LES LOGIQUES PROSPECTIVES DE L’ADMINISTRATION
Ethiopiques n°79
Littérature, philosophie et art
2ème semestre 2007
Le problème des conditions de possibilité d’une éthique administrative est au cœur de l’économie critique de la présente exposition philosophique du système administratif. L’administration est un des modes de l’agir effectif de la rationalité instrumentale. Sa catégorie essentielle est l’efficacité qui définit le champ propre du politique, depuis Machiavel, en contraste avec la morale. L’administration informe sur les moyens ; elle ne dit rien des fins. Cela ne signifie nullement abandon de l’éthique. Cette distinction, au contraire, prend acte de la capacité qui lui est propre de transcender la dynamique des intérêts, mais surtout d’être un espace de réflexivité et de normativité sociales. Il suffit de poser la question de la démocratie pour se rendre compte que l’administration peut aider à la construire. Là où elle n’existe pas ou a été affaiblie, il est tout simplement difficile d’échapper aux perversions de la corruption et de la violence. Notre argumentation fondamentale est de dire que la normativité administrative et la prévision, qui en est l’analogon temporel, ne sont pas seulement une exigence pratique mais éthique dont le concept d’administration indique la teneur vitale. On peut formuler brutalement cette thèse : une société qui ne prévoit pas meurt. Il est deux manières de rendre impossible l’émergence de l’administration : soit on la soustrait à toute normativité éthique, y compris aux règles qu’elle produit pour réguler les pratiques sociales, soit on autonomise la rationalité instrumentale qui devient alors principe de domination. L’administration est ainsi sous la double menace de l’« erreur technocratique » ou la « gangrène de la corruption ». La normativité administrative est au centre de cette autonomie du politique comme règles nécessaires à l’agir collectif. Il en est de même des pratiques du temps qui ont cours dans l’administration. Nous essaierons, dans un premier temps, de déterminer les logiques et les conditions d’exercice de l’efficacité. La prévision apparaîtra alors comme la réflexivité structurante de l’administration qu’il faudra analyser dans ses conséquences ultimes. Nous consacrons de longs développements aux logiques de l’administration chez E. Weil pour la raison suivante : nous pensons qu’il est possible de faire une place à une interprétation philosophique des logiques de la domination dans lesquelles s’inscrivent les figures modernes de l’organisation administrative. En effet, il est allé le plus loin dans une lecture du sens profond de l’expansion mondiale des formes techno-politiques de l’administration moderne dont la prévision est un mode essentiel. La valeur de son argumentation ne réside nullement dans la certitude de soi d’une rationalité dominatrice mais dans l’indication d’une contrainte récurrente d’organisation et de prévision que chaque société doit produire pour faire face aux compétitions du monde moderne [2].
- L’INVENTION BUREAUCRATIQUE DE LA PREVISION
1.1. La logique du concept : rationalité et calcul
La prévision est une des formes de la « rationalité calculante ». Heidegger caractérise la rationalité de la pensée moderne par sa dimension « comptable », « calculatrice ». Cette rationalité, qui imprime à la modernité un style réflexif problématique, en son fond, mesure, compte, dénombre. Heidegger parle de « pensée calculatrice » (das rechnende Denken). Le réseau sémantique qui structure l’argumentation du philosophe, organisé autour de Rechen, est le suivant : compter avec une chose, c’est-à-dire « ne pas la perdre de vue et se régler sur elle » ; « compter sur quelque chose, c’est-à-dire « s’y attendre et par là la disposer comme une base sur laquelle on peut construire » ou encore présenter ses comptes, c’est-à-dire « ce avec quoi et sur quoi nous comptons à propos d’une chose ou d’une action donnée [3] ». La rationalité a en vue une maîtrise totale du réel : assujettir le monde au calcul. Heidegger l’appelle, pour cette raison, la « calculabilité universelle ». L’homme moderne compte et décompte, mesure et rend raison de toute chose [4] parce qu’il considère le monde comme disponible. Il en va de même du temps dont la maîtrise se fait au moyen du calcul [5] dans une totale « rationalisation » du monde dont les conséquences négatives ne sont prises en compte [6]. Il y a deux concepts sur lesquels repose l’économie critique de la modernité techno-scientifique dont l’organisation administrative est une composante : Berechenbarkeit (calculabilité) et rationalisierung (rationalisation). La calculabilité intégrale du réel et la rationalisation renvoient l’une à l’autre. Toute chose peut être appréhendée en termes de calcul dans l’ordre d’un savoir technique. Calculer, c’est prévoir pour maîtriser. Ce sont ces deux termes, calculabilité et rationalisation, qu’on retrouve chez Max Weber. Ils servent à caractériser, là aussi, la modernité occidentale. La calculabilité dérive ici de ce qu’on peut lier de façon quantitative les fins et les moyens, soit déterminer ou faire apparaître les liens de causalité sur lesquels l’action peut s’appuyer. Cette prévisibilité d’organisation – il n’y a pas de durée productive sans cette forme relationnelle au temps – est nécessaire à la rationalisation de l’action pour autant qu’elle vise l’efficacité [7]. Concrètement, Il s’agit de déterminer dans quel sens agir pour obtenir tel ou tel effet.
La rationalité instrumentale, telle que Max Weber l’avait théorisée, caractérisait la forme capitaliste de l’activité économique désormais dominante, la forme moderne de l’administration du droit et la forme bureaucratique de l’organisation administrative [8]. Elle touche les sphères institutionnelles ainsi que la société dans son ensemble en modifiant totalement le travail, la communication sociale, la temporalité sociale. Une phénoménologie de cette mutation des figures du temps montre que la prévision est la forme même du savoir dominant dans lequel il s’agit de combiner le raisonnement et l’observation afin de faire ressortir les rapports de régularité et de constance entre les phénomènes. La rationalité instrumentale est celle qui articule avec une efficacité optimale la fin poursuivie et les moyens mis en œuvre. Ce qui compte ici, c’est l’efficacité de l’action. Or cette articulation suppose, ainsi, l’information pertinente, le savoir technique, les schèmes culturels qui orientent le choix. La rationalité de l’action suppose qu’elle se soumette, elle aussi, à des règles dont le principe, décalque de la loi scientifique, est le traitement semblable de cas semblables. La rationalité de l’administration repose sur l’objectivité et la calculabilité. Les principes d’exécution, de fonctionnement et d’organisation de la vie quotidienne s’enracinent dans ces deux concepts clés de la rationalisation bureaucratique qui forment la « discipline rationnelle » : tout peut être calculé rationnellement. L’administration est efficace lorsque l’expression de son action est portée par l’objectivité et le savoir dont le calcul est le symbole. Elle calcule veut dire qu’elle sait ce qu’il convient de faire, en tenant compte des procédures, pour que son action atteigne les fins qui sont les siennes. Son savoir est en même temps « calcul d’avance » de ce qui peut arriver qu’on ne peut laisser à lui-même sans un choc en retour.
La caractérisation wébérienne de l’administration est à la fois descriptive et axiologique. L’expansion irrésistible de cette forme administrative, qui n’appartient qu’à la modernité occidentale, repose sur son type de fonctionnement et sur son efficacité. Les autres formes d’organisation administrative sont qualifiées d’« administrations dilettantes ». Elles sont approximatives, inefficaces tout en portant des dominations arbitraires, parce qu’elles ne peuvent revendiquer la légalité. Leurs logiques sont imprégnées par tout ce que le mécanisme de « déshumanisation » avait écarté comme des obstacles à la rationalité de l’action administrative : la particularité, les relations de sentiments ou les relations vénales. Les systèmes administratifs « irrationnels » ont cette particularité de gommer la ligne de séparation disciplinaire entre la règle et l’arbitraire, et d’être donc incapables de produire l’« indifférence » nécessaire au bon fonctionnement de l’administration [9]. Mais M. Weber utilise un concept beaucoup plus fécond pour analyser les mécanismes de « privatisation » de l’Etat ou les situations de « faible bureaucratisation » : « la décharge ». Ce concept ouvre la possibilité de sortir de la logique de la subordination des contextes. On ne pense plus les figures multiples de l’administration en termes de défaillance, de pathologie, de dysfonctionnement à partir d’une norme universelle [10]. Les contextes de la distribution de la domination deviennent décisifs dans l’herméneutique des formes différenciées du politique. L’axiomatique wébérien de la domination rationnel-légal n’exclut nullement l’« appropriation » originale de ses mécanismes [11].
Cependant, l’institutionnalisation de la rationalité s’accompagne de ce que Habermas a appelé la « modernisation par le bas », qui est le versant vécu de la rationalisation. La vie sociale elle-même est pénétrée par les logiques de la rationalité instrumentale : l’armée, l’école, les services de santé mais aussi les formes réflexives du monde vécu. L’« urbanisation de la forme de vie » correspond à l’incorporation et la réactivation toujours possible des règles de l’activité rationnelle par rapport à une fin d’un ensemble de plus en plus large de la population [12]. Cela signifie, concrètement, l’apprentissage de l’anticipation. Cette conversion du regard prépare un déplacement de la problématique de la rationalité que le modèle communicationnel de Habermas fera évoluer en une critique de la rationalité bureaucratique. Parce que la rationalité technocratique oscille en permanence entre « science et idéologie », le modèle communicationnel de la rationalité met en avant les capacités des citoyens à formaliser les problèmes ainsi que les solutions, sur la base d’une discussion mettant en avant la prospective comme plus ouverte aux débats publics que la prévision bureaucratique.
Cette critique de l’administration technocratique touche un point essentiel. Les instruments de mesure et de captation de l’avenir échouent souvent face à la matière labile et réfractaire de la dynamique sociale [13]. Cette forme technique de la prévision finit par fonctionner comme une « idéologie ». Trois critiques peuvent être formulées à l’encontre de cette instrumentalisation de l’avenir :
– les prévisions sociétales sont souvent démenties par l’avenir ;
– la rationalisation des faits peut s’avérer n’être qu’apparente et médiatique parce que les méthodes prévisionnelles manquent totalement leurs buts comme si la logique de la prévision ne reposait, au final, que sur le précédent, l’analogie et l’extrapolation ;
– la prévision peut devenir le refuge moderne du « mythe », comme si ce n’était pas la véracité qui importait mais la croyance que l’avenir reste ouvert et le chemin qui y mène est balisé.
Ces rhétoriques de la maîtrise souveraine de l’avenir impliquent la posture de celui qui sait ce qui va se passer. La politique récupère les résidus de la prévision pour faire croire que l’avenir est maîtrisé. Ce discours de domination s’adresse à ceux qui ne savent pas. Cette fonction de divination n’est pas accessoire. Il faut la comprendre dans l’économie de ce que P. Legendre a appelé la « jouissance du pouvoir » qui ne peut avoir lieu que par l’« industrialisation des symboles » [14]. Le discours de la prévision peut être, aussi, un discours de la divination qui s’impose : « Tenez vous-en à ce qui vous est dit par ceux qui savent » [15]. Le chef est un devin : ne décide que celui qui sait [16].
1.2. La dynamique de l’histoire : la science du gouvernement
La modernité se caractérise essentiellement par un retournement du temps que Pierre-André Taguieff a qualifié de « basculement futurologique du temps ». Cette rupture s’est accompagnée d’une valorisation des idées de changement et de prévision [17]. En effet, la « crise de la conscience européenne », pour reprendre l’expression de Paul Hazard, est liée à une réorganisation des paradigmes du savoir visant la maîtrise du temps sous la forme de la prévision. Cette mutation a eu des effets remarquables sur l’administration publique des sociétés modernes : une science du gouvernement tend à s’imposer, progressivement, au détriment de la prudence aristotélicienne. Michel Senellart a expliqué comment, dès le XVIe siècle, cette évolution fait passer l’art de gouverner du « visible au prévisible » [18]. Désormais, le succès est la finalité cherchée par l’action de gouverner. La politique elle-même devient, alors, un art rationnel d’exercer le pouvoir. Elle entraîne, avec elle, une reconfiguration de la puissance publique qui nécessite plus « la transparence des mécanismes gouvernementaux » que « l’opacité d’un Etat retiré dans sa transcendance ». L’articulation nouvelle du pouvoir s’oppose, au fond, à l’absolutisme [19]. Cette modification de la souveraineté conduit à penser l’art de gouverner comme une forme de calcul des quantités, des volumes, des effets : « Elle réside maintenant dans l’utilisation intensive des forces disponibles. Passage du droit de la force à la physique des forces » [20]. Ce qui compte désormais, c’est la science des choses dont dépend la vie de l’Etat : le « succès » remplace le « salut ». On passe à « l’idée d’une technique politique de prévoyance de l’avenir » [21]. En fait, l’idée de base, c’est que pour gouverner, il faut connaître, car connaître sert à prévoir : gouverner, c’est prévoir [22]. Ces nouveaux dispositifs de pouvoir vont prendre un essor remarquable dans les siècles suivants. La société industrielle et conquérante du XIXe siècle en est le moment de métamorphose et d’accélération [23] : mutation de l’organisation politique dont le positivisme est la légitimation doctrinale. Il suffit ici de penser à la société industrielle de A. Comte et de Saint-Simon. La dimension fondamentale de la réorganisation repose, pour la perspective que nous adoptons ici, sur la capacité administrative. Cette dernière n’est rien moins que « la première capacité en politique » [24] sur la base de laquelle la société industrielle doit être gouvernée, c’est-à-dire bien administrée. La politique scientifique est, ainsi, le « gouvernement des choses » dont la science première est celle de prévision. L’Etat technocratique, condensé de savoir et de pouvoir, en assure l’effectuation sur la base de la compétence. Ce n’est pas un hasard si une des devises de cette aventure industrielle est une phrase de A. Comte : « Savoir pour prévoir avant d’agir ». Le développement des sociétés modernes repose, pour l’essentiel, sur une rationalisation tendue entre deux pôles : l’entreprise capitaliste et l’appareil bureaucratique d’Etat qui en constituent l’effectuation fonctionnelle. Ces deux types d’activités rationnelles par rapport aux fins poursuivies sont des manières d’inscrire dans le corps social de nouvelles formes d’horizon d’attente tournés vers l’avenir. Cette prégnance de l’avenir se marque de nombreuses manières : utopie, prospective, prévision. Si toute société est « problem solving », certaines seulement en font le fondement de la dynamique du changement social. Fondée sur une « ontologie ouverte », leur culture repose sur le temps cumulatif orienté et la rationalité instrumentale comme manière de faire face aux problèmes [25]. En effet, il y a des sociétés qui se donnent les instruments pour ouvrir l’espace de l’expérience à un avenir imaginé ou anticipé, ou encore calculable. L’activité administrative s’inscrit dans cette réflexivité, elle dont le principe de déploiement se fonde sur la prévisibilité. Son temps n’est pas seulement le présent de la discipline mais aussi le futur de la prévision qui est sa dimension temporelle. La prévision n’est pas seulement endogène et fonctionnelle. Sans elle, la société tombe en panne parce que la satisfaction de l’attente devient incertaine : on ne peut compter sur rien. Ce que réalisent le marché et la rationalisation du droit, c’est d’assurer cette prévisibilité qui libère l’action.
Il est une deuxième acception du mot prévisibilité qui renvoie au fait de prévoir. Les sociétés modernes ont cette caractéristique de rechercher de quoi demain sera fait pour prendre les dispositions afin que cet avenir soit possible ou au contraire empêché. Il s’agit de percevoir d’avance (praevidere) ce qui peut arriver. Soit, on cherche à connaître d’avance les difficultés, les périls qui peuvent entraver le changement social, soit, au contraire, on cherche les opportunités susceptibles d’optimiser les résultats. Qu’il s’agisse de l’utopie ou de la prospective administrative, il en va d’une réflexivité sociale qui alimente le débat dans les différents forums ou dans les « bureaux » administratifs pour donner une impulsion, indiquer une voie prometteuse, réfléchir sur une systémique des risques.
La prévisibilité est un caractère essentiel de l’administration. Cette dernière est efficace par les compétences qu’elle mobilise, la nature de ses prestations, les résultats qu’elle peut obtenir, la confiance qu’elle peut inspirer. L’efficacité de l’administration repose sur les critères suivants : la précision, la rapidité, l’univocité, la continuité, la discipline. A ces critères, il faut ajouter la capacité qui lui permet d’anticiper, de parler et d’agir sur l’avenir par :
– la projection,
– la prospective,
– la planification,
– la programmation.
De ces formes du rapport à l’avenir, la projection est la caractéristique essentielle, celle qui spécifie vraiment les sociétés contemporaines dites développées. En effet, elle est une manière d’anticiper, de suivre l’évolution des agrégats économiques (P.I.B, les chiffres de la consommation des ménages, de l’emploi, des investissements, de la démographie). Ce niveau de la prévision, qu’on peut appeler protentionnel, en raison du lien étroit qui tient ensemble le présent et l’avenir, est des plus intéressants parce qu’il constitue le cœur de la rationalité des sociétés modernes. Ici, on mesure, on calcule, on quantifie pour orienter ou pour prévenir. Les informations sont systématiquement recueillies qui permettront d’orienter l’action à venir. Cette quantification technique des ressources, des opportunités, qui touche au plus près la vie quotidienne, est la plus difficile à acquérir. Mais surtout, elle est la sphère, par excellence, de la responsabilité. Les défaillances de la compétence ou sa perversion par la dynamique des intérêts appellent une possible sanction. Que les indicateurs du présent et du futur immédiat soient signes d’un avenir entravé suscitent des critiques contre ceux qui ont en charge l’Etat. La sanction électorale est une des formes utilisées de la défiance. Ce nœud du politique ne concerne pas seulement la croissance économique mais la systémique des risques sanitaires et environnementaux. Administrer, c’est faire attention à ce qui vient, ouvrir les yeux pour prévoir. On comprend que certains systèmes en Afrique ne possèdent aucun chiffre sur la démographie, le chômage ou n’en font aucune publicité.
- E. WEIL : PHILOSOPHE DE LA REFLEXIVITE ADMINISTRATIVE
2.1. L’efficacité nécessaire
La philosophie de l’Etat de E. Weil élabore une conceptualité originale de la rationalité moderne qui permet de saisir, au plus près, les exigences et les pratiques de l’administration, comme rationalité en acte, dans un Etat. De cette façon, il met en œuvre les catégories de la rationalité instrumentale que Hegel, Weber, puis finalement, dans un but différent, Heidegger ont élaborées, en les inscrivant dans l’histoire. Cette approche philosophique permet, au passage, d’inscrire l’extension de l’Etat, non dans une problématique sociologisante de l’importation ou de l’exportation de l’Etat, mais dans le principe essentiel de son concept, à savoir la rationalité ou plus précisément encore l’efficacité qui découle de son mode d’exercice lorsqu’elle rencontre l’histoire.
Pour comprendre ce qu’est une administration moderne et le mode d’organisation qu’elle implique, il faut faire ressortir son caractère technique ou l’effectivité de sa rationalité. L’administration est une technè en vue d’organiser la communauté en tant que présente et avenir. Les institutions et les instruments cognitifs destinés à cette fin sont nombreux. En tant que technè, elle plie les conduites en les canalisant sous des normes qui sont des règles d’efficacité. Ainsi Eric Weil définit-il l’Etat de la manière suivante : « L’Etat est l’organisation technique de la communauté orientée vers l’efficacité » [26]. Cette définition de l’Etat repose, pour l’essentiel, sur la rationalité comme efficacité. L’Etat est un mode d’organisation efficace qui permet à une société de maintenir la vie commune de ses membres par une politique des moyens.
La rationalité instrumentale n’est ni bonne ni mauvaise, elle nous permet d’agir efficacement en vue de la reproduction et du changement social. On appellera substrat de l’agir social le mécanisme d’articulation des moyens qui, quel que soit le contexte social, permet d’agir avec efficacité et d’obtenir des résultats : la reproduction de la société et la satisfaction des besoins de ses membres. L’argumentation est tranchante : « La science a raison ou se trompe, la technique est efficace ou non, c’est aussi simple que cela » [27]. L’administration est efficace ou ne l’est pas. De surcroît, la puissance de son expansion dans le monde fait partie intégrante de son concept. Pour E. Weil, il est incontestable que l’administration rationnelle et bureaucratique est une invention de l’Occident qu’il faut replacer dans la logique de la domination qu’elle ouvre. Cette histoire de l’expansion des formes bureaucratiques est un processus historique réel. Elle ouvre une figure historique inédite qu’il faut comprendre dans ses enjeux principaux dont le principe est l’émergence d’une culture technique, hégémonique à l’échelle planétaire, qui ne doit rien aux frayages communautaires anciens.
Le processus d’expansion du technologos est une expérimentation, au-delà de l’expérience culturelle traditionnelle productrice d’un sens qui n’est plus à la hauteur de la complexification induite par l’inédit de la modernité, dont le cœur est le savoir et le pouvoir [28]. Cette expérience d’inversion appelle un questionnement sur les exigences des nouvelles formes de gouvernement. C’est la figure processuelle du technologos qui contraint à une organisation efficace, parce qu’elle entraîne une complexification croissante dont l’uniformisation est l’aspect inessentiel. On peut l’adapter à un contexte pour faire mieux, si cela est possible, ou faire différemment, mais on ne peut plus faire fi de son substrat. Si on écarte son principe ou si son inscription violente et intempestive dans le réel de l’histoire, le colonialisme est le type même d’une organisation qui s’en écarte, en arrive à le diluer, il en résultera tôt ou tard la violence ou la guerre, résultatsd’une désorganisation improductive et de la rareté des ressources.
En fait, E. Weil pose le problème de l’administration comme rationalité en acte loin des oppositions rigides entre cultures ou histoires. Il place l’argumentation philosophique au point d’inflexion de la modernité historique productrice de formes d’organisation nouvelles imposées à l’humanité tout entière. Cette forme de technicité et d’organisation de la société, avec ses figures variables, n’est compréhensible que si on l’inscrit dans l’histoire de la domination dont la colonisation est l’expression ambiguë.
Ce processus d’homogénéisation des administrations oblige à exister par l’intégration de méthodes de travail et d’organisation désormais identiques [29]. Cette identité se joue sur un autre terrain que le symbole. Les cultures locales continuent d’exister. La dichotomie entre la technique, dont l’administration est une manifestation, et le symbole qui manifeste la vie immanente des cultures, existe sans être absolue.
Ce qui est en cause, c’est l’uniformisation de l’organisation sociale des « temps modernes » qui s’accompagne d’un rétrécissement de l’expérience du temps. Il est clair que ce moment de bascule a correspondu à une redistribution des dispositifs de domination. [30] Peter Sloterdijk écrit cette phrase lourde de sens en faisant ressortir le sens réel de la maîtrise technologique : « Le savoir est le pouvoir…la connaissance des machines, c’est le pouvoir. Dès lors, le terme Aufklärung désigne essentiellement la construction de machines et, à la suite, l’utilisation des machines à l’encontre de la simple nature, liée à leur utilisation contre des êtres non instruits et dépourvus de machines » [31]. Ces machines sont les marqueurs transhistoriques de la modernité : la machine étatique de Thomas Hobbes, dont l’éclipse passagère n’empêche pas d’en ressusciter l’efficacité, la machine des mutations du travail (J. Watt), la machine de vérité dont Leibniz a donné le modèle, les machines à éduquer des jésuites, les machines militaires sans lesquelles les sociétés disciplinaires du XIXe siècle auraient été impossibles [32]. Toutes ces machines sont des machines de conquête et de transformations radicales [33]. Dès lors que les formes de légitimation traditionnelle se sont effondrées ou ont été marginalisées, il ne restait plus que l’autoréflexivité machinique des outils et des objets techniques comme concrétions de la puissance. L’alternative des machines et des artéfacts se décide dans le silence du symbole devenu impuissant ou retourné contre lui-même.
2.2. L’administration prospective des moyens
C’est en ce sens que Weil souligne les usages des « artéfacts » qui fondent l’efficacité sans se préoccuper de justifier les fins. La vraie fin, c’est cette activité matérielle continue de production de soi soustraite à la transcendance, déliée des « tyrannies » du symbole. Ce qui compte pour la rationalité inaugurale des temps modernes, c’est de « vaincre ». La rencontre, déséquilibrée à souhait, entre le roi de Soba et le colonisateur en est l’exemple type [34]. Les raisons de celui qui est vaincu sont culturelles, identitaires, incapables de mesurer la force des machines. Moussa Soumaré, l’impossible tiers de Monnè de Ahmadou Kourouma, ne peut que désactiver, comme un parent à plaisanterie qui ne peut pas ne pas être du bon coté, la parole offensée désormais impuissante. La valeur guerrière n’est pas en cause mais bien la mesure d’un rapport de forces qui ne se joue pas sur la valeur. Toutes les cultures ont de la valeur mais certaines en dominent d’autres en raison de leur organisation technique et des machines qu’elles possèdent. Que cette justification de la rationalité impérialiste ne soit que pure idéologie n’enlève en rien à la domination son caractère retors. Elle ne résisterait pas si ses machines ne marchaient pas, et si elle ne suscitait pas un défi difficile à relever : « Toute communauté qui veut survivre en tant que communauté…sera obligée de s’élever, pour le moins, au niveau technique atteint par ses ennemis potentiels » [35]. Les récriminations de Spengler, dans L’homme et la technique, en vue de dénoncer les conséquences que la divulgation des secrets de la technique pourrait avoir sur l’inversion de la domination au profit des plus pauvres, ont un sens plus profond que ses significations littérales qui ne prennent pas en compte l’essence de la technique ouverte à tous : l’histoire de la technique n’est nullement achevée. Ses pôles d’expression et de domination non plus. La technique libère, mêmes ceux qui ont été asservis à d’autres, pourvu qu’on la serve [36]. Des sociétés non européennes, qui se sont « appropriées » la « technique », en ont montré des configurations efficaces compatibles avec la dynamique de leurs cultures dont certaines dispositions ont permis des coalescences de sens et de pratiques inédites [37]. Mao disposait d’une formule pour dire ce qu’exige les enjeux de la modernité : « Marcher sur deux pieds ». Ainsi la Chine inscrit la raison instrumentale dans le contexte d’une pensée de l’efficacité différente. La modélisation des formes, dont la science est le principe, n’est pas le seul mode opératoire du succès. On appelle efficacité, la capacité de tirer profit d’une situation ou d’un rapport de force. Au lieu de modéliser ou de déterminer à l’avance la stratégie se présente sans détermination préalable pour mieux coller aux circonstances. Cela veut dire finalement qu’il faut différencier la modélisation formelle et causale, des logiques d’une efficacité qui s’obtient dans l’articulation des conditions et des conséquences dans un processus immanent et stratégique dont l’action instrumentale n’est qu’une composante. Le temps de cette efficacité est celui de la maturation, du temps long de la transformation continue du réel. Les chinois ont appris les manières occidentales de faire de l’administration, de faire de la politique qu’ils intègrent aux ressources endogènes de leur culture de l’efficacité [38].
Ce que E. Weil appelle « le sacré de la technique » correspond au mécanisme constitutif des sociétés modernes qui fondent leur succès sur ce qui est quantitativement mesurable. Cette approche met en avant l’individu moderne déterritorialisé, qui n’a plus le souci des codages symboliques antérieurs, mais que la mobilité oblige à l’observance de normes nouvelles d’autant plus contraignantes que plus rien de transcendant ne s’impose à lui, pas plus qu’il n’attend de solution aux problèmes qu’il rencontre autrement que par son travail. La société est « calculatrice », « matérialiste » et « mécaniste » : « Tout problème doit être transposé en problème de méthodes de travail et d’organisation et ne doit relever que du mécanisme du travail social » [39]. La calculabilité est le rapport entre la logique d’un problème et les solutions techniques qu’il appelle, quel que soit le domaine considéré. La nature dynamique et temporelle de ce rapport permet de voir qu’une solution ne tombe jamais du ciel. Elle est toujours au croisement d’une connaissance présente et du travail continu de la prospective. Certaines solutions sont toutes prêtes parce qu’elles ont été pensées d’avance. Aucune société moderne ne peut échapper à la contrainte de produire les savoirs pratiques, dans les domaines variés de la vie sociale, à partir desquels on tente de résoudre les problèmes : « L’emploi de ces méthodes constitue la condition nécessaire de leur survie en tant que sociétés indépendantes » [40]. E. Weil ajoute que ce sont les facteurs historiques qui déterminent et exigent le calcul. L’exigence de rationalité découle d’une double lutte menée en vue du développement et de la survie dans l’état de nature des relations internationales. L’enjeu est double : lutter pour y exister, lutter pour défendre son identité symbolique. Cette double contrainte est exigée des membres de la société. Mais la contribution décisive est l’organisation de la société en vue de l’efficacité. Selon que l’organisation est bonne ou non, une société résoudra plus ou moins bien ses problèmes.
En principe, la raison instrumentale trouve son lieu naturel d’expression dans l’administration. Pourquoi ? La réponse est claire : « Il n’existe que des questions de moyens, non la question des fins ». Cette forclusion des fins laisse la place à des questions pratiques : Comment identifier les problèmes ? Comment les résoudre ? Il en est ainsi pour la raison suivante : « Les décisions de l’Etat sont des décisions concernant des problèmes » [41]. Les problèmes que l’Etat a à résoudre sont des problèmes de régulation économique, d’éducation, de santé, d’écologie, etc. Autant dire qu’il s’agit de problèmes qu’il faut mesurer et résoudre en mobilisant les savoirs techniques nécessaires pour éviter de mettre en crise la communauté dès lors qu’ils sont laissés sans solution. L’organisation d’une administration consiste d’abord à mettre en place les mécanismes pour détecter et formaliser les problèmes : « Il s’agit donc d’abord de savoir de quelle manière dans la vie de l’Etat ces difficultés sont saisies, c’est-à-dire rendues conscientes sous la forme de problèmes » [42].
La prévision réside dans cette réflexivité de la délibération sur ce qu’il faut faire, les moyens de le faire, les ressources pour demain. Or l’organe principal de cette délibération dans l’Etat est l’administration [43]. Cette dernière doit mettre en forme l’agir instrumental en l’émancipant des intérêts et des passions : « Ce qui caractérise l’administration moderne, c’est que tout en conservant ses fonctions d’exécution, elle est devenue l’organe de la rationalité technique de la société particulière » [44]. Elle est un espace de réflexivité. E. Weil l’appelle un « instrument pensant ». Elle est le « bureau d’étude » de l’Etat. Sans elle, il n’y a pas de politique publique comme espace de confrontation des options de développement, des alternatives pour sortir des impasses sociétales qui ne tardent pas à se présenter à la communauté politique : quel type d’avenir ? Quels types de projets ? Quels types de règles ? De ce point de vue, une administration n’est rien d’autre qu’une maturation continue des différentes formes procédurales de la gestion de la vie d’une nation.
CONCLUSION
Toute société a besoin d’une prévision fragmentaire, comme le rappelle K. Popper, pour lever des difficultés auxquelles elle est confrontée : les problèmes de santé, d’éducation, de sécurité [45]. Il s’agit de trouver les moyens adéquats pour des fins déterminées comme si la rationalité instrumentale était désormais obligée à la modestie. Les questions de finalité, qui sont politiques, sont séparées des questions de moyens qui sont des questions de fait. Cette distinction montre que toute action sociale est confrontée à des problèmes incontournables, qu’il faut pouvoir résoudre en utilisant les ressources cognitives adéquates. Ce qui est important, c’est de trouver les règles, les méthodes, les instruments, les institutions capables d’aider au changement social. Nous avons vu que l’administration jouait ce rôle de réflexivité qui n’est accessoire dans aucune société, même pas celles qui se sont réappropriées l’administration de type wébérien en lui conférant une figure originale. Cette entreprise a peu de chances d’aboutir là où manque l’esprit critique. Si les situations intolérables ou injustes ne sont pas critiquées, on ne leur trouvera aucun remède jusqu’à ce que se produise une catastrophe. Une société dans laquelle il y a des problèmes que la dénégation réduit en épiphénomènes supportables ne peut pas prévoir, à plus forte raison résoudre ses problèmes parce que ceux-ci ne sont même pas identifiés comme tels.
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SENELLART, M., Les arts de gouverner. Du regimen médieval au concept de gouvernement, Paris, Seuil, 1995.
SKINNER, Q., Les fondements de la pensée politique moderne, trad. J. GROSSMAN ET J-Y POUILLOUX, Paris, Albin Michel, 2001.
COLLIOT-THELENE, C., Le désenchantement de l’Etat. De Hegel à Max Weber, Paris, Les Editions de Minuit, 1992.
LAZZERI, C. et REYNIE, D., La raison d’Etat : politique et rationalité, Paris, PUF, 1992.
[1] Université de Bouaké, Côte d’Ivoire
[2] WEIL, E., Philosophie politique, Paris, Vrin, 1989.
[3] HEIDEGGER, M., Le principe de raison, Paris, Gallimard, 1983, p.218-219 ; cf. C. COLLIOT-THELENE, Le désenchantement de l’Etat. De Hegel à Max Weber, Paris, Les Editions de Minuit, 1992, p. 162-163.
[4] Idem., p. 220.
[5] DASTUR, F., Heidegger et la question du temps, Paris, PUF, 1990.
[6] Toute l’éthique de la responsabilité est fondée sur un calcul à l’envers. L’éthique est le décentrement qui permet de prévoir sur la longue durée et d’ajuster la pratique pour que la vie ne soit pas détruite. _ L’éthique contemporaine a complètement subverti les principes de la rationalité instrumentale, en les retournant contre elle sa logique du temps. L’éthique de la responsabilité met en avant la dimension de l’avenir pour rendre possible une réflexivité de l’agir humain : quelles conséquences pour demain ? Du coup, la prévisibilité est articulation des dimensions futures dans la responsabilité des actes. Voici ce que G. HOTTOIS écrit à ce sujet : « Si le temps était réversible ou si le futur était anticipable, la durée de l’action, et du choix ne serait plus éthique (…) Si je pouvais disposer soit de la science (prévision) soit de la maîtrise (réversibilité) du temps, il n’y aurait ni finitude ni éthicité du temps. Je pourrais à loisir éviter ou défaire mes fautes comme de simples erreurs. Je n’aurais plus à choisir », cf. Entre symboles et technosciences, Paris, Champ Vallon, PUF, 1996.
[7] Les deux penseurs, WEBER et HEIDEGGER, mettent l’accent sur un savoir spécialisé devenu hégémonique, capable de structurer l’activité cognitive et d’orienter l’action, dont la temporalité est celle de la prévision. Pour la première fois apparaît une forme originale de la rationalité.
[8] SINTOMER, Y., La démocratie impossible ? Politique et modernité chez Weber et Habermas, Paris, Editions de la découverte, 1999.
[9] Cf. HERZFELD, M., The Social Production of Indifference. Exploring the Symbolic Roots of Westerns Bureaucracy, Chicago, the University of Chicago Press, 1992.
[10] Cf. « L’Etat en voie de privatisation », in Politique Africaine, n° 73, mars 1999.
[11] Cf. BAYARD, J. F., Le gouvernement du monde, Paris, Fayard, 2004.
[12] Cette extension de la rationalité au monde vécu est aussi la base de l’activité dialogique des citoyens. HABERMAS, J., La technique et la science comme idéologie, trad. J-R LADMIRAL, Paris, Gallimard, 1973, p. 21 et suivantes.
[13] HABERMAS critique le modèle décisionniste de type wébérien dont la légitimation n’est pas suffisante, ainsi que le modèle technocratique dont les « stratégies calculées » et les « simulateurs de décision » semblent vider la politique de toute consistance propre. Le modèle communicationnel permet de faire sa place dans la dynamique du changement social sur la base des échanges dialogiques entre les citoyens. On voit que tous ces modèles ne suffisent pas à dire les pratiques administratives décalées et originales dans les pays en développement.
[14] Cf. LEGENDRE, P., Jouir du pouvoir, Paris, Editions de Minuit, p. 101.
[15] LEGENDRE, P., op. cit., p. 102.
[16] FLACELIERE, R., Devins et oracles grecs, Paris, PUF, 1965.
[17] TAGUIEFF, P. A., Du progrès, Paris, EGL, 2001. Sur cette même catégorie, cf. K. POMIAN, L’ordre du temps, Paris, Gallimard, 1990.
[18] SENELLART, M., Les arts de gouverner. Du regimen médiéval au concept de gouvernement, Paris, Seuil, 1995, p. 211 ; FOUCAULT, M., Sécurité, territoire, population, Paris, Hautes Etudes/Gallimard/Seuil, 2004.
[19] ANDERSON, P., L’Etat absolutiste, Paris, Maspero, 1978.
[20] SENELLART, M., op. cit, p. 43.
[21] M. FOUCAULT analyse cette transformation essentielle de la manière suivante : « L’idée d’un gouvernement des hommes qui penserait d’abord et fondamentalement des choses…, l’idée d’une administration des choses qui penserait avant tout à la liberté des hommes, à ce qu’ils veulent faire, à ce qu’ils ont intérêt à faire, à ce qu’ils pensent faire, tout cela ce sont des éléments corrélatifs », in Sécurité, Territoire, Population, op. cit., p. 50.
[22] Cf. STOLLEIS, M., Histoire du droit publique en Allemagne, 1600-1800, trad. M. SENELLART, Paris, PUF, 1998 ; FOUCAULT, M., op. cit., p. 27.
[23] HOBSBAWM, E. J., L’ère du Capital, 1848-1875, Paris, Fayard, 1978.
[24] SAINT-SIMON, « Le parti national ou l’industrie », Œuvres, Tome II, Paris, Anthropos, 1968, p.201.
[25] LECA, J., « Ernst Gellner. Un poppérien historiciste », in Revue française de sciences politiques, 47 (5), octobre, 1997, p. 515-534.
[26] WEIL, E., « Religion et politique », in Le temps de la réflexion, 1986, p.194. Ce point de vue peut être contesté. H. MARCUSE en a formulé les limites de la manière suivante : « Peut-être le concept même de raison technique est-il lui-même idéologique. Ce n’est pas seulement son utilisation, c’est bien la technique elle-même qui est déjà domination (sur la nature et sur les hommes), une domination méthodique, scientifique, calculée et calculante », cf. L’homme unidimensionnel, Paris, Editions de Minuit, p. 181.
[27] WEIL, E., « Religion et politique »., p. 187.
[28] Cf. WEIL, E., « Tradition et traditionalisme », in Essais et Conférences, tome 2, Paris, Vrin, 1991.
[29] E. WEIL note en effet : « Si l’organisation du travail humain est une seulement en principe, c’est en fait que la technique de ce travail est la même partout. Il est exact que certaines sociétés sont encore loin d’avoir atteint la pleine maîtrise dans l’emploi de cette technique ; il se peut même que certaines tribus soient restées sans contacts avec cette technique, voire, refusent ce contact…Mais la politique peut négliger ces témoins d’époques écoulées, étant donné que les hommes qui font la politique les négligent, à moins qu’ils ne les fassent disparaître ou ne les forcent à entrer dans les mécanismes de la technique modernes », E. Weil, op. cit., p. 69.
[30] Paul VIRILIO durcit le trait en développant la thèse selon laquelle Hegel, Clausewitz et Cluseret sont les véritables concepteurs de la guerre, pour autant qu’ils développent l’entreprise militaire en rapport avec une théorie de l’histoire dont le critérium véritable est l’expansion du techno-logos, cf. Défense populaire et luttes écologiques, Paris, Editions Galilée, 1978.
[31] SLOTERDIJK, P., L’heure du crime et le temps de l’œuvre d’art, trad. O. MANNONI, Paris, Calmann-Lévy, 2000, p. 65.
[32] FOUCAULT, M., Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.
[33] SLOTERJIK P., op. cit., p.66. Un des artéfact les plus significatifs, de ce point de vue, est la machine étatique ; cf. SCHMITT, C., Le Léviathan dans la doctrine de l’ Etat de Thomas Hobbes, Paris, Seuil, 2002 ; BARRET-KRIEGEL, B., L’Etat et les esclaves, Paris, Payot, 1995.
[34] KOUROUMA, Ahmadou, Monnè. Outrages et défis, Paris, Seuil, 1990.
[35] WEIL, E., op. cit., p. 69.
[36] SPENGLER, O., L’homme et la technique, trad. A. A. PETROWSKY, Paris, Gallimard, 1958, p. 174-175.
[37] Cf. ARNASON, J. P., « L’énigme japonais », in Les temps modernes, 486, janvier, 1987, p.29-62. Les logiques du développement de l’Inde, des Dragons du sud-est asiatique sont encore d’autres figurations de l’organisation technique.
[38] JULIEN, F., Traité de l’efficacité, Paris, Editions du Livre de poche, 2000.
[39] WEIL, E., Philosophie Politique, op. cit., p. 71.
[40] WEIL, E., Philosophie Politique, op. cit., p. 80.
[41] WEIL, E., op. cit., p. 138.
[42] WEIL, E., op. cit., p. 140.
[43] WEIL, E., op. cit., p. 148.
[44] WEIL, E., op. cit., p. 149.
[45] Sur la technologie sociale de K. POPPER, cf. MALHERBE, J. F, La philosophie de Karl Popper et le positivisme logique, Paris, PUF, 1976.