Inédits

UN CONTE INEDIT DE KEMADO TOURE : L’HYENE ET LES OISEAUX

Ethiopiques n° 42
revue trimestrielle de culture négro-africaine
3e trimestre 1985 volume III n°3

A Karine Findy, ma nièce

Poète et chercheur, M.Kémado Touré est un auto-didacte. Il s’est très tôt intéressé à la tradition orale. Il a, à ce jour, recueilli plus de mille (1000) proverbes et dictons africains et traduit de très nombreux contes sérères.
Son œuvre, encore inédite, a été favorablement accueillie par plusieurs chercheurs et écrivains sénégalais.
Le conte qu’on va lire est tiré de son recueil « Le jeune homme et la tête errante et autres contes sérères ».

C’est ainsi que c’était.
C’est ainsi que c’est demeuré.
Un jour, après la première pluie, Moon, l’hyène sema son champ de sorgho. Le champ s’étendait à perte de vue. Elle l’entretenait comme il le faut. Lorsqu’il ne restait plus rien à faire sinon la récolte, des oiseaux arrivèrent. Ils avaient faim très faim. Dès qu’ils eurent vu le champ avec ses épis abondants, ils se mirent à chanter :
Chez nous chez nous
Des queues de vaches servent de cuillères
Des tibias de bœufs servent de bois de chauffage
Des sabots de bœufs servent de supports de marmite chez nous chez nous…
Alors l’hyène sortit et dit aux oiseaux :
« Ecoutez ! ce petit champ-là, si vous le voulez, prenez-le, mangez tout le mil. Et après, je partirai avec vous ».
Les oiseaux s’acharnèrent sur le champ de mil et le dévastèrent. Puis, chaque oiseau prêta à Moon, l’hyène une de ses plumes. Ils s’envolèrent tous et Moon les suivit. Ils volèrent. Ils volèrent longtemps et survolèrent un grand océan. Il y avait au milieu de cet océan, un arbre géant. Ils décidèrent de s’y poser afin de se reposer et passer la nuit, pour quitter dès l’aube. Car disent-ils, ils habitent loin.
Ce jour-là, l’hyène ne put dormir à sa convenance. A peine ferma-t-elle l’œil, qu’elle dit en rêve :
« Chez nous chez nous…. Levez-vous, il fait jour »
– Non, il ne fait pas encore jour, couche-toi, lui répondirent les oiseaux.
Elle se recoucha. Mais à peine ferma-t-elle l’œil, qu’elle recommença :
Des queues de vaches servent de cuillères
Des tibias de bœufs servent de bois de chauffage
Des sabots de bœufs servent de supports de marmites
Des peaux de bêtes en pagaille…
Chez nous chez nous…

Alors l’hyène sortit et dit aux oiseaux :
« Ecoutez ! ce petit champ-la, si vous le voulez, prenez-le, mangez tout le mil. Et après je partirai avec vous ».
Les oiseaux s’acharnèrent sur le champ de mil et le dévastèrent. Puis, chaque oiseau prêta à Moon l’hyène une de ses plumes. Ils s’envolèrent tous et Moon les suivit. Ils volèrent. Ils volèrent longtemps et survolèrent un grand océan. Il y avait au milieu de cet océan, un arbre géant. Ils décidèrent de s’y poser afin de se reposer et passer la nuit, pour quitter dès l’aube. Car, disent-ils, ils habitent trop loin.
Ce jour-la, l’hyène ne put dormir à sa convenance. A peine ferma-t-elle l’oeil, qu’elle dit en rêve ;
« Chez nous chez nous…
Levez-vous, il fait jour »
– Non, il ne fait pas encore jour, couche-toi, lui répondirent les oiseaux.
Elle se recoucha. Mais a peine ferma-t-elle l’oeil, qu’elle recommença :
Chez nous chez nous
Levez-vous il fait jour »
– Non, lui dirent-ils, il ne fait pas jour, recouche-toi.
Alors, l’hyène se recoucha et cette fois, elle dormit Ires profondément. Chaque oiseau en profita pour arracher et reprendre sa plume. Puis ils s’envolèrent tous, tout doucement, laissant l’hyène au milieu de l’océan.
Moon se réveilla brusquement quelque temps plus tard en disant tout machinalement : « chez nous chez nous… ». Ne voyant pas ses compagnons, elle voulut aussi s’envoler. Quand elle fit le moindre mouvement, elle tomba lourdement dans l’eau. Et elle s’écria :
Oh ! ces chiens, ces maudits chiens, ces fils de chien
Ils m’ont joué un tour, un sale tour.
Mais Dieu me vengera, me vengera
Oh ! Chez nous chez nous…
Elle se mit a nager, nager jusqu’à être complètement épuisée. Il restait encore une bonne distance à parcourir pour arriver à la rive. Mais l’hyène n’en pouvait plus. Elle était à bout de souffle.
Voila qu’un troupeau de vaches vint pour s’abreuver.
L’hyène s’adressant à l’une des génisses dit :
« Bonne génisse, sors-moi d’ici, s’il te plaît. J’étais en compagnie d’une bande d’oiseaux pour aller chez eux. Ils m’avaient dit que là-bas, il existe des choses qui n’existent pas chez nous ».
Dès que l’hyène finit de partir, la génisse lui envoya des coups de sabots en lui disant :
« Il n’est pas question pour moi, de te tirer d’embarras pour que tu me tues après ».
Vint une vieille vache. L’hyène la sollicita en ces termes :
« Vieille vache, viens me sauver, je suis très fatiguée. Si tu me laisses ici, je vais périr ».
« Eh bien ! Moon, je te connais, très bien », répondit la vache.
L’hyène se mit à pleurer tout en se plaignant : « Kor-Ndew [1] est vraiment malheureux. Tout le monde lui tourne le dos quand il éprouve des difficultés ».
L’hyène pleura davantage. La vieille vache fut prise de pitié et accepta enfin.

-Bien ! Tu peux monter sur mon dos, mais je te connais assez…
– Oh tu sais, à pareille bonté, on ne peut répondre par le mal, rassura l’hyène.
Arrivée, jusqu’au rivage avec l’hyène, la vieille vache dit :
– Bien ! Moon, descends maintenant.
– Ah non ! Attends que mon corps sèche d’abord, dit l’hyène. Attends que la brise souffle sur moi un peu, ajouta-t-elle.
– Eh bien ! Moon, voilà ce que j’avais prédit. Descends je t’en prie.
– Attends que ma tête sèche. La vache patiente, et quand la tête de l’hyène eut séché, elle lui dit :
– Maintenant tu peux, descendre. N’est-ce pas !
– Non ! Attends que je sèche complètement.
Cela dit, l’hyène sauta brusquement et arracha les mamelles du pauvre animal et s’enfuit avec. La vieille vache se mit à pleurer.
Le calao vint à passer.
– Alors ! Vieille qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il à la vache.
– Eh bien, c’est Moon, l’hyène qui m’avait demandé de la sauver d’ici et je lui ai rendu ce service. A titre de récompense, elle s’est enfuit avec mes mamelles.
– Ma foi ! fit le calao, Moon est ingrate. Elle ne mérite pas d’être aidée. Mais, tu sais ce que tu vas faire, tu vas feindre d’être morte et te coucher ici. Je vais tout faire pour la piéger et la faire venir ici.
– Ah oui ?
– Oui.
– Bien, c’est d’accord.
Ainsi dit, ainsi fait. La vieille vache fit la morte et s’étendit raide. Le calao alla se percher sur l’arbre situé à côté de la maison de l’hyène. Il entonna ce chant :
« Ngoliinkook Ngoliinkook…
Il y a un cadavre là-bas
Et nul n’est venu le dévorer depuis hier.
Alors Moon Sène l’homme de Ndew…? »
L’hyène entendit et dit :
« Ecoutez, écoutez ce chant de l’oiseau »
L’oiseau reprit son chant : Ngoliinkook Ngoliinkook.
Alors Moon sortit et répondit :
« C’est moi qui l’ai tué
Hier exactement à pareille heure
Mon arc vibrait à cet effet
Eh oui frère de Ndew
C’est moi qui l’ai tué ».
L’hyène très émue par cette nouvelle, demanda à tous les membres de sa famille de la suivre. Ils s’en allèrent et trouvèrent le prétendu cadavre. L’hyène prit son couteau et l’aiguisa longuement. Tous ses enfants s’approchèrent, chacun, portant une écuelle, de même que sa femme. L’hyène prit son coupe-coupe et s’avança vers l’animal pour le dépecer. Dès qu’elle se pencha pour toucher, la vache la saisit brutalement au cou et serra la gorge en demandant :
– Moon où sont mes mamelles ?
– Elles sont bien enduies de crème et accrochées ».
La vache continua à serrer son étreinte si bien qu’au bout de quelques instants, l’hyène succomba.

[1] signifie littéralement l’homme de Ndew, autre nom de l’hyène.