Notes de lecture

NDEYE DABA NIANE, SEY XARE LA, DAKAR, OSAD, 2006

Ethiopiques n°86.

Littérature, philosophie et art

Demain l’Afrique : penser le devenir africain

1er semestre 2011

L’œuvre est un récit de vie dont la scène se passe à Thiès (Sénégal). A la suite d’une altercation avec son mari Abdou Gaye, Déguène Fall reçoit une violente gifle qui la rend sourde. Chaque nuit, pendant les neuf jours qu’elle passe à l’hôpital de Thiès dans une totale surdité, les insomnies ramènent les souvenirs relatifs à ce qu’avait été sa vie jusqu’à cette gifle fatidique. Cela va de la jeunesse insouciante de jolies jeunes filles admirées et courtisées, avec son amie d’enfance Ndèye Diaw, à la rencontre avec son futur mari dont le mauvais caractère avait très vite été décelé par sa mère Sokhna Awa, jusqu’au mariage dans l’aveuglement de l’amour.

La vie conjugale, dans la concession familiale du mari n’est pas de tout repos : grossesses rapprochées qui déclenchaient la fureur de la belle-mère et des belles sœurs qui auraient voulu qu’Abdou épousât une cousine. Violences fréquentes du mari en plus de ses infidélités nocturnes. Déguène supportera tout pour ne pas perturber l’éducation de ses enfants dont l’aîné fréquente l’université.

Son mari au chômage, Déguène, avec l’aide de son amie Ndèye, se lance dans le commerce où sa réussite croissante provoque une sourde jalousie d’Abdou jusqu’à ce terrible après-midi où elle reçut la gifle de trop. Le récit se termine sur la décision du médecin de la transférer à l’hôpital de Dakar.

Ces neuf nuits qui forment la trame du roman sont autant de tableaux : chacun d’eux commence par le verbe « revenir » utilisé à un mode répétitif :

-première nuit : muy fàttaliku « elle se remémorait »

-deuxième nuit : dellusi « revenir », dellu fàttaliku « se remettre à se souvenir »

– troisième nuit : delloti dëmb « revenir à hier (se souvenir) », et ainsi de suite…

Les mêmes verbes et mots se répètent jusqu’à la neuvième nuit. Dans cette œuvre qu’on serait tenté de renommer « Roman d’une insomnie », la répétition, outre qu’elle est une forme d’insistance, permet aussi à l’auteur de « reprendre son souffle », d’en user comme un refrain pour pouvoir embrayer sur la suite. Ce procédé se retrouve souvent dans le conte.

Par ailleurs, le récit est aussi balisé de maximes qui, à la fois, l’agrémentent sous forme de conclusions partielles, à la manière de bilans d’étape mais avancent des vérités qui auraient pu permettre à l’auteur de développer ce récit. Avec ce procédé, en effet, l’auteur avait les moyens de construire une œuvre beaucoup plus développée. Cependant, se limiter à l’essentiel peut aussi relever d’un choix. Savourons quelques unes de ces maximes :

-Lii de mooy li ñu naan cat du wees

« On n’est jamais à l’abri du mauvais sort »

– Waxi mag dina yendu àll waaye du fanaan mukk

« La sagesse de l’ancien n’est jamais démentie »

– Ku la mag ëpp lay sagar

« L’âge fait l’expérience »

– lu feeñ ci séy, nuyoowoon na ca ngoro ga, dañu koo feyul (p.16)

« Les éléments de la discorde conjugale se sont signalés au cours des fiançailles sans être solutionnés »

– Séy xare la, saa yoo ca juree doom, jam nañu la (p.17).

« Le mariage est un combat, à chaque fois que tu y fais un enfant, on t’a atteint (d’un coup ou d’un impact) ».

Si on s’amusait à aligner toutes ces maximes qui parsèment le récit, on se rendrait compte qu’elles constituent à elles seules une armature autour de laquelle on peut construire d’autres récits, similaires ou non. La langue wolof offre donc, à travers un réseau de vérités générales, de quoi illustrer tout événement de la vie, heureux ou malheureux.

Au regard de la production littéraire sénégalaise, ce roman peut soutenir la comparaison avec Une si longue lettre de Mariama Bâ. De même l’héroïne Ramatoulaye dans Une si longue lettre, Déguène dans Séy xare la [1] (Le mariage est un combat), plutôt que de rompre son mariage, a préféré stoïquement le persévérer, pour la sauvegarde de l’éducation de sa progéniture.

Il y a une dimension particulière de ce roman qui est dans le camouflage subtil de l’héroïne derrière la surdité pour avoir un recul extraordinaire qui lui permettre de juger ses semblables et d’analyser l’existence.

[1] Roman en wolof : « Le mariage est un combat ». L’auteur, Ndèye Daba NIANE, est une ancienne secrétaire sténodactylographe, alphabétisée en wolof, puis devenue facilitatrice en alphabétisation.