L’HIRONDELLE DE NOS RÊVES N’EST PAS MORTE DE FROID…
Ethiopiques numéro 30
révue socialiste
de culture négro-africaine
2e trimestre 1982
pour Marie
Je t’ai apporté dans mes paumes blessées des moissons de rire clair
Et l’orchidée bleue de longue vie
L’orchidée qui pousse sur les récifs de corail du Pacifique –
Tu sais les îles vierges encore du miel des hommes ?
Et, sur ton front pâle et ombragé, vois ! j’ai tatoué
Les montagnes du Hoggar où habitent les femmes de brume
Dont le voile est la rosée de la solitude !
Et des enfants qui nous ressemblent jouent à inventer des mirages
Jusqu’au minaret de cristal qui n’existe pas, – jusqu’à toi et moi
Et les cavernes gorgées de trésors d’Arabie…
Je suis revenu me vomir entre tes jambes de pluie et de sable blond
Et jaillir comme un bouillon d’écume et de lumière en toi
Sous un firmament d’oiseaux blancs
Je suis revenu sur les rives incertaines de mes insomnies
Baiser les cendres froides de notre enfance ;
A tâtons, comme un voleur de brouillard, couvrir tes mains d’or
Et d’algues marines
Et te parler encore de la brise qui bruit dehors ton nom
Et dont le chant dans l’aurore est un éclat de verre pilé
Eparpillé dans mes veines !
Mais ce soir les rugissements du lion sur mes reins ne filtreront pas
Ton intérieur de miel et de pêche mure
Ce soir l’hirondelle de nos rêves est morte de froid !
Voici que ma bouche tisse de corolles de rosée la tienne
Et le désir vertical balise de gerbes d’épines nos sens à perpétuité
Dans le marécage bleu de tes yeux où éclosent à marée basse
Les violettes les lys et les roses anciennes
Que toi et moi – souviens-toi Marie, effeuillions sans avoir l’air
Tout simplement…
Voici que ma bouche remonte à contre-courant par à-coups
Ton corps nu et joli de mille vergers d’hiver précoce
Vers la lumière castrée du matin
Que distillent comme venin tes deux fois deux lèvres…
Mais le papillon du sang de la misère – même feinte,
Le papillon de papier hygiénique épinglé sur ton épaule de neige
Comme un perdu en mer
Comme un perdu entre l’enfance et la mort…
Je suis revenu à rebrousse-temps tresser de brume et d’arc-en-ciel
Tes cheveux de nuit défaite tes cheveux de mousseline noire
Et te chuchoter des mots d’amour et d’orgasme à faire hurler de rage
Et fouiller en toi pour reprendre haleine de ton souffle
Je suis revenu te mettre au monde, je le jure par l’étoile égarée !
Ce soir, je ne te dis pas que je t’ai cherchée partout
Comme l’oiseau d’automne son nid, dont l’envergure éclipse le soleil
Sans doute étais-tu dissimulée dans l’herbe dépouillée
Avec un peu d’eau bénite comme des étoiles dans tes yeux
Et un grand silence ?
Vois, je regarde notre jeune âge dont l’aurore se fâne
Et tu habites ma solitude déjà comme une confortable indifférence
O colombe…
Je serai l’aube de tes hanches encore quatre fois
Les saisons de ton corps bariolé de mousse de lait de coco
Les moissons de ton ventre semé de champ de rêves d’oliveraies
Je reviendrai nager lisser mes paumes en toi plus osé que jamais
Je reviendrai manger ta faim et boire ta soif
Renaître de toi comme d’une braise s’il te plaît
Nos coïts lubrifiés consumeront mon incandescence
En épaisse fumée bleu marine bleu corail toutes les couleurs fugitives
Du crépuscule – que déjà me dérobe la nuit
Oui, je reviendrai dans la douce vallée de tes cuisses de grenadine
Ensemencer l’été sous les éclats d’obus et les étincelles de soleil
Et germer en toi loin des lagons d’exil au premier jour du monde
Où les arbres comme des fruits mûrs se dépouillent de leur sève !
Je me suis réveillé cette nuit hurlant l’horreur hallucinée
De ton absence comme d’un incendie à mon côté
Je me suis réveillé dans le marécage des jours en miettes
Le front les yeux couverts de feuilles mortes et de cendre amère
Et l’aube faisant naufrage à grands pas dans le ciel
Tatouant les voyelles de ton nom
Sur chaque pan d’azur en caractères de feu
Et sur chaque nuage qui s’effilochait entre mes doigts de soie
Je me suis réveillé cherchant autour de moi ton corps mon île
Ton corps échoué contre ma poitrine comme une épave rongée de miel
Et surprendre plus tard sur la glace brisée du lavabo, que recouvre la buée
Les débris de ton regard…
Me voici à genoux en train de te maquiller d’amour
Je suis revenu bivouaquer les prairies de ta chair couleur d’enfer !