Développements et sociétés

LE SOCIALISME DEMOCRATIQUE ET L’AMERIQUE LATINE

Ethiopiques n°17

revue socialiste

de culture négro-africaine

janvier 1979

Le Socialisme Démocratique est à l’ordre du jour. Jamais auparavant ce courant politique n’a joui d’autant de faveur ni son influence n’a été aussi forte, même dans les coins les plus reculés.

Bien que la Social-Démocratie ait eu, depuis longtemps, une position prépondérante sans les pays scandinaves, et que le Parti Travailliste anglais ait dominé depuis longtemps la scène politique anglaise, le Socialisme démocratique a commencé sa croissance en 1969, lorsque la Social-Démocratie allemande, dirigée par notre Président, le camarade Willy Brandt, atteignit au pouvoir dans la nation qui fut le berceau de la pensée socialiste moderne et, en même temps, la patrie de ses penseurs et ses théoriciens les plus puissants. _Le Socialisme Démocratique devint rapidement une force politique dominatrice dans plusieurs pays européens, des plus riches et illustres, comme la France, où la domination continuelle des forces conservatrices au pouvoir n’a pas empêché que le Parti Socialiste français ne devienne, sous la direction du camarade François Mitterrand, la première force politique organisée au pays. En Autriche, le Parti Socialiste, dirigé par le Dr Kreisky, a déjà gagné deux élections consécutives, étant aujourd’hui à la tête d’un des gouvernements les plus solides au monde. Des nations, autrefois tyrannisées par des régimes oppressifs et arriérés qui ont asphyxié, non seulement le socialisme, mais encore des courants beaucoup moins avancés, ces nations-là, dis-je, sont dirigées actuellement par le socialisme .. :..- tel est le cas du Portugal de Mario Soares – ou bien elles ont de bonnes perspectives d’être bientôt inspirées par les postulats du socialisme – comme c’est le cas de l’Espagne, avec le PSOE, sous la direction de Felipe Gonzalez.

Les Pays-Bas, l’une des nations où les forces conservatrices et confessionnelles prévalent d’une manière décisive, au point d’être le seul pays au monde à posséder un parti qui s’appelle lui-même contre-révolutionnaire, n’a pas échappé à cette offensive irréversible du Socialisme démocratique et, pour la première fois dans son histoire, il a eu un gouvernement socialiste, celui du camarade Joop Den Uyl, dont le parti travailliste s’est accru dans les dernières élections au point de devenir la tendance politique majoritaire.

Cette croissance de l’influence du Socialisme démocratique a été menée à bien d’une manière quelque peu dispersée, principalement en Europe, à une époque ou l’Internationale Socialiste pouvait être considérée plutôt comme une organisation d’étendue régionale.

Mais pendant la célébration du Congrès de Genève, en 1976, on a mis sur pied d’importantes réformes et on a élargi de façon considérable son rayon d’action et, en accueillant des partis de l’Amérique latine, de l’Afrique et de l’Europe, l’Internationale Socialiste a augmenté au point d’être devenue une organisation à échelle mondiale.

Cette croissance du Socialisme démocratique provient entre autres de l’échec relatif des deux plus importants systèmes politiques qui dominent le monde d’aujourd’hui, le capitalisme et le communisme. En effet, d’un côté, la crise économique et l’exploitation de l’homme par l’homme a limité ou freiné d’une façon considérable les possibilités de bien-être des peuples qui vivent sous le capitalisme, et d’un autre côté, l’exercice permanent de la part du communisme d’une dictature, qui avait été annoncée comme transitoire, est en train de provoquer la désaffection croissante dans les pays de l’Amérique latine, malgré une plus grande efficacité de la part du communisme, en particulier dans les pays en voie de développement, pour assurer aux hommes un progrès économique et social plus rapide.

Et l’Amérique latine est, justement, le continent où l’échec de ces deux systèmes dans le ralliement des sympathies des multitudes se remarque avec plus de clarté.

Dans notre continent, les démocraties traditionnelles, ayant à la tête les forces conservatrices, sont tombées l’une après l’autre, d’une part à cause de leur incapacité à trouver des solutions aux problèmes économiques du peuple et, d’autre part, parce qu’elles ont pratiqué une politique d’abandon aux monopoles étrangers et aux centres de pouvoir des Etats-Unis d’Amérique.

Les forces de la gauche radicale qui, à la suite du triomphe de la Révolution cubaine, semblaient être destinées à se multiplier, en répétant l’exploit du héros de la Sierra Maestra, sont tombées dans le même péché politique que la droite, en s’attachant étroitement aux différents points de vue idéologiques des puissances et des nations communistes, offrant ainsi des arguments pour que les forces réactionnaires, nationales et étrangères, puissent entamer une grande régression au nom de l’anticommunisme, ce qui comporta la supplantation des régimes démocratiques d’élection populaire par des dictatures militaires totalitaires.

Il est important de souligner que les seuls pays de l’Amérique latine, dans lesquels la Démocratie n’est pas morte, sont ceux qui ont un gouvernement socialiste, ou qui ont des tendances socialistes, comme c’est le cas de l’Action Démocratique au Vénézuéla, le Parti National Populaire en Jamaïque, le Congrès National du Peuple en Guyane, le Parti Révolutionnaire Institutionnel au Mexique, le Parti Révolutionnaire Dominicain à Saint-Domingue et le Parti de Libération Nationale de Costa Rica.

Cette survie des gouvernements démocratiques de tendance socialiste dans la région des Antilles, au milieu du naufrage presque général des institutions démocratiques, battues par les vagues de la réaction militaire, même dans des nations d’un plus grand développement économique, culturel et social, tels que les pays du Cone Sud, démontre une plus grande résistance de notre tendance politique pour faire face au grand défi du présent. En ces moments-ci le Socialisme démocratique se présente comme la doctrine qui a le plus de possibilités de s’implanter en Amérique latine et comme la seule qui puisse permettre un retour rapide à la démocratie dans les pays mal gouvernés par les régimes militaires.

Une persécution rigoureuse

L’anticommunisme a été jusqu’ici l’argument préféré des dictateurs et des classes retardataires représentées par ceux-ci, pour empêcher l’accès au pouvoir des forces politiques qui comportent le changement. Malgré les différences nettes entre le communisme et le socialisme, les milieux impérialistes des Etats-Unis et les armées, gendarmes de l’oligarchie, ont donné le même traitement brutal aux socialistes et communistes. Comme dans la plupart des cas les premiers ont signifié une menace plus grande que les deuxièmes contre la domination des forces de la ploutocratie, en raison d’une plus grande force de ces partis, on comprend très bien que dans plusieurs pays les partis populaires de la gauche démocratique les socialistes ou ceux qui ont des idées semblables – aient subi une persécution plus rigoureuse que les partis communistes traditionnels, lesquels se sont alliés trop souvent avec les dictatures de droite pour des raisons tactiques.

Cette persécution impitoyable des partis socialistes et leur élimination facile correspondaient à une époque d’isolement de notre mouvement, en conséquence des tendances européennes de l’Internationale Socialiste, et de son attention minime, ou presque nulle, aux pays du Tiers-Monde.

Lorsque notre Parti entra à l’Internationale Socialiste, à la suite du Congrès de Genève en 1976, le Socialisme démocratique était devenu une doctrine rédemptrice en Amérique latine, comme le prouve le fait que tous les partis socialistes de la région sont représentés dans ce Congrès.

Les raisons qui font que le Socialisme démocratique soit devenu l’option la plus viable pour le pouvoir en Amérique latine sont les suivantes :

  1. Dans le domaine du Socialisme démocratique on trouve de grands partis qui exercent le pouvoir, ou qui ont une position dominante, dans les grandes puissances industrielles de l’Europe ou de l’Asie, parmi lesquelles se trouvent les mères patries de l’Amérique latine, qui sont des nations qui ont exercé une influence décisive dans le processus de formation culturelle et politique de nos peuples.
  2. Ces partis et gouvernements socialistes démocratiques, grâce à leur influence dans le monde d’aujourd’hui et à leur pouvoir, donnent la réplique internationale la plus effective au pouvoir des groupes de pression des Etats-Unis, qui traditionnellement ont fait cause commune avec les forces de la ploutocratie conservatrice en Amérique latine.
  3. Puisque le Socialisme est profondément démocratique, et que nous remarquons dans les nations gouvernées par lui un respect accru pour les droits de l’homme, l’argument de l’anticommunisme ne peut plus être utilisé d’une façon efficace contre les partis de l’Amérique latine, puisque leurs alliés européens et asiatiques se sont dévoués pendant plus d’un siècle à défendre sans équivoque les principes de la démocratie à contenu social.
  4. Les partis socialistes démocratiques, comme le prouve le cas de la République Dominicaine, ont commencé à pratiquer une solidarité militante qui peut se traduire par des actions concrètes, comme ce fut le cas pour l’envoi d’une délégation de bonne volonté, avec le Premier Ministre Mario Soares et le camarade Bernt Carlsson à la tête d’une mission d’observation, aux élections de la République Dominicaine ; cette mission était composée par les camarades Miguel Martinez, du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol et de Shozo Sugiyama, du Parti Socialiste du Japon. De même, il faut souligner la tenue dans notre pays de deux séminaires, financés par le Parti Social-Démocrate allemand ainsi que l’aide matérielle que nous avons reçue de l’Action Démocratique du Vénézuéla, de même que celle du Sénégal et se l’Autriche et, enfin, une campagne massive d’appui international de la part de toute l’organisation, qui a eu comme conséquence l’arrêt complet de la tentative de coup d’Etat militaire.
  5. Les cercles réactionnaires des Etats-Unis, ont manqué le pas lorsqu’ils ont qualifié de « menace extracontinentale » quelque perspective sérieuse de pouvoir de la part d’un parti Social-Démocrate, en laissant entendre qu’elle même constituerait un gain politique pour l’Union Soviétique. Il arrive, cependant, que les grandes nations occidentales où les grands partis socialistes gouvernants sont alliés aux Etats-Unis et cette circonstance enlève de la force à quelque accusation que l’on fasse dans la gérance dans les affaires internes de notre continent, et prive de crédibilité toute allégation dans le sens que la victoire d’un pays Social-Démocrate comporte une menace pour la sécurité des Etats-Unis, comme c’est arrivé en 1965, lorsque de telles allégations ont servi à justifier l’invasion de notre pays et l’écrasement sanglant d’une révolution démocratique et populaire.

L’exemple dominicain, dans lequel le parti révolutionnaire a défait, seul et sans alliance, les forces conservatrices, n’est pas nécessairement applicable à tout le continent. Il y a des pays où les partis communistes, à cause des dimensions des militants et du rôle constructif qu’ils ont joué ces dernières années, ne peuvent pas être écartés des alliances conjoncturelles, comme cela a été le cas au Chili ; mais même dans ces pays le Socialisme démocratique doit être la force dominante puisqu’ il est le seul qui puisse concilier la solidarité universelle, spécialement dans les pays capitalistes, en incluant même les Etats-Unis où il existe aussi des forces progressistes dont le caractère minoritaire ne les empêche pas d’exercer une action modératrice sur les secteurs agressifs impérialistes, partisans de l’intervention.

Dans un monde divisé en blocs, comme celui dans lequel nous vivons le pouvoir d’action des pays communistes et de ses partisans pour offrir une solidarité effective aux forces progressistes de l’Amérique latine, et surtout à ses alliés, sont très limités, étant donné que n’importe quelle action matérielle solidaire est interprétée comme une violation de la détente et de la coexistence pacifique de la part de la puissance en question.

Il suit que la solidarité des pays dits de la zone socialiste ne peut être que morale, comme il a été montré jusqu’à la satiété dans le cas tragique de la solitude du Chili et de son martyr, le Président Salvador Allende et comme est en train de le prouver en ce moment-ci le cas du Nicaragua, où les chars de Somoza ont pris par la force les villes en rébellion et, justement, avec les avions de la dictature ils les ont réduites en décombres, tandis que les courageux combattants du mouvement Sandiniste, parmi lesquels il y a quelques communistes, répondaient à l’agression avec des vieilles carabines, des revolvers, des fusils et des pistolets sans qu’aucune nation socialiste, et Cuba est tout près, osent faire comme le Vénézuéla l’a fait, envoyer des avions pour défendre le Costa Rica sans défense contre les incursions de l’armée de Somoza.

Les atouts de l’Amérique Latine

L’Union Soviétique a très bien pu mettre sur pied un pont aérien pour secourir l’Inde, une guerre contre le Pakistan, et aussi les pays arabes qui luttaient contre Israël, mais on pourrait faire très peu dans des moments semblables en faveur des forces progressistes de l’Amérique latine.

Le colonel Caamano débarqua sur les plages dominicaines en procédant de Cuba avec seulement dix guérilléros et, rapidement, l’armée annihila son soulèvement. Les Sandinistes luttent seuls contre Somoza et ils périront si le Mouvement Socialiste ne vient pas rapidement à leur aide. Par contre, Cuba Révolutionnaire maintient des dizaines, et des milliers de soldats à des milliers de kilomètres dans les jungles et les déserts africains, en raffermissant ainsi les mouvements de libération de ce continent. Mais il ne peut pas envoyer un bataillon de volontaires à quelques centaines de kilomètres de distance pour défendre la liberté du Nicaragua, car les réalités cruelles et les limitations internationales ne peuvent pas le lui permettre tout à fait, de même qu’elles l’empêchent de prendre par la force la partie de son propre territoire occupée par des forces étrangères dans la Base de Guantanamo.

Nous n’avons pas besoin d’apporter davantage de cas pour nous rendre compte de l’impossibilité où est le parti communiste de jouer un rôle de protagoniste dans les processus qui devront rendre l’Amérique latine au concert de la démocratie.

La montée que nous remarquons ces temps-ci du Socialisme démocratique en Amérique latine n’est pas sans raison. Il répond à des motivations dérivées de l’histoire de notre continent, très différente par exemple, de celle des nouvelles nations africaines.

L’Afrique se caractérise, sauf quelques rares exceptions, par ses gouvernements de régime révolutionnaire à parti unique, produit d’un plus grand sous développement économique et social de ce continent. Le besoin de mener à bien une accumulation rapide au départ et un développement culturel approprié, les amènent à accorder une plus grande importance aux facteurs économiques qu’au facteur politique. L’Amérique latine a, en échange, plus d’un siècle et demi d’indépendance. Haïti, par exemple, fut la première République noire du monde qui rompit les chaînes du colonialisme en 1804, et la première République du Vénézuéla naquit en 1910.

Tandis que quelques pays n’ont pas encore trouvé de solution complète à l’intégration des Indiens, en Amérique latine le tribalisme, les conflits religieux, la multiplicité linguistique et dialectale ont disparu il y a des siècles. Les dirigeants africains doivent résoudre ces problèmes, parfois avec le seul recours de la force.

L’Amérique latine a, en plus, l’infrastructure économique et humaine appropriée pour que le socialisme démocratique fleurisse sur son sol. Quelques pays ont un développement à peu près semblable à celui des nations moins développées de l’Europe, et chez eux les forces économiques essentielles ont atteint un niveau de développement qui situe les pays les plus avancés de l’Amérique latine dans un classement que certains, économistes qualifient de pays intermédiaires, malgré leur dépendance des centres de domination des grandes métropoles du capitalisme.

Ce développement supérieur de l’Amérique latine permet que la Révolution Sociale soit menée grâce à une évolution rapide ou un programme audacieux de réformes qui éliminent la violence comme facteur de changement.

Nous ne parlons pas de la violence initiale contre le despotisme, qui cause les régimes révolutionnaires, mais plutôt de l’utilisation de la force pour briser la résistance des classes privilégiées et matérialiser les réformes.

Bien que la municipalité des partis ait été un fait plus théorique que réel, l’Amérique latine a en sa faveur une pratique politique plus réaliste qui s’étend sur plus d’un siècle. Le gouvernement de parti unique ou de dictature unipersonnelle est l’exception, et le système des partis multiples est la règle, et cette circonstance permet la réintroduction dans les pays aujourd’hui sous la tyrannie, de partis pourvus des programmes de transformations sociales meilleures. Ce qu’il faut c’est de donner des contenus aux principes grandioses mais non mis en pratique, et changer les forces sociales qui ont été la cause de cette distorsion.

Même dans les pays où les dictatures les plus arriérées commandent, le système des partis multiples n’est que suspendu, de telle façon que son rétablissement ne signifie pas une grande rupture avec le passé, comme ce serait le cas dans la plupart des pays d’Afrique ou d’Asie.

En ce qui concerne l’héritage du Socialisme démocratique, l’Amérique latine peut être fière d’avoir quelques antécédents théoriques aussi anciens ou plus anciens encore que ceux des pays européens.

L’Amérique latine n’a pas connu d’expérience générale simultanée du mouvement socialiste, comme cela a été le cas en Europe. Même le nom des partis socialistes ou socio-démocrates est peu employé sur notre continent, sauf dans les pays du Cone Sud où le développement économique supérieur a permis d’avoir une très bonne base ouvrière très différente du cas des partis de l’Amérique centrale et des Antilles où il s’agit des alliances de classes exploitées, qui incluent le prolétariat à l’état naissant, les gens de la campagne, les intellectuels, des secteurs importants de la classe moyenne et, dans quelques cas, des capitalistes moyens de mentalité moderne. A cette circonstance sont dues les appellations de parti populaire, de la gauche démocratique ou de parti révolutionnaire, etc., utilisant très peu le terme de Socialiste, en partie par volonté d’éviter les attaques et les agressions de la droite anticommuniste laquelle, comme nous l’avons déjà dit, s’acharne de la même façon contre les communistes et les socialistes, en leur attribuant le même radicalisme.

Cette différence sémantique ne doit pas nous induire en erreur ; dans le domaine effectif des conquêtes définitives l’Amérique latine a été la première à parcourir les sentiers du Socialisme démocratique, même avant l’Europe, comme le prouve la Révolution mexicaine de 1910, laquelle a été faite sous le signe du suffrage effectif, non réélection dans son étape politique sous la direction du martyr Francisco Madero, et dans son étape économique et sociale inspirée par Emiliano Zapata et Don Venustiano Carranza, et consacra la réforme agraire, la sécurité sociale, la séparation de l’église et de l’Etat, et la protection des travailleurs.

Quand les principes de la Révolution de 1910 étaient défendus à feu et à sang sur la terre mexicaine, la Révolution soviétique de 1917 n’était pas encore couvée dans la société russe.

Lorsque le grand réformateur uruguayen Don Jose Battle y Ordonez menait à bien, au commencement du siècle, dans les périodes de gouvernement compris entre 1903 et 1907, d’une part, en 1907 à 1911, d’autre part, son impressionnant programme de réforme démocratique, qui a permis à la patrie de Artigas de devenir, quelques années après, la Suisse des Amériques, l’Europe était gouvernée par des têtes couronnées et les principes appliqués par l’illustre uruguayen étaient loin d’être connus des peuples gouvernés par l’aristocratie.

Alors que quelques nations importantes d’Europe n’avaient pas encore de partis socialistes d’importance et de penseurs de taille qui puissent s’identifier avec eux, la République argentine constituait le sien en 1896, ayant à sa tête un théoricien des visions futuristes, tel que Juan B. Justo dont les formulations idéologiques ont résisté aux conflits internes des pays socialistes et aux excès idéologiques des extrémités pour continuer d’être en vigueur jusqu’à nos jours.

La répression antidémocratique et la réaction politique dont souffre l’Amérique latine aujourd’hui n’est que transitoire. Notre isolement et le manque de solidarité de nos frères des autres continents ont rendu notre situation plus difficile en face de l’Internationale des épées et de l’Internationale de l’argent composées par les corporations multinationales.

Aujourd’hui, le Socialisme démocratique

Mais cet isolement a disparu. En moins de deux ans, l’Internationale s’est étendue dans le monde entier et les dirigeants européens et latino-américains se sont réunis en deux occasions dans les grandes conférences de Caracas et de Lisbonne pour faire un tour d’horizon de l’état du mouvement et marquer les nouvelles lignes de conduite du présent et de l’avenir.

L’Internationale Socialiste non seulement s’est étendue vers l’Amérique latine, mais aussi elle est en train de le faire vers l’Asie et l’Afrique, qui sont des continents qui prennent de plus en plus d’importance à l’intérieur du mouvement, comme le prouve la mission envoyée aux pays de Première Ligne, ayant à la tête le Camarade Olof Palme, la réunion du bureau de Dakar et la non moins importante réunion de Tokyo, et les missions du Camarade Kreisky au Moyen-Orient. Cette expansion formidable de l’Internationale fait que les Latino-Américains sont les récepteurs de la solidarité des partis des autres continents, comme c’est le cas de la République Dominicaine, où sont allés des camarades japonais à côté des camarades africains, pour défendre notre droit à la liberté. Le cas du Nicaragua attire ces jours-ci l’admiration de tout le Mouvement Socialiste, mais il s’impose que nous passions de la solidarité des mots au langage des faits.

La Conférence de Lisbonne confia au parti du Vénézuéla, de la Jamaïque et de la République Dominicaine la coordination d’un programme de solidarité, mais il est hors de doute que le cas du Nicaragua exige en premier lieu la coopération des grands partis et des gouvernements européens.

Une action décisive du Socialisme démocratique en Amérique latine pourrait contribuer à la fortification générale de toute l’Internationale et donc des propres partis européens eux-mêmes.

Cette action solidaire requiert que l’Europe dilue les craintes des Etats-Unis dont la politique de défense des droits de l’homme ne peut être effective que dans notre continent et non pas dans des pays lointains soumis à l’influence d’autres puissances, et dans lesquelles ne peuvent influer que la démonstration de nos démocraties restaurées.

L’Amérique latine est la première priorité du Mouvement Socialiste Démocratique Mondial et, selon le degré d’oppression et le despotisme dont souffrent les nations, nous devons établir une échelle d’actions, qui doit être plus grande dans des pays tels que la Bolivie, avec des perspectives immédiates de pouvoir, le Pérou ou le APRA vient de conquérir la majorité à l’Assemblée Constituante, l’Equateur, qui vient de commencer un projet d’ouverture démocratique avec les dernières élections. Nous avons besoin, en plus, de choisir très bien les moyens de combat et les stratégies à suivre. A notre point de vue, la violence ne peut pas être prise en considération sauf dans le cas du Nicaragua, à moins qu’il s’agisse des mouvements armés qui reçoivent de l’aide des secteurs des forces armées.

De même que la victoire du Socialisme démocratique en Allemagne en 1969 imposa une croissance dans toute l’Europe Occidentale, son triomphe dans une nation américaine, qui soit importante par les dimensions de son territoire et par l’étendue de sa population, tel que le Brésil ou l’Argentine, ou le Canada, lui donnerait le coup de pouce nécessaire pour l’étendre sur tout le continent.

Malheureusement, dans le cas de l’Argentine, de même que le Chili ou l’Uruguay, les premiers changements ne seront pas aussi rapides et il n’est pas facile d’anticiper que le régime des dictatures militaires devra passer dans un degré plus ou moins grand par des phases de relative libération qui pourront entraîner des altérations dans le comportement ou dans la composition des groupes de dirigeants militaires, avant que le pouvoir puisse être effectivement recherché par les forces progressistes civiles.

Ce n’est qu’au Brésil qu’on trouve au sein de la société un mouvement irréversible vers la liberté, que la dictature se trouve incapable de contenir.

Le Parti Travailliste Brésilien peut être un éléphant endormi. Lorsque ce géant se réveillera il se mettra debout et les fauves de l’oppression iront se terrer dans les cavernes de ses forêts.

Dans la Conférence de la Havane en 1976 les partis communistes de l’Amérique latine ont déjà déclaré qu’ils ne seraient pas les premiers à recourir à la violence, et nous les Socialistes qui conservons la lutte des masses et les élections comme voie fondamentale pour arriver au pouvoir, nous devons persévérer dans ce chemin, surtout après la victoire surprenante du Parti Révolutionnaire de la République Dominicaine.

L’Internationale Socialiste doit donner son appui à tous les mouvements socialistes sans exception pour des considérations en rapport avec une fausse conception de la sécurité nationale des Etats-Unis. Et nous pensons ici au cas de Porto Rico, pays de l’Amérique latine, qui passera bientôt par une épreuve difficile dans le plébiscite de laquelle il doit décider son statut définitif qui pourrait le faire devenir un nouvel Etat Nord Américain.

Le Parti Indépendant et son leader Ruben Berrios, ont ses convictions enracinées dans la Démocratie, et demandent notre coopération. Si le Parti Socialiste Populaire de Porto Rico, de tendance Marxiste- Léniniste, compte sur l’appui militant des nations de champ socialiste, pourquoi condamner notre allié naturel à l’isolement, à l’abandon et à l’oubli ?

L’Internationale Socialiste doit-elle abandonner cette victoire à nos compétiteurs idéologiques ?

L’Internationale Socialiste peut-elle se tenir en dehors d’un processus dans lequel des personnalités nord-américaines, des convictions démocratiques à toute épreuve, s’opposeront à la Conversion de Puerto Rico en un Etat membre des Etats-Unis ?

Au commencement du XIXe siècle a commencé dans notre continent la lutte pour l’indépendance. Aujourd’hui, plus de 150 ans après, nos peuples essaient de consolider cette indépendance en l’affermissant sur les fondements durables des conquêtes économiques et sociales.

Le moyen employé par nos nations pour atteindre cette première souveraineté fut l’épée vengeresse de nos libérateurs. Aujourd’hui nous devons, pour compléter leur œuvre, vaincre ces épées mêmes, retournées contre le cœur blessé des peuples ; les épées qui, au service d’autres mains, saignent le corps blessé de l’Amérique latine.

Le Socialisme Démocratique est le chemin, l’espoir qui tiendra en vie notre foi dans la liberté et qui permettra notre marche sûre vers la justice sociale. Le Socialisme nous conduira vers la victoire, de même que l’étoile polaire guide, dans les dimensions des cieux, les navigateurs, perdus dans les solitudes de la mer, vers la terre ferme, vers la fin de toute mésaventure et de toute inquiétude.

[1] Secrétaire Général du Parti Révolutionnaire Dominicain.