Poèmes

TERRE DE ZENITH

Ethiopiques n°80

La littérature, la philosophie, l’art et le local

1er semestre 2008

 

A Cheikh Hamidou Kane, le Jom Galle, – Gardien du Temple – à l’occasion de son soixante dixième anniversaire célébré en décembre 1998 à l’initiative de la Fondation Léopold Senghor, hommage déférent et affectueux !

 

Afrique !

 

Terre du soleil vertical de zénith

Je moissonnerai ta Bonne Parole

A l’orée des bouches défraîchies de tes sages

Dans les villages les villes les oasis les îles

Les campements sédentaires les hameaux éphémères

Dans les forêts les savanes le Sahel le Sahara

Du septentrion lointain au sud profond

Du levant d’espoir au couchant mémoire

L’emballerai comme Bien commun précieux

L’engrangerai dans de grands greniers gras.

Qu’elle aille et vienne pour féconder le monde

Ainsi me l’apprit Ogotemmêli

Le sage vénéré de Sanga !

Les Fang m’ont dit :

« Un homme sage, c’est une calebasse pleine ! »

Or les Poular m’ont appris :

« Une parole mûrie dans le ventre,

On trouve qu’elle est grasse quand elle sort ! »

Et m’enseignèrent les anciens Sérères

 

La source initiale de Sédar Senghor :

« C’est au taureau que siérait la barbe.

Mais c’est au bouc que Dieu l’a donnée ! »

Si le taureau portait longue barbe et savait parler

Qui donc se serait avisé de la dompter ?

Et Wolof Ndiaye proclame :

« Mon Dieu mon Dieu ! que non que non,

Lève-toi plutôt et cultive ton champ ! »

 

Or nous voici bipèdes debout depuis l’aube des temps

Malaxés de terre glaise animés du souffle de Nommo

Nous furent témoins le mont Kénya

Les neiges éternelles du Kilimandjaro

Fils de lumière extraits en plein soleil

Domptant les rayons par mélanine protectrice

Frères aînés colorés accomplis de l’Humanité

Essaimant de par le monde le conquérant

Nous décolorant sous les grêles sur les glaces

Visages noirs resplendissants transmués :

Chocolats mats marrons café au lait

Visages basanés burinés jaunes

De terre cuite à point visages pâles

Nous voici ordonnançant le désordre primordial

Arc-en-ciel du même sang de destins pluriels

De la multitude multicolore des humains !

 

Paix à toi Afrique paix à toi !

Paix à ton âme anxieuse de tant de tes fils

Parias devenus sur ta terre-mère

Jetés dans la désespérance des sentiers sans fin.

Car ont germé prospéré

Les conflits fratricides

Les bannissements sans rémission

Les exclusions sanglantes

Les génocides affligeants ;

Et si longue la chaîne des éprouvés réprouvés

Des affamés déguerpis pourchassés mutilés.

 

Et la bassesse et la cruauté des tortionnaires

Et la crasse immonde des prisons surpeuplées

Comme si expurgés de ta mémoire millénaire

Les fruits succulents de ta sagesse sereine

De ton humour salvateur de ta parenté plaisante

Non ! ne seront dilapidés disloqués

Car les gardiens du Temple veillent vigilants

Les greniers remplis de ton héritage sublime !

 

Nous le rendrons incisif et subtil

Le parerons de la luxuriance de l’esprit

De la bonté infinie de l’étang

Qu’il éclate de mille soleils nouveaux

Illuminant et innervant le monde !

Nous le ferons germer fécond

En la réplique de ceux qui sont ta fierté :

Mandela Madiba indomptable et magnanime

Hampaté Ba la fontaine-bibliothèque des traditions

Cheikh Anta Diop le Sphinx du savoir et de la rectitude

Sédar Senghor le Sérère suave et sagace

Steve Biko notre stèle de jouvence intrépide

Les femmes de Ndeer libres par l’honneur de la case-bûcher

Césaire torrent impétueux de laves incandescentes !

 

Pour mes frères de tous les lieux

Il faut qu’advienne demain

Dans la clarté des sourires et longuement !