Notes de lecture

FONKOUA, ROMUALD, AIME CESAIRE (1913-2008), EDS PERRIN ACTE, 2010

Ethiopiques n°86.

Littérature, philosophie et art

Demain l’Afrique : penser le devenir africain

1er semestre 2011

Voici que Césaire, à peine disparu, fait l’objet d’une importante biographie réalisée par Romuald Fonkoua, dont on connaît essentiellement les travaux sur Edouard Glissant et le mouvement de la créolité. Des ouvrages antérieurs nous ont déjà tracé le parcours biographique, intellectuel et politique de Césaire, notamment les livres de G. Ngal (1975), Thomas Hale (1978) R. Toumson et S. Henry-Valmore (1993), R. Confiant (1993), sans oublier les films d’Euzhan Palcy et Sarah Maldoror qui ont fait le tour de cette « Traversée paradoxale du siècle ». Nous retrouvons avec plaisir tous ces faits rassemblés et complétés dans le livre de Romuald Fonkoua.

On est en effet impressionné par le goût de l’auteur pour l’abondance des détails sur la famille de Césaire et son environnement social et politique.

Belle synthèse donc, et belle objet joliment présenté, impression soignée, photos originales.

Nous avons apprécié également des analyses pertinentes, celles concernant l’influence de Frobenius, entre autres, la portée du théâtre césairien, ou les différents états du Discours sur le colonialisme.

Enfin le style est clair, fluide, agréable.

Bien sûr on relèvera des erreurs de noms par exemple : parmi les élèves de Césaire, il cite Fanon (qui ne l’a jamais été) et le poète-dramaturge Eugène Devrain (qui s’appelle effectivement Emile Dervain, Eugène étant son nom de plume).

Il y a plusieurs interprétations de poèmes qu’on ne peut pas reprocher à un professeur de lettres. Sauf lorsqu’elles sont visiblement erronées, comme à propos du texte « Investiture ». Fonkoua l’interprète comme un acte d’autocélébration de Césaire lors de son élection à la mairie de Fort-de-France en 1945. Alors que Césaire a écrit ce poème plus tôt (vers 1942) et, comme il l’a dit, en mémoire de la ville de St Pierre détruite en 1902.

Plus surprenantes sont les remarques tendancieuses à différentes étapes du parcours politique du député. C’est le cas à propos de la fiche de renseignement du Parti communiste (p. 110) sur la famille du candidat (fiche rédigée en 4 colonnes : parents, noms de famille, profession, opinion !) Césaire répondit : état de santé « passable », opinion de sa belle-mère « sans opinion politique ». Alors que ces réponses correspondent aux faits réels, notre biographe les qualifie de « prudentes précautions », voir d’« insidieuse prudence » (p.115). Sur quelle base y voit-il des sous-entendus ?

Plus loin, lorsque Césaire rompt avec le P.C., Fonkoua nous rappelle qu’il transmet le même jour sa lettre de démission à Maurice Thorez et à France-Observateur (p.245), estimant qu’il s’agit là d’une « stratégie de la ruse ». Ne pourrait-on pas déduire tout simplement que le député veut rendre publique sa décision ainsi que les arguments la justifiant ?

Toujours dans la même veine, les passages où l’auteur s’autorise de Victor Sablé député martiniquais opposé au PPM (Parti fondé par Césaire) pour souligner ses « manœuvres de politique intérieure et des stratégies » (p. 324-325) que n’appréciait guère l’épouse de Césaire regrettant « la pureté de l’engagement initial » — Pareil jugement de valeur nécessiterait témoins plus neutres.

Relevons ailleurs une erreur de date, celle du divorce situé en fin des années cinquante (p. 325 et suivantes) alors qu’il eut lieu seulement en 1963. De cet anachronisme découle une interprétation faussée de la situation conjugale du couple Césaire. Il faut signaler qu’ici l’information du biographe est partielle et partiale dans une très large mesure.

Ainsi si l’on examine de plus près les faits rapportés, on s’aperçoit donc qu’il en tire des conclusions souvent loin d’être évidentes. Nous respectons évidemment la liberté du chercheur. Encore faut-il s’assurer de l’exactitude et de l’objectivité de ses sources.

Signaler les « contradictions dialectiques » du député Césaire et « son hésitation à se comporter en salaud » (p. 248) prêterait à penser qu’il céda ou aurait pu céder à la tentation.

Pourtant Fonkoua semble bien comprendre la stratégie des « petits pas » qui fut celle d’un responsable politique pris en étau entre ses désirs propres et les aspirations du peuple qu’il représentait.

Sous l’angle de la méthode donc, la biographie du poète qui nous est proposée pêche par des informations peu sûres et toujours au détriment de son sujet.

En fin de lecture, ce livre nous trouble plus qu’il ne nous instruit. Car parmi la relation des faits se rapportant à la personne du poète antillais, se glissent des remarques qui dessinent, en contre jour, derrière la gloire solaire du héros de la liberté, l’ombre mesquine d’un homme intéressé, manipulateur, retors, à la limite de la fourberie : ceci confirmant du reste la campagne de calomnies que le P.C. déclencha à l’époque contre le « traître » et dont Fonkoua donne un compte rendu scrupuleux.

Ne sommes-nous pas là face à un problème d’éthique qui nous oblige à nous interroger sur les motivations de l’auteur — en cette période où la mort des Pères tutélaires dans le champ intellectuel se trouve en proie à l’emprise du soupçon ? sinon quelle serait la fonction d’un tel ouvrage ou plus précisément son idéologie ?

Espérons des jeunes chercheurs qu’ils privilégieront le regard que le biographe porte sur la poésie de Césaire, « cet homme du monde qui incarne l’intellectuel français » (4e de couverture). Car Fonkoua consacre de belles pages au génie littéraire du poète, surtout dans son introduction et sa conclusion.