Aimé Césaire
Poésie

QUAND MIGUEL ANGEL ASTURIAS DISPARUT

Ethiopiques numéro 5

revue socialiste de culture négro-africaine

janvier 1976

 

« ETHIOPIQUES » présente ici un poème récent et encore inédit d’Aimé Césaire.

Bon batteur de silex

jeteur à toute volée de grains d’or dans l’épaisse crinière de la

nuit hippocampe

ensemenceur dément de diamants

brise-hâche comme nul arbre dans la forêt

Miguel Angel s’asseyait à même le sol

disposant un gri-gri dans l’osselet de ses mots

quatre mots de soleil blanc

quatre mots de ceiba rouge

quatre mots de serpent corail

Miguel Angel se versait une rasade

de tafia d’étoiles macérées neuf nuits

à bouillir dans le gueuloir non éteint des volcans

et leur trachée d’obsidienne

Miguel Angel contemplait dans le fond de ses yeux

les graines montant gravement à leur profil d’arbres

Miguel Angel de sa plume caressait

la grande calotte des vents et le vortex polaire

Miguel Angel allumait de pins verts

les perroquets à tête bleue de la nuit

Miguel Angel perfusait d’un sang d’étoiles de lait

de veines diaprées et de ramages de lumière la grise empreinte

de l’heure du jour des jours du temps des temps

Et puis

Miguel Angel déchaînait ses musiques sévères

une musique d’arc

une musique de vagues et de calebasses

une musique de gémissements de rivière

ponctuée des coups de canon des fruits du couroupite

Et les burins de quartz se mettaient à frapper

les aiguilles de jade réveillaient les couteaux de silex

et les arbres à résine

O Miguel Angel sorcier des vers luisants

le saman basculait empêtré de ses bras fous

avec toutes ses pendeloques de machines éperdues

avec le petit rire de la mer très doux

dans le cou chatouilleux des criques

et l’amitié minutieuse du Grand Vent

Quand les flèches de la Mort atteignirent Miguel Angel

on ne le vit point couché

mais bien plutôt déplier sa grande taille

au fond du lac qui s’illumina

Miguel Angel immergea sa peau d’homme

et revêtit sa peau de dauphin

Miguel Angel rejetant sa peau bleue

revêtit sa peau de volcan

et s’installa montagne toujours verte

à l’horizon de tous les hommes.