Willy Brandt
Développements et sociétés

PAIX ET DEVELOPPEMENT

Ethiopiques n°17

revue socialiste de culture négro-africaine

janvier 1979

Paix et développement [1]

Aujourd’hui, la Démocratie Sociale et le Socialisme Démocratique s’appuient sur beaucoup de sources. Le fait que nous nous sommes donné pour tâche de surmonter une certaine étroitesse d’esprit régionaliste représente non pas tant un effort d’organisation qu’une entreprise intellectuelle et politique.

Ceci ne signifie pas que nous soyons un Parti international ou que nous désirions le devenir. Nous ne sommes pas une société fermée, mais une association de Partis indépendants, dont les représentants pensent qu’ils peuvent apprendre l’un de l’autre, et peuvent par leurs efforts conjoints réaliser quelque chose d’utile.

A mon avis, notre réunion sera utile, même si notre seul succès est de clarifier la relation complexe entre « la paix et « le développement » suggérée par notre thème général. Ou même, tout simplement, la relation qui vient immédiatement à l’esprit lorsque, d’une part, nous nous alarmons à l’idée de la course aux armements et, d’autre part, nous prenons une conscience brûlante du fait que des millions et des millions de nos frères humains meurent littéralement de faim.

Nous connaissons l’expression : la guerre est à l’origine de tout. De nos jours, les conséquences d’une grande guerre sont pratiquement inimaginables. Par conséquent, seule la paix peut être à la source de tout.

A moins que nous et d’autres qui assument des responsabilités politiques – ne réussissions à établir la paix là où la guerre sévit encore, et à assurer la paix partout où de nouveaux conflits menacent, nous ne réaliserons jamais ce que les Socio-démocrates recherchent depuis si longtemps : un monde où la liberté, la justice et la solidarité font partie de la vie quotidienne de chacun.

La résolution des différences entre ce que nous appelons, pour simplifier, le Nord et le Sud est devenu une autre composante de la politique de paix. Ceci comporte nos obligations envers nos frères humains et, en même temps, un intérêt bien compris.

Naturellement, ceci nous met également face à face avec le problème de savoir quand il deviendra possible de surmonter les phénomènes de crises dans les économies internationales et de trouver un nouveau fondement pour les relations internationales.

Dans les pays industriels développés, nous avons la tâche supplémentaire de nous assurer que les citoyens libres reçoivent une part de plus en plus importante dans tous les processus de décision fondamentaux, ce qui leur permet guidés par les principes de la Démocratie Sociale de participer à la tâche de mettre les changements technologiques inévitables au service d’une société digne de l’humanité.

Nous ne serons à la hauteur de ce défi que si nous nous arrangeons pour arrêter la course aux armements et assurons la promotion du « développement » à grande échelle.

Nos sociétés sont toutes différentes. Mais nous sommes tous unis dans l’effort de créer des systèmes démocratiques dans lesquels le principe social dominant est non pas la détermination de l’extérieur ou d’en haut, mais l’autodétermination responsable.

Plus notre discussion de la relation entre paix et développement deviendra concrète, plus le résultat en sera clair : quiconque ne donne pas d’importance égale à ces deux composantes finira par ne rien réaliser.

Intensifier les efforts

Mon sujet central sera la situation des relations entre l’Est et l’Ouest, car c’est là la question dont dépend encore le plus la paix dans le monde, et tout le monde devrait prendre conscience de son impact sur le problème Nord-Sud.

La décennie du désarmement proclamée par les Nations Unies va bientôt se terminer. Dans cette période, il y a eu un nombre important d’accords et de négociations dont nous ne voulons pas sous-estimer l’importance. Toutefois dans l’ensemble, on ne peut s’empêcher de déclarer qu’au cours de cette décennie, les armements ont été poussés à un niveau inconnu jusqu’ici.

Si l’humanité veut survivre aux années 80 sans catastrophes importantes, il est impossible qu’elle continue comme par le passé. Imaginez seulement l’effet produit si les dépenses d’armements, qui à l’heure actuelle dépassent quatre cents milliards de dollars par an, allaient doubler ou même tripler en valeurs réelles.

L’Assemblée Générale extraordinaire des Nations Unies au début de cette année a peut-être contribué à faire prendre plus fièrement conscience aux gens de l’importance du danger. Ce qu’il faut maintenant, c’est que toutes les forces responsables dans le monde entier intensifient leurs efforts pour s’assurer que les intentions exprimées dans la déclaration finale de New-York entraînent des accords efficaces.

La transformation de la Conférence de Genève en un Comité étendu du désarmement peut être un premier pas dans la bonne direction. Il faut se féliciter de la participation de la France. Toutefois, il faudra faire d’autres pas très bientôt car le temps presse. .

Les problèmes de prolifération nucléaire, par exemple, qui me semblent parfois se perdre dans la discussion de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, vont très bientôt demander une réponse complète et systématique.

Les deux puissances mondiales nucléaires ont une responsabilité particulière dans le domaine de la politique des armements. On leur demande d’être les régulateurs du contrôle des armements et de la limitation des armes. Il faudra qu’elles s’ajustent plus à la hauteur de ce rôle qu’elles ne l’on fait jusqu’ici.

Les efforts déployés pendant des années pour obtenir un accord dans le domaine de la limitation des armes stratégiques qui est le point essentiel de la politique de limitation des armes entre ces deux pays n’ont jusqu’ici eu qu’un succès limité.

Soyons réalistes : chaque fois qu’un accord a été effectivement atteint dans l’accord SALT I qui a depuis expiré, et dans l’accord de Vladivostok cela n’a été possible que parce qu’en même temps chaque côté a accepté l’augmentation des armements chez l’autre.

Selon ce qu’on nous dit, SALT II amènera une certaine stabilisation des questions de sécurité entre l’Est et l’Ouest. Il faut donc que cet accord soit conclu et ratifié aussitôt que possible.

Nous pouvons, bien sûr, comprendre ceux qui se sont récemment montrés sceptiques. Mais tous ceux qui doivent prendre des décisions pertinentes doivent avoir conscience des conséquences d’un échec possible de ces conférences.

Dans cette ligne, les grandes puissances devraient, dès que possible, commencer à négocier un troisième traité SALT, qui en fin de compte doit instaurer des réductions importantes au niveau qualitatif comme quantitatif, sans demander de règlements compensatoires dans d’autres domaines.

Les experts indiquent qu’ils ne faut pas se concentrer tant, ni si exclusivement, sur la limitation d’armes particulières, mais plutôt sur la manière de restreindre les possibilités d’utilisation.

Ceci ne demandera ni plus ni moins qu’une coopération d’ordre politique dans le but d’assurer la paix. Ceci ne peut être atteint que si chaque côté accepte la volonté de paix de l’autre. Il n’est plus possible d’exclure de ses propres considérations de sécurité et de ses propres positions de négociation les intérêts légitimes de l’autre côté quant à la sécurité.

Après SALT II, on accordera une importance particulière aux négociations menées depuis quelques années à Vienne dans le but d’amener des réductions mutuelles de forces et d’armements en Europe Centrale, et de lier ces réductions à des mesures appropriées.

On a fait récemment des progrès dans ce domaine aussi. Mais à plusieurs reprises, il y a eu des retards beaucoup trop longs, en particulier parce que les deux côtés ont tendance à commencer par indiquer ce qui les sépare et à sous estimer tout rapprochement évident.

Comme vous le savez, l’Alliance occidentale prépare un accord qui, tout en recherchant la parité et en maintenant le principe de la collectivité, mène à des réductions de forces et de certaines armes des deux côtés. Ceci est raisonnable dans la mesure où l’Europe, dans les conditions actuelles, a besoin d’un équilibre de sécurité qui rende de plus en plus improbable une attaque surprise, assurant ainsi une sécurité plus grande aux deux parties.

Les conversations tenues à Bonn au début de cette année, et le fait qu’au cours de ces conversations la partie soviétique a démontré qu’elle était prête à coopérer pour atteindre « une égalité grossière » des forces conventionnelles, ainsi que la dernière initiative conjointe MBFR lancée par les Alliés occidentaux avec la réponse des partenaires orientaux dans la négociation, nous semblent significatives. Car cela semble révéler que nous avons une bonne chance d’en arriver à un accord correspondant.

Toutefois, un fait très critique est la mise au point croissante d’armes qui ne sont incluses ni dans les négociations entre les puissances nucléaires ni dans les conversations de Vienne. Ceci augmente le risque que, même si nous en arrivons, d’une part, à limiter jusqu’à un certain point les troupes et les armes, il pourrait se produire une augmentation d’armements par d’autres moyens.

C’est pourquoi tous les types d’armements, y compris ceux qui sont encore en cours de mise au point, devraient être soumis aux négociations. De ce point de vue, les efforts pour atteindre un accord ne doivent ignorer aucun domaine, si nous voulons éviter que la détente en soit affectée jusqu’au cœur. C’est là aussi un point à discuter après SALT II. La décision politique concernant la mise au point d’armes qualitativement nouvelles ne doit pas nécessairement résulter en la construction de ces armes, et la décision de construire ces armes ne doit pas nécessairement mener à leur déploiement.

Les questions de désarmement ont été des points cruciaux dans nos efforts depuis le Congrès de Genève, il y a deux ans.

La réaction remarquable à notre Conférence Spéciale organisée à Helsinki a démontré que notre engagement ne manque pas d’effet. Un groupe d’études établi par le Bureau en mai se prépare à élaborer des propositions concrètes. Je vous demande instamment d’appuyer leur effort chaque fois que c’est possible, et d’envisager constamment ce que nos Partis individuels peuvent faire dans l’intérêt de la détente et du désarmement.

Par exemple : l’imminente campagne électorale du Parlement de la Communauté Européenne offrira à ceux d’entre nous qui y participerons une chance exceptionnelle de démontrer notre engagement dans la politique de paix.

Le niveau actuel de détente politique ne durera pas s’il n’est pas assuré et appuyé par des accords efficaces dans le domaine militaire. Et nous sommes tous tenus d’être à la hauteur de l’engagement qui nous vient d’un grand héritage historique.

Les plantes délicates de la détente

Ne faisons pas d’erreurs là-dessus : la politique de détente a obtenu un bon nombre de résultats au cours des dix dernières années. Et les socio-démocrates y ont apporté leur contribution.

La probabilité d’un conflit armé entre l’Est et l’Ouest s’est relativement réduite après tout, et les frontières de l’Europe, qui ont toujours constitué une source particulière de danger, sont maintenant respectées de manière telle que personne n’a à se faire de soucis.

Le processus difficile consistant à établir des relations normales entre anciens ennemis et à les réconcilier ne s’arrête plus à un rideau de fer. La Conférence Européenne d’Helsinki au milieu de 1975 – avec participation des USA et du Canada – est une preuve visible de tous que la volonté de coopération est devenue, dans bien des cas, plus forte que la tendance à la confrontation.

Par contre, nous avons également eu quelques revers alarmants dans le processus de la détente. Bien des points que nous considérons comme acquis se sont révélés être des plantes délicates que le gel pouvait tuer d’un jour à l’autre.

Nous aurons donc pour tâche de continuer nos efforts systématiques de détente dans les années 80, sans illusion, mais avec l’esprit ouvert. J’ai toujours été convaincu, et je le suis encore, qu’il n’y a pas d’autres solutions raisonnables que cette politique. Qui pourrait obtenir une satisfaction ou un avantage à revenir à la guerre froide avec ses rigidités et ses dangers ?

Il devient de plus en plus évident que c’est une sérieuse erreur de supposer qu’une détérioration du climat général entre l’Est et l’Ouest pourrait fort bien être acceptable sans risque pour les accords nécessaires et possibles qui servent les intérêts essentiels de toutes les parties concernées.

Le processus de détente comporte de très importantes composantes psychologiques qui, bien sûr, ne sont pas restreintes à l’Europe, à l’Amérique du Nord et à l’Union Soviétique. Elles comportent des questions humanitaires et, en particulier, la réalisation que tout doute porté sur la continuité d’une direction pourrait avoir des effets dangereux. La franchise et la fiabilité sont des vertus qui, particulièrement en politique étrangère, sont indispensables.

Ce qu’il nous faut vraiment, c’est une confiance nouvelle et supplémentaire, qui prend tout à fait en compte les différences d’intérêt et de conviction. Par conséquent, tous ceux qui ont un rôle important pour la détente doivent essayer d’éviter une politique de provocation sans avantage. Autrement, ces attitudes pourraient prendre de l’élan, ce qui nous renverrait à la période des confrontations dangereuses.

La Conférence sur la Sécurité et la Coopération qui, à l’époque, et même plus tard, a été mésestimée fut un point marquant dans l’histoire de l’Europe et des relations Est-Ouest. Toutefois, il ne faut pas essayer de se convaincre que tous les Etats signataires se sont engagés à adopter des systèmes politiques semblables aux démocraties occidentales.

Le contraste entre systèmes politiques fondamentalement différents semblable à celui entre intérêt de puissance prétendue ou véritable ne peut pas se résoudre simplement par des compromis fondés sur des formules, ni par des incantations. Le respect des droits souverains et la renonciation à l’intervention dans les affaires internes d’autres nations c’est-à-dire, au point où en sont les choses dans notre monde, des gouvernements qui représentent d’une manière ou d’une autre ces nations – font partie des constituants essentiels de l’acte final de l’accord d’Helsinki.

Et pourtant, il vaut la peine de négocier des questions concrètes d’intérêt commun et de lutter pour faciliter les choses aux gens. Dans mon pays, nous avons vu qu’il était possible, au cours des dernières années, de faciliter la vie de beaucoup d’êtres humains.

Les nations sont accessibles à tous les arguments qui leur montrent clairement que la poursuite de la détente revient à des travaux terre-à-terre et persévérants dans l’intérêt de la paix et au nom des gens.

Il nous faut être infatigables dans nos efforts pour démontrer clairement le fait que la détente, quand on la conçoit bien, est – en dépit de toutes les différences – dans l’intérêt commun et, si on la recherche correctement, sera avantageuse pour tous. Dans ce but, des progrès supplémentaires tangibles en politique pratique seraient beaucoup plus utiles que tout discours, si beau soit-il.

Certainement, la première réunion complémentaire de la Conférence Européenne à Belgrade, en mars de cette année, n’a pas été un brillant succès, mais plutôt un succès modéré. Il nous faut maintenant considérer les moyens d’améliorer les préparatifs pour la deuxième réunion d’examens prévue pour Madrid en 1980. On n’obtiendra rien par une vaine polémique.

Les préparatifs pour les conversations de 1980 pourraient bien profiter des discussions concrètes qui ont effectivement eu lieu avant et pendant la réunion de Madrid à un niveau politique plus élevé. Sans vouloir rien enlever aux fonctionnaires compétents, voilà encore une autre occasion où la direction politique est nécessaire.

Les trois réunions d’experts prévues à Belgrade devraient être quelque peu utiles. Tous les participants du C.S.C.E. conservent l’obligation de mener à bien les tâches établies par l’acte de l’accord d’Helsinki, même s’ils adoptent des mesures unilatérales ou bilatérales.

Un exemple en est la promotion de la coopération économique et technologique. Un autre exemple en est l’effort de stabiliser la paix dans la Méditerranée orientale, et sous ce rapport, nous voudrions expressément encourager les forces politiques de Turquie et de Grèce qui sont nos amis.

Tout en faisant ces efforts, nous ne devons pas nous restreindre aux questions européennes ou atlantiques. Il nous faut prendre en considération les changements de la carte politique du monde depuis le début de l’ère postcoloniale.

Ceci est également vrai pour bien des initiatives positives lancées par le groupe des nations non-alignées qui aident à compenser les raidissements de positions prises par les blocs opposés. L’attitude plus ouverte de la République Populaire de Chine mérite une attention particulière. Aucun d’entre nous ne voudrait sous-estimer les implications de cette nouvelle attitude, en fait et en puissance, quant à la détente et à la coopération internationale.

L’Internationale Socialiste n’a pas manqué de succès dans ses efforts pour jouer un rôle actif dans la poursuite de la détente. Pour ne citer qu’un exemple, je vous rappellerai notre réunion de Chefs de Partis et de Gouvernements à Amsterdam au début de l’an dernier où nous avons essayé d’harmoniser nos positions sur Belgrade et d’éviter l’adoption d’attitudes rigides.

Plusieurs de nos Partis affiliés se sont également servis de conversations directes avec des forces politiquement responsables en Europe de l’Est pour atteindre ce but. C’est là un autre domaine où nous pouvons faire échange d’expériences. Il est vrai que sous ce rapport, notre Internationale n’est pas en tant que telle un partenaire convenable pour les négociations. Si c’était le cas, nous aurions donné à notre association une nature différente de celle que nous avons définie.

Mais ceci ne contredit pas ce que nous avons conseillé à notre groupe d’études sur le sujet du désarmement, à savoir le recueil d’informations à Moscou comme à Washington, chez le groupe de nations non-alignées comme chez le Secrétaire Général des Nations Unies, et d’inclure tous les renseignements utiles dans les rapports.

Dans les années à venir, nous allons continuer à faire tous les efforts possibles pour consolider les fondements de la détente. Nous allons harmoniser de nouvelles initiatives et utiliser notre influence pour faire entendre dans le monde entier la voix de la raison et du bon sens.

Nord-Sud, Est-Ouest et Droits de l’Homme

Les relations entre l’Est et l’Ouest et les relations entre le Nord et le Sud sont marquées par toute une variété de liens.

Le sort des nations de ce que nous appelons le Tiers-Monde dépend, de manière décisive, de notre succès dans la réduction des tensions entre l’Est et l’Ouest, ce qui créera des conditions indispensables pour une paix internationale durable ; de notre succès dans l’arrêt de la course aux armements et dans l’incorporation des ressources ainsi libérées au processus de développement : et de notre succès à augmenter la coopération économique entre les nations qui ont des systèmes politiques différents et à la mettre au service d’une coopération efficace entre le Nord et le Sud.

Si toutes les nations industrialisées, quelles que soient leurs traditions historiques et leurs constitutions sociales réelles, se considéraient responsables de l’égalisation entre le Nord et le Sud, et s’arrangeaient pour que cette responsabilité soit reflétée dans leurs politiques, on observerait une amélioration importante des préconditions à une solution des problèmes auxquels nous faisons face. Toutefois, personne ne peut justifier son manque d’initiative en mentionnant les lacunes des autres.

L’Internationale Socialiste a fait un effort pour donner une forme concrète à l’offensive annoncée à Genève pour une restructuration des relations Nord-Sud. Et je suis bien convaincu que notre Congrès ici à Vancouver prendra des initiatives importantes sur ce point.

Je ne veux pas accabler le Congrès d’une responsabilité que j’ai assumée, avec certains de nos amis, en une autre occasion : comme vous le savez, en tant que Président d’une Commission indépendante, je me suis engagé à soumettre un rapport au Secrétaire Général des Nations-Unies et en même temps aux gouvernements et au public international intéressé au cours de la deuxième moitié de l’an prochain, avec des propositions quant à la manière d’accélérer le progrès dans le domaine des relations Nord-Sud, et ainsi de réorganiser les relations économiques globales.

D’une part, nous avons les négociations courantes entre les gouvernements ; et elles ont peu de succès. D’autre part, il nous faut faire des préparatifs sérieux pour les besoins qu’il faudra satisfaire dans les années 1980 et chaque fois que possible – en vue de l’an 2000. Ici je voudrais ne mentionner que quatre directives :

Premièrement nous devrions sérieusement entreprendre la tâche d’aider à surmonter la faim dans le monde avant la fin de ce siècle. Ceci est en fait possible. Mais ce ne sera pas une tâche facile ; au cours des dix dernières années, le nombre de personnes souffrant de famine n’a pas diminué, il a en fait augmenté.

Notre deuxième tâche sera de clarifier l’intérêt commun qui relie les nations développées et les nations en voie de développement, tout en attirant l’attention sur le fait que la solidarité est un besoin urgent, ainsi qu’une augmentation considérable dans le transfert des ressources.

Troisièmement : L’expérience a montré que les institutions établies après la deuxième guerre mondiale doivent être développées et réorganisées de manière à satisfaire les intérêts qui se présentent dans l’ère post-coloniale.

Quatrièmement : Même s’il n’y avait aucune priorité déclarée à ce point par les Nations Unies, il nous faudrait nous entre l’armement et le développement. Si l’humanité peut éviter la catastrophe et passer les années 1980, nous serons contraints de faire face à la question de savoir comment dépenser de manière plus valable une partie des ressources qui étaient jusqu’ici allouées aux objectifs militaires.

Je veux faire savoir à nos amis de l’Amérique latine et des pays des Antilles que nous sommes convaincus que dans la partie de ce continent il y a des changements très importants. Le despotisme militaire et la suppression de la liberté sont certainement des moyens peu convenables pour résoudre les problèmes auxquels font face leurs pays. Nous désirons être des compagnons utiles dans leurs efforts pour orienter les modes d’opérations de leurs nations vers la démocratie et la stabilité sociale. Il ne sera pas inapproprié de vous rappeler que dans une certaine mesure, la manière dont Washington fait sentir son influence reste importante.

Nous sommes particulièrement intéressés par l’amélioration de nos contacts avec des groupes d’orientations semblables au nôtre dans les vastes régions de L’Asie et des pays du Pacifique. Nous avons encore beaucoup à apprendre – et la plupart d’entre nous aimeraient partager les expériences tirées d’un héritage culturel si varié et si riche. Et ceci est vrai, bien sûr, non seulement pour l’Inde et les autres grandes nations, mais aussi pour les nations un peu moins grandes et les plus petites. Après la Conférence de Tokyo, nous espérons que la session de demain soir nous fera sentir que nous avons fait quelques progrès.

Dans les Etats d’Afrique les gens savent déjà, ou bien nous espérons qu’ils sauront mieux bientôt, que nous appuyons leur indépendance, que nous respectons pleinement leur dégoût des attitudes protectrices, et que nous sommes heureux de leurs efforts pour résoudre leurs problèmes eux-mêmes, en dépit des nombreuses interventions extérieures. Il y a de bonnes raisons pour le fait que la résolution qui nous est proposée déclare que l’Afrique doit être maintenue libre des rivalités des politiques de puissance.

Vous comprendrez que je désire faire un commentaire supplémentaire sur la situation dans L’Afrique ancestrale. Jusqu’ici, il n’a pas été possible de libérer la Namibie et le Zimbabwé de l’oppression coloniale et de leur offrir l’accès à la Communauté des Etats indépendants. En Afrique du Sud même, un régime rétrograde s’efforce d’étendre le système de discrimination raciale. Il n’y a personne convaincu de nos valeurs communes qui puisse rester inactif alors que l’on ignore ouvertement les droits de l’homme de manière systématique.

La nécessité d’effectuer des changements est si urgente, et la patience de nos amis d’Afrique est tellement épuisée qu’il ne sera possible d’éviter un conflit important avec des résultats destructeurs inévitables pour les gens de toute la région que si l’on met en place rapidement des mesures de chargement pacifique par une action conjointe de la communauté internationale. Dans le cas de la Namibie, les Nations Unies se sont mises d’accord sur un plan selon lequel, au milieu de l’an prochain, l’indépendance pourrait être obtenue par des élections libres sous la surveillance des Nations Unies. Toutefois, l’Afrique du Sud n’a pas apporté beaucoup d’aide en ce qui concerne cette proposition pragmatique. Malgré tout, la réalisation de ce plan doit être poursuivie sans interruption. La Namibie pourrait constituer le modèle d’une solution plus générale des conflits existants.

Un autre sujet d’actualité sur lequel on s’attendra que je fasse un commentaire découle des efforts en cours pour atteindre la paix dans le Moyen Orient.

Je désire exprimer l’espoir pressant que le chemin pris ensemble par l’Egypte et Israël, dans le but d’une paix organisée, sera suivi jusqu’au bout avec responsabilité, avec détermination, et avec un minimum de perte de temps. Partout où notre encouragement et notre appui peuvent être utiles, ne les épargnons pas. J’ai conscience de l’importance de tous les facteurs qui contribuent à l’aspect de cette région, et je suis convaincu qu’une solution satisfaisante pourra être aussi trouvée pour les intérêts légitimes des Arabes de Palestine. Tous ceux qui ont une part directe et tous ceux qui sont indirectement touchés doivent reconnaître qu’il faut éviter les perturbations ; et quelle libération, si au cours des quelques années à venir, ce centre de tempête politique devient une région de bon voisinage et de coopération pacifique !

Nous avons conscience du fait que tout ce qui concerne le Nord-Sud ou l’Est-Ouest est en même temps lié à la réalisation des droits de l’homme.

Mais nous appliquerions des normes incorrectes, c’est-à-dire des normes qui sont trop marquées par l’Europe ou l’Amérique du Nord si, dans la poursuite de nos efforts légitimes et nécessaires pour les droits de l’individu, nous ignorions le problème aussi important des droits sociaux. Celui dont la vie est exposée à la pire des misères ne peut avoir qu’un intérêt mineur aux autres droits de l’homme.

Le Socialisme démocratique appuie les exigences de liberté et encourage l’expérience des droits de l’homme. Nous continuerons à protester lorsque l’on torture des gens – en particulier lorsque ceci se produit sous une étiquette usurpée de Socialisme.

Beaucoup d’entre nous ont eu des expériences amères. Nous n’avons pas besoin de leçons supplémentaires après l’école. Et c’est pourquoi nous ne nous laisserons pas entraîner à avilir le débat sur les droits de l’homme, en en faisant un tambour que l’on puisse utiliser à des fins tout autres.

Les notes discordantes ne doivent pas nous détourner de notre croyance que la poursuite d’une politique constructive de paix et de développement est la meilleure manière d’aider les gens du monde entier à obtenir leur droit. Dans cette foi, nous sommes aussi à l’unisson du Président des Etats-Unis.

Il y a deux ans seulement, nos amis espagnols travaillaient encore dans des conditions semi-légales ; depuis, ils sont devenus la force politique la plus solide de leur pays. Il y a deux ans également, certains de nos amis Indiens, qui partagent aujourd’hui les responsabilités du gouvernement dans des conditions difficiles, étaient encore en prison. A Genève, Pena Gomez nous adressait un appel pressant quant au futur de son pays ; maintenant un président socio-démocrate est à la tête de la République Dominicaine.

Si je dis cela, ce n’est pas pour faire preuve d’un optimisme trop naïf. Nous sommes constamment mis à l’épreuve. Et ce n’est qu’en nous affirmant nous mêmes constamment que nous pourrons nous dresser devant ceux qui, à ce moment même, à cause de leurs croyances, ou de leur origine, ou parce qu’ils sont victimes d’une tyrannie aveugle, sont pourchassés et tourmentés.

Trouver une interprétation mondiale du socialisme

Dans les années à venir, nous voulons arranger pour notre Association de Partis indépendants plus encore que nous ne l’avons fait dans le passé, une position telle qu’elle puisse nous servir de cadre pour un échange efficace d’idées et d’expériences.

Pour modifier une expression bien connue : la coopération internationale est bien trop importante pour la laisser aux seuls gouvernements. Mais il ne faut pas oublier que certains de nos amis, en grand nombre portent aujourd’hui la responsabilité du gouvernement. Ceux qui ne pouvaient pas être présents ici nous ont envoyé leurs salutations et nous leur répondons sincèrement.

Il nous faut essayer très fort de renforcer le rôle joué par notre Association en tant que partenaire désirable pour des discussions avec les partis et mouvements dans les diverses parties du monde – y compris les Etats-Unis qui s’intéressent à nos expériences. Cela veut dire :

Premièrement, nous ne devons pas nous lancer dans une activité missionnaire, mais plutôt ouvrir l’oreille aux préoccupations et aux problèmes de ceux qui travaillent dans des conditions différentes de celles que connaissent la plupart d’entre nous. Cela doit signifier être prêt à accepter les critiques et à les prendre en compte.

Il nous faut faire de notre mieux pour continuer les offensives que nous nous sommes fixées au Congrès de Genève. Car ce qui était vrai il y a deux ans reste vrai aujourd’hui : les contributions réussies à la réduction des tensions, un engagement actif envers le développement d’une économie mondiale plus équitable, et une prise de position ferme et réaliste en faveur des droits de l’homme – ce sont là les meilleurs efforts dont nous soyons capables ensemble pour réaliser ce dont nous parlons dans le thème général de notre Congrès : un monde en développement pacifique, dans lequel la vie vaut d’être vécue.

Il nous faudra faire attention à ne pas abuser de nos forces. La plupart d’entre nous sont occupés à travailler dans nos propres pays. Il serait donc sage de prendre garde au nombre d’initiatives et de réunions auxquelles nous participons, de manière à nous assurer de ce que nous pouvons attendre de nous-mêmes.

De plus, un autre grand effort nous attend, si nous décidons de l’entreprendre : un échange de vues intense sur les valeurs et principes fondamentaux qui devraient servir de base commune plus claire pour nous guider dans notre travail international.

Il ne faut pas sous-estimer l’importance de cette tâche. Ce que nous avons à l’esprit n’est pas moins que de trouver, pour la première fois, une interprétation mondiale du Socialisme démocratique.

Je pense qu’il faut prendre garde dans cette discussion. Et nous ne devrions pas résoudre de prendre à notre prochain Congrès des décisions sur les résultats, sous la forme d’une déclaration genre programme. Pour cette discussion, je l’espère, nous allons attirer certains meilleurs esprits de notre temps – y compris ceux qui expriment les attentes et les doutes de la jeune génération – cette discussion elle-même peut être au moins aussi importante que son issue.

Après tout cela, ce ne serait pas vraiment une si mauvaise perspective que de pouvoir dire : après un dur labeur dans les années 80, les années 90 devraient constituer une décennie d’expansion dans le monde entier de la Démocratie sociale.

Depuis la déclaration de principes de Francfort en 1951, le monde qui nous entoure a radicalement changé dans de nombreux domaines. Nous faisons vraiment face à des défis dont nous ne pouvions pas savoir grand-chose il y a trente ans.

Bien sûr, je ne peux pas vous donner ici la structure du débat proposé. Mais j’aimerais mentionner quelques questions qui sont aussi au premier plan dans les esprits des jeunes :

Que faut-il faire et que pouvons-nous faire pour surmonter les crises structurales à source profonde dans lesquelles l’économie mondiale s’est embourbée ? Comment peut-on créer des occasions d’emploi assez sûres pour survivre à encore une autre série d’innovations ? Comment peut-on prendre le contrôle des dangers qui menacent notre environnement naturel ?

De plus : pourrons-nous arriver à trouver un équilibre approprié entre l’exigence de liberté des citoyens et leur exigence compréhensible de sécurité ? Et ceci en des temps où les organisations bureaucratiques sont triomphantes, où la violence à motivation publique se répand, et où l’utilisation de l’atome et l’effet de l’électronique posent de nouvelles menaces à la liberté. Comment pourrons-nous compenser une aliénation croissante entre les citoyens et l’Etat même lorsque ce dernier est démocratique et légitime ?

Et une autre question : quel sera l’effet sur nous des divers développements qui se font jour dans certains des gros partis qui continuent à croire qu’ils sont communistes ? Que devrait être notre réponse à l’émergence, dans certains pays, d’un libéralisme à orientation sociale et aux tendances progressistes dans certains domaines des Partis Chrétiens Démocratiques ?

Il sera manifestement plus facile de faire opposition à l’Internationale de ses personnages louches dont les esprits sont encore enracinés dans des schémas de pensées réactionnaires et dépassés, et qui ne peuvent s’attendre que nous les suivions dans leurs détours politiques

Beaucoup d’entre nous savent qu’il devient plus difficile de trouver des réponses assez satisfaisantes aux questions pressantes que pose la nouvelle génération. Il n’y a vraiment pas de solutions toutes faites.

Il sera donc très important dans notre échange de vue sur les questions fondamentales, de refléter cette ouverture qui a toujours caractérisé notre mouvement dans ses meilleures périodes. Nous avons toujours besoin de nouveaux élans.

C’est pourquoi nous devrions aussi être ouverts à tous les groupes éclairés dans diverses parties du monde, qui s’efforcent de trouver des solutions fondées sur la liberté et la justice sociale aux problèmes centraux de nos sociétés, des groupes régionaux et des relations internationales.

Ceci est particulièrement vrai pour les groupes avides de liberté dans les diverses régions du Tiers-Monde, qui se préparent à élaborer leurs propres modèles sociaux, démocratiques et indépendants.

La tâche qui se présente à l’internationale Socialiste, comme je la comprends, est de ne jamais se fatiguer de déclarer clairement : nous n’avons pas de monopole sur la vérité et sur le droit, mais ensemble avec tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté, nous voulons trouver des moyens convenables menant à une paix durable à l’intérieur et en dehors de nos frontières, une paix qui garantisse la vie des gens et leur développement, et donne à toute nation la place qu’elle mérite.

[1] Discours prononcé au 14e Congrès de l’Internationale Socialiste à Vancouver (novembre 1978).