Culture et Civilisations

LE MEDIATEUR AFRICAIN FACE AU POUVOIR ET AU PUBLIC

Ethiopiques numéro 12 octobre 1977

Revue socialiste

De culture négro-africaine

 

Je ne prétends pas, en abordant ce sujet à la fois général et brûlant, trouver la solution d’un problème qui fait encore l’objet de débats passionnés et qui semble être cause de méfiance, voire de frictions entre Informateurs et Autorités dirigeantes dans les pays en voie de développement.

Le sujet est complexe puisqu’il concerne et oppose Informateurs et Défenseurs de l’ordre établi, de la stabilité et de la continuité.

Les premiers perçoivent leur rôle dans le cadre d’un messianisme dont l’accomplissement se fait dans la recherche d’une certaine vérité.

Cette vérité n’a aucun caractère absolu. Elle se présente comme la réponse prévisible et attendue, conforme aux modes de pensée et de vie des publics dans leur pratique sociale.

Lorsque le message transmis n’est pas porteur de cette vérité, il crée entre l’informateur et son public une situation conflictuelle. Le Médiateur est mis au banc des accusés et frappé de la sanction sociale.

Dans le cas inverse, c’est-à-dire quand le message est conforme à la vérité, il y a harmonie entre le public récepteur et l’émetteur.

Quand le conflit éclate entre le Médiateur et le partisan du maintien du statu quo, il est engendré par le refus ou l’ignorance des grandes orientations définies par le pouvoir en place. Le droit d’informer est souvent soumis au devoir d’observer ces principes que toute action doit tendre à appliquer et à renforcer.

Mais le conflit n’est pas un facteur permanent. Il permet simplement de poser le problème de la légitimité que s’attribuent les uns et les autres. Il est réel lorsque n’est pas définie cette légitimité qui constitue la toile de fond de la lutte entre ceux qui se l’attribuent et les autres qui la réclament, tous au nom et pour la défense de l’intérêt national.

Notre problématique n’est pas de dénouer ce nœud gordien, mais plutôt de répondre aux questions suivantes :

– comment se définit le rôle de Médiateur ?

– comment celui-ci apparaît-il devant le public ?

– quel est le sens réel de son action ?

 

Le rôle du médiateur

J .L. Arangueren a établi une relation entre l’Information et l’individu en proie à l’inquiétude suscitée et souvent entretenue par le flot permanent et diversifié des informations. En s’informant l’homme cherche une garantie de sa liberté, mais celle-ci est sous menace perpétuelle des messages indistincts des moyens de diffusion collective.

« Etre libre, c’est être informé ». « L’homme actuel , écrit Arangueren, est non seulement désireux de s’informer, mais il a besoin d’être informé. L’est-il réellement ? A l’encontre de ce qu’il pourrait de prime abord sembler, l’excès d’information « brute » si l’on ne se livre pas à un travail de clarification de discrimination et d’interprétation, crée une surabondance telle que les arbres (les nouvelles isolées et souvent incohérentes) empêchent de voir la forêt ».

Voici donc une première définition du rôle de l’Informateur. Celui-ci est le « bouclier », le rempart qui protège le public de l’agression permanente des flots d’informations.

Il a un rôle de clarification, de discrimination et d’interprétation.

La clarification et la discrimination sont la première étape du processus de la diffusion. C’est la sélection.

L’interprétation qui se fait à deux niveaux (Emetteur et Récepteur) est une réponse à l’environnement des personnes engagées dans le processus de la communication et qui subissent l’influence.

Le rôle du Médiateur est défini en fonction de son environnement. La communication est un lien entre l’homme et son environnement. Ses effets peuvent être expliqués comme étant le rôle qu’elle assume en rendant les hommes capables d’établir entre eux et le monde qui les entoure des relations satisfaisantes.

Phillips Davidson distingue trois raisons essentielles qui expliquent les rapports de l’homme avec son environnement :

– les actions et réactions de l’homme impliquant des changements dans ses attitudes ou ses connaissances, sont orientées dans le sens de la satisfaction de ses besoins.

La satisfaction des désirs et des besoins de l’homme dépend de l’environnement de ce dernier.

– L’attention humaine est éminemment sélective.

– Les hommes accumulent progressivement un important volume d’information concernant les différents aspects de l’environnement qui présentent une importance évidente pour eux.

 

Le rôle du Médiateur consisterait :

– à aider son public à avoir une meilleure connaissance de son environnement social et à mieux s’adapter.

Dans les jeunes nations africaines, l’adaptation à l’environnement est conçue comme une opération de développement. Celle-ci est décidée et entreprise par le gouvernement en place qui en détermine le processus. Il définit les orientations politiques et économiques, sociales et culturelles. Il détermine souvent le rythme de leur réalisation et fixe des priorités. Celles-ci couvrent les désirs et les besoins du public dont la satisfaction est assurée grâce à un dirigisme plus ou moins rigoureux.

Le principe n’est plus de donner au public ce qu’il veut, mais ce dont il a besoin.

H.J. Skornia estime que dans cette situation, la philosophie « du donner au public ce qu’il veut » (The give-the – public – what – it – wants – philosphy) n’est plus une référence certaine dans la mesure où la satisfaction des besoins est une garantie de survie de l’individu. Les désirs sont subjectifs. Les besoins sont objectifs.

La détermination de besoins est une opération difficile. Elle ne peut se réaliser qu’en fonction de critères déterminés. Mais la manière dont ces besoins sont recensés, la légitimité de ceux qui les recensent, leur crédibilité, déterminent l’adhésion des masses.

L’Informateur devient le véritable médiateur entre la grande masse et les autorités dirigeantes. Grâce à son action s’établit un dialogue entre les deux parties.

C’est à travers ses interprétations de ce dialogue que le Médiateur forge son image. Il est ainsi emporté par le cours de l’action sociale dans la mesure où, comme le souligne Max Weber, « la conduite des personnes engagées dans une action sociale est influencée par la perception qu’elles ont de la signification des autres et de leur propre action ».

Le Médiateur est-il aussi lui-même engagé dans la lutte des désirs et des besoins. Nous voici dans la théorie de l’environnement. On peut admettre avec Roger Girold que celle-ci dépend des désirs et des besoins de la personne, c’est-à-dire de ses attitudes, tandis que le contenu de l’environnement met la personne dans un certain état d’esprit.

Comme le Médiateur apparaît-il donc devant le public et le pouvoir en Afrique ?

La presse et les journalistes sont généralement accusés en l’Afrique de partialité et même de complicité avec le pouvoir. Les médiateurs sont affublés de multiples épithètes ou sobriquets tels : « les griots du régime », « les hauts-parleurs du gouvernement » « les perroquets » etc… Ces accusations frisent le mépris et mettent souvent en question la crédibilité des hommes de presse.

Toutes les critiques ne sont pas sans fondement mais certaines cependant sont ou sophisme ou conséquence d’une ignorance ou mauvaise appréciation du sujet.

Une critique positive pourrait à notre avis se faire à partir de critères précis résultant d’une analyse profonde du cadre juridique qui régit le statut du médiateur, et du contexte politique.

 

Militant ou fonctionnaire

La plupart des Etats africains ont un système de Parti unique. Celui-ci est parfois l’instance suprême de l’Etat. Il détermine les grandes orientations et les grandes actions gouvernementales. Les moyens d’information (journaux, Radio, Télévision) sont propriété de l’Etat qui souvent encore détient le monopole de la diffusion et de l’information.

L’alternative pour le médiateur est alors d’être « militant » ou fonctionnaire ».

Comme militant, il est engagé dans l’action politique et gouvernementale. Son action est orientée en direction des militants et du grand public auprès desquels il fait un travail de sensibilisation et de mobilisation, autour des mots d’ordre définis par le parti. Il se prête volontiers aux critiques du public, non pas pour changer le sens de son action propre mais afin de trouver des voies plus appropriées de convaincre ce public de la justesse des objectifs et des principes du parti. Il n’attend pas de brevet d’impartialité. Le parti, est son juge, son jury et son accusation. Il lutte pour faire triompher la « vérité » du parti. Comme l’écrit Jean Marie Domenach, « agir sur l’opinion n’est pas forcément déformer la vérité : c’est modifier une vision qui, d’ordinaire, s’est déjà beaucoup éloignée de la réalité et ce peut être pour la rapprocher de la réalité ».

Cette réalité est souvent perçue autrement par le journaliste-fonctionnaire qui n’est pas, lui, toujours acquis à la cause ou à l’idéologie du régime en place. Par définition, le fonctionnaire est agent de l’Etat. Comme journaliste il est employé dans des organes d’information de l’Etat et rémunéré dans le cadre du statut général régissant la fonction publique.

L’exercice de la profession, à ce titre, présente souvent des difficultés, notamment dans le cas où le journaliste-fonctionnaire ne partage pas, dans un domaine particulier, le point de vue du gouvernement.

Faute de pouvoir s’exprimer pleinement il se retranche derrière un mur de silence.

Il peut faire valoir la clause de conscience. Mais, cette attitude peut être interprétée comme un signe d’hostilité ou d’opposition.

Quoi qu’il en soit, il ne paraît pas indiqué de traiter des rapports entre journalistes et gouvernements en termes de collaboration, coopération ou d’opposition. Le problème principal, et me semble-t-il, fondamental, est la possibilité pour un journaliste de travailler dans l’organe d’information de son choix. C’est à notre avis, l’impossibilité de choisir librement entre différents organes, l’absence de courants d’opinions diverses qui sont à l’origine de l’incompréhension ou d’un conflit permanent entre le médiateur et ses employeurs et souvent son public.

Dans les pays en développement, les organes d’information sont volontairement ou non propriété de l’Etat. Il est alors compréhensible que celui-ci refuse que ces moyens soient au service de toute autre cause que la sienne. Cependant pour le médiateur, l’exercice de la profession n’est aisé que dans la mesure où il se fait dans une certaine liberté, fut-elle illusoire.

La multiplicité des choix et d’opinions ne signifie pas ou ne crée pas la liberté : il la favorise en permettant au journaliste de travailler dans un organe et pour une cause qu’il aura lui-même choisie. Mais le manque ou l’insuffisance de choix n’est pas toujours le fait du gouvernement. Il est dû aussi à l’insuffisance de capitaux. Les sociétés privées d’éditions ne sont pas très prospères dans tous les pays d’Afrique. Les investissements dans le domaine de l’édition et de la presse sont assez limités. L’Etat reste le plus important bailleur de fonds et de ce fait détient un monopole quasi effectif.

Cependant si le « choix-impossible » pour les médiateurs constitue une restriction de leur liberté, il ne cache pas la portée de leurs actions.

Le rôle de l’information et des informateurs a fait l’objet de nombreuses études et analyses. Il n’est pas utile de chercher une autre définition qui s’ajouterait à une liste déjà longue. Retenons simplement, comme cela ressort d’ailleurs de toutes les définitions, que le médiateur est agent du développement. C’est le rôle que lui assignent en tout cas les gouvernements. Le développement est une notion générale. Cependant son objet est la recherche du bonheur de l’homme. Il s’agit de donner à chacun les moyens les meilleurs de s’accomplir dans une parfaite harmonie avec son environnement.

Le médiateur est l’interprète de cet environnement. James Carey observe que la caractéristique du communicateur réside dans le fait que le message qu’il diffuse n’est pas le produit de sa pensée. Il est un interprète qui traduit, code et décode par un système adopté par son « in-groupe ». Cette interprétation de l’action du médiateur reflète un aspect de l’action sociale qui consiste, selon une conception Durkheimienne, en « des manières de penser, d’agir et de sentir extérieures à l’individu et qui sont douées d’un pouvoir de coercition en vertu duquel elles s’imposent à lui ».

C’est donc dans leur capacité de susciter et de faire l’opinion, et parce qu’ils sont animateurs de l’action sociale que les médiateurs africains assument un rôle dont l’importance est à la dimension de l’entreprise de développement, cette bataille contre la faim, la misère et pour l’accomplissement total de l’homme africain. Pour atteindre cet objectif où devrait-on situer le débat ?

Cette affirmation d’un censeur de presse célèbre est à cet effet, significative :

« Je regarde comme un principe qui ne peut plus être contesté que la liberté de la discussion est le moyen sûr et le seul de faire connaître à une nation ses véritables intérêts ».