et la nature permet au poète omniscient de dévoiler le monde des mystères qui y sont cachés. Là se trouvent des êtres imperceptibles dont la voix nous rend conscients de leur existence. C’est le souffle des Esprits-Ancêtres qui veillent sur les vivants contre compensation des sacrifices qui leur sont dus. Ces sacrifices sont de tous ordres et se font dans les lieux de culte. A l’occasion, ils sont placés sur un autel comme signe de soumission mais également d’invitation à la communion de la race. Ainsi les morts, en dépit d’un abandon charnel, préservent une âme vivante élevée à un statut providentiel. Ils servent d’intermédiaires entre la race et le Génie supérieur, et parfois ils s’annoncent comme demi-dieux investis comme juges immédiats de la race. Ils récompensent ou punissent selon les actes de l’Homme appelé à respecter les commandements. La vie devient pour l’homme du clan un tribunal constant d’actes et de décisions, compte tenu de ses croyances à la puissance des Esprits-Ancêtres. Et le voilà qui demeure soumis à la peur du châtiment.

Les poèmes « Abandon » et « Souffles » sont tous deux tirés de Sarzan, conte-nouvelle qui met en relief l’opposition de deux conceptions culturelles, l’une traditionnelle et l’autre occidentale. Birago Diop s’infiltre dans l’histoire comme auteur-acteur en se portant témoin de l’aventure de Thiémokho Kéita, le personnage principal qu’il a accompagné dans son retour au pays natal. L’action se déroule au cœur du Soudan, dans le village de Dougouba, fidèle à ses traditions animistes pour avoir défait l’invasion islamique d’El Hadj Omar. A cet effet, les villageois avaient fait disparaître le cimetière musulman, jugeant mieux d’enterrer leurs morts dans les cases afin de vivre en communion avec eux. Les éléments qui participent à cette religion sont bien harmonisés. D’un côté il y a le « Bois sacré » qui abrite le « Dassiri », arbre protecteur du village et des cultures. De l’autre on remarque que chaque famille a un génie qui la représente, et à chaque cérémonie, un maître délégué. Partant de cette hiérarchisation si élaborée, Birago Diop procède à une comparaison entre l’animisme africain et le christianisme européen. Par la technique de l’ironie il minimise les pratiques occidentales. Aussi lit-on : « Il est vrai que les Toubab, les Blancs, portaient des masques pour s’amuser et non pas pour enseigner aux enfants les rudiments de la sagesse des anciens » (176).

On remarque, dans cette technique comparatiste, le parti pris de Birago Diop qui rétorque aux propos dévalorisants de Thiémokho Kéita, revenu d’un long voyage en Occident où les idéologies culturelles ne sont pas tout à fait compatibles avec celles de ses origines. Pendant son séjour européen, il est arrivé à épouser la civilisation occidentale définie comme la civilisation par excellence. Le Commandant de cercle, après la démobilisation de Thiémokho, lui avait confié la mission d’aller civiliser son peuple.

Rappelons que les conquérants musulmans avaient failli à leur tentative de conversion des gens de Dougouba. Thiémokho qui s’engage donc comme émissaire solitaire semble avoir moins de chance d’avance. A preuve, il ne fait pas montre de finesse du tout dans ses relations avec les villageois. Il foule aux pieds les traditions, persuadé que les rites et les objets auxquels il s’attaque relèvent de la sauvagerie africaine avec laquelle il fallait rompre définitivement.

Les remarques de Thiémokho, à cet effet, traduisent son manque de respect aux conventions formées par les gens de son village. L’acquisition d’une nouvelle identité culturelle – celle d’un homme civilisé – le rend si hardi qu’il devient maître de ses idées et de ses actes. Et de la conception d’une nouvelle civilisation pour les gens de son village, il passe à l’exécution par les moyens d’une suppression totale des édifices cultuels et des cérémonies religieuses. Du coup, il s’attaque au Bois sacré, coupant et brûlant les branches du « Dassiri » ; il brise les canaris et renverse les statuettes et pieux fourchus. Il dévêt les maîtres de cérémonie de leurs masques symboliques – le « Gangourang » et le « Mama-Djombo ». Il va même jusqu’à éliminer le « Nyanaboli », Génie protecteur de sa famille. L’extravagance de ses actes crée un état chaotique dans tout le village où l’ordre des choses établies est totalement renversé. Mais sa violation ne reste pas impunie, car elle a suscité la vengeance des forces de la nature contre tout le village, et en particulier contre Thiémokho dont le châtiment est le plus sévère. Le poème « Abandon » recrée la force d’exécution des éléments de la nature contre le village de Dougouba, tandis que le poème « Souffles » médite sur la nature panthéiste de l’univers africain.

Le poète décrit, dans « Abandon », un changement brusque de l’atmosphère, qui frappe aussi bien le paysage que les demeures du village. Un vent froid d’une intensité assez forte parcourt toute l’atmosphère laissant une impression de panique. En effet, il émet des sons effrayants que le poète assimile aux hurlements des trompes dans le bois obscurci. L’augure est sinistre lorsque le poète souligne l’aigreur du lait et le durcissement de la bouillie dans les ustensiles. Car les habitants du village se voient obligés de recourir aux sacrifices pour tempérer les Esprits. Mais rien n’y fait. La force du froid gagne tous les sacrifices, si bien que tout finit par devenir inerte. De cette nuit hantée par le hululement des cornes sur les tam-tams, la peur règne en maîtresse. L’intensité des hurlements, saisis dans la répétition qu’en fait le poète, rend l’événement grave. Plusieurs plaintes se font écho dans cet univers traumatisant où « Des souffles surpris / Rôdent et gémissent », où « Peureux le ruisseau orphelin / Pleure », où encore « Les arbres inquiets… / Ne peuvent plus prier / Les aïeux qui hantaient leur pied ». Ces plaintes traduisent le regret d’une séparation imminente au détriment des éléments de la nature et des vivants. Les Esprits coléreux refusent d’absoudre toute faute commise par les hommes. Faute de pardon, on assiste à un abandon des vivants laissés à leur merci. Thiémokho, dont la punition est la plus sévère de tous les gens du village, sombre dans la folie, d’où son surnom, Sarzan-le-fou. L’altération de son état psychologique par les forces de la nature le détourne de son intention de civiliser les gens de son village. Il est, au contraire, assujetti aux besoins des gardiens de la tradition dont il est devenu le porte-voix dans le poème « Souffles ».

Birago Diop a placé Sarzan dans la folie pour mieux l’opposer à la raison. On se rappelle alors la lettre d’Arthur Rimbaud à Georges Izambard dans laquelle il identifiait le poète comme un voyant, soumis à l’acte de création dans le dérèglement de tous les sens (Œuvres complètes :144). Seulement dans le cas de Sarzan, on dirait que les Esprits lui ont « tourné la tête » afin qu’il serve leur cause. Le renversement de sa position est à cette occasion symbolique de la force des traditions dont il fait la litanie. A la limite, on peut reprendre la citation qu’Edgar Faure avait adressée à Senghor en 1984 pour définir la poésie de Birago Diop dans les Lueurs : « Vous êtes de ceux qui pensent que les poètes, parce qu’ils sont des visionnaires, sont qualifiés pour conduire le destin des peuples dans les périodes de mutation, quand le mouvement de l’Histoire est si rapide qu’on ne peut l’accompagner qu’en le précédant » (19).

Dans le poème « Souffles » l’auteur anime toutes les choses d’une vie en leur prêtant voix :

« Ecoute plus souvent

Les Choses que les Etres

La Voix du Feu s’entend,

Entend la Voix de l’eau

Ecoute dans le vent

Le Buisson en sanglots

C’est le Souffle des ancêtres » (64).

Le personnage qui parle, dans ce poème, s’est fait adepte de la gnose, avec l’intention d’initier aux mystères de l’après vie. Il prêche un certain naturalisme qu’il définit comme la base de l’ontologie négro-africaine. Il proclame à cet effet son dissentiment sur le statisme de la nature qui est plutôt une force dynamique, animée d’un souffle vital. Birago Diop rejoint l’assertion de Charles Baudelaire dans les « Correspondances », selon laquelle,

« La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

L’homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l’observent avec des regards familiers » (Fleurs du mal : 40).

A l’instar de Baudelaire, Birago Diop entend révéler les mystères de la Nature en déchiffrant les émissions sonores qu’elle produit à travers ses éléments. Le poète distingue, dans « Souffles », deux voix qu’il invite à capter afin que l’homme puisse atteindre à la connaissance ésotérique de notre existence : la voix des êtres et celle des choses. Alors que chez Charles Baudelaire, la Nature émettait des paroles confuses, Birago Diop, quant à lui, parvient à les traduire comme « le Souffle des ancêtres » pour assurer une existence postérieure à l’homme. Dès lors la mort devient une abstraction de la vie qui se reconnaît dans la manifestation sonore des éléments de la nature. Birago Diop redonne vie aux morts derrière cet univers pour montrer que l’homme est soumis à une constante observation des morts. En invitant le lecteur à la conscience de la présence des morts, le poète ne fait qu’affirmer l’ubiquité de ces derniers et leur pouvoir de résistance aux vicissitudes de notre univers :

« Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire

Et dans l’Ombre qui s’épaissit.

Les Morts ne sont pas sous la Terre :

Ils sont dans l’Arbre qui frémit

Ils sont dans le Bois qui gémit,

Ils sont dans l’Eau qui coule,

Ils sont dans l’Eau qui dort,

Ils sont dans la Case, Ils sont dans la Foule :

Les Morts ne sont pas morts » (64).

Birago Diop fait une représentation spirituelle des morts dont seules les voix à travers la Nature sont caractéristiques de leur existence. Ils forment un esprit collectif, et leur omniprésence leur confère une position privilégiée : celle de pouvoir observer tout en restant invisibles. Les morts sont donc en position de surveiller notre existence et peut-être d’en dicter le déroulement. Car il importe avant tout de saisir la signification de ces voix multiples et variées.

La reconnaissance de la manifestation existentielle des morts à travers les voix de la Nature est tout d’abord un signe de soulagement chez l’homme qui demeure rassuré de son infinité. Mais la présence des morts doit aussi nourrir, chez l’homme, des marques d’inquiétude et d’angoisse si l’on retient que le poète identifie certaines voix comme des plaintes. C’est à cet effet qu’on entend « le Buisson en sanglots, l’Arbre qui frémit, le Bois qui gémit, les Herbes qui pleurent… » Le lecteur est éclairé sur la raison de ces réactions affectives, car le poète formule les avertissements de la sagesse pour inciter au renouveau des pratiques religieuses déjà bafouées. On apprend de la voix du poète que le sermon de Sarzan est une reproduction de l’Alliance passée entre les Etres et les Morts :

« Il redit chaque jour le Pacte,

Le grand Pacte qui lie,

Qui lie à la Loi notre Sort,

Aux Actes des Souffles plus forts

Le Sort de nos Morts qui ne sont pas morts,

Le lourd Pacte qui nous lie à la Vie.

La lourde Loi qui nous lie aux Actes

Des Souffles qui se meurent

Dans le lit et sur les rives du Fleuve,

Des Souffles qui se meuvent

Dans le Rocher qui geint et dans l’Herbe qui pleure » (65).

Dans cette strophe, noyau du poème, Sarzan met en lumière les rapports de co-existence entres les Vivants et les Morts, rapports définis par le grand pacte comme un phénomène d’interdépendance. Il ressort de ce Pacte un ensemble de règles impératives que les hommes se doivent de respecter. Car leur sort dépend des actes promulgués par les « Souffles plus forts » qui décident aussi du sort des morts. Le poète décrit une chaîne de liaisons assez complexes entre les vivants et les morts, entre les morts et les souffles puissants. Les souffles sont juges des vivants et des morts mais aussi leurs protecteurs. Leur volonté se résume en une sorte d’absolutisme, car la loi arrêtée par le grand Pacte est une « lourde Loi qui […] lie aux Actes/Des Souffles qui se meurent. » D’autre part, Birago Diop nous apprend, dans le poème « Viatique », que le Souffle des Ancêtres guide ses pas partout où il va, parce qu’il n’a pas manqué d’exécuter les actes contenus dans le Pacte.

On comprend bien alors que le poème « Souffles » propose une soumission complète aux lois et valeurs traditionnelles qui permettent de garder intacte l’harmonie de la civilisation négro-africaine. Le poète prêche le culte des ancêtres pour garantir un meilleur sort aux hommes. C’est parce que les ancêtres sont dotés d’un pouvoir quasi suprême pour servir de protection à la progéniture de la race.

Birago Diop s’éloigne complètement, dans les Lueurs, de la poésie rationaliste et positiviste de ses débuts, même s’il n’en a jamais été un adepte. Mais c’est surtout dans cette partie de Leurres et Lueurs que le poète sénégalais renonce au discours logique qui invite à appréhender du dehors les éléments de la nature. L’entendement, pour ainsi dire, se révèle comme un obstacle à la connaissance profonde de l’univers. Chez Birago Diop, l’état apparent des choses est une source passagère de notre mode de connaissance, car derrière le paysage de la nature se cache une réalité profonde qui nous suggère les limites de notre esprit. Or c’est en vue de mieux se connaître que le poète pénètre la nature, se fond avec elle pour capter son essence. Il nous rapporte que la nature est un univers symbolique où les éléments sont le masque d’un mouvement dynamique. La découverte de ce monde mystique, révélant la nature animée d’une force vitale, est une marque de l’infinité de l’homme. Par cette révélation déjà, le poète tire de l’ombre les réalités complémentaires de la vie. L’esprit est donc appelé à ne plus se suffire de l’univers visible, mais plutôt de le transcender « pour trouver du nouveau ».

« Car l’âme, dit Marcel Raymond, de par son origine et sa destinée, ne trouve sa vraie patrie que dans l’au-delà spirituel où plonge la nature. La mission de la poésie est d’ouvrir une fenêtre sur cet autre monde, qui est en fait le nôtre, de permettre au moi d’échapper à ses limites et de se dilater jusqu’à l’infini » (De Baudelaire au Surréalisme : 158).

Or Birago Diop nous enseigne, dans les « Souffles », toute l’essence de la nature, nous offrant, à l’occasion, « l’explication orphique de la Terre, qui est le seul devoir du poète et le jeu littéraire par excellence, » et que Mallarmé s’était donné la mission de fournir (lettre de Mallarmé à Verlaine ; citée par Raymond 31). Birago Diop atteint là l’ambition d’un Baudelaire ou d’un Mallarmé de retrouver les secrets de la nature. Sa quête l’a donc mené à des trouvailles qui lui permettent d’illuminer le monde sur les mystères de la vie.

C’est à travers sa rupture avec le rationalisme que Birago Diop nous reconduit à la Négritude. Sa contribution à l’élaboration de ce mouvement est manifeste dans son choix des sujets tirés d’un environnement authentiquement africain, et également dans sa manière d’énoncer les modes de connaissance distinctifs des Africains et que le poète annonce d’une voix prophétique. A cet effet, la méthode discursive y est moins reçue que l’approche gnostique qui perçoit derrière les apparences tout un dictionnaire de symboles. Birago Diop s’affirme en faveur des traditions qui sont menacées de disparition, abandonnant l’homme au sentiment de soi, l’éloignant, par là, de toutes les réalités cachées de notre univers qui sont le fondement de sa complémentarité spirituelle.

BIBLIOGRAPHIE

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SENGHOR, Léopold Sédar, Liberté 1 : Négritude et humanisme, Paris, Seuil, 1964.

[1] Truman State University, Missouri, USA