RECITATIF
Ethiopiques numéro 29
revue socialiste
de culture négro-africaine
février 1982
(au vieux kaïcédrat de Joal : Lépold Sédar Senghor pour que toujours s’incante la parole du poème)
I
Ample demeure des mots
Qui galvanisent l’écrit
Voici que de nouveau
J’encense le Fondamental
Ayant élu domicile
Dans la parole racontée
J’arrive d’un pays de légendes
Où tout s’ordonne à partir du rituel
J’arrive d’un village à flancs d’idoles
Avec devoir de cantiquer sur le sacré
Et j’hiverne dans le langage
Ô vieux barde paganisant l’écrit
Sur les chemins initiatiques du Verbe
Mon cri porte sur l’humain
Et je vais
A la rencontre du secret
M’abreuvant du réel mais le transcendant
Ecoute Sédar entends Senghor
Si ma terre désapprend
L’histoire et les contes
Tu sauras te priver de tout
Pour haranguer l’Essentiel
Et réinventer la mémoire
De ceux qui parient pour la vie
A l’embrasure d’une source
Tu sauras dans la patience créatrice
Tutoyer l’enfance
Au plus intime de ton corps
Et redire les stigmates du Temps imposteur
Il est bon que tu saches
Qu’il y a toujours en toi un enfant
Qui s’éprend de sa terre
Réconciliant l’homme avec lui-même
Car dans ton cœur de vôdounsi
Voici que sourd le cri de générosité
II
Vois : tu es ivre maintenant
Et tu t’inventes des raisons de délirer
Car toutes choses à présent s’absurdent
Sur la margelle blafarde du langage
Marqué d’expériences vécues et déterminées
Tu as voué un culte à l’argile des mots
Pour te prémunir contre le haut-mal
Et tu saignes de solitude à chaque jour occis
Riche de mots glanés dans les dépotoirs
Tu es forcé à parler le dialecte de la clarté
Afin que ton poème suscite
Les suffrages de la majorité
Afin que mis à la remorque
De l’idéal et de l’événement
Tu parles le langage de ton peuple
Malgré les artifices de l’écriture
Et les nuances affectives des mots
Ancré sur le rivage du langage
Tu as flirté avec le doute
Tu as dit adieu à ton enfance
Pour mieux l’inventer
Avec des mots lestés d’humanité
III
Vois : avec des mots drus
Tu as habité ton quotidien
Debout dans le vouloir-vivre
Tu as pris le parti
Des hommes tannés par la souffrance
Criant leur solitude
Au plus fort de quelle drôle de guerre
Tu as chanté l’orgueil de nos patriarches
Discrète présence du chantre
Je suis à ce lieu pour sublimer ta vie
Et prendre racine dans l’imaginaire
Car il y a beau temps
Que ton nom s’est fait étendard
Pour prolonger d’un atome
D’espérance l’absurde poème de la vie
Ecoute qui te parle :
Je flâne toujours dans les bourgades
Quand s’égrène le vente du soir
Et je prêche l’évangile de la rébellion
En attendant le verdict
Maître-assistant à l’école anormale
J’arrive du soleil et je fais courber la lune
Originaire d’un pays exposé
Au marchandage du Temps
J’ose dire sans rechigner
Le mal-dingue de mon continent
Et je campe dans l’écriture
Pour lever le voile des historiens
Comme toi
Je cherche l’homme qui s’accomplit
Dans la haute conscience de soi
Te parle de l’homme qui des choses retorses
Se gausse pour engager son pas
Dans l’humus de son peuple
Je veux habiter la mer le désert
Dire la mémoire du feu
Car incendiaire je suis
Et je te louange à l’infini
Car projeté sur l’échelle des valeurs
Tu es poète et tu séjournes
Dans l’obscure clarté des choses
Que la vie te soit fête au faîte de l’âge