Hommage à Léopold Sédar Senghor

AU MAÎTRE

Ethiopiques numéros 37-38

Revue trimestrielle de culture négro-africaine

Nouvelle série 2eme et 3ème trimestres 1984 volume II n° 2-3

Monsieur, Voici des fleurs dans la corbeille de mes bras

dans la ferveur capitonnée de silence de ma voix,

dans le recueillement qui s’exalte en sourdine

de chaque pulsation de mon sang de rebelle.

Ce sont des fleurs que je n’offris à nulle femme

même

« belle à faire à minuit se lever le soleil »

à aucun grand amour, à aucun grand martyr.

Dieu seul sait s’ils sont douloureux, ces martyrs

qui veillent avec moi le long des insomnies aréneuses

du grand âge

à la lueur des bougies-stalagmites du Souvenir fidèle.

On enterre un cadavre et non un idéal ;

C’est ma moisson la plus ancienne

et la plus printanière

ce vingt-neuf Mars mil neuf cent quatre vingt quatre à Dakar.

Sans alliage de glas, ce sont des carillons

Qui résonnent pour vous dans mes beffrois intimes,

Ce n’est pas un vieillard qui vous fait cette offrande

avec des bras tremblants et un accent pleurard,

ni l’affamé nourri au fastueux banquet de votre Verbe,

ni le disciple ému de votre enseignement,

l’étranger devant qui pour la première fois

on dévoile votre statue de chair et de sang

face au soleil.

Non ! ce sont mes vingt ans, Monsieur, qui vous

honorent,

mes vingt ans – mil neuf cent vingt neuf-

et la cohorte inoubliable des épigones

qui, partout, dans la rue, au parvis des églises,

dans les écoles, les Facultés, les bas-fonds,

allumaient de l’une à l’autre les torches vives

de la résistance à l’occupant

et au pouvoir servile,

avec au cœur l’étrave de la Citadelle « enciélée »,

eux qui, mariant les couleurs végétales

et celles fulgurantes de leur courage,

vous saluent.

Ils vous saluent, Monsieur d’un autre temps, et d’un autre âge.

S’ils connaissent de par le monde

la saison des outrages,

Si l’exil les éparpilla dans la tornade et dans l’orage,

l’espoir tisse une aurore en leurs regards lavés.

Loin des mains des semeurs de mort,

le mil et le riz ont germé.

Dans l’hivernage qui verdoie, le troupeau dispersé

broute une herbe nouvelle et sous votre houlette

se surprend à ne plus avoir peur des reîtres et des loups.

Tout aura été dit. Pas un seul de vos vers

qui n’ait été psychanalysé, radiographié, autopsié.

Souffrites-vous parfois de tant de chirurgie ?

Qu’importe !

Vous nous aurez donné des leçons de maintien,

d’élégance morale et de sobriété,

appris, si grand que l’on se croie,

en habit vert au Quai Conti, le front lauré de gloire

à revêtir la bure de l’humilité.

Monsieur, voici des fleurs qui ne se fanent pas

ni orgueilleuses orchidées de serre,

ni glaïeuls, ni rose-thé de salon douillet

mais celles sauvages dont la fragrance est tellurique

et dont sans contrebande aucune, l’alizé

m’apporte en plein soleil l’âme profonde et juste,

pour les remettre au nom de la vie

aux douloureuses mains de Madame Senghor

pour que désormais l’homme noir,

sans oublier la panoplie de ses blessures,

réponde à nos appels de par delà les races,

tout en gardant au flanc

le plus sanguinolent des plaies jamais fermées

pour en gifler – qui sait – arrogance et bêtises

racisme insolent et haine absurde.

Monsieur, mes compagnons et moi,

dans la franc-maçonnerie du malheur

la flamme au point, l’orgueil dans nos regards vieillis,

vous disons simplement comme parle le peuple :

Dieureudieuf.

Maître

Merci