Fernando d’Almeida
Poésie

RECITATIF

Ethiopiques numéro 29

revue socialiste

de culture négro-africaine

février 1982

(au vieux kaïcédrat de Joal : Lépold Sédar Senghor pour que toujours s’incante la parole du poème)

I

Ample demeure des mots

Qui galvanisent l’écrit

Voici que de nouveau

J’encense le Fondamental

Ayant élu domicile

Dans la parole racontée

J’arrive d’un pays de légendes

Où tout s’ordonne à partir du rituel

J’arrive d’un village à flancs d’idoles

Avec devoir de cantiquer sur le sacré

Et j’hiverne dans le langage

Ô vieux barde paganisant l’écrit

Sur les chemins initiatiques du Verbe

Mon cri porte sur l’humain

Et je vais

A la rencontre du secret

M’abreuvant du réel mais le transcendant

Ecoute Sédar entends Senghor

Si ma terre désapprend

L’histoire et les contes

Tu sauras te priver de tout

Pour haranguer l’Essentiel

Et réinventer la mémoire

De ceux qui parient pour la vie

A l’embrasure d’une source

Tu sauras dans la patience créatrice

Tutoyer l’enfance

Au plus intime de ton corps

Et redire les stigmates du Temps imposteur

Il est bon que tu saches

Qu’il y a toujours en toi un enfant

Qui s’éprend de sa terre

Réconciliant l’homme avec lui-même

Car dans ton cœur de vôdounsi

Voici que sourd le cri de générosité

II

Vois : tu es ivre maintenant

Et tu t’inventes des raisons de délirer

Car toutes choses à présent s’absurdent

Sur la margelle blafarde du langage

Marqué d’expériences vécues et déterminées

Tu as voué un culte à l’argile des mots

Pour te prémunir contre le haut-mal

Et tu saignes de solitude à chaque jour occis

Riche de mots glanés dans les dépotoirs

Tu es forcé à parler le dialecte de la clarté

Afin que ton poème suscite

Les suffrages de la majorité

Afin que mis à la remorque

De l’idéal et de l’événement

Tu parles le langage de ton peuple

Malgré les artifices de l’écriture

Et les nuances affectives des mots

 

Ancré sur le rivage du langage

Tu as flirté avec le doute

Tu as dit adieu à ton enfance

Pour mieux l’inventer

Avec des mots lestés d’humanité

III

Vois : avec des mots drus

Tu as habité ton quotidien

Debout dans le vouloir-vivre

Tu as pris le parti

Des hommes tannés par la souffrance

Criant leur solitude

Au plus fort de quelle drôle de guerre

Tu as chanté l’orgueil de nos patriarches

Discrète présence du chantre

Je suis à ce lieu pour sublimer ta vie

Et prendre racine dans l’imaginaire

Car il y a beau temps

Que ton nom s’est fait étendard

Pour prolonger d’un atome

D’espérance l’absurde poème de la vie

Ecoute qui te parle :

Je flâne toujours dans les bourgades

Quand s’égrène le vente du soir

Et je prêche l’évangile de la rébellion

En attendant le verdict

Maître-assistant à l’école anormale

J’arrive du soleil et je fais courber la lune

Originaire d’un pays exposé

Au marchandage du Temps

J’ose dire sans rechigner

Le mal-dingue de mon continent

Et je campe dans l’écriture

Pour lever le voile des historiens

Comme toi

Je cherche l’homme qui s’accomplit

Dans la haute conscience de soi

Te parle de l’homme qui des choses retorses

Se gausse pour engager son pas

Dans l’humus de son peuple

Je veux habiter la mer le désert

Dire la mémoire du feu

Car incendiaire je suis

Et je te louange à l’infini

Car projeté sur l’échelle des valeurs

Tu es poète et tu séjournes

Dans l’obscure clarté des choses

Que la vie te soit fête au faîte de l’âge