Culture et Civilisations

« SORCIERS »-GUERISSEURS EN PAYS BAMILEKE

Ethiopiques numéro 23

Revue socialiste

de culture négro-africaine

juillet 1980

Le pays Bamiléké est une région particulièrement renommée pour ses guérisseurs. Restés très proches de leurs origines, perpétuant fidèlement leurs traditions, les Bamilékés entourent leurs guérisseurs de tout le respect et la crainte qui leur sont dus. A Bandjoun, la plus célèbre des chefferies, la société des geke, reste le plus sûr pilier de la tradition. Cette société à caractère magique n’a pas l’ouverture et le dynamisme des autres assemblées. Les associations bamilékés qui sont des « organes de direction » de la chefferie, regroupent les dignitaires apparentés au « fo » (chef) ou les gens de son service. L’Association des guérisseurs réclame pour sa part, des pouvoirs supplémentaires et sélectionne très rigoureusement ses membres. Elle est le dépositaire d’une culture mal connue qui garde jalousement ses secrets. A côté d’une association, parfaitement soudée et organisée, quelques guérisseurs non élus travaillent isolément, dépourvus de la « puissance » des ancêtres. Il était intéressant de les interroger de Dschang à Bandjoun pour cerner l’originalité d’une Association, moins atteinte par le christianisme.

Dschang

Bamendou, 25 km de Dschang : Un « dieu » nommé « Lumière ». Simon Tatang Nieng.

Une femme, un enfant. Sa femme a raté le BE.P.C, l’an dernier, prend des cours du soir. Etait mourante au moment où elle a rencontré Lumière (cardiaque). Lui seul a pu la sauver.

Simon était lui aussi malade : souffrait des reins, côtes, du cœur. Souvent hospitalisé, aucun traitement n’était efficace. Avant sa transformation, il vendait des gâteaux à Dschang, on l’appelait « Amuse-gueule ». Certains jours, il disparaissait, revenait en chantant dans les rues, en frappant aux portes… Orphelin, sans soutien, sans frère.

Après la prière du soir, endormi, il vit une lumière descendre du ciel, et entendit une voix : « La Sainte Vierge Marie est descendue

– Mon fils, tu es guéri, et tu vas sauver en mon nom ».

Au milieu de quelques étoiles, Jésus s’est présenté devant lui, les bras en croix, avec les clous, le troisième jour après l’apparition de la Vierge.

L’Esprit Saint lui a prédit qu’il guérirait les gens par l’eau.

Dès lors tous ses faits et gestes sont commandés par le ciel : s’asseoir sur un fauteuil, parler, manger, dormir dépendent de l’ordre qui lui a été donné. Il refuse toute croyance traditionnelle et travaille avec l’Eglise. Ne distingue aucune religion.

Il n’utilise aucun médicament et n’opère qu’avec l’eau qui coule. Quand l’heure vient, il envoie les gens à la source : souvent il envoie des gens liés par des sorciers : l’eau les libérera.

Cérémonie de l’eau : les malades se rangent sur deux colonnes, d’un côté les chrétiens, de l’autre les païens. Devant la source ils offrent leurs calebasses à Dieu en priant, boivent de l’eau, chantent et ressortent, une fois que Lumière a terminé ses invocations.

On remarque un ordre de passage et un itinéraire bien précis. (On ne peut pas marcher sur n’importe quelle pierre qui émerge de l’eau).

Lumière rentre en relation directe avec Dieu, durant la cérémonie entouré de quelques femmes disciples (souvent en transe ou dans un état second) et de un ou deux disciples, debout sur une pierre. Allo, Allo Seigneur, Allo !… Merci !… Merci ! la liaison est faite.

Une autre source, plus petite est réservée aux bains.

Il a de nombreux disciples qu’il forme progressivement. Ils ont tout quitté pour le suivre aveuglément. Ils prient à chaque moment de la journée et sont inspirés par l’Esprit Saint.

Lumière a des visions durant la messe, voit le Christ pendant la communion. Il lui arrive de rester couché trois jours sans se lever ni manger. Ne mange qu’une fois par jour. On ne lui permet pas de marcher comme avant, demande sans cesse l’autorisation. Il peut rester deux jours sans s’asseoir, sans prendre de repos. Son travail consiste à réciter des prières, à maintenir constamment le contact avec Dieu. Ses chants sont inspirés par Dieu. Quand ce n’est pas son heure, il ne peut pas s’exprimer clairement et distinctement, il bégaye. Dieu utilise souvent son âme pour guérir ; des malades l’ont vu en songe les guérir, sans qu’il le sache.

Un guérisseur de Dschang

Il travaille grâce à l’aide d’un fétiche, statuette très ancienne, accompagnée de deux autres fétiches secondaires (un aide et une femme). Ce fétiche représente l’esprit qui guide le féticheur.

Le premier guérisseur de la lignée a vu cet esprit en rêve et s’est efforcé de le reproduire en façonnant une statue. Elle se transmet dès lors de père en fils et donne le pouvoir au guérisseur. Elle a de nombreux attributs : elle porte à la main un guerrier (sorte de poupée fétiche), une arme pour se défendre contre les mauvais esprits, un gros coquillage, réplique d’un autre escargot que le féticheur garde précieusement pour se « cacher » en cas de danger ou pour cacher certaines personnes.

Il possède aussi deux tortues, une baguette magique, le crâne d’un ancêtre (le sommet du crâne uniquement) sur lequel il prépare ses médicaments.

Il se dit un intermédiaire, ne peut rien par lui-même. Il tient sa force de Dieu et de cet esprit que Dieu a créé. Sa fonction se transmet de père en fils.

Il soigne certaines folies en particulier les gens qui « travaillent » au mont Koupé. Il s’instaure une lutte terrible avec les sorciers pour récupérer les malades avant qu’ils ne soient vendus. Il lui est impossible de faire venir un « vendu » de l’au-delà.

Il travaille avec des écorces d’arbre. Certaines poudres qu’il prépare lui permettent de voir en rêve ce qui se passe chez les autres.

Il diagnostique la maladie en utilisant la voyance : à l’aide d’un bocal rempli d’eau ou flottent des billes et de petites lampes, il « voit » la personne qui le consulte et décèle sa maladie.

Les Kamsi : guérisseurs voyants.

Les Djiwissi : Femmes de dieu, voyantes.

Une Djiwissi – Dschang :

45 ans. Accaparée par l’esprit depuis quatorze ans. Jeune fille, elle avait des signes prémonitoires : vertiges, pertes de connaissances ; elle lisait l’avenir et indiquait comment se protéger.

Lors de sa crise, elle passait des journées à pleurer ou à chanter ; certains jours, elle ne parlait ni ne mangeait. Sa folie était une façon pour le dieu, de montrer la marche à suivre, de lui donner un pouvoir.

Un guérisseur l’a calmée et maintenant elle peut travailler et exploiter son don. Saisie par une force, elle est capable de « voir ».

Le guérisseur a demandé à sa famille son accord pour qu’elle soit la servante de Dieu. Des sacrifices ont eu lieu, après des danses, un repas en commun, des libations, elle s’est calmée définitivement.

Ses attributs : elle porte un collier très caractéristique, un pour les cérémonies, un autre pour aller au champ. Un long bâton (sorte d’arme) pour aller en guerre contre les mauvais esprits. Trois clochettes pour danser et se faire un passage et éloigner les esprits du mal. Une sorte de trompe pour annoncer à Dieu que l’on est d’accord, que l’on va exécuter ses ordres. Une double cloche pour danser.

Chaque acte doit recevoir l’autorisation de Dieu.

Pour lire l’avenir, ou diagnostiquer la maladie, elle utilise les feuilles de l’arbre de paix – (chaque Djiwissi a sa technique propre, utilise des supports différents).

Lorsqu’un enfant pleure sans raison, elle le calme avec certaines herbes : le Ndouen. Les feuilles de l’arbre de paix peuvent éloigner le mauvais sort. Elle soigne aussi la stérilité.

Elle voit en rêve le travail qu’elle fera le lendemain.

Bandjoum

Les Kamsi

Mafo Méku (70 ans) mère du chef de quartier Djioné.

Elle a découvert sa vocation au cours d’un songe. Elle était d’abord malade (souffrait du ventre) et s’est rendue à Foumbam, dans un lieu sacré traversé par un cours d’eau. Parmi de nombreux malades, elle a été choisie par le Kamsi qui lui a confié ses pouvoirs, et elle travaille dorénavant au nom de Dieu. Elle prie les dieux du quartier et soigne avec l’eau. Si l’on est compliqué, on ne guérit pas.

Présentations : Salue en dansant, vêtue d’une robe OFUNC, s’asseoit à l’écart sur un tronc d’arbre. Puis attitude de réflexion, dialogue avec elle-même et avec Dieu.

Tout le quartier se réunit dans la cour.

Prière, en chantant :

« Je traite sans demander de l’argent.

Je n’ai que ma prière,

l’eau simple sans produit.

Je traite avec Dieu.

J’ai fait de la prison (30 jours).

Et on m’a relachée.

Je ne prends rien à personne ».

Elle verse une calebasse d’eau dans une cuvette et s’amuse à agiter l’eau avec une demi-calebasse en forme de louche et invoque le ciel, frappant des mains.

Au malade en chantant :

Dis la vérité

J’ai sauvé 17 villages.

Grâce à cette eau,

j’ai sauvé beaucoup de gens

Je ne vois que dans l’eau.

J’ouvre la voie de Dieu.

Je ne suis que Dieu.

Je n’ai pas d’autre remède.

On vient ici pour être sauvé.

L’eau bénit, guérit,

si on est simple.

(en invoquant Dieu et les esprits, change de voix).

Elle prend quelques gouttes d’eau dans ses mains avec la petite calebasse, les présente au ciel et les boit. Elle montre là que l’eau est simple et que si elle est empoisonnée, elle sera la première atteinte. – « Soyez stables comme l’eau que j’ai mise dans le creux de la main ». Après avoir bu l’eau, les malades vont se baigner, à la source.

Grand rite de soin

Appel des malades en chantant ; ils viennent s’asseoir près d’elle et l’accompagnent en chantant.

La Kamsi ouvre ensuite la danse ; les malades la suivent en tournant autour d’elle.

Chant de la Kamsi :

– Papa, le Dieu des dieux.

– Qui va dire au chef supérieur.

– Qui me donne la houe

– Que les malades soient guéris.

– Dansez pour demander pardon de vos péchés.

– Celui qui tend les mains ne manque pas de recevoir quelque chose.

– « Mafo de Dieu ».

– Celui qui travaille avec

Dieu reçoit toujours une récompense.

– Que le cri aille jusqu’à Yaoundé.

– Que le cri aille jusqu’au ciel.

– Tendons les mains,

demandons à Dieu et __ nous ne perdrons pas,

parce que celui qui tend

la main à Dieu ne perd pas.

– Dieu est grand et le seul Roi.

– Oh ! La reine des forces, reine des femmes noires.

– Notre village est le village de la paix.

– Que Dieu danse aussi comme nous.

– Qu’il nous apporte la joie dans nos cœurs la paix Djioné. Que personne ne meure à Djioné.

– Recevez l’étranger dans la tranquillité.

– Priez pour le chef supérieur de Bandjoun.

– Je ne peux pas voir Dieu mais j’entends ses paroles.

– Celle qui soigne est venue, celle qui soigne avec une eau pure et simple.

– Saluez le Président de la République, saluez le chef baffoussam-Baleng.

– Que Dieu nous donne beaucoup d’enfants et que nous puissions les nourrir avec l’eau simple comme la reine Mafo.

– Notre travail est pour Dieu et non pour l’argent.

– Nous ne demandons l’argent à personne…

Après avoir bu l’eau, les malades expliquent de quoi ils souffrent. En complétant les explications, la Kamsi frappe la terre de ses mains , et de ses pieds en s’imprégnant de sa substance.

Une Kamsi de Bandjoun

S’est trouvée entièrement transformée en une seule nuit.

Elle travaille avec l’aide de deux dieux : Celui des chrétiens puisqu’elle est baptisée et celui de la famille qui l’a transformée. Si on la conduit en prison, c’est le dieu de la famille qui la libère pour aller chercher les remèdes.

Pour elle, le dieu des chrétiens est un faux dieu ; ses ministres pèchent malgré leur rôle sacré. Les chrétiens sont fourbes et font du mal tout en priant. Si elle va à l’église, c’est pour prier son propre Dieu.

Elle avait traité une sœur aveugle de la Mission qui lui a offert en remerciement des médailles bénies. Le dieu de sa famille a refusé qu’elle les porte.

Elle traite avec les plantes. Elle mange certaines graines, certaines feuilles pour que Dieu lui donne ses médicaments. Dieu plante lui-même les herbes. Il y a cinq jours, elle a découvert une plante donnée par Dieu, qu’elle avait demandée depuis trois ans.

C’est en rêve qu’elle organise le traitement et s’approvisionne en médicaments. Dieu lui indique à quel moment elle doit aller chercher les remèdes et le lieu. Si elle part à une autre heure, elle court de graves risques. Elle peut aller chercher des médicaments jusqu’au bord du Noun ou dans la Sanaga, au fond de l’eau. Elle est protégée et ne craint aucun danger.

Elle travaille avec un « go » (carré de verre) que Dieu lui a donné ; elle est allée le chercher très loin ainsi que des médailles. Son double s’était déplacé.

Elle se sert de ses propres mains pour traiter et peut soigner n’importe quelle maladie, sur la demande de Dieu. Elle a rêvé un jour que Dieu lui montrait un remède à Yaoundé au camp militaire. Après s’y être rendu immédiatement, elle a dû soigner un fou qui l’attendait à cet endroit avec une herbe cueillie à proximité.

Elle a été aussi amenée à traiter un enfant qui lui a fait un étrange cadeau. Dieu lui avait demandé que cet enfant peigne les portes de sa case. Il a dû reproduire l’image exacte qu’il lui a décrite en rêve. C’était le dessin de certains danseurs du Tso.

Elle montre souvent l’herbe au malade, pour qu’il puisse poursuivre le traitement au cas où elle mourrait.

En brousse, elle a des gens qui travaillent sur ses plantations ; elle vend ses produits et ne demande aucune rémunération pour ses soins.

Le jour de notre visite, elle était en train de préparer un médicament avec des herbes dont elle avait rêvé la nuit pour soigner une maladie de femme. Liquide rouge qui symbolise le sang, la vie, et doit traiter les femmes stériles. Elle boit devant nous pour montrer que ce n’est pas un poison. Cette potion est aussi efficace pour les enfants chétifs.

Un Kamsi

Un homme kamsi est assez rare. Est considéré comme un être efféminé. Celui-ci a les cheveux longs, tressés par endroits. Il est le seul de la famille à être Kamsi. Il n’a rien appris, son don lui est venu subitement au cours d’un rêve, il y a neuf ans. Il vivait alors dehors, près des dieux (pierres) en proie à la folie. Pouvait prendre des risques, car était protégé.

Il travaille désormais avec Dieu qui lui a légué sa force et utilise les rêves pour traiter ainsi que les herbes.

Il a le don de voir les enfants qui vont naître ; il les voit en foule avant de naître à la vie.

Il traite la stérilité, les maladies d’enfants et de femmes. Dieu lui refuse de soigner les maladies surnaturelles et de pratiquer les accouchements. C’est en rêve qu’il apprend s’il doit ou non traiter.

Chaque fois qu’il travaille il est dans un état proche de la folie. Le temps est très limité quand Dieu lui envoie un malade, il lui indique en rêve les délais, doit les respecter. S’il refuse un malade sur les conseils de Dieu, il lui indique à qui il doit s’adresser.

Dieu a organisé son jardin, a planté certains fruits et arbustes, ordonné une sorte « d’arche ».

Il se croit supérieur aux autres Kamsi ; c’est lui qui leur distribue la puissance. Si les Kamsi se sont mal comportés devant Dieu, il peut leur donner un autre pouvoir. Ne peut transmettre à personne d’autre le pouvoir.

Sa femme est djiwissé, elle lui fut donnée par Dieu, à lui, représentant de Dieu. Toutes ses femmes au nombre de trois, sont djiwissi mais ne traitent pas. On les nomme ainsi par respect.

Un magicien de Bandjoum

Il est le neuvième héritier du chef du quartier. Son père traitait, avait une puissance. Il a été initié par son père.

Se disant civilisé, il n’a pas de totem car pour lui, cela n’apporte pas de puissance supplémentaire pour soigner. Certains se transforment en totem pour manger de la viande, attraper des chèvres. Ce système se termine car actuellement on peut facilement tuer un totem avec des fusils.

Il possède une puissance inexplicable ; son père lui apparaît en rêve pour lui montrer les herbes.

Il a une herbe que l’on passe sur le visage avant de s’endormir pour connaître en rêve ce qui va arriver le lendemain ou dans l’avenir. Il a aussi une herbe qui porte secours aux fonctionnaires, à certaines hautes personnalités. Les gens touchent des allocations familiales élevées grâce à leurs enfants. Il s’agit donc de protéger ces enfants pour développer le pays [1]

Pour lui, la vie est un éternel combat contre les sorciers, les vampires. Dieu lui a donné une puissance localisée dans le ventre.

C’est le malade qui indique la nature de la maladie due presque exclusivement au poison. Le magicien utilise alors un anti-poison. Chez les Bassa, on lance à distance une maladie surnaturelle, chez les Bamiléké, ces maladies proviennent toutes de la bouche (poison).

Ses manifestations : la langue devient noire et sèche ; excréments noirs, échauffement du ventre, démangeaison dans les jambes (si on a marché sur un poison ou une herbe empoisonnée).

Il traite la stérilité, l’épilepsie, particulièrement contagieuse si un épileptique donne une part de son repas à un enfant, celui-ci est contaminé. Peut être aussi provoquée par des animaux, des vendeurs de viande.

Association des guérisseurs de Bandjoun (quartier de Njiomgheu)

Le chef des Gué ké, responsable des guérisseurs:le Ta-Metchouo [2]

Dzudié Tatuéné. Quarante deux ans. A succédé depuis vingt trois ans à son père. A hérité de son père, le titre de chef qui est héréditaire. Sa concession est depuis toujours le lieu de réunion des guérisseurs. La cour est une école de formation où l’on s’entraîne à traiter. Chacun arrive avec ses idées transmises par le père pour les faire partager aux autres guérisseurs. Au-dessus du grenier, accroché au toit sont suspendus des sacs de médicaments.

Le jour de la réunion est le Tamzzé ou chekou, c’est-à-dire veille du grand marché (chekou) ou lendemain du grand marché (Tamzzé). Le chef propose l’un de ces deux jours, chaque semaine, ou tous les quinze jours, selon le travail du moment.

On ne cotise pas pour rentrer dans l’association, il suffit d’être le fils de son père. On cotise seulement pour apporter le repas pris en commun au cours de la réunion : plantain, couscous, tarot, vin raphia. Aucune heure fixe, de préférence le matin.

Ils sont environ trente membres de l’association mais tous ne peuvent pas traiter ; il y a des membres d’honneur (trois membres qui font partie du conseil des neuf de la chefferie) ; cet honneur est transmissible de père en fils. Certains sont écartés de l’association, ne viennent que pour manger ; ils avaient reçu la puissance, mais elle est restée sans effet. En réalité il n’y a que treize membres actifs.

Auparavant certains pouvaient faire partie de l’association en passant par le chef. L’association l’étudiait et décidait de le garder s’il envisageait de travailler sans avoir l’idée de faire le mal. Il ne recevait pas une puissance comme celui qui la tenait du père. Il apprenait uniquement à traiter, car venait de l’extérieur. Ils sont cependant parfaitement intégrés au groupe.

Le chef peut donner son appréciation au cours de la réunion ; il rassemble les médicaments, après les avoir préparés en commun (écrasés ensemble) et les distribue à chaque membre. Chacun expérimente les nouveaux médicaments et donne les résultats lors de la prochaine réunion. Tous ont été initiés par leur père mais certains sont supérieurs à d’autres et apportent des compléments d’information. Le père continue en rêve à révéler des traitements. Si une maladie est particulièrement difficile à traiter, on invoque le père, la nuit, qui explique le traitement ; au cours de la réunion, chacun profite de ces connaissances.

De ce fait tous partagent les mêmes idées, traitent avec les mêmes espèces de médicaments (plantes, écorces), la collaboration est de rigueur. Ils ne sont pas voyants, mais « voient » au cours de rêves où le père apparaît la plupart du temps pour indiquer les médicaments, annoncer certains événements importants.

L’association organise les danses de Kou pour « lamenter » un membre défunt ou le Chef Bandjoun défunt. Ces rites doivent manifester la « puissance » des guérisseurs en proposant de multiples « tours ». Ils s’identifient à leurs totems, mangent des poulets crus, des courges, macabos crus, boivent de l’huile de palme. Ils sont en relation directe avec le génie. Un guérisseur transporte un essaim d’abeilles sur la tête, certains en mangent ou enfoncent la main dans l’essaim. Personne n’est piqué ni les spectateurs protégés. Mais si l’on cherche à « tenter » les guérisseurs, si l’on veut rivaliser, les abeilles peuvent piquer. Les guérisseurs attachent des herbes longues de dix mètres autour des reins jusqu’au cou. Leur visage est masqué. (Masque-cagoule appelé mfouo).

Les grands notables, membres d’honneur, offraient le repas (chèvres, vin raphia) et dansaient avec les guérisseurs. Ils ne masquent pas leur visage (ils représentent le chef qui ne doit jamais cacher son visage). Les notables dansent avec la queue de cheval, une tige de bambou, portent des feuilles sur la tête tombant comme des cheveux (symbole de leur puissance). Avec les guérisseurs, ils tiennent des statues représentant la tête des animaux-totems. Certains animaux-totems attachés avec des cordes dansent avec les guérisseurs. Les femmes des guérisseurs participent un peu en retrait, tenant en main plusieurs variétés d’herbes médicinales.

Orchestre : Trois instruments : un gros tam-tam, un moyen et un petit tam-tam. Les femmes du quartier, les enfants participent à la danse en tenant des feuilles de l’arbre de paix. Avant la danse, les guérisseurs évoquent au cours de la réunion les génies.

Tenue : Les guérisseurs prennent la tenue de leur père qu’ils changent lorsqu’elle devient trop usée. Peuvent porter un chapeau, pas de colliers. Pas de tenue particulière, mais elle doit être réservée et sortie uniquement à cette occasion pour danser (elle a une place réservée dans la case).

Lors de la mort du Chef Bandjoun, le Kou se dansait avec l’association des guérisseurs de la chefferie (le chef héritier dansait avec les guérisseurs de son association).

Les Gué ké se placent à l’intérieur du cercle car ils sont les pivots de la danse ; les guérisseurs du chef sont à l’extérieur et dansent en sens inverse. Les guérisseurs de l’association décident du rythme et des pas.

Un guérisseur, nu, le corps recouvert de cendre (pour montrer que le défunt est perdu pour le village de même quand on expulse quelqu’un de la chefferie on verse de la cendre sur lui), conduit la danse. Une herbe, le njou (symbole de la guérison) ceint les reins du danseur nu.

Le chef

Dès l’âge de huit ans suivait son père en brousse pour chercher les remèdes ; apprenait à écraser les remèdes, écoutait les explications du père. Avant que son père lui transmette le pouvoir, il lui avait fait jurer de ne jamais faire de mal à autrui : il avait pris de l’eau dans une calebasse et l’avait versée en présence de son père, sur les pierres représentant le Dieu. (Il avait douze ans).

Pour traiter les maladies surnaturelles, il utilise la puissance du totem. Il doit défendre le malade, sans faire du mal au sorcier. Il n’utilise que des herbes et écorces qu’il fait cuire pour en recueillir le liquide. Il écrase aussi les herbes, feuilles, graines, écorces.

Il n’utilise pas le crâne d’une personne mais celui d’un chimpanzé ou d’un lion, symbole du pouvoir du génie.

Il peut prêter son crâne de lion à un guérisseur de l’association. On l’utilise pour entrer en communication avec l’ancêtre.

Il chante ou prie au cours du traitement, en invoquant les ancêtres, danse aussi.

« Je ne me suis jamais trompé

Je n’ai jamais fait de mal à personne,

J’ai tenu ma promesse,

Je demande votre aide » .

La maladie est matérialisée pour le malade : le guérisseur extirpe du corps des vers, des escargots, perles de colliers, morceaux de fer etc… Les malades rêvent souvent qu’on leur met un objet dans le corps.

Chaque enfant dès son plus jeune âge doit se faire blinder, se faire protéger contre tout mauvais esprit qui le guette.

 

Le deuxième chef des Gué ké Dzudié Makùgem

Plus âgé que le chef précédent, soixante-dix ans. Depuis la création de l’association, il y a deux chefs qui tous deux héritent du père. (Il est le cinquième chef). On peut se réunir soit chez lui, soit chez l’autre chef, mais en tant que plus âgé les réunions ont lieu de préférence chez lui.

Le responsable au niveau de l’administration est l’autre chef, plus jeune, plus instruit. C’est lui (le plus jeune) qui discute avec les autorités, le Chef Bandjoun, le sous-préfet.

Ils suivent la tradition et ne savent plus pourquoi on a nommé deux chefs puisque aucun d’entre eux n’a de rôle particulier au sein de l’association, ne peut prendre de décision personnelle. Même au cours des danses de Kou, ils n’ont pas de places réservées.

Le jeune président est la dernière promotion, les jeunes ne veulent plus sacrifier à la tradition.

Le guérisseur a déjà soigné les membres de la famille du chef.

Louis Dzuakou. Guérisseur de l’association.

Initié par son père dès son plus jeune âge, il a reçu à quinze ans la « puissance ».

Rite d’entrée. Le jeune aspirant vêtu d’un billard (pagne blanc) est assis sur un siège ; le père lui tient la main droite et la mère la main gauche. L’assistance est nombreuse. On lui remet le produit préparé à son intention pour lui donner la puissance : le président des guérisseurs avait reçu un « médicament » de la chefferie, mélangé avec les produits de l’association, qu’il donne à l’initié. (Toute puissance doit venir du chef). Aucune danse n’est de rigueur.

Un repas préparé par les femmes de la famille du néophyte et les femmes des guérisseurs est offert à l’assistance. On mange surtout du tarot et l’on boit du vin de raphia.

Paroles rituelles : « Nous te passons notre pouvoir et désormais tu considèreras le malade comme toi-même et tu le traiteras avec bon cœur ». Puis les guérisseurs crachent sur la poitrine de l’initié en signe de bénédiction.

Des notables représentent le chef au cours de la cérémonie.

L’initié porte le billard durant une semaine, cloîtré chez lui. On oint tout son corps d’une poudre rouge (écorce écrasée). Après une semaine, tous les guérisseurs l’accompagnent en brousse et lui montrent certaines herbes. Ensuite l’initié peut commencer à traiter. Toujours après une semaine, le chef des guérisseurs présente le nouveau membre de l’association au Chef Bandjoun, qui le consacre définitivement.

A la mort d’un membre de l’association on sort l’essaim d’abeilles pour les lamentations. Durerait une semaine les guérisseurs dansent toutes les nuits. Aucun individu ne peut pénétrer dans l’enceinte où se situe la tombe entourée de nattes. Ils ne portent pas de tenue car ces rites se passent secrètement. Après une semaine, ils vont danser le kon en public.

Si les guérisseurs restent une semaine à veiller sur la tombe, c’est pour qu’en brousse les animaux-totems se rassemblent autour de l’animal défunt. Ils attendent que le corps se décompose de peur qu’on ne mange l’animal – parallélisme étroit entre l’homme et son totem.

Quand un guérisseur meurt, le totem ne meurt pas immédiatement. Il faut que les guérisseurs chassent l’âme du défunt en criant dans la concession. L’âme ira prévenir le totem de la mort de son double. Tous les habitants du quartier se cachent pour ne pas rencontrer le défunt. Ensuite les guérisseurs viennent danser autour de la tombe. Le totem meurt à son tour et les autres totems se rassemblent autour de son corps. Lorsqu’un guérisseur voit son génie c’est que la mort est proche).

Loi de l’Association

Ne jamais faire de mal à autrui. Celui qui nuit à son prochain, donnera sa tête à la place de celui qu’il a voulu tuer.

A la fin de la réunion, avant de se séparer, les guérisseurs versent de l’eau sur les pierres du Dieu en disant : « Si quelqu’un a l’idée de tuer, qu’il meure ». Et chacunapplaudit. _Ils ne doivent pas manifester leur puissance gratuitement, par orgueil.

 

Traitement des maladies surnaturelles

C’est en analysant le rêve du malade que le guérisseur détecte la maladie surnaturelle : exemple d’un jeune homme qui a rêvé qu’on lui avait donné un coup de bâton.

Le matin, il tombe évanoui il bave, tremble…

Le guérisseur part chercher des médicaments en brousse (vus en rêve) fait boire le malade, lui fait pénétrer un liquide dans le nez, les yeux, les oreilles, lui frictionne la poitrine pour le ranimer. Il le lave avec de l’eau bouillie avec certaines herbes. Surtout il le fait vomir.

Le traitement peut durer deux ou trois mois ; le malade vit dans la concession du guérisseur et reçoit sa famille.

Quand il soigne des maladies surnaturelles, le guérisseur reçoit des provocations, des tentations de ses ennemis (ceux qui ont provoqué la maladie). Son totem vient le prévenir en rêve et il prend ses précautions. C’est son totem qui lui montre les médicaments. Le Dieu des ancêtres apparaît aussi dans les rêves et prend le relais du totem. Ils ont tous les deux le même pouvoir. Le Dieu des ancêtres bénit les remèdes comme le totem.

Guérisseur de l’Association

:

Tagné Tedom

Dès l’âge de six ans a été initié par son père qui l’entraînait en brousse. Après l’initiation, il a choisi la panthère comme animal totem (tous les membres ont choisi la panthère).

Il est notable dans l’association, cela signifie qu’il est riche et qu’il doit donner à manger aux autres. S’il participe aux réunions de l’association c’est pour échanger des idées sur les traitements, s’entr’aider. Aucun secret, aucun esprit de compétition n’existent entre eux.

Loi. Si quelqu’un a une double face, s’il est sorcier, il meurt. Selon la Coutume, le chef Bandjoum a tout pouvoir et les dirige. En cas de maladies contagieuses dans le village, l’Association convoque le Chef et s’enquiert des mesures à prendre. Ils se réunissent, cherchent ensemble des médicaments et demandent au Chef de les bénir. Le Chef prend de la terre simple, en verse sur le médicament et implore la bénédiction du dieu des, ancêtres. Puis les remèdes seront distribués aux malades.

Traitement des maladies surnaturelles

Elles sont vérifiées d’une part grâce à l’imagination du malade, et par voyance. Le Kon se dit Sùyo, en Bandjoun.

Il fait pénétrer une poudre dans le nez, si le malade tombe évanoui, la maladie est évidente. Le guérisseur défend le malade en lui donnant des médicaments, ou il recourt à la coutume, si la maladie vient des ancêtres : il demande une poule blanche pour les ancêtres. Il ne doit en aucune façon tuer le sorcier.

Rite : Il prie les ancêtres pour obtenir le pouvoir de guérir. Il les convoque, et il cite un des membres de l’association : « Je vous fais le traitement au nom d’un tel… (membre de l’association), si vous n’êtes pas innocent, vous ne serez pas guéri au nom des ancêtres ».

Il fait vomir le malade, observe la couleur des matières vomies, puis applique un premier traitement à l’essai. S’il n’y a pas d’amélioration, il envisage un produit plus efficace. Si la guérison n’est pas complète, il propose au malade d’aller voir un voyant qui nommera le coupable. Puis le malade revient trouver le guérisseur.

Guérisseur de l’Association

:

Choupé

Il travaille surtout avec la puissance de son totem. Son père est mort trop tôt et n’a pas pu entièrement l’initier ; l’association a complété son enseignement.

Avant le traitement il donne à manger au Dieu symbolisé par des pierres au milieu de la cour : « Voila votre repas, je viens vous demander secours pour traiter cette maladie ». (Il lui donne des graines). La moindre parcelle de terre représente Dieu (les pierres symbolisent la Nature entière qui est divine).

Durant le traitement, on administre le médicament en citant la personne de l’association qui l’a trouvé. De même au moment où l’on cueille une herbe, on prononce le nom de celui qui l’a découverte. On demande ainsi à cette personne son concours, sa puissance.

Guérisseur de l’Association : Tatuébu Tetchap (père de l’informateur). Malade atteint de sorcellerie : en rêve, le malade a assisté à une réunion d’hommes en blanc – le malade est alors tenté par un sorcier. Ou le malade perd ses cheveux, ou il cherche un objet sans le trouver.

Le guérisseur demande au malade de se mettre entièrement nu et de se laver près de l’arbre de paix. Le guérisseur le lave avec une branche de l’arbre de paix. Prières…

Il conduit le malade au marigot pour qu’il se relave et pour faire évacuer les péchés dans l’eau courante.

Le malade retourne dans la concession en traversant une allée de bananiers ; il ne doit pas se retourner car on suppose qu’il peut revoir ses péchés ou les mauvais esprits, ou être tenté alors qu’il n’est pas encore guéri.

Derniers médicaments à la case du guérisseur.

Jeune guérisseur de l’Association

Ils étaient quatre Jeunes, un vient de mourir.

Lui ne traite pas car il n’a pas le temps de fréquenter les réunions, d’apprendre les techniques. Il a conscience que pour soigner il lui faut constamment se renouveler. Ses deux plantations l’accaparent complètement.

Il représente la jeune génération qui ne veut rien sacrifier à la coutume. Traditionnellement il était impensable de laisser son pouvoir inexploité. Il a subi l’initiation, a reçu la puissance de son père, mais ne se souvient plus de rien. Il n’a participé qu’à une danse de Kou, à ses débuts. N’a aucune relation avec son totem puisqu’il ne traite pas.

Lorsqu’il sera vieux et qu’il deviendra improductif, il pense pouvoir utiliser sa « puissance » et soigner.

Les totems

Tous les membres de l’Association ont même espèce de totem : la panthère. Si un membre fait partie d’une autre association, il peut avoir un autre totem, celui de l’autre association.

Seuls le chef bandjoun, les notables-wabo et les guérisseurs de l’Association ont droit au totem.

Les totems vivent surtout au bord du Noun, à la limite du pays bamoun (ils vivent en bonne intelligence avec les totems des guérisseurs bamoun). Ils marchent toujours en groupe pour éviter les chasseurs. Un chasseur ne réussit jamais à capturer un totem au milieu d’un groupe, la riposte est immédiate.

Les rivalités entre guérisseurs se répercutent au niveau des totems. Les guérisseurs ne luttent qu’avec leurs totems, hors de l’association. Dans l’Association, l’entente est de rigueur, les totems des plus jeunes, protègent les plus vieux.

Le guérisseur ne voit jamais son totem (sinon c’est signe de mort). Il le fait agir à sa place, c’est lui qui l’aide à traiter ; pour chercher les médicaments en brousse, c’est le totem qui se déplace. Il reste homme physiquement, mais a les capacités de l’animal et reste protégé. Si le totem mange une herbe de guérisseur, son double attrape une maladie, en général la toux.

Il existe au niveau de la chefferie un autre groupe de guérisseurs, créé pour soigner les membres de la famille du chef. Ces guérisseurs ne possédaient pas la « puissance » des membres de l’Association. Ils n’existent plus que pour les cérémonies de deuil. Les successeurs ne s’y intéressent plus.

Certains guérisseurs de l’Association faisaient partie des guérisseurs du Chef. Au cours des grands deuils (Chef) les deux sociétés dansent ensemble.

Les Tchafos, association de la Chefferie, bénéficient de la puissance du Chef, n’ont pas de puissance personnelle. Ils ne peuvent pas traiter, ne peuvent que se défendre contre les forces surnaturelles. Comme toutes les autres associations de la chefferie ils ne sont que protégés par le Chef, ne peuvent pas être tentés. L’Association est unique à posséder une puissance qui lui est propre. Les Tchofos n’ont pas de totems.

Les femmes des guérisseurs ne désirent pas être traitées par leurs maris car elles ne peuvent rien leur donner en échange. Il faut donner pour guérir. Elles vont donc « dépenser » avec un autre guérisseur (n’importe lequel). Plus on donne, plus on a confiance, et plus le guérisseur a du courage.

Les guérisseurs travaillent en association pour accroître leur puissance. Ils aident parfois les guérisseurs étrangers à l’association qui n’ont pas de « pouvoir ». Leur association fut créée lors de la création de la Chefferie Bandjoun, avec l’autorisation du Chef. Elle est autonome, bénéficie de la puissance du Chef et de la sienne propre.

L’Association participe à l’intronisation du Chef pour lui donner une puissance. Certains membres de l’association font partie d’association de la Chefferie et vont étudier le Chef. Si l’observation est positive (obligatoirement), l’association donne une puissance au Chef, qui lui permettra de protéger le village. En échange le Chef donne de la viande et de l’huile.

La plupart des guérisseurs pratiquent les rites des ancêtres, tout en ayant une religion chrétienne de façade.

Guérisseurs de Bandjoum qui ne font pas partie de l’Association

Ils ont appris à traiter auprès d’un guérisseur ou auprès de leur père, qui n’avait pas reçu de « pouvoir ». Ils n’ont donc eux-mêmes aucun pouvoir, ne peuvent pas convoquer les esprits ou un totem. En dehors de l’association, les autres guérisseurs n’ont pas de pouvoirs spéciaux. Seuls ceux qui ont été présentés par le Chef à l’association (sans avoir été initiés par le père) reçoivent la puissance du Chef mais pas celle de l’Association, mais sont parfaitement intégrés. Les autres restent extérieurs et ne sont que des techniciens sans grande envergure. Ils se reconnaissent inférieurs aux autres, ont appris solitairement en demandant l’aide de guérisseurs plus expérimentés. Ils vendent leurs médicaments au marché, contrairement aux membres de l’association. Ils font un commerce de leur science mais ne demandent aucune rémunération au cours du traitement si ce n’est quelque produit des plantations, (il en est de même pour les guérisseurs de l’association qui n’acceptent qu’un simple échange de cadeau).

La plupart travaillent avec l’esprit du père ou du guérisseur qui les a formés. Au cours des rêves ils organisent le traitement (certains plus modestes ne rêvent pas du tout).

Ils ne peuvent pas traiter les maladies surnaturelles, car ils ne peuvent pas lutter contre les mauvais esprits et risquent leur vie. Soignant surtout les maladies de femmes, d’enfants, les petites maladies, gonflements des pieds, des yeux, coliques, démangeaisons, articulations, toux, maux de dents.

Se sont destinés à ce métier, soit parce qu’ils ont grandi près d’un guérisseur (père ou voisin), soit après une maladie, ils se sont découverts une vocation. Certains ont organisé dans leur concession un véritable hôpital, pratiquent souvent des accouchements et établissent eux-mêmes les actes de naissance. Chaque malade a son dossier et bénéficie d’un centre d’accueil particulièrement étudié avec cuisine, possibilité d’héberger la famille.

N’ont pas reçu le pouvoir des ancêtres, mais certains croient au pouvoir du Dieu des chrétiens et traitent en le priant. Ils s’assimilent souvent au prêtre, certains portent une soutane noire et récitent les prières de la Mission catholique, utilisent le chapelet.

Enfin cette association des guérisseurs est suffisamment puissante, efficace pour lutter contre le Famla, association des sorciers, Nsué, du quartier le plus riche de Baffoussam. Pour grossir les effectifs de l’Association, on invitait un ami à une « tontine » (réunion où l’on verse à un bénéficiaire de l’argent susceptible de l’aider dans une opération quelconque, construction, achat d’un commerce etc… Ce prêt sera restitué lors d’autres réunions où un membre réclamera à son tour une aide), mais cette tontine était moins destinée à verser de l’argent qu’à échanger des personnes ! Le jour où l’on se décidait à restituer le prêt, les membres répondaient : « Un coq ! » ou « Une poule ! », mots-clefs qui signifiaient le père ou la mère. Au cours de la réunion on avait partagé à son insu le repas du sorcier à base de plantain et de viande. Traditionnellement il fallait manger neuf fois cette nourriture pour prendre quelqu’un qui ne faisait pas partie de la famille. Si on ne voulait pas donner, on s’offrait soi-même. Actuellement on peut donner n’importe qui.

L’homme vendu franchit plusieurs étapes ; on ne peut le récupérer que s’il n’a pas dépassé le dernier seuil, celui de la « vente » définitive. Les premiers symptômes de la « vente a » se manifestent par la perte des cheveux, la disparition d’objets courants (montres), d’argent, ou au contraire par la présence d’objets insolites ou d’argent que l’on n’escomptait pas. Aujourd’hui, il existe peu de signes vraiment probants en dehors des symptômes de la maladie.

Ce qui frappe dans cette association c’est l’efficacité de certains traitements à base d’herbes, d’écorces et surtout la ferveur et la foi des malades. Ce langage commun entre le guérisseur et le malade, ce lien direct avec le Dieu ancestral décident avant tout de la guérison. L’association reste le plus sûr pivot du culte traditionnel. On ne rencontre que très rarement d’influences chrétiennes, le syncrétisme n’existe que chez les guérisseurs isolés et les Kamsi. Beaucoup d’effets placebo, certes, mais la croyance au pouvoir des ancêtres, les incantations, les prières en leur honneur, une gestuelle qui perpétue les gestes féconds des sages restituent l’équilibre et la santé du groupe.

[1] Les fonctionnaires ont intérêt à avoir plusieurs enfants, synonymes de richesse et de respectabilité. La femme est donc contrainte d’accoucher successivement, et ne respecte pas la loi des deux ans selon la coutume bamiléké. Il s’agit donc de protéger l’enfant après la violation du tabou.

[2] Nom de l’Association : Moutchouo. Son symbole est le ndzou, une herbe vénérée et utilisée par les premiers fondateurs.