Jean Brière
Notes

LES FEUX DE LA PLANETE (Poèmes de Jean-Baptiste Tari Loutard)

Ethiopiques n°15

Revue socialiste

de culture négro-africaine

 

Aux « Nouvelles Editions Africaines » qui assument de plus en plus leur vocation Maison Africaine d’Edition vient de paraître dans la collection Woï bien connue de nos lecteurs « Les feux de la Planète » du Congolais Jean-baptiste Tati-Loutard.

On constate que la Maison de la rue Thiers améliore de plus en plus la qualité physique de ses productions.

La couverture de « Les feux de la Planète » est une photographie très sobre d’une plage au premier plan de laquelle figure une sorte d’hippocampe en bois et aux membres tordus. Au-delà de cette épave, herpe marine, rien qu’un large estuaire et un pan d’horizon gris.

André Maurois, parlant de Valery, écrivait « qu’une certaine poésie est avant tout un certain vocabulaire choisi par le poète, chargé par lui de prestiges et investi de mystère.

Tel est le chant fluide de Tati-Lou-tard.

Le premier poème qui a pour titre « Encore la Mer » (la mer, la mer toujours recommencée) débute très originalement par la conjonction « et » comme pour nous avertir que le poème était déjà commencé quelques parts, en lui-même, dans son encre, dans les remous du flot ou les linéaments en broderie du sable :

« Et nous envahit soudain le gros sauvagin » qui pue la chair froide des marins.

Puis avec des mots familiers, il se situe dans le passé en compagnie d’une inconnue, qui, lui est fidèle comme une ombre : _ « Pendant des années nous avons simplifié notre existence comme les ipomées qui se contentent d’un peu de sel »

Les rejets ici ont toute leur importance car ils contiennent les mots-clés que sont « existence » et « sel »

« Nous sommes revenus vers la mer

Rendre à l’eau l’image que nous portons.

Une amulette de riverains forcés de vivre

Loin des sables… » :

La brise chante dans l’allitération suivante :

« C’est ici le flux, le phare et la falaise. »

On dirait une encre de Victor Hugo à Guernesey.

Le poète vit émerveillé dans l’univers de la mer dont il devient le centre ébloui :

« Nous arrive le calme coloré des flots

Le temps ne nous rend plus la mémoire.

L’embrun qui ennuage la rumeur des eaux nous aveugle :

Les visages des voyageurs flottent aux mâts des navires à l’ancre

Parmi le vol circulaire des mouettes. »

La respiration intérieure du vers est comme un orage qui se prépare.0r, à y regarder de près, il suffit de changer le « g » et le « a » d’orage, d’y ajouter « s » et « m » pour obtenir le mot « orgasme ». « Je suis sur la plage étendue autour de toi.

Parfois dans l’amour nous approchons de l’orage

avant de retomber sable mou,

sous les pattes des mouettes,

Réduit là, morts scandaleux,

Entre la vague et l’ipomée.

Voici qu’une pensée vient du fond de la

chevelure qui tressaille ;

Et c’est la clameur de la résurrection

Qui va me redresser en falaise.

En moi le désir se recompose.

Et de nouveau debout, je te domine

Toi, femme inépuisable.

Rarement un poète a trouvé une image aussi juste pour dire le désir impétueux et rigide comme une haute vague rugueuse comme une falaise.

Cette obsession de l’océan confère à cette poésie un mouvement sourd de houle marine, celle qui ne donne pas le mal de mer mais devient rythme endormeur de berceuse diurne.

« Je cherche l’âge des marées parmi, les terrains vagues

D’où la mer s’est retirée. »

………….

Où que je me trouve c’est toujours en mon coeur que la me se brise.

Il voit des « commissures aux coquillages », des chevelures « d’ulves aux rochers ».

« J’ai scellé mon coeur dans le calcaire d’un polypier

Tout l’écart de la vie du Soleil ;

Immortel je suis malgré la poussière ;

Lorsqu’on mènera en terre ma dépouille,

Vous l’entendrez battre dans le flux et le reflux. »

Là, on regrettera que vers soient restés horizontaux et n’épousent pas

comme ayant les courbes de la plage ou les sinuosités de la crique.

La sensualité biblique de ces vers :

« Etends ton corps comme l’herbe des champs

Que j’y conduise le troupeau de mes désirs. »

Toute la vie du poète se déroule au bord ou dans élément liquide.

« La lumière qui surgit des lèvres : interrompt le soleil,

Et m’éclabousse dans l’éblouissement

……………

J’ai découvert la source dont je proviens

……………..

… Dans ce feu de brousse inépuisable

Qu’est ton corps que je côtoie.

Ce recueil est le livre de bord d’un beau voyage sur l’eau ou sur la« peau revêche des continents ».

Dommage que les Nouvelles Editions Africaines n’aient pas pensé à nous donner quelques informations sur la biographie de ce grand poète qu’est Jean-Baptiste Tati-Loutard Jean BRIERRE.