Poésie

SANGLOTS SUR UNE TOMBE

Ethiopiques n° 25

révue socialiste

nde culture négro- africaine

janvier 1981

Laye ! Laye ! Homme-météore !

Comme un écho de ta grandeur

Si loin et si proche de nous

Et ton souvenir rejaillira

Dans les mailles de la postérité.

Dans la captivité de ce douloureux matin de février

Où toute chose perd de sa saveur,

Au nadir des désolations nécrologiques,

Laisse-moi, au fil de ces lignes

Que je t’offre comme une gerbe de fleurs,

Laisse-moi, feu frère

Chanter la symphonie de la tristesse.

Tu fus longtemps

Le héros phrénophone de ton peuple,

Toi qui de grand matin

Eblouis de mille feux

Les enceintes prosaïques

De notre flore littéraire.

Tu fus longtemps cet homme de vigie

Oui, surplombant la caustique réalité de son époque

Agençait d’une main des mots limpides,

Alors que de l’autre,

Il agençait des pièces d’automobile.

Aux derniers jours, captif de la rudesse du destin,

Tu marchais droit vers le havre du désespoir.

Egrenant aux quatre vents

La litanie du devoir accompli.

Feu frère, erre toujours…

Comme une flamenelle tu t’es éteint

A la croisée des vents cahotiques.

Mais qui donc, qui a dit

Que tu n’as pas vécu homme malavisé

Dis, qui a dit, fils de Kouroussa

Que tu n’as pas su conjuguer

Le verbe vivre à la première personne

De l’accomplissement ?

Feu frère, vogue toujours vers l’inconnu…

Aujourd’hui que tu vis

Dans l’antichambre de la vie

Ne nous hante plus que la présence

De l’enfant noir que tu fus, que tu fis.

Laye ! Camara !

Aujourd’hui que retentit la sirène de l’Absence

Et du grand-vide

Nous embrase de mélancolie ton départ

Plus jamais, Maître de la Parole

Ne nous bercera la musique de ta plume incantatoire,

Plus jamais ne reluira la splendeur de ton verbe.

Mais dans la cité tombale

Où tu écris désormais, âme muette

La strophe de l’au-delà

Saches que ne meurent pas les grands hommes.

Feu frère, va, poétise pour nous le Néant…

Et parce que nous sommes tous emportés

Par le tourbillon de l’oubli,

Et parce que tous esclaves du quotidien,

Nous voguons vers l’agora du mutisme,

Je tisserai en holocauste à ta grandeur

Les stances auréolées du Poète.

Va donc, va vers l’intime de l’infini

Où languit le poème de la vie,

Va, feu frère vogue toujours vers l’Au-delà.