Développement et sociétés

LE PARTI POLITIQUE EN AFRIQUE : MISSION

Ethiopiques numéro 01

revue socialiste de

culture négro-africaine

1975

Au fil de révolution historique des pays africains, de la colonisation à l’indépendance, la mission du parti politique en Afrique a connu des mutations et fortunes diverses. De la revendication nationaliste et indépendantiste à l’organisation de l’économie en passant par les simples préoccupations électoralistes, le parti a joué et joue encore des rôles qui s’inscrivent tous dans la mouvance des peuples anciennement dépendants et qui aspirent à plus de place dans la communauté internationale et à un plus juste équilibre du mécanisme économique international.

Si l’indépendance a atténué le caractère de pure revendication politique des partis, elle en a aussi accentué le caractère national. En effet, sans parler de la revendication justifiée à l’indépendance et donc de la mission traditionnelle dévolue aux partis dans les territoires encore dépendants, l’on peut considérer que ce sont, aujourd’hui, les motivations nationales nécessaires à l’accomplissement des grands desseins nationaux qui sont a la base des actions des partis. Il est vrai que celles-ci sont, le plus souvent, freinées par des considérations d’ordre tribal ou d’un ordre tenant au chauvinisme politique de leaders charismatiques.

Mais, chez la plupart des pays qui viennent d’accéder à la souveraineté internationale et qui ne sont, de ce fait, que des nations potentielles, l’affirmation d’abord, la consolidation ensuite, du fait national constituent l’un des facteurs primordiaux de survie et donc l’une des tâches les plus urgentes.

EVOLUTION DU JEU POLITIQUE

Ni l’idéal démocratique, ni l’exercice effectif de la démocratie ne sont étrangers à l’Afrique ou les traditions de dialogue, de concertation et de palabre sont considérées comme fondements de la liberté politique, c’est-à-dire du droit de l’individu àparticiper aux affaires de la communauté où il se réalise et en dehors de laquelle il n’est rien. Par contre, la notion de parti politique, telle que consacrée par la science politique moderne, est tout à fait étrangère au continent jusqu’à une date récente.

En dehors de quelques exceptions – dont le Sénégal qui, en 1914 avec le mouvement « jeune Sénégal » et en 1935 avec le Parti socialiste de Maître Lamine Guéye, aura connu ses premières expériences de parti – en Afrique noire de l’Ouest d’expression francophone qui sera le cadre de notre analyse, l’avènement des partis politiques est récent.

Il est directement issu de la situation qui a prévalu après le vote de la constitution française de 1946 et la reconnaissance aux territoires d’outre-mer, du droit à la jouissance des libertés publiques. Il semble que l’Afrique anglophone n’ait pas connu une situation différente car le système d’administration indirecte n’a pas favorisé l’émergence de partis politiques typiquement africains pendant la même période.

Ce défaut de cadre d’exercice d’une vie politique authentique peut être imputé à :

– l’absence d’une conscience nationale chez la plupart des éléments de l’élite africaine qui cherchaient plutôt à trouver les voies et moyens de l’intégration ou de l’assimilation à une époque où le combat pour l’égalité entre les individus à l’intérieur du système, était considéré comme l’objectif principal à atteindre dans les pays coloniaux ;

– l’opposition farouche du système colonial à tout semblant d’organisation politique autonome qui se voulait détachée des partis métropolitains. L’exemple des brimades subies par les partisans du RDA témoignerait des difficultés qu’un parti qui se disait autonome pouvait rencontrer ;

– l’absence de motivations au niveau des clients potentiels qui ne jouissaient d’aucun droit de citoyen en dehors de quelques communes de plein exercice ou les citoyens jaloux de leur privilège, n’étaient que des serviteurs zélés de l’administration coloniale.

Ainsi donc, il était difficile, pendant toute cette période de l’après-guerre, d’appréhender la mission du parti dans le devenir des sociétés africaines. Celle-ci ne pourra être perçue qu’à travers les revendications que formuleront, peu à peu mais avec véhémence, certains leaders africains qui commencent à prendre conscience du problème de I’avenir des territoires. Ils prennent également conscience de l’évolution des rapports avec la métropole, de la personnalité spécifique de leur pays et du particularisme de leurs problèmes par rapport à I’ensemble de la politique métropolitaine. Petit à petit, les grands états-majors africains prennent forme en s’affiliant plus ou moins aux grands partis métropolitains. C’est l’âge de l’électoralisme triomphant où les leaders africains se disputent l’entrée aux assemblées et institutions politiques de la puissance de tutelle pour y réclamer l’application et l’extension des lois métropolitaines aux territoires et les aménagements administratifs qui leur autorisent une plus grande participation à la gestion des affaires coloniales.

Mais les partis métropolitains qui les accueillaient étaient plus soucieux des problèmes de la guerre et des problèmes intérieurs de chez eux et avaient donc tendance à reléguer, au second plan, les problèmes africains que les dirigeants de la colonie avaient à coeur de résoudre. Cette attitude obstinée aussi bien de la gauche que des autres familles de la politique métropolitaine, surtout en France, sera, entre autres raisons, la cause déterminante des premières désaffiliations. C’est ainsi que le RDA sera amené à quitter le groupe communiste un peu plus tard, en 1950 et que un Peu plus tôt, Léopold Sédar Senghor créera le BDS, en 1948 au Sénégal, après avoir critiqué, publiquement, la mainmise de la SFIO qu’il chargea de défendre d’abord ses intérêts électoraux en métropole avant les intérêts politiques des territoires d’outre-mer. Le nouveau parti (le BDS), qui répondait d’avantage aux aspirations populaires et gagnait les campagnes éliminera rapidement la SFIO qui constituait, effectivement, une excroissance greffée sur la vie politique sénégalaise, plutôt qu’un parti sénégalais authentiques », dira Ahmed Mahiou dans son ouvrage intitulé « l’Avènement du parti unique en Afrique noire d’expression française ».

C’est donc véritablement à partir de là qu’il est possible de trouver un cadre et une direction à une expression politique dans ces pays où l’on assiste à un éveil du nationalisme africain. Cela parce que les conditions objectives ont changé avec la loi de 1946 qui, comme un édit de Caracalla aura permis à tous ceux qui, jusqu’à présent, étaient en dehors du Limes, de prétendre aux mêmes droits dont le plus sacré est le droit de vote. Ce cadre débordera très vite les limites territoriales assignées par la colonisation parce que, d’une part les territoires ne sont encore contenus que dans des frontières artificielles, incertaines, susceptibles de bouger car ne dépendant que de la seule volonté du colonisateur et non de critères objectifs tenant à l’ethnie et à la culture ; et que, d’autre part, ampleur de la lutte politique appelle une solidarité qui s’accommode mal d un repliement à l’intérieur d’un seul territoire. L’on verra ainsi se préciser les grandes options de la politique africaine qui vont préluder à l’indépendance. C’est l’affrontement des thèses sur l’évolution des rapports avec la métropole : indépendance ou autonomie interne et sur la nature des relations entre les territoires. Certains partis entendront inscrire leur action à l’intérieur des grands agrégats qu’étaient l’A.O.F. et l’A.E.F. bien que réclament la totalité du pouvoir à l’intérieur de ceux-ci d’autres diront que les frontières imposées par la colonisation sont une réalité dont il serait difficile de ne pas tenir compte et, par conséquent au profit d’un Etat fédéral serait aller à l’aventure. Cette querelles entre partisans et adversaires de la Fédération sera envenimée lors des discussions pour l’adoption de la loi-cadre ; celle-ci devant amener l’instauration d’un gouvernement territorial et forcément, avec l’application du suffrage universel à l’intérieur de chaque territoire, consacrer l’action des partis circonscrite aux limites internationales de chaque pays. Cette bipolarisation des objectifs de la politique africaine, née de cette querelle se prolongera jusqu’à l’avènement de la Communauté issue du referendum de 1958, dont elle va compromettre révolution. Dès le départ, pour les partis politiques africains, le problème était de savoir si la Communauté devait aider à constituer la nation africaine ou la disloquer au profit de petits territoires qui seraient autant d’interlocuteurs pour la France, une fois l’indépendance acquise. A cette question, des partis ont pris position de manière ferme et claire. Dans son rapport au congrès constitutif du Parti de la Fédération Africaine PFA à Dakar, en juillet 1959, M. Senghor dira : « Le but ultime du PFA est l’édification d’une nation négro-africaine de l’Ouest » et M. Doudou Guéye d’ajouter : « Il n’y a pas d’équilibre (au sein de la Communauté) lorsque la France se trouve face à face avec de petits territoires ; le but est, par conséquent, de donner à la France pour partenaires, au lieu d’une douzaine de petits Etats, de grands ensembles et c’est là l’objectif qu’il faut poursuivre ».

Les partis politiques qui s’étaient montrés les adversaires les plus acharnés de la balkanisation auront amplement justifié leur théorie car, après le referendum de 1958 et la mise sur pied des gouvernements territoriaux, les partis se replient sur eux-mêmes. Bien que continuant à prôner un semblant d’unité et de parente les partis, dans les pays où ils se trouvent, réagissent différemment selon les problèmes qu’ils affrontent. La personnalité de leur chef devient un facteur déterminant de leur action. Celui-ci aura désormais, comme préoccupation principale la conquête du pouvoir et sa consolidation. L’indépendance consacrera définitivement cette tendance à faire passer les problèmes intérieurs de chaque Etat avant les problèmes de la Communauté qui ne sont plus envisagés que dans le cadre plus large de l’Unité Africaine ou le cadre intermédiaire de la constitution de grands ensembles sous-régionaux.

NATIONS MODERNES ET MISSION DES PARTIS

Nous avons suivi tout au long de son cheminement historique la mission du parti politique dans l’Ouest africain francophone. Nous avons observé le rôle que le parti a joué dans la constitution des Etats africains modernes de cette zone. Ce rôle ne peut être considéré comme achevé aujourd’hui. Au contraire, il a besoin d’être précise dans cette phase extrêmement critique de la formation des Etats et de l’émergence de la réalité nationale qui s’en suit. De même, ont besoin d’être définis, dans ce cadre, les rapports du Parti avec I’Etat et sa vocation face aux grands thèmes de la politique africaine que sont la décolonisation, l’unité africaine et la coopération africaine et internationale.

Mais ne faut-il pas d’abord s’interroger sur la réalité que cache, de nos jours, en Afrique, un parti politique, pour mieux appréhender son rôle dans la construction d’une nation développée.

La première constatation est que la typologie traditionnelle occidentale, qui distingue parti de cadres et parti de masses, est d’une application difficile à la réalité africaine qui se veut un mouvement d’ensemble et une intégration d’actions complémentaires. Il sera en effet difficile de concevoir une action des cadres isolée de celle des masses dans une entreprise de développement qui appelle à la fois la matière grise et la mobilisation d’énergie. Arthur Lewis,économiste, qui s’est également intéressé à la chose publique en Afrique, pense que la réalité politique africaine ne peut s’analyser à partir du concept occidental de la lutte des classes mais à partir du concept plus spécialement africain de société plurale. Notre point de vue n’est pas différent car la démocratie négro-africaine est participative ; elle n’est pas exclusive. Cela veut dire que les problèmes politiques ne se règlent ni par la domination de la majorité ni par l’exclusion de l’opposition mais par la participation et le dialogue pour aboutir à des solutions qui intéressent tout le monde à « l’accord conciliant », comme dit M. Léopold Sédar Senghor. Ceux qui se sont toujours interrogés sur l’évolution des partis politiques africains et leur tendance vers l’unification ne semblent pas l’avoir compris. L’on a souvent enregistré certaines critiques qui font fi de cette réalité. Certains politicologues trop imbus des théories de la science politique occidentale conçoivent très mal qu’un parti politique, seul au pouvoir, puisse faire jouer la règle démocratique. Pour eux, la démocratie ne se conçoit pas sans le pluralisme des partis.

Tout est question de mesure. La règle du jeu, essentiellement, réside dans la liberté laissée à l’intérieur du système aux différentes tendances. Si la règle devient celle d une unanimité forcée, l’équilibre, est nécessairement fausse car il y a sûrement une minorité ou une majorité qui ne peut s’exprimer. Pour une raison ou une autre. Or ce qu’il faut c’est le concours de tous, organisé par le parti, à l’oeuvre commune qu’est l’édification de l’économie.

Une fois les indépendances acquises, le phénomène le plus remarquable aura été le glissement vers le monopartisme et son corollaire qui est une centralisation de plus en plus poussée du pouvoir et sa monopolisation par le parti domine. Ce glissement est du certainement, à un curieux renversement des choses, car au début la tendance était plutôt au foisonnement des partis dans tous les pays où le colonisateur venait de se retirer en y laissant une certaine conception de sa démocratie liée au multipartisme. Certains leaders africains ont tout de suite dénoncé la multiplication des partis qui était un frein à la réalisation d’un consensus national, seul capable d’aider au redressement. Ils n’hésitaient pas à se livrer à une véritable « chasse aux sorcières » en direction de certains dirigeants trop bouillants de l’opposition qui se voyaient taxer d’antinationaux ou d’éléments inféodés a des idéologies étrangères à l’Afrique. A Madagascar par exemple pour ne citer qu’un exemple de la manière dont le multipartisme a été condamne, le Président Tsiranana déclarait : « Si nous avons actuellement 35 partis à Madagascar, c’est parce que chaque ambitieux veut créer un parti et, souvent, il n’y a que quelques adhérents… 35 partis dans un pays comme le nôtre, c’est honteux. Certains n’atteignent même pas trente personnes » [1].

Il est juste que l’ampleur des tâches qui attendent les jeunes pays qui viennent d’accéder à l’indépendance s’accommode mal du désordre et de la dispersion des énergies. De l’avis général, ces pays ont besoin d’un pouvoir fort. Ce pouvoir fort, c’est un Etat organisé dans une nation unie. C’est du reste le conseil que le général De Gaulle avait donné aux dirigeants du Mali qui lui réclamaient l’indépendance.

0r, la réalité est que cet Etat n’existe même pas encore pour pouvoir se renforcer. Il va falloir le créer à partir des bribes d’administration léguées par le colonisateur et qui ne sont ni adaptées aux réalités du moment ni conformes aux buts nouveaux des pays Dès lors, la mission des partis qui pré-existent aux Etats est de s’atteler à la constitution de ceux-ci. Cela sera d autant plus aisé que pour la plupart des cas. Le chef du parti est, en même temps chef de va l’exécutif. Le parti ayant l’initiative impulse et coordonne l’évolution des institutions en même temps qu’il assume l’implantation de celles-ci par le biais de ses structures décentralisées qui, très souvent, cadrent avec les structures administratives.

 

C’est ainsi que les constitutions africaines organisant le fonctionnement des Etats ont été élaborées ou révisées en fonction de la doctrine que chaque parti a de la conception de ses relations et de sa position vis-à-vis des institutions. Il est arrivé que la constitution prévoit la primauté du parti. C’est du reste ce que réclament en général, les militants même si leur ardeur revendicative est tempérée par la modération et le souci de la primauté du droit des dirigeants comme c’est le cas au Sénégal ou la Constitution est au dessus du parti. En Guinée par contre, le PDG, selon son organisation et sa tendance à la centralisation qui le pousse à rejeter toute force concurrente comme les chefferies traditionnelles, les syndicats etc…, organise un Etat qu’il a soumis aux exigences de sa mission.

Mais, quelle que soit la formule retenue, ça et là, d’un parti qui soumettrait ou non les rouages de l’Etat à ses exigences, l’essentiel est d’arriver à créer un Etat fort qui soit capable de réaliser l’unité nationale. Cette mission n’a pas été perdue de vue. Tous les partis, dès après l’indépendance, ont inscrit aux premiers points de leur programme la construction nationale

Cette tâche, dans certains pays, n’était pas des plus faciles. En effet, dans certaines régions, les différences ethniques sont telles que les luttes et les rivalités tribales pouvaient constituer un obstacle insurmontable pour un parti à vocation nationale qui, à tout moment, pouvait se voir accusé d’être sous la domination de telle ou telle ethnie ou catégorie sociale. Les partis organisés en général selon les principes du centralisme démocratique ont fait jouer à leurs structures de base le rôle d’intégration nécessaire. C’est ainsi que les différences de toutes sortes ont pu être surmontées à ce niveau. Dans le même comité de village par exemple l’on rencontrera, à la besogne militante, différentes ethnies qui partagent la même aire géographique. C’est donc par approches prudentes, au moyen, de structures souples et décentralisées que les partis ont réussi dans leur mission d’édification nationale là où n’existaient, au départ que de vagues sentiments régionalistes mais aucune volonté commune de participer au même dessein.

L’unité nationale en voie de réalisation l’administration réorganisée, il y a les tâches du développement économique, social et culturel qui à présent, demeurent les tâches les plus préoccupantes auxquelles l’Etat aura à faire face.

L’organisation de l’Etat apparaît le comme une chose plus aisée que l’organisation du développement. L’Etat, en tant qu’appareil, s’appuie sur une administration constituée d’éléments sélectionnés. Par contre, le développement s’appuie sur un substrat plus informe d’éléments pas toujours avertis, ni même motivés. Dans ce cas son organisation appelle la mobilisation de moyens non seulement matériels mais surtout humains. Or, une réalité première est que l’Etat, dans les pays sous-développés, n’a pas les maîtrise de tous les moyens d’organisation et de mobilisation qu’il faut pour intervenir de manière efficace dans le développement et pour intéresser tous ceux qui, doivent adhérer et participer à cette oeuvre commune. Il doit nécessairement s’appuyer sur quelque chose il lui faut une courroie de transmission pour faire tourner la machine du développement. Cette jonction entre l’Etat et les populations concernées doit être opérée par l’organisation de masse la plus crédible parce que la plus représentative et la mieux organiser c’est à dire le parti Cela, les dirigeants politiques africains, qu’ils soient chefs de gouvernement ou non, l’ont compris dès le départ eux, qui ont coutume de dire que « l’indépendance politique, sans le développement économiques et social est un leurre

L’indépendance doit s’accompagner d’une promotion sociale des individus, d’un développement de l’éducation, de la santé et, par la prise de conscience de l’identité culturelle africaine, pour tout dire, d’un progrès qui amène l’homme africain réaliser en harmonie avec son univers.

L’accomplissement de cette mission multiforme se traduit d’abord par des tâches d’encadrement, d’animation et de mobilisation. Le rôle d’encadrement du parti de s’inscrit tout droit dans la volonté de celui-ci d’être présent partout afin de réaliser le consensus populaire qui est nécessaire à son action.

Tantôt initiateur, tantôt appui de l’action gouvernementale,le parti organise ses instances de sorte qu’elles coïncident très souvent avec le découpage administratif. C’est donc au niveau des circonscriptions de base qu’il arrive à cerner la réalité de plus près, et c’est le maximum d’efficacité et de précision sa tâche d’encadrement. Au Sénégal, le rôle joué par l’UPS dans l’encadrement du monde rural, au niveau des arrondissements , aussi bien pour la vulgarisation des techniques culturales que pour l’application des décisions du pouvoir central est capital. Il est arrivé que le chef d’arrondissement, très souvent, requiert l’appui de toute autorité morale du secrétaire général de la sous-section d’arrondissement pour récupérer les impôts et les dettes des coopératives ou de matériels prêtés par l’office national de commercialisation et de développement. Au cours de leur tournées dans leur région, les gouverneurs se font accompagner des responsables politiques régionaux, cela non pour paraître plus crédible au regard des population pour amener les militants à se persuader que le parti est associé et que, dès lors, leur mobilisation est requise. Ce rôle est inséparable de celui d’animateur qui fait intervenir, en général, les mouvements qui tantôt sont partie intégrante des formations politiques tantôt en sont des branches autonomes. Ce sont les mouvements des jeunes, des femmes, les syndicats etc…. Ces derniers se donnant, désormais, une vocation plus participative que revendicative, parce que convaincus par le parti que les salariés ne sont pas les couches plus déshéritées de la nation vis-à-vis de l’Etat, la tâche d’animation du parti, se traduit, dans l’administration, par la lutte contre les goulots d’étranglement, la bureaucratie, le ponce-pilatisme et les détournements. Elle embrasse d’autres secteurs de la vie nationale qui ont un grand besoin de dynamisation tels les secteurs rural et urbain où prédominent encore certaines mentalités qui sont des freins au développement, telle la lutte contre certaines croyances et habitudes en milieu rural contraires aux exigences de rendement dans l’agriculture et l’élevage, tels la suppression de certaines formes de gaspillage lors des cérémonies familiales et l’encouragement de l’épargne individuelle par l’instauration d’une véritable discipline budgétaire au niveau des ménages.

C’est là autant de tâches que les partis ne peuvent réaliser que dans une mobilisation et une tension permanentes. Il doit exister au niveau de chaque parti un arc qui sous-tend cette mobilisation et que d’aucuns ont appelé la « mystique du développement ». Chez d’autres, c’est une idéologie plus nettement dégagée. C’est M. Ahomadegbé qui lançait dans un discours : « Il faudra créer une véritable mystique du travail et du développement devant aboutir à l’adhésion volontaire et enthousiaste des masses populaires ».

Quant à l’idéologie nationale, son rôle dans les choix du modèle de développement et des moyens pour y parvenir est capital. Elle préside à la définition des priorités et à la détermination des buts. Elle galvanise ensuite les populations concernées, par les choix, à se mobiliser pour apporter un soutien massif par l’intermédiaire du parti. Ici commence alors le travail d’explication, d’information et de formation ; pour tout dire le travail de propagande mobilisatrice que les partis se doivent de mener, sans relâche, afin de maintenir à un haut degré de tension les motivations laborieuses de leurs militants.

Mais, en dehors de ces tâches d’ordre strictement interne, d’autres, non moins nombreuses et variées, sollicitent les partis politiques africains. En effet, l’accession à la souveraineté internationale des Etats africains leur assigne beaucoup d’obligations aussi bien dans la communauté inter-africaine que dans le concert international. Il y a les objectifs de la décolonisation totale de l’Afrique, il y a ceux de la construction des sous-groupes économiques et ceux de la consolidation des entités politiques déjà existantes. Il y a enfin les objectifs que leur assigne la nécessaire ouverture de l’Afrique au reste du monde, dans un élan de coopération équilibrée avec les autres, coopération fondée sur la paix et le respect réciproque des options de chacun.

L’on a vu le rôle indéniable que les partis, en tant que ferments de l’intégration nationale, ont joué, dès la naissance des Etats, en veillant à ce que les clivages ethniques, sociaux ou régionaux ne constituent, en rien, un obstacle insurmontable à I’unité nationale et, en même temps, en s’érigeant en défenseurs acharnés de l’intégrité territoriale et du principe de la non ingérence dans les affaires intérieures des Etats.

 

L’affirmation non équivoque et ferme, par les partis, d’une conscience nationale à l’intérieur des limites artificielles des Etats peut apparaître comme une entreprise dangereuse voire contraire à toute démarche en vue de faire aboutir rapidement I’unité africaine. Comment, en effet, concilier la nécessité de bâtir celle-ci, proclamée par tous, avec la cristallisation de plus en plus accentuée des nations africaines, avec le renforcement de plus en plus pousse des Etats mais surtout avec la personnalisation plus grande que jamais du pouvoir qui fait que, dans certains pays, les chefs sont nommes à vie ?

Cette question n’a pas été perdue de vue car, malgré tout, tous les partis s’accordent pour s’assigner comme mission première et tâche la plus essentielle, la constitution de l’unité africaine. Bien sûr, les positions sur cette question sont très nuancées. D’aucuns ont prôné l’instauration, sans étape, d’un exécutif supra-national de décision.

Ce à quoi d’autres ont répondu que « c’est aller au devant d’un échec cuisant ». Il semble que la tendance actuelle s’oriente vers la constitution de structures de dialogue très souples sur le plan politique, structures devant instaurer un climat de confiance en vue d’une coopération fructueuse entre partis. Il est évident que les partis, suffisamment avertis des dangers d’une intégration brutale, préfèrent, à présent les groupements dans le cadre des sous-régions en vue de l’intégration des économies régionales au moyen d’organisations techniques spécialisées. Cette attitude procède d’un certain réalisme.

Avant l’indépendance et dans la période qui l’a immédiatement suivie, les partis africains ont failli se perdre dans des combats idéalistes ou la phraséologie l’emportait de loin sur les actes concrets. Aujourd’hui, tout en continuant d’apporter un appui ferme et agissant à ces mêmes idéaux qu’incarne l’OUA, les partis misent davantage sur les organisations qui peuvent agir plus directement et plus immédiatement sur leur vie quotidienne. L’on comprendra ainsi que Sénégalais, Maliens et Mauritaniens soient mobilisables plus facilement, par leur parti respectif, sur des problèmes de l’OMVS qui conditionnent leur développement par l’intégration de leur économie que sur des problèmes très lointains dont ils n’ont que des échos par la radio et le journal. Les leaders de la jeune Afrique ont toujours été ouverts et disponibles pour la coopération. C’est pourquoi, quel que soit le degré d’évolution la coopération africaine et ses résultats, les partis ont toujours inscrit, au premier rang des préoccupations que leur assigne leur mission, l’ouverture au monde, la coopération internationale basée sur le dialogue,la paix et le respect mutuel très vite ils ont cherché à diversifier leurs relations avec l’extérieur. L’ancienne puissance coloniale ayant perdu le monopole des relations exclusives, les pays africains, sous l’impulsion de leurs parti, se sont de nouvelles amitiés dans le but d’accroître le potentiel d’investissement nécessaire à leur développement et en vue de s’ouvrir aux expériences des autres, mais sans imiter celles-ci de manière plate et servile. D’une manière générale, les partis politiques, dans le choix de leur collaboration, ont refusé de se laisser dans des expériences d’autrui. Ils exhortent à réinventer l’Homme africain nouveau qui s’appuyant sur sa culture et sa société, soit capable de recréer, avec les autres, un humanisme nouveau. F. Fanon disait aux « Damnés de Terre » : « Tâchons d’inventer l’homme total que l’Europe à été incapable de faire triompher ».

Cette démarche des partis intègre l’homme africain dans un nouvel ordre de civilisation à inventer. L’Afrique ne peut ni s’y dérober s’y présenter les mains vides. Elle doit y apporter tout le poids de ses valeurs. C’est en cela que la mission des partis est capitale, qui doit y contribuer.