LES RELATIONS HISTORIQUES DE LA CHINE AVEC L’AFRIQUE
Ethiopiques numéro 12 octobre 1977
Revue socialiste
De culture négro-africaine
Le développement actuel des relations politiques entre la Chine et les pays d’Afrique rend intéressante la recherche de celles qui ont pu, à certaines époques, exister entre l’Empire du Milieu et le continent noir : on peut être certain d’ailleurs que les quelques faits historiques relatés ci-après seront, s’ils ne le sont déjà, rappelés lors de la venue de missions culturelles chinoises dans les pays africains de la côte orientale de ce continent. En effet, quoique l’Afrique du Nord n’ait pas été ignorée des Chinois, c’est l’Afrique de l’Est qui a, durant une époque comprise depuis les débuts de l’ère chrétienne jusqu’à la fin du moyen-âge connu certaines entreprises commerciales et maritimes chinoises.
La première mention de l’Afrique dans les textes chinois paraît remonter à l’époque des « Trois Royaumes » (troisième siècle après Jésus-Christ). Il est question dans la chronique « Wei-Liue », consacrée à l’histoire de l’Etat du Wei, l’un des trois royaumes, d’une cité appelée Weu-K’i-San, qui correspondrait selon les sinologues Pelliot & Hirth à Alexandrie d’Egypte. Pelliot pense même que des négociants chinois seraient déjà arrivés en Egypte durant la dynastie Han (entre le 1er et le 3e siècles de notre ère). En ce qui concerne l’Afrique centrale-orientale, on note, beaucoup plus tard, à l’époque de la dynastie T’ang (17e siècle de notre ère, dans les « yeou-yang Tsa-Tsou », l’existence d’un pays appelé Po-Pa-Li qui doit correspondre à la Somalie. Le Sin T’ang-chon (nouvelle histoire de T’ang) parle de son côté de « Na-Lin ». Ce Na-Lin correspond sans doute Nalindi, près de Zanzibar. Plus tard, les annales de la dynastie Song nous apprennent que l’importation annuelle en Chine de l’ivoire, de la corne de rhinocéros, des perles, de l’encens et d’autres produits que l’on trouve spécifiquement le long des côtes du Yémen et de l’Afrique Orientale, se montait, entre les années 1053 de notre ère, à 53.000 unités de compte. Dès lors 1es porcelaines chinoises commencèrent à atteindre les ports occidentaux de l’Océan Indien (dans la région de Zanzibar) en quantités considérables. A cette époque l’Afrique orientale voyait le développement économique et culturel de l’empire des Zendj, dominé par des musulmans venus de l’Iran (les Chirazis).
De nombreuses monnaies chinoises datant de la dynastie Song, et parfois de la dynastie T’ang qui la précède, ont été trouvées, ainsi que des porcelaines, dans les régions côtières de la Somalie, du Kenya et du Tanganyika ainsi que dans l’île de Zanzibar. Le commerce qui prenait parfois l’aspect de troc entre produits chinois et africains était donc important à cette époque entre des contrées pourtant éloignées. Le fait que des importations qui venaient des pays d’Outre-Mer et notamment d’Afrique portaient surtout sur des produits de luxe, explique les réglementations précises édictées à l’époque de la dynastie Song sur le commerce maritime (notamment en 1147 et 1219). Mais cela ne supprime nullement des échanges qui étaient effectués d’ailleurs non seulement par des navigateurs chinois, mais aussi par ces commerçants arabes dont l’islamologue et malgachisant Gabriel Ferrand a étudié l’activité marchande qui, à cette époque, se manifestait dans l’Océan Indien et jusque dans les ports de la Chine méridionale(province du Kouang Tong et du Faukien).
Le retrait à Hangtcheou, au Sud du Fleuve Bleu, en 1127, à la suite de la conquête du Nord de la Chine par les Barbares, eut pour effet de développer considérablement la marine chinoise, car le Sud de la Chine à la différence du Nord, se caractérise par une côte très découpée et le fait que Hangtcheou était proche de la mer obligeait la dynastie à envisager sa protection contre les attaques maritimes. Ce développement de la marine chinoise favorisait sa projection vers le monde extérieur et donc les relations avec des territoires aussi lointains que les côtes africaines ; l’amélioration des techniques de navigation par l’emploi d’un type de voiles permettant d’aller conte le vent permettait les voyages dans l’Océan Indien.
A l’époque Song, le « Tchou-Fantcheu » (description des peuples barbares), ouvrage compilé en 1226 sur la base de sources antérieures par un nommé Tchao-Jou-Kou, inspecteur du commerce extérieur Ts’iuen-tcheou (port de la province de Fou-Kien) parle de plusieurs pays africains, y compris l’Egypte (Wou-sou-Li, c’est-à-dire Misr, la Libye, le Maroc (Mo Kie La : « Maghreb el agsa ») et les pays de la côte orientale (dont Ts’eng-Pa qui est Zanzibar et Kan-Mei, probablement Les Comores). Il y est question d’Alexandrie et de son phare et deux pays européens même sont nommés, la Sicile (Sen-Kia-li-ye) et la côte méridionale de l’Espagne (MouLan-P’i, de l’arabe Mourabit, pays des Almoravides. Les îles de K’oun-Loun Ts’eng-K’i correspondraient à celles de Pemba et de Madagascar dans le « Tchou-Fan-tcheu » sont cités des passages provenant du « Ling-wai- Taita », écrit en 1178 par Tcheou Kin-Fei. Cet auteur indiquait que des milliers de noirs provenant de K’ounLoun (donc Pemba ou Madagascar) étaient vendus comme esclaves en Chine. On les appelait notamment « He-hiao-seu » (serviteurs noirs) ou « Ye-jen » sauvages, ou encore « Kouinou » (esclaves ressemblant à des démons). Dans le « P’ing-tcheou K’o T’an », l’auteur Tchou You déclare que « dans la province de Koangtcheaou (Kouang-Tong), la majeure partie des gens riches possédaient de ces « esclaves ressemblant à des démons » (Koui-nou) ainsi appelés à cause de leur aspect jugé repoussant par les Chinois ou encore traités de sauvages (Ye-jen) [1]. Il y avait donc des esclaves noirs sous les Song, en Chine du Sud, et la traite des nègres a ainsi commencé en direction de la Chine avant de l’être en direction de l’Amérique. Ce point mérite d’être noté, car il est douteux qu’il soit rappelé dans les discours officiels entre délégations chinoises et personnalités africaines.
Tcheou Kiu Pei donne des descriptions détaillées du pays de Pi-P’a-Lô (qui parait être l’ancienne Somalie britannique où se trouve la ville de Berbera). Le sinologue hollandais J. J. L. Duyrendak dans son ouvrage « China’ s discovery of Africa » donne là-dessus d’intéressantes indications.
Quoique la dynastie des Yuan, qui succède à celle des Song, ait mis en œuvre un vaste programme de constructions navales qui permit de préparer l’infructueuse invasion du Japon et des expéditions contre le Tonkin, le Tchampa et Java (cette dernière en 1293), cependant la période Yuan ne fut pas marquée par un intérêt notable pour l’Afrique orientale. On trouve néanmoins dans le « Tao-yi Tcheu-Lio » de Wang Ta Yuen, ouvrage datant de 1349, une description de la région. La simplicité de la vie de ses habitants fait considérer par l’auteur cette contrée comme le « paradis de l’antiquité », en somme une terre restée à l’âge d’or.
Par contre les débuts de la dynastie des Ming virent un considérable développement des expéditions maritimes, ceci grâce au plus célèbre des navigateurs chinois, l’amiral Tcheng Ho, lequel, entre 1405 et 1430, commande successivement sept croisières en direction de l’Océan Indien.
L’une des croisières, la cinquième, fut spécifiquement africaine. Elle eut lieu en 1417. Deux ans auparavant, en 1415, le Sultan de Malindi, sur la côte orientale d’Afrique, avait envoyé à l’Empereur de Chine une ambassade avec des présents variés, notamment une girafe que les Chinois appelaient « K’i-lin » (du nom d’un animal fabuleux). Cette girafe, ainsi que celle que le Sultan du Bengale (qui l’avait reçue d’Afrique avait envoyée à l’Empereur de Chine l’année précédente) fut accueillie avec de grands honneurs à la cour de Pékin. En effet, en raison de sa démarche jugée harmonieuse et de sa voix considérée comme musicale, la girafe y apparut comme un symbole de la bienveillance céleste à l’égard de la dynastie et l’on vit en elle l’emblème de la vertu par excellence, du parfait gouvernement et de l’harmonie complète de l’univers. Une peinture chinoise conservée à New York représente la girafe accompagnée d’une inscription célébrant la beauté et les qualités de l’animal.
L’expédition que l’amiral TchengHo conduisit en direction de l’Afrique, la quinzième année du règne de l’Empereur Yon-Lo (1517), fit d’abord route sur Ormuz, dans le golfe persique, puis à Aden, où l’on offrit aux Chinois « un K’i-lin », dont le Mou-Kou-tou-chou (Mogadiscio), les habitants firent don de zèbres et de lions. La flotte de Tcheng-Ho alla aussi à ou-la-wa (Brava) dans la Somalie d’aujourd’hui. Là des chameaux et des autruches furent présentés à l’amiral. D’après l’histoire des Ming, Tcheng-Ho fut envoyé une seconde fois (entre 1417 et 1423) comme ambassadeur à Brava (en Somalie) puis encore une fois en 1430 (cinquième année de l’empereur Hiuan-Tô).
Les ouvrages chinois du XVe siècle, notamment le « ying-yai chenglan » (les versions triomphales de l’Océan sans limite), composé par Ma Houan, aux environs de 1430, le « Sing-tch’a cheng-lan » (les versions triomphales des « bois étoilés » c’est-à-dire des navires portant à leur ambassadeur) écrit par son auteur, Fei Sin en 1436, et le « Si-yang tch’aoKong tien-lou » (chronique des pays occidentaux payant le tribut) publié par Houan Cheng-ts’en en 1520, nous donnent sur l’Afrique orientale des indications qui sont surtout détaillées dans le « Sing-tch’a cheng-lan ». On voit là des descriptions des villes de Somalie, Brava, Mogadiscio et Djoumbo.
Le « Ming-che », (histoire des Ming) indique que, durant la quatorzième année de l’empereur Yong-lo, Mogadiscio envoya une ambassade en Chine et, avec les cités de Brava et Malindi, rendit à la cour de Chine l’hommage accompagné d’un tribut. Le roi de Mogadiscio fit partir pour la Chine deux autres ambassades chargées de tributs, et l’empereur lui fit remettre en échange des dons, comprenant notamment de la soie à dessins de fleurs pour lui et ses concubines.
A cette époque, Brava envoya de son côté quatre fois le tribut. Ainsi on peut dater de 1416 les premières relations diplomatiques entre la Chine et deux principautés dont les centres se trouvaient dans le territoire de la Somalie d’aujourd’hui et qui se considéraient alors comme pays tributaires de l’empire chinois.
Une carte des pays d’Afrique visités par les Chinois au XVe siècle se trouve dans l’ouvrage de Mao Yongyi, paru en 1621 sous le titre de « Wou-pei-tche » (documents sur les préparatifs militaires). Cette carte représente les côtes africaines visitées par l’amiral Tcheng Ho, depuis l’Ethiopie jusqu’à Malindi et Mombasa. L’île de Socotora « Sou-Kou-ta-la », transcription de l’arabe, mais en chinois « Hiu-to-ta-hiu ») y figure.
De nombreuses monnaies chinoises et des porcelaines des dynasties Song, Yuon et Ming, trouvées dans des fouilles récentes, le long du littoral africain et jusque dans l’ancienne cité de Zimbabwe [2] sont actuellement conservées dans des musées du Kenya (celui de Nairobi et celui de Fort-Jésus à Mombasa et de Djedi et Zanzibar (où ’l’on a trouvé en 1945 un ensemble de 250 monnaies datant des époques comprises entre 618 et 1295), de Mogadiscio, ainsi que de Tanganyika. Des reproductions de certaines de ces porcelaines sont représentées dans l’ouvrage de l’Italien Teobaldo Filesi (le relazioni della Cine con l’Africa nel Medio Evo, Milan, 1962).
Dès avant le milieu du XVe siècle, l’expansion chinoise en Afrique qui avait été marquée par les voyages de l’amiral Tcheng Ho cessa. Déjà le successeur de Yong-lo, Hong-Hi, était défavorable à ces expéditions ; l’empereur suivant, Huan Tö, donna des instructions précises pour arrêter la construction des navires pour aller dans les pays barbares, et, bien qu’il ait admis l’ultime croisière de Tcheng Ho en 1431, il n’envoya plus personne par la suite dans les mers occidentales.
Dès avant 1480, les relations de Tcheng Ho, qui avaient été mises dans les archives impériales, furent brûlées par le vice-président du ministère de la Guerre, Lieou Ta-Hia, qui ne voulait pas que le célèbre amiral servit d’exemple aux générations futures. On considéra alors, à Pékin, que des expéditions lointaines coûtaient trop cher et qu’elles ne devaient plus être encouragées. La Chine se replia sur elle-même et ne connut plus d’expansion jusqu’à la fin de la dynastie des Ming. On mit alors l’accent sur l’agriculture à la place du commerce et de l’industrie. La dernière trace de relations entre l’Afrique et la Chine fut une ambassade qui partit de l’Egypte pour Pékin. Le Sultan d’Egypte Achraf (A-sha-la-fou) envoya comme ambassadeur Sayyid Ali (Sai-ta-li), accompagné d’autres personnages qui apportèrent à la capitale chinoise en octobre 1441 un tribut consistant en chevaux, mulets et autres produits. On leur offrit des dons consistant en tissus de soie et autres objets d’habillement. Mais la décadence de la marine chinoise ne fit que s’accroître. L’interruption des relations directes entre la Chine et le continent africain fut totale ; des étrangers, les Portugais, qui s’installèrent à Macao au XVIe siècle, reprendront ces relations mais à leur profit exclusif et ce n’est qu’à Macao que l’on pourra voir des Africains issus des bases lusitaniennes d’Afrique.
Au XIXe siècle, une émigration chinoise se manifestera en Afrique du Sud, avec la découverte des mines d’or et au début du XXe siècle, des commerçants chinois apparaîtront à Madagascar et dans les îles Mascareignes (Réunion et Maurice). Le commerce chinois se développera avec certains pays d’Afrique notamment avec le Maroc, importateur de thé. Mais la possibilité de faire de l’Afrique orientale une colonie de la Chine, qui avait failli devenir une réalité à certaines époques du Moyen-Age, fut écartée sous la pression des tendances isolationnistes qui prévalurent à la cour de Pékin durant les années du milieu du XVe siècle.
[1] Sur les noirs en Chine, voir L.C. Goodrich, Negroes in China (dans le « bulletin of the Catholic University of Peking ., Pékin, 18931, pp. 137.138.
[2] Zimbabwe est une cité située à l’intérieur des terres, en Rhodésie du Sud. L’origine des constructeurs des ruines de cette cité, bâtie en pierre, est inconnue.