Littérature

RECEPTION CRITIQUE DE L’OEUVRE DE LEOPOLD SEDAR SENGHOR AU CONGO

Ethiopiques numéro 62

revue négro-africaine

de littérature et de philosophie

1er semestre 1999

Parmi les écrivains africains actuels, le nom de l’écrivain sénégalais Léopold Sédar Senghor est connu au Congo-Kinshasa de longue date. Poète, penseur, homme politique conférencier de grand talent, Senghor occupe aujourd’hui une place de premier rang dans la nouvelle littérature africaine. Ainsi, son oeuvre littéraire et réflexive n’a pas laissé les Congolais indifférents. Enseignants, chercheurs, critiques, littéraires étudiants ; etc., chacun, à sa manière, a essayé de décortiquer et de faire connaître cette oeuvre. Aussi, mémoires d’étudiants, études ou articles des enseignants et des chercheurs lui sont-ils consacrés.

Nous nous proposons, dans cette étude, de faire un bilan – tant soit peu complet et non exhaustif – des études qui ont analysé au Congo Kinshasa l’oeuvre de Léopold Sédar Senghor, et ce, uniquement par des Congolais [2]. La lecture de ces travaux nous révèle que trois tendances principales se dessinent dans la perception de Senghor et de son oeuvre. La première tendance, qui est poétique, aborde Senghor comme créateur. La deuxième tendance s’intéresse à Senghor en tant que critique littéraire et la troisième présente le théoricien. Notre approche s’articulera donc autour de ces trois pôles,

I – REGARD SUR SENGHOR COMME CRÉATEUR

C’est Antoine-Roger Bolamba [3], alors rédacteur en chef de la revue qui s’appelait La Voix du Congolais, qui a fait connaître pour la première fois Léopold Sédar Senghor comme poète au Congo belge, en 1953. Dans un article intitulé « Poésie négro-africaine et poètes noirs d’expression française » [4], Antoine-Roger Bolamba dresse un tableau de ce qu’il considère comme de la « vraie poésie négro-africaine » et de ceux qui, à cette époque, en sont les artisans. Ce sont Aimé Césaire (Martiniquais), Léopold Sédar Senghor (Sénégalais), Jean-Joseph Rabearivelo et Flavien Ranaïvo (Malgaches).

Dans les commentaires qui accompagnent chacun des poètes présentés, Antoine Roger Bolamba donne à voir Léopold Sédar Senghor comme un grand poète noir. Il écrit, à ce propos : « Les poèmes de Senghor ont une gravité merveilleuse. Ils frappent tant par l’originalité de la musique verbale que par les sentiments qu’ils expriment » [5]

Après avoir analysé le poème écrit pour « Khalam » [6]tiré de Chant pour Naëtt, Antoine-Roger Bolamba conclut en ces termes : « Comme Césaire, Léopold Senghor est un surréaliste ». (p. 312).

C’est là l’unique critique de l’oeuvre poétique de Léopold Sédar Senghor, pendant l’époque coloniale au Congo belge. A quoi est dû cet état de choses ? Nous répondions ailleurs à cette question en disant : « Craignant sans doute réveil de conscience du peuple congolais, les Belges avaient tenu le pays, qui s’appelait alors Congo belge, à distance des grands courants mondiaux surtout littéraires, philosophiques et sociologiques. Si bien que même la Négritude, qui avait déclenché une intense activité littéraire dans les colonies françaises, y est restée longtemps inconnue. Comment les Congolais auraient-ils pu participer à ces courants alors qu’ils y étaient mal préparés ? (…) » [7]

C’est donc dans la période post-coloniale que l’on voit surgir un intérêt croissant pour le mouvement de la Négritude et ses chefs de file. A la faveur de l’indépendance du pays en juin 1960, les nombreuses barrières qui coupaient les intellectuels du reste de l’Afrique et du monde tombèrent du coup. Les livres et les informations circulèrent facilement et furent à la portée d’un grand nombre. La grande découverte en littérature pour les intellectuels, les étudiants et les élèves des classes terminales du secondaire fut la négritude. La révolte du peuple négro-africain contre l’asservissement culturel du Blanc coïncidait avec celle que le Congolais d’alors au lendemain de son indépendance découvrait contre le colonisateur belge. De sorte que les accents poignants, la colère et le mépris contenus dans les textes des poètes de la négritude ont fini par inspirer des recueils de poèmes.

De cette époque à nos jours, on assiste à une floraison d’études sur l’oeuvre poétique de Léopold Sédar Senghor. Ces études sont constituées des articles de revues (scientifiques ou non), des travaux finals des étudiants de notre enseignement supérieur et universitaires [8], des monographies, etc. Dans cet ordre d’idées, notre corpus comprend un certain nombre de travaux que nous avons pu recenser, à Kinshasa et à Lubumbashi, et auxquels nous avons eu accès. Bien d’autres, non retenus dans notre corpus, seront néanmoins signalés à titre informatif dans la bibliographie.

A – LES ARTICLES

-KADIMU-NZUJI, Mukala, « Léopold Sédar Senghor : esquisse d’un itinéraire », in Zaire-Afrique, Kinshasa, n° 209 – 210, novembre-décembre 1986, p. 575 – 585.

L’auteur qui propose une esquisse de l’itinéraire de Léopold Sédar Senghor, fait voir par quelles voies et à travers quelles transformations celui-ci est devenu l’un des plus grands poètes et penseurs du vingtième siècle. Il termine par l’évaluation du poids de son oeuvre sur le plan littéraire.

– KEBA – TAU et MUTOBA Kapoma, « Les Mythes » senghoriens dans Chants d’ombre et « Elégie des Alizés » de Léopold Sédar Senghor, in Africanistique, Lubumbashi, n° 17, juillet 1988, p. 28 – 40.

Dans cet article, les deux auteurs [9] – assistants à la Faculté des Lettres de l’Université de Lubumbashi – se proposent d’examiner les principaux « mythes » dans Chants d’ombre et « Elégie des Alizés » (qui est la première des six élégies qui composent Elégies Majeures et que le poète dédie à sa femme) dans le dessein de déterminer le lien éventuel qui existerait entre eux.

Au terme d’une lecture attentive de leur corpus, les auteurs ont relevé plusieurs mythes qui peuvent être ramenés à quatre principaux : l’attachement à l’Afrique, l’errance, le métissage culturel et la civilisation pan-humaine.

– MUNKULU – Di – Deni, « Introduction à une lecture de l’oeuvre poétique de Léopold Sédar Senghor », in Lectures Africaines, Lubumbashi, volume 1, année 1972 – 1973, fascicule 2, p. 5 – 45.

L’auteur – assistant à la Faculté des Lettres de l’Université de Lubumbashi – étudie ici le thème de la femme dans l’oeuvre poétique de Senghor. Le but poursuivi est de voir comment ce thème s’articule avec les autres thèmes développés par Senghor.

Dans cette étude qui se base sur Chants d’ombre, mais parfois avec une extension à Ethiopiques et Nocturnes, l’auteur arrive à montrer que la femme apparaît comme symbole [10] toutes les fois où, suivant le mot même de Senghor, elle est pour le poète « image analogique d’une quelconque réalité ». Ceci implique bien entendu toutes les associations d’idées auxquelles l’élément femme le fait songer et tout ce qu’il évoque en lui.

– MUNKULU – Di-Deni, « La quête senghorienne du Graal », in Lectures Africaines, Lubumbashi, Volume II, année 1973-1974, fascicule 1, p. 4-41.

Continuant son analyse de la poésie senghorienne (cf. étude précédente), l’auteur examine avec le même souci de précision le thème de la quête dans les trois oeuvres poétiques de Senghor devenues classiques : Chants d’ombre, Ethiopiques et Nocturnes. Il prend ce dernier recueil de poèmes comme modèle de son application.

L’auteur analyse la « quête senghorienne du Graal » non seulement à l’intérieur de chaque recueil pris isolément, mais aussi et surtout d’un recueil à l’autre en suivant l’ordre chronologique de leur parution.

Pour ce faire, l’auteur a dû regrouper les poèmes selon les affinités de sens et de structures. C’est assez dire qu’il n’a point suivi l’ordre que leur avait imposé le poète.

Mais cette « quête senghorienne du Graal », c’est avant tout la quête de l’amante par l’amant et celle de l’amant par lui-même. Celui-ci tente de se découvrir et de se définir par référence à la nature féminine.

– NGAL, Mbwil a Mpaang, « Léopold Sédar Senghor et l’humanisme du rêve », in Revue de Recherche scientifique, Kinshasa, volume 1, mars – juin 1978, p. 249 – 259.

L’auteur analyse la conception du rêve chez Senghor. Il considère que le rêve est l’un des éléments essentiels de l’univers senghorien. Car c’est à partir d’une vision onirique et lyrique que Senghor a essayé d’édifier « un nouvel humanisme qui, en ses implications les plus secrètes, débouche sur l’affirmation d’un nouvel ordre culturel mondial qui n’appartiendra qu’à ceux qui croient dans le pouvoir du rêve, car seul celui-ci peut transformer. » (p.249)

Par son effort de réhabilitation des civilisations africaines et des peuples noirs qui doivent aussi apporter leur contribution à l’avènement de la « Civilisation de l’Universel » (que Senghor appelle si heureusement « Le rendez-vous du donner et du recevoir »), Ngal souligne l’apport considérable de Senghor à théorisation de celui-ci, donc à l’assomption d’un humanisme universel et d’un nouvel ordre culturel planétaire.

– NGANDU, Pius, « Littérature négro-africaine : les manifestations de la Négritude I. Les premiers auteurs : Damas, Césaire, Senghor », in Zaïre-Afrique, Kinshasa, N° 61, Janvier 1972, p. 27 – 33. _ Dans cet article, l’auteur présente les premiers auteurs du mouvement de la Négritude. Parmi ceux-ci figure Léopold Sédar Senghor dont, écrit Pius Ngandu, « toute l’oeuvre est une apocalyptique vision et une profession de foi dans le destin de l’Afrique ». (p. 31).

Après avoir énuméré les titres de ses recueils de poèmes ainsi que ceux de ses nombreux essais, il considère Senghor, avec Césaire, comme l’un des grands poètes de langue française de notre temps.

– NYEMBWE Tshikumambila, « Le personnage de Chaim : du portrait épique de Thomas Mofolo au mythe poétique de Léopold Sédar Senghor », in Zaïre-Afrique, Kinshasa, no 87, août – septembre 1974, p. 405 – 422.

Dans cette étude, l’auteur procède à une analyse comparative de l’épopée bantoue écrite en souto par le Sud-Africain Thomas Mofolo (1875 – 1948) – ce texte nous est connu en français par une traduction [11] – avec l’exploitation lyrique qu’en a faite plus tard Senghor. Dans cet ordre d’idées, Nyembwe Tshikumambila fait remarquer ceci : « contre cette image du conquérant zoulou que donne à lire Thomas Mofolo, Senghor s’inscrit en faux dans un poème dramatique à plusieurs voix, dédié aux martyrs bantous de l’Afrique du Sud [12]. Pour lui Chaka est « un précurseur de l’unité africaine, un visionnaire qui voulait préparer la lutte contre l’envahisseur blanc ». Si telle est l’image que Senghor propose de l’homme d’action, il montre d’autre part qu’en lui-même le personnage était un coeur tendre, un amant sincère vis-à-vis de sa fiancée et le premier de tous à être affligé par le sang répandu au cours de son règne (p. 416).

Comme on l’aura sans doute remarqué, pour Mofolo, Chaka n’a été qu’un exécrable tyran. Senghor, par contre, tente de justifier Chaka dans son aspect le plus odieux chez Mofolo : « de l’infatigable et implacable assassin, le poète (Senghor) a fait un martyr de l’indépendance nationale et de la solidarité entre les hommes ». (p. 420). Toutefois, l’auteur se refuse à prendre position dans cette vision antithétique du personnage de Chaka chez Mofolo et Senghor.

B – LES TRAVAUX DES ÉTUDIANTES

Trois thèmes semblent retenir l’attention des étudiantes qui analysent l’œuvre de Léopold Sédar Senghor : la femme, la nuit et le messianisme.

A propos du premier thème, les auteurs se demandent le pourquoi de cet attachement intense à la femme par le poète Senghor. Ainsi, Charlotte Ngalula dans Femme tant chantée dans les poèmes de Senghor, écrit : « quand on s’intéresse aux poèmes de Senghor, on est tout de suite frappé par l’importance que le poète attache à la femme, à la femme nègre ».

A la question que l’auteur se pose de savoir pourquoi Senghor, plus que tous les autres écrivains négro-africains, accorde une place prépondérante à la femme dans ses poèmes, elle répond en ces termes : « le père de Senghor était polygame. Cela suffit à expliquer (à comprendre) son profond attachement à sa mère et la grande dévotion qu’il lui voue. Et à travers elle, il a découvert ce que c’est qu’une femme nègre. C’est alors qu’ont germé, en lui, une sensibilité et une sexualité un peu exagérées, comme on le retrouve dans un de ses premiers poèmes : « Femme noire », dans lequel il met tout son lyrisme à chanter les qualités physiques et morales de la femme, en insistant sur la couleur noire de sa peau… (p.3).

Quelle est l’image que Léopold Sédar Senghor se fait généralement de la femme ? Telle est la préoccupation de Bundu Pangu dans son travail intitulé : La femme dans la poésie de Léopold Sédar Senghor.

Cette image, l’auteur la dégage à travers les quatre recueils de poèmes de Senghor que sont : Chants d’ombre (1945),Hosties noires (1948), Ethiopiques (1956) et Nocturnes (1962).

Elle en arrive au constat selon lequel un grand nombre de poèmes parlent de la femme. Ceux qui sont marqués par l’absence de tout élément féminin sont peu nombreux. La femme, chez Senghor, apparaît sous plusieurs traits : tantôt elle est la mère, tantôt elle évoque la soeur ou encore l’amante. Au total, toute la poésie de Senghor se caractérise par une manière particulière de personnifier les êtres et les choses qui est liée à cette présence féminine et qui se révèle être une tendance à la féminisation.

La nuit, est perçue par le poète Senghor comme plus véridique que le jour : elle procure le repos et le bien-être, mais surtout c’est le moment où le génie africain se dévoile dans les divertissements collectifs (danses, contes) comme dans les passions de l’amour qui sont l’un et l’autre des moyens de connaissance ; c’est pendant la nuit que peuvent se réaliser la communion des êtres, le recueillement intérieur dans l’intimité du foyer, la rencontre mystique avec le passé et les Ancêtres.

Telle est l’interprétation de la conception de la nuit par Senghor que donne au lecteur Bamvukiza Mamoni dans son travail intitulé : « Le contenu de la nuit dans l’œuvre poétique de Léopold Sédar Senghor ».

Enfin, le messianisme, quant à lui, est abordé par Namona Lungenza dans « Le messianisme dans Hosties noires de Léopold Sédar Senghor ». L’auteur relève deux aspects fondamentaux de ce messianisme : l’éveil de la conscience nègre et l’esprit prophétique. Celui-ci, en effet, se manifeste d’abord par la volonté du poète d’être le porte-parole de sa race. Il apparaît, ensuite, dans son désir de témoigner les supplices infligés au Noir. Ainsi Hosties noires contient une vingtaine de poèmes révolutionnaires écrits pendant la seconde guerre mondiale qui témoignent que Senghor prend en charge le destin de l’homme noir et, de ce fait, assume la mission, d’être le guide de la société noire pour conduire cette dernière vers la réhabilitation et l’indépendance.

II – REGARD SUR SENGHOR COMME CRITIQUE LITTERAIRE

– MATESO, Locha, « L.S. Senghor et la critique littéraire moderne en Afrique », in Zaïre-Afrique, Kinshasa, n° 94, avril 1975, p. 233 – 245

L’auteur présente Léopold Sédar Senghor, à la suite du Camerounais Thomas Melone [13], comme le fondateur de la critique moderne africaine. En effet, affirme à son tour Mateso Locha, « … de tous les critiques africains, Senghor est celui qui, à notre connaissance, a produit le plus grand nombre d’écrits sur la littérature négro-africaine. En outre, pour l’ancienneté de ses écrits, il est sans conteste l’aîné de ses collègues africains » (p. 239).

On sait, toutefois, que la pensée de Senghor en critique littéraire n’est pas livrée, d’une manière cohérente, mais dans une série de remarques disparates, voire dispersées : articles, préfaces, postfaces, textes de conférences, etc. Senghor saisit aussi des occasions variées pour exprimer sa pensée. Et comme le note encore Mateso Locha, « en-dessous de cette dispersion apparente se profile une théorie critique dont il est possible de rendre compte » (p. 239).

Senghor a publié ses nombreux articles de critique littéraire dans la revue Diogène, ainsi que dans Liberté de l’Esprit, Revue des sciences humaines, La Table Ronde, Culture Française, etc., qui sont toutes des revues françaises.

III – REGARD SUR SENGHOR COMME THÉORICIEN

Senghor comme penseur, mieux théoricien de la négritude, a fait aussi au Congo-Kinshasa l’objet de beaucoup d’études et de critiques. L’un des aspects le plus étudié de son œuvre est le concept de « métissage culturel ».

A – ARTICLES

– NGANDU, Nkashama, « Léopold Sédar Senghor : négritude et poétique (I) », in Lecture Africaines, Volume III, fascicule 3, année 1975 – 1976, p. 29 – 75.

Dans cette étude, l’auteur tente de démontrer que le concept senghorien de l’« émotion » dérive de la « perspective phénoménologique », acquérant ainsi une fonction perspective et gnoséologique déterminée. C’est par elle que le nègre (senghorien) appréhende et connaît. Ce concept peut également s’expliquer par le fait qu’il implique une certaine « passion », au sens du pati latin. Senghor lui-même le reconnaît lorsqu’il déclare : « Je l’ai dit d’ailleurs, l’aventure des poètes de l’Anthologie n’a pas été une entreprise littéraire, pas même un divertissement ; ce fut une passion. Car le poète est comme une femme en gésine : il lui faut enfanter. Le Nègre singulièrement, qui est d’un monde où la parole se fait spontanément rythme dès que l’homme est ému, rendu à lui-même, à son authenticité ».

– NGANDU, Nkashama, « Léopold Sédar Senghor : Négritude et poétique (II) », in Lectures Africaines, Volume IV, fascicule I, année 1976 – 1977, p. 39 – 59.

Cette étude fait suite à la précédente. L’auteur y analyse singulièrement la notion de « rythme poétique » chez Senghor. En effet, précise-t-il, « l’image senghorienne ne devient opérante qu’à la seule condition d’être « rythmée ».

En plus, il fait voir l’importance que Senghor attache à la connexion et à la relation homologique qui relie l’image au rythme, ou plus précisément, qui fait « rythmer l’image ».

– UNEGA, Ege, « L’ambiguïté ou la rencontre des cultures à travers la poésie de L. S. Senghor », in zaïre-Afrique, Kinshasa, n° 100, décembre 1975, p. 629 – 632

L’auteur montre que Senghor, comme la plupart des écrivains négro-africains, a ressenti le désir ardent de se jeter dans la culture occidentale. Cette soif revêt une valeur symbolique. Il est une nécessité pour la culture africaine de s’abreuver aux sources neuves pour ne pas tarir et disparaître. Cependant, malgré cet attrait irrésistible, Senghor présente la culture occidentale comme différente de la sienne.

Mais, au-delà de ces différences, Senghor proclame le « métissage culturel », seul capable de créer à partir d’éléments de cultures disparates et hétérogènes, une autre culture homogène c’est là : le « miracle senghorien ».

WAY M’BO As’ Ati, « La conception senghorienne du rythme poétique », in Lectures Africaines, Volume IV, fascicule 1, année 1976 – 1977, p. 17 – 26.

Dans cet article, l’auteur fait voir que parler de la conception senghorienne du rythme, c’est en fait toucher à toute la problématique de la poétique de Senghor, pour qui le mot « rythme » ne peut se concevoir, en ce qui concerne le « nègre », en dehors de la trilogie cosmos – émotion – rythme.

On comprend dès lors, souligne-t-il, que participant de cette trilogie, le « rythme » entre dans la conception philosophique de Senghor du « monde » négro-africain, et qu’il se comprenne, non plus comme un simple rapport mathématique, tel que le penserait un Eno Belinga, par exemple, mais plutôt, comme un rapport mystérieux, intérieur au Négro-africain.

Telle est brièvement analysée la conception senghorienne du rythme. L’auteur s’est permis de constater son côté cosmique idéalisant et idéologisant, après avoir tenté d’éclairer les conditions de sa naissance : la dette de Senghor aux théories ethno-philosophiques de son temps.

B- MONOGRAPHIE

– PASSOU, Lundula, Autopsie d’un cas : LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR. Préface de l’auteur (sic !), Lubumbashi, Editions Palu, 1987, 97 p.

De toutes les études que nous avons recensées sur Senghor au Congo-Kinshasa, celle-ci est l’unique qui considère que l’oeuvre de Senghor et sa pensée sont négatives dans leur globalité.

D’entrée de jeu, l’auteur [14]. annonce sur un ton acerbe et péremptoire : « Senghor n’est pas ma préférence à cause de son inconséquence ; mais je me suis escrimé à demeurer le plus objectif possible, par probité intellectuelle, en mettant les sentiments et les passions sous les boisseaux. (…) Senghor, qui n’a jamais compris que toute réflexion sans action est stérile, et même nuisible, est un amoureux farouche de l’immobilisme, de l’utilitarisme vulgaire, de l’héroïsme à bon compte et du confort intellectuel. C’est justement pour ces raisons précises qu’il a fossoyé la négritude pour la fossiliser. » (p. 13).

Après avoir présenté l’homme, l’auteur analyse l’oeuvre de Senghor, singulièrement poétique. C’est ici qu’il vilipende vertement le « métissage culturel » tant préconisé par Senghor. Il pose, avec pertinence, la question suivante : « Comment peut-on être le chantre de la négritude et être en même temps le défenseur du métissage ? » « Le Blanc veut rester blanc et le jaune veut rester jaune : pourquoi Senghor veut-il que le Nègre perde sa singularité concrète, sa noirceur, en se métissant à tout prix ? Dans son esprit, le métissage, donc l’aliénation, est la seule voie pouvant permettre au Nègre d’aiguiser son jugement, d’introduire la raison et l’ordre dans sa pensée, sinon dans sa vie » (p. 62).

Après une sévère réplique à cette critique de Passou Lundula, Nyembwe Tshikumambila conclut en ces termes : « voilà un commentaire de texte qui a tout simplement manqué son but. Au lieu d’éclairer le lecteur sur le sens profond ou même seulement littéral du texte, il l’en a éloigné en faisant des digressions ainsi qu’en soulevant divers faux problèmes. Pratiquement aucune lumière n’a été apportée sur aucun passage du poème de Senghor. Et il est symptomatique de constater qu’aucun vers, qu’aucune phrase du poème n’y a été reprise pour faire l’objet d’une analyse plus précise. Tout le commentaire est constitué d’allusions vagues et d’impressions diffuses, reflet d’un esprit qui ne sait pas ce qu’il doit faire exactement, s’agissant d’interpréter un texte littéraire.

La critique littéraire est une pratique scientifique qui a ses méthodes, ses conventions et ses lettres de noblesse. C’est de la vraie prétention que de s’y aventurer sans initiation, en n’ayant pas la culture voulue. [15]

  1. TRAVAUX DES ÉTUDIANTES

Bien des travaux des étudiantes mettent en lumière l’humanisme négro-africain dans lequel baigne l’oeuvre de Senghor, en particulier ses essais.

Ainsi, Marie-Anne Nzuzi, dans « Négritude et humanisme à partir de Liberté I de L. S. Senghor », fait voir, à travers l’étude de cette œuvre, que Senghor s’affirme comme un authentique « humaniste nègre », qu’il a une foi dans l’existence des valeurs du monde noir.

Dans « Métissage culturel à travers quelques oeuvres poétiques de Senghor » [16], Dimbwana Tekadiobanza dégage les traits culturels passant pour le produit du « métissage » de différentes cultures. Elle souligne entre autres ceci : « ayant vécu personnellement le phénomène de métissage et constatant le danger que pourrait entraîner l’antagonisme culturel, Senghor prône l’acculturation ou le métissage, c’est-à-dire le mélange des éléments de valeurs importantes qui se trouvent dans chaque civilisation et obtenir ainsi quelque chose de neuf. Echange et compensation sont bénéfiques par le fait qu’ils permettent à l’homme d’évoluer ou de se dépasser. C’est de cette manière que le poète résume son concept d’échange tant au niveau politique, économique que social ou culturel par la formule du Rendez-vous du donner et du recevoir ». (p. 1).

« Senghor ou l’accord du monde », tel est le titre du travail de Baributsa Gaju qui analyse ce qu’elle appelle « l’accord du monde » chez Senghor et qu’elle entend comme « cet accueil qu’il (Senghor) réserve aux êtres et aux choses ». Les sources de cet « accord du monde » sont multiples. Parmi ces dernières, la rencontre de l’Afrique et de l’Europe – la France en particulier – a été déterminante. En effet, la culture française a ouvert Senghor aux valeurs universelles qui feront de lui un « métis culturel ».

QUE CONCLURE ?

Poète, critique littéraire, théoricien, Senghor occupe de nos jours une place de choix dans la critique littéraire au Congo-Kinshasa. Enseignants, chercheurs, critiques littéraires, journalistes, étudiants etc, chacun à sa manière a tenté de décortiquer et de faire connaître tel ou tel aspect de l’oeuvre et de la pensée de Senghor. Aussi, des travaux finals des étudiants, des articles scientifiques des enseignants et des chercheurs lui sont-ils consacrés. Et dans leur ensemble, cette réception critique de l’œuvre de Senghor est largement positive. A tout seigneur, tout honneur, dit-on. Senghor, nous semble-t-il, au regard de son abondante et imposante production littéraire et réflexive, méritait cette attention bienveillante. Raison pour laquelle il trône aujourd’hui parmi les « Immortels du Temps » à l’Académie Française.

I – CORPUS

A – ARTICLES

– BOLAMBA, Antoine-Roger, « Poésie négro-africaine et Poètes noirs d’expression française », in La Voix du Congolais, 9ème année, n° 86, mai 1953, p. 300 – 319.

– KADlMA-NZUJI. Mukala. « Léopold Sédar Senghor : esquisses d’un itinéraire », in Zaïre-Afrique, Kinshasa, n° 209 – 210, novembre – décembre 1986, p. 575 – 585.

– KEBA-TAU et MUTOBA Kapoma, « Les Mythes senghoriens dans Chants d’ombre et Elégie des Alizés de Léopold Sédar Senghor », in Africanistique, Lubumbashi, n° 17, Juillet 198, p. 28 – 40.

– MATESO, Locha, « Léopold Sédar Senghor et la critique de l’œuvre poétique de L. S. Senghor », in Zaïre-Afrique, Kinshasa, n° 94, avril 1975. p. 233 – 245

– MUNKULU – Di – Deni, « Introduction à une lecture de l’oeuvre poétique de L. S. Senghor », in Lectures Africaines, Lubumbashi, volume I, année 1972 – 1973, fascicule 2, p. 5 – 45.

– MUNKULU – Di – Deni. « La quête senghorienne du Graal », in Lectures Africaines, Lubumbashi, volume II, fascicule 1, année académique 1973 – 1974. p. 5 – 44.

– NGAL, Mbwil a Mpaang, « Léopold Sédar Senghor et l’humanisme du rêve », in Revue de Recherche Scientifique, Kinshasa, Institut de Recherche Scientifique, volume 1, mars – juin 1978, p. 249259.

– NGANDU, Pius, « Littérature négro-africaine. Les manifestations de la Négritude I. Les premiers auteurs : Damas, Césaire, Senghor », in Zaïre-Afrique, Kinshasa, n° 61, janvier 1972, p. 27

– NYEMBWE, Tshikumambila, « Le personnage de Chaka : du portrait épique de Thomas Mofolo au mythe poétique de L. S. Senghor » ; in Zaïre-Afrique, Kinshasa, n° 87, août – septembre 1974, p. 405 – 420. _ – Unega, Ege, « L’ambiguïté ou la rencontre des cultures à travers la poésie de L. S. Senghor », in Zaïre-Afrique, Kinshasa, n° 100, octobre 1975, p. 629 – 632. _ – NGAL, Mbwil a Mpaang, « Léopold Sédar Senghor et l’humanisme du rêve », in Revue de Recherche Scientifique, Kinshasa, Institut de Recherche Scientifique, volume 1, mars – juin 1978, p. 249259.

– NGANDU, Pius, « Littérature négro-africaine. Les manifestations de la Négritude I. Les premiers auteurs : Damas, Césaire, Senghor », in Zaïre-Afrique, Kinshasa, n° 61, janvier 1972, p. 27

– NYEMBWE, Tshikumambila, « Le personnage de Chaka : du portrait épique de Thomas Mofolo au mythe poétique de L. S. Senghor » ; in Zaïre-Afrique, Kinshasa, 87, août – septembre 1974, p. 405 – 420.

– Unega, Ege, « L’ambiguïté ou la rencontre des cultures à travers la poésie de L. S. Senghor », in Zaïre-Afrique, Kinshasa, n° 100, octobre 1975, p. 629 – 632.

B – TRAVAUX DES ÉTUDIANTES

– BAMUKIZA, Mamono, Le contenu de la nuit dans l’œuvre poétique de L. S. Senghor, Kinshasa, ISP- Gombe, 1976,41 p.

– BARIBUTSA, Gaju, Senghor ou l’accord du monde, Kinshasa, ISP-Gombe, 1977, 49 p.

– BUNDU, Panga, La femme dans la poésie de L. S. Senghor, Kinshasa, ISP-Gombe, 1984, 37 p.

– DIMBWANA, Tekadio, Métissage culturel à travers quelques œuvres poétiques de Senghor, Kinshasa, ISP-Gombe, 1976, 68 p.

– MAMONA, Lungenza, Le messianisme dans « Hosties noires » de L. S. Senghor Kinshasa, ISP-Gombe, 1982,50 p.

– NGALULA, Charlotte, Femme tant chantée dans les poèmes de Senghor, pré-mémoire, 2ème graduat Littérature, Ecole Normale Moyenne (E.N.M.) [17] , Kalina, 1967, 20p.

– NZUJI, Marie-Anne, Négritude et humanisme à partir de « Liberté I » de L. S. Senghor, Kinshasa, Ecole Normale Moyenne (ENM) [18], Kalina. 1968,60 p.

C – MONOGRAPHIE

-ASSOU, Lundula, Autopsie d’un cas : LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR, Préface de l’auteur (sic n. Lubumbashi, Editions Palu, 1987. 97 p.

II- D’AUTRES ÉTUDES [19]

A – ARTICLES

– KEBA-TAU, Quelques valeurs métaphoriques de la Nuit dans Chants d’ombre et Nocturnes de L. S. Senghor, in NORAF, Lubumbashi, volume 9, W 3, octobre 1987. p. 130 – 150

NGANDU, Nkashama. « Léopold Sédar Senghor : Négritude et Poétique (I) », in Lectures Africaines, Lubumbashi, volume III, année académique 1976, fascicule 3. p. 29-75

– NGANDU, Kkashama, « Léopold Sédar Senghor : Négritude et poétique (II) », in Lectures Africaines, Lubumbashi, volume IV, année académique 1977, fascicule 1, p. 39 – 59

– WAY M’BO As Ati, « La conception senghorienne du rythme poétique », in Lectures Africaines, Lubumbashi, volume IV, année académique 1977, fascicule 1.

  1. MÉMOIRES

– KEBA-TAU, « La littérature des Chants d’ombre chez Léopold Sédar Senghor », mémoire de licence, Université Nationale du Zaïre, Campus de Lubumbashi Lubumbashi, Faculté des Lettres, Département de Langue et Littérature Française, année académique 1978 – 1979.

– MBELO, Sweb Ayol, Une lecture des Ethiopiques de Léopold Sédar Senghor, Lubumbashi, Université Nationale du Zaïre, Campus de Lubumbashi, Faculté des Lettres, Département de Philologie romane, année académique 1972-1973.

– MUNKULU – Di – Deni, La femme dans l’œuvre poétique de Léopold Sédar Senghor : thème et symboles, Lubumbashi, Université Nationale du Zaïre, Campus de Lubumbashi, Faculté des Lettres, Département de philologie romane, année académique 1971 – 1972.

III – DIVERS

-KABOMBO, Léonard, « Les thèmes de la Négritude senghorienne ». Travail de fin d’études, Bukavu, Ecole Normale Moyenne (ENM), année académique 1967 – 1968, 67 p.

[1] Alphonse M. Kankolongo est Directeur Adjoint du Centre d’Etudes et de Promotion de la Littérature Ecrite au Congo (CEPROLEC)

[2] Il y a aussi, au Congo-Kinshasa, des étrangers qui ont abordé l’oeuvre de Senghor. Signalons, par exemple, Paul LAMBERT, « L. S : Senghor, poète de l’Unité ». Mémoire de licence, Léopoldville, Université Lovanium. Faculté des Lettres, Département de Philologie romane, 1960, 168 p. ; le père jésuite (aujourd’hui décédé) Jacques BLAFFART, « Lecture de quatre poèmes de L. 5, Senghor », in Congo-Afrique, Kinshasa, n° 33. mars 1969, p. 118 – 130 et le père jésuite, aujourd’hui professeur émérite de l’Université de Lubumbashi, Paul de MEESIER. L’initiateur. Fiches A Littérature et cultures négro-africaines, Kinshasa. Editions Bobiso, 1983, 134 pages (passim)

[3] En 1955, une préface de L. S. Senghor préludera à Esanzo – Chants pour mon pays d’Antoine-Roger BOLAMBA premier poète de langue française de notre pays à l’époque coloniale.

[4] Antoine-Roger Bolamba, « Poésie négro-africaine et poètes noirs d’expression française », in La voix du Congolais, 9è année, n°86, mai 1953, p. 300 – 319.

[5] Antoine-Roger Bolamba, article cité, p. 312.

[6] Khalam : mot sénégalais qui désigne une sorte de guitare tétracorde

[7] Alphonse Mbuyamba Kankolongo, Guide de littérature zaïroise de langue française 1974 – 1992, Kinshasa, Editions Universitaires africaines. 1993. p.3.

[8] Pour des raisons de commodité pratique, je n’ai retenu que les travaux finals du cycle de graduat (3 ans qui constituent le premier cycle de notre enseignement supérieur et universitaire) des étudiantes de l’Institut Supérieur pédagogique de la Gombe, à Kinshasa, où j’enseigne depuis novembre 1981. Cet Institut est réservé uniquement à la gent féminine. On comprend pourquoi le thème de la femme dans l’oeuvre de Senghor revient constamment dans leurs analyses,

[9] Les auteurs notent que « Pour Senghor donc, les mythes sont ce qu’il appelle « des Idées-sentiments », c’est-à-dire des « Images archétypes surgies de l’expérience personnelle comme la conscience ancestrale ».

[10] L’auteur précise que « Si parfois nous préférons parler de symbole plutôt que de thème, il convient d’en trouver la raison profonde dans le fait que chez Senghor la femme se saisit rarement comme « une femme », un être de chair qu’on pourrait rencontrer, aimer et posséder. Elle représente presque toujours une autre réalité dont le poète ne semble pouvoir manifester la beauté, la fragilité ou la puissance attractive que par l’évocation de la femme. (p. 6).

[11] Celle de V. Ellenberger notamment : Thomas Mofolo, Chaka, une épopée bantoue, Gallimard, 1940. Le texte original a été publié en langue souto en 1939. L’auteur, né en 1875 et décédé en 1948, est originaire de l’ex Basutoland, Etat actuellement indépendant sous le nom de Lesotho..

 

[12] Le poème « Chaka » fait partie du recueil des Ethiopiques.

[13] Thomas MELONE. « De la topologie à la typologie : y a-t-il une théorie critique chez Léopold Sédar Senghor ? » Communication au Colloque de Yaoundé. avril 1973. p. 9.

[14] NYEMBWE Tshikumambila signale que « Par profession, Passou Lundula est journaliste à l’hebdomadaire Elima du Shaba » (p. 95). Donc Il s’agit d’un amateur en critique littéraire. Aussi comprenons-nous que son analyse de l’oeuvre de Senghor comporte beaucoup de maladresses et d’affirmations gratuites »

[15] NYEMBWE, Tshikumambila, « Au sujet d’une critique de Senghor par un Zaïrois », in Africanistique, bulletin n° 17, juillet 1988. p. 93 – 94.

[16] Les oeuvres de Senghor retenues par cette étudiante et non explicitement évoquées dans son titre sont : Chants d’ombre, Hosties noires et Ethiopiques.

[17] – C’est l’ancêtre de l’actuel Institut Supérieur Pédagogique de la Gombe, Kinshasa.[18] C’est l’ancêtre de l’actuel Institut Supérieur Pédagogique de la Gombe, Kinshasa.

[19] Il s’agit des études auxquelles nous n’avons pas eu accès