Poésie

D’UNE VOIX DURE

Ethiopiques n° 42

Revue trimestrielle de culture négro-africaine

3e trimestre 1985 volume III n°3

 

Ne savez-vous pas que les discours n’ont d’oreilles

que lorsqu’ils traduisent une épaisseur de chair.

La terre est âpre que vous avez choisie pour votre élégie,

comme toute richesse qui ne se livre qu’à celui qui l’obsède.

Entendez, entendez cette dure voix de salpêtre

qui escarbouille de rancune le cristal des promesses.

Promesses sans assise aux facettes du bon vouloir,

attention aux hommes lents de la marche des taureaux.

 

Le pouvoir n’a pas le temps d’apprendre la puissance.

Etes-vous ce poids qui palpite du son de toutes les voix ?

C’est l’écho du peuple qui doit sonoriser votre silhouette.

Seul le sang de la terre donne toute sa vigueur à la rigueur.

Et les temps sont frustres pour celui qui joue au roi.

Aux dix mille champs, aux mille usines,

aux cent maisons, au plus humble logis,

ces cœurs hésitants irrigués d’une peine

qu’ils n’ont pas encore asséchée de fureur,

ces stupéfaits aux rêves, ces contrariés de racines.

Vers vous de tous côtés ils ont couru. « Je vais lui dire moi » !

Ecoutez ce que leur présence saisie taira à votre représentation !

Ecoutez les gorges nouées sur la timidité des mains boueuses !

Il n’est de savoir qu’au poignet d’expérience.

Appréciez le cal de celui-là, que son écorce convaincue

soit votre bouclier contre toute foi pillée !

Voyez comment l’Etat a ligoté la sève !

Ni de gauche, ni de droite cette condamnée qu’il faut sauver !

Attention, attention, voici le temps du Commandeur !

Le compte dépasse la faillite, l’or n’a plus d’aplomb.

La transgression buissonne sa main anonyme, vous en porterez l’épine.

 

Celui-ci est le chant du rappel et de la confiance bridée.

Celui-ci ne vibre pas encore indigné, juste une mesure crispée.

Celui-ci n’oublie pas qu’il fut l’histoire de l’espoir reconduit.

Pourquoi s’avère-t-il trahi avant de se vouloir détruit ?

Pourquoi ne pas les avoir aimés ces hommes durs et sales ?

Ces hommes trempés à tous les soupçons,

lavés à tous les déboires, sauvés d’incrédulité !

Ils ont feinté le lys et programmé la rose

piétiné le miel, prostitué la misère,

même l’arbre n’a pas résisté à leur alégorie !

Des étalons cabrés ont sailli la dignité,

soudards, paillards, ils ont restitué le mal des siècles à l’écart !

Nulle Jeanne même illusoire n’a brandi sa sauvegarde !

Ils sont la boue, ils sont la terre, le déchirement de l’orage,

le grondement des torrents, la paix déraisonnable !

Ils sont nos frères, qu’avez-vous fait pour eux ?

Moi, voyageuse sur ordonnance, obligée des chemins glorifiés,

dévoreuse des occasions de sol, affamée de l’Etrange, chineuse

de montagnes en soutane de bure, de linceuls en plaine de sable,

ayant décanté les eaux, brigandé la mer, écarquillé le ciel,. ,

en tout lieu, en tout site, au-delà de toute frontière,

je vous affirmerai que plus belle que ma terre

que plus fières que mes pierres dans leur bain de lumière,

en août de Bourgogne, en septembre de Bigorre,

en grâce d’océan quelque part au midi,

en séquelles de pluies sur les plages à herbages,

plus belle que ma terre, il n’en est d’autre sur terre,

il n’en est d’autre plus accordée de mer,

plus rassurée de prairies, plus remerciée de ciel.

Et de tous les sourires qui savent reconnaître

aucun ne salue mieux,que celui de ses maisons

aux saisons des bonheurs entendus.

Qu’avez-vous fait pour eux qui pressent le sel de la volonté,

gagnent le pain le plus jalousé aux hommes identifiés ?

Les routes ne se prennent pas au recours des fonctionnaires.

La sécheresse du sac, l’étroitesse de l’enveloppe

et son Cachet de discrétion, il en faut, c’est vrai,

mais la lettre n’offre jamais que la formule du contenu.

Ouvrez, ouvrez, c’est la voie qui frappe !

Songez aux despotes dont les yeux se rapprochent,

par leur rétrécissement trop de proies rencontrent Troie.

Ecartez les avocats des poudres éventées,

aussi ces hommes gras, à la mâture porcine.

Il faut se méfier des vautours en tournés de lard.

Leur envergure jamais ne dépasse la porte de leur tas.

Souvent la terre refuse à la racine, sa sollicitude.

La chair du chêne vieillira toujours d’injustice.

Mais l’amour, l’amour des hommes stérilise la défaveur.

Il faut forcer les jours qui ne sont pas destinés.

L’aiguillon du prodige, le soleil le transmet,

aussi la chaleur qui s’agrée généreuse.

N’oubliez pas les enfants, demain ils jugeront

l’oraison satisfaite où se perdra leur saison.

Le printemps va piquer de mille frelons.

Ah !le destin ne s’apprend pas aux cloches de la victoire !

C’est lorsque sonne le glas, encore le glas, toujours le glas

que la peur sait surmonter sa mesure !

Révolte, tristesse, et l’étreinte bouleversée de la compréhension,

lorsque sonne le glas, sur les champs, dans les villes, les prisons,

et que le cœur salue l’hommage le plus formel de l’espoir !