Breyten Breytenbach
Poésie

TROIS POEMES

Ethiopiques numéro 5

revue socialiste de culture négro-africaine

janvier 1976

L’arrestation en Afrique du Sud, parmi une cinquantaine d’autres adversaires de l’Apartheid et sa condamnation à 9 ans de prison du grand poète et peintre sud-africain Breyten Breytenbach, qui vivait en France depuis 1961, témoigne du renforcement de la répression en Afrique Australe, au moment même où le gouvernement de Prétoria prétend offrir une image plus libérale et se déclare favorable à la détente.

Les informations qui nous parviennent sur les conditions dans les prisons sud-africaines, les méthodes employées lors de précédents procès, dans le cadre d’une législation condamnée par la communauté internationale, inspirent les plus vives inquiétudes concernant le sort de Breytenbach et de ses compagnons.

« ETHIOPIQUES », en hommage à la grande Voix actuellement étouffée de Breyten Breytenbach, offre à ses lecteurs ces trois poèmes traduits de l’anglais par Georges Lory.

Je mourrai et j’irai vers mon père

je mourrai et j’irai vers mon père

à Wellington à grandes enjambées

brillant dans la lumière

où les chambres sont lourdes et sombres

où les étoiles sont assises comme des mouettes sur la vergue

et les anges picorent des vers dans le jardin

je mourrai et partirai avec peu de bagage

par delà les montagnes de Wellington

à travers les arbres entre chien et loup

et j’irai vers mon père

le soleil battra dans la terre

les brisants du vent font craquer les coutures

nous entendons les locataires

glisser au dessus de nos têtes

nous jouerons aux dames dans la véranda

– grand-père triche-

écouterons à la radio

les nouvelles du jour

amis, co-mortels

n’ayez crainte- la vie pend actuellement comme de la viande à nos corps

mais la mort ne couvre pas de honte nos allers et venues

sont comme l’eau du robinet

comme des sons proférés

comme nos allers et venues :

nos ossements connaîtront la liberté venez

en moi dans ma mort et allons vers mon père

à Wellington où les anges

pèchent de grosses étoiles à l’asticot –

mourons – et périssons et soyons joyeux :

mon père a une grande pension de famille

La terre promise

cela ne sert à rien de dire

le désert ressemble au visage vermeil d’une femme

ou aux firmaments d’une révélation

une apocalypse torride :

un désert est fait de sable et d’air

l’air et le sable sont chauds et secs ;

derrière les plages du Kalahari

où croissent les arbres blancs : maroula

kamceldoring, térébenthier, baobab-

derrière les pentes du désert se trouvent les faubourgs du purgatoire ;

Johannesburg !

une ville a grimpé hors de l’horizon tremblant

comme les réflections de l’air sur une surface plane…

campant derrière des tours d’électricité

cambre ses blanches cheminées et ses silos vers le ciel

et les flammes sont crachées à l’azur :

tambours séculaires de la mort…

et une image étincelante : l’enfer avec Dieu,

Dieu le Bureau de la Sécurité de l’Etat,

Dieu avec un chapeau de safari,

dans une main une serviette pleine d’or et d’actions

et dans l’autre une verge,

Dieu, à part, dans sa brillante splendeur

sur les épaules de noirs à mi-corps

dans l’empire du sol ;

une grenade !

une explosion de cœurs rouges

pour offrir cette forêt au feu

(ôtez vos chaussures pour vous glisser sans laisser de traces).

Consacré

mon cœur est au boland et rien

ne peut profaner cela c’est caché dans

une petite boîte à Wellington-la-blanche

hennissant j’en rêve parfois

dans la colline de la nuit et

me représente le chapeau blanc de sneeukop

ici les rues sont entassées par

l’hiver et les murs sont riches en fleur

en mains pleines de sang

des femmes aux seins peints en rouge assèchent

le corps d’un homme comme des poux et

les conducteurs d’autobus font grève quand il pleut, mais

mon cœur est au boland et rien

ne peut profaner cela c’est caché dans

une petite boîte à Wellington-la-blanche.