Notes

LIBERTE III NEGRITUDE ET CIVILISATION DE L’UNIVERSEL, Léopold Sédar SENGHOR, Editions du Seuil- 563 Pages

Ethiopiques numéro 13

Revue socialiste

de culture négro-africaine, 1978

 

Après Liberté I Négritude et Humanisme, liberté II Nation et voie africaine du socialisme, voici que Léopold Sédar Senghor publie Liberté III Négritude et Civililisation de l’Universel. D’autres tomes paraîtront qui rassembleront les principaux textes en prose de l’auteur.

Dès l’abord, on est frappé par la continuité d’un combat, d’un même combat : Défense et Illustration de la Négritude pour mieux participer à la Civilisation de l’Universel. Mais pourquoi une telle permanence, une telle persévérance, une telle obstination ?

Sans aucun doute, Léopold Sédar Senghor fait, en premier lieu, un acte de foi, de foi dans les valeurs de civilisation de sa race, valeurs longtemps contestées et qui, malgré l’influence qu’elles exercent sur les valeurs de l’humanité, continuent à faire figure,de parents pauvres.

Plus exactement, on fait comme si elles n’existaient pas ou sont de moindre importance. « S’il faut continuer en l’intensifiant, la lutte pour la construction d’une « civilisation panhumaine », c’est que, l’Euramérique la subit, plus qu’elle ne la souhaite, n’y travaille. Ce qu’elle voulait, ce qu’elle cherche à imposer, dans les faits, c’est sa propre civilisation comme « civilisation universelle », mais non « de l’Universel », avec sa dialectique dans ses proclamations, mais avec, dans les faits, sa logique dichotomique, agressive, terriblement efficace pour construire un monde nouveau : « un nouvel ordre économique mondial ».

Un simple acte de foi, naturellement, ne suffirait pas pour emporter la conviction. Il faut démontrer. C’est à cela que s’évertue, avec bonheur, Léopold Sédar Senghor. Démontrer quoi ? des choses qui devraient être des évidences pour tout le monde, mais que, par politique, au nom des idéologies, on refuse de reconnaître.

Ainsi, par exemple, la culture « est l’expression humaine d’une situation donnée ou, si vous préférez, l’adaptation à une situation géographique, historique, biologique pour la mettre au service de l’homme ». En partant de là on mesure que chaque que peuple, chaque race détient une parcelle du trésor de l’humanité et qu’il s’agit que chacun fasse apport de ce qu’il a pour, ensemble, construire le monde nouveau.

Il s’agira aussi de démontrer que les valeurs nègres se retrouvent dans toute la diaspora : en Afrique, sans doute, mais aussi aux Amériques, mais, aussi en Inde, mais ne signifie, aucunement, repli sur soi.

La Négritude, si elle est d’abord « enracinement en soi et confirmation de soi », est aussi une ouverture sur les autres aires de civilisation. Senghor n’hésitera pas à retourner à la préhistoire pour montrer que, même dans les temps les, plus lointains, l’apport de Négritude à la Civilisation est significatif. Cette ouverture sur l’extérieur ; sur l’autre, explique que notre auteur rappelle les ponts ou en établit avec les autres aires de civilisation. D’où les questions de francité, de latinité, de germanité, de francophonie, d’arabité, de la force-énergie des Hollandais (robur Batavorum), de, l’art suédois, etc… Senghor cherche les caractéristiques particulières de chaque aire de civilisation, les compare à celles de la Négritude, établit les différences et les similitudes, les divergences et les complémentarités. Tout naturellement cela conduit notre auteur à aborder plusieurs thèmes, assimilation, communication, dialogue, fraternité, humanisme et, surtout, métissage, etc…

Arrêtons-nous, un instant, sur ce dernier thème. Que faut-il entendre par là ? Certains, comme Yves Person, n’ont pas hésité à dire que « si tout le monde est métissé, il n’y a plus de racines ». Une telle affirmation est la négation même de la réalité. La biologie moderne, Jacques Ruffié l’a démontré, prouve que l’homme, quel qu’il soit, est d’abord le produit d’un métissage.

Ce métissage peut être biologique, culturel. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus de racines.

L’arbre greffé possède toujours les mêmes racines, mais donne des fruits meilleurs. Il s’agit en fait, d’un enrichissement.

L’histoire, finalement, est un perpétuel dialogue des cultures.

Alors, voici Senghor, le Négro-africain, qui interpelle, tour à tour, les Allemands Léo Frobénius, Jensen, Gunter Grass, Konrad Adenauer, les Français Proust, Apollinaire, Claudel, Chagall, Picasso (franco-espagnol), Pierre Soulages, Roger Bastide, le Guatémaltèque Asturias, etc…

Comme un tisserand, Senghor dénoue les fils, renoue les fils cassés, les croise et les recroise pour aller vers une quête que l’on sent permanente chez lui : arriver à une symbiose des différentes civilisations, par le dialogue, par le métissage, qui permettent aux hommes ; à l’ensemble des hommes de la terre d’être différents, mais ensemble, mais complémentaires, comme les doigts d’une même main.

Liberté III Négritude et Civilisation de l’Universel est une pierre d’angle au nouvel édifice qui se bâtit sous nos yeux : l’humanisme des XXe et XXIe siècles.

L’ouvrage, naturellement, est écrit dans une langue admirable et la création poétique ou les fulgurances, comme éclair zébrant un ciel d’encre, ne manquent pas. Ainsi : « l’originalité la plus originale d’Asturias ne fut pas de chanter l’Indien dans ses poèmes, de l’avoir fait vivre, avec ses dieux, dans ses récits, mais le métis, né de la rencontre torride de l’Espagnol et de l’Indienne, mais aussi de l’Africaine ».