Poésie

A L’AUTRE BOUT, IBO

Ethiopiques n° 42

Revue trimestrielle de culture négro-africaine

3e trimestre 1985 volume III n°3

 

Qu’est-ce donc que l’indifférence aux mots ?

la sensibilité qui ne serait pas de sable ou d’un Sahel

de quintessence poétique dans la parole usée

Dans le Verbe échouant à rompre les ferrements

Car, en vérité en vérité je vous le dis :

Il n’y a pas de mots surréalistes

Il y a la vie désarticulée qui rend aux frontières nigérianes un son mat de corps mou

Il y a le fracassement et le jacassement des balles traçantes de la

négritude tout inattendûment gisante dans son sang ashanti ni plus ni

moins rouge – à peine, à peine – ni plus ni moins DAN HOMEY

que la

latérite à l’aube des barrières entrevues,

Il y a le jacassement et le caquètement des poules frileuses portant,

belle audace, toast à la chute des monarques mais ils n’auront jamais

régné qu’autour d’un verre de gin épandu en brèves notes de balafong.

Parlons-en, ma chère !

Suffit-il de lever la plume comme un impôt de solidarité ?

La supercherie ne vient jamais du cœur.

Les mots ne se laissent pas prendre en laisse.

Ils sont de vieux bergers peuls ils sont ashantis comme de braves

paysans qu’ils sont

Ils sont ibos comme ces amples commerçants qui circulent et qui

parlent et discutent

Regardez comme ils s’écrasent aux barbelés ces mots volés à la

négritude.

Car si même il ne s’agit pas de tombe de cimetières et de rituels

Ce ne peut non plus être ni du soleil ni de la liberté pour eux

mais d’images ramassées parmi les algues mortes qui festonnent une caraïbe lasse.

Il est vrai que personne ne nous a jamais rien demandé

Que c’est pour nous que nous avons eu besoin de recompter nos gènes

de jauger notre mémoire et qu’au tond nous n’avons pas cessé de nous

inventer une histoire de traite

de nous investir de mots hirsutes comme des nègres marrons.

Admettons une fois pour toutes que nous ne descendons plus de personne

aucune traite aucune vente aucune cueilleuse de coton ou de sucre ou

de coraux ou de latex aucun massacre d’indiens aucun souvenir non plus

aucun négro spiritual aucun gospel aucun SOWETO ne pourra

jamais abolir

l’espace d’une famine la charge forcenée des camions hurlants et le

galop de cent mille pur sangs mêlés hier ibos et ce soir ashantis

les rêves n’ont plus désormais la même couleur dans l’anéantissement

et l’apocalypse.

Ah !calebasse bien creuse

bien fêlée et frileuse

Attache autour de tes reins ce pagne de sable tissé du désert nouveau

Et va danser pour IBNET le tématè de la récolte de riz de la récolte

de rire

A t’autre bout, Ibo, on en dénombre déjà cent douze mille.