Culture, civilisation et développement

LE MECENAT DE SENGHOR

Ethiopiques 59

revue négro-africaine

de littérature et de philosophie

2ème semestre 1997

 

Senghor 90, Salve Magister

Hommage au Président Léopold Sédar Senghor

A l’Occasion de son 90e anniversaire

 

(Octobre 1996)

 

En tant que Chef d’Etat, Léopold Sédar Senghor est connu pour être un homme de culture, qui a eu à cœur de concevoir et d’appliquer une politique culturelle résolue et hardie, parfois contre vents et marées et qui lui a valu, pendant longtemps, de nombreuses et vives critiques. Dans cette politique culturelle, la dimension relative aux arts plastiques a été particulièrement importante, voire privilégiée.

L’attachement de Senghor à développer et à promouvoir la culture et les arts procède certes de ce qu’il est homme de culture, mais qui, pendant ses vingt années d’exercice du pouvoir politique, s’est révélé comme critique d’art, mécène et esthète, amateur et collectionneur d’art. Et dans son action politique, chacun de ces statuts a imprimé une orientation et un cachet à l’évolution et à la promotion de la culture et des arts.

Il est donc indispensable de prendre en compte chacune de ces fonctions assumées par l’homme d’Etat pour bien apprécier la diversité et la qualité des formes de mécénat qu’il a pu faire instituer par l’Etat.

 

  1. FONDEMENT DE LA POLITIQUE CULTURELLE

Dès l’origine, la politique culturelle du Sénégal a été fondée sur la Négritude-idéologie-politique, idéologie-nationale-démocratique-et-socialiste, en même temps que défense et illustration des valeurs de civilisation nègre, donc conservation du patrimoine culturel traditionnel et enracinement dans ses valeurs, mais aussi ouverture au monde.

La Négritude comportait, dès 1956, une théorie de l’art africain, dont les principaux axes ont été exposés lors du Premier Congrès des Ecrivains et Artistes noirs de Paris, et dans laquelle il recensait les apports artistiques du monde noir à la Civilisation de l’Universel : le rythme et la danse, l’émotivité et la sensibilité, l’image analogique et le parallélisme asymétrique, etc. (Cf. Liberté I. Négritude et Humanisme, 1964), valeurs culturelles qui sont restées des constantes de sa pensée esthétique et sur lesquelles il a voulu bâtir un art nègre moderne, à l’image du Grand « Art nègre », magnifié au début du siècle.

La seconde idée directrice de cette politique est que la culture est en même temps fondement et finalité, condition et moyen du développement politique, économique et social. Dans La Voie africaine du Socialisme (1960, 6), Senghor écrit :

« … L’indépendance de l’esprit, l’indépendance culturelle, est le préalable nécessaire aux autres indépendances : politique, économique et sociale ».

Il poursuit dans Le Socialisme africain et La voie sénégalaise (1976, 39)

« … Je pensais alors – et continue de penser – que la culture est plus importante que la politique : elle en est la condition première et le but ultime ».

Ces convictions fortes fondent toute l’importance que Senghor et l’Etat sénégalais confèrent à la culture dans la politique générale de développement intégral de la Nation sénégalaise ; d’où la priorité accordée, dès l’aube de l’indépendance, à la formation de l’homme, aux arts et aux lettres.

Sur la base de ces idées directrices, Senghor a inspiré et impulsé la politique culturelle du pays, a fait concevoir et adopter des textes législatifs et réglementaires devant servir de principes et cadres aux structures et institutions de prise en charge et de dynamisation de la vie culturelle nationale.

  1. LES TEXTES ET LES STRUCTURES

En dehors de celles qui existaient avant l’indépendance du pays (musée ethnographique de l’IFAN, devenu Musée d’Art africain de l’IFAN Cheikh Anta Diop et le Centre de recherche et de documentation du Sénégal, CRDS de Saint-Louis), toutes les institutions et structures à vocation culturelle ont été créées par des textes législatifs et réglementaires (Lois et décrets). Aujourd’hui, leur diversité, qui empêche tout recensement exhaustif, indique déjà le vaste champ couvert et traduit les ambitions des promoteurs.

Il faut d’abord préciser que le Sénégal est un des tout premiers pays africains au Sud du Sahara à avoir créé un Ministère de la Culture dès 1966. Depuis lors, les textes qui l’ont organisé ont été nombreux et lui ont donné des configurations variables. Les plus importants parmi eux ont été le décret n° 76-1021 du 14 Octobre 1976 et le décret n° 94-342 du 1er Avril 1994, qui le modifie.

Le décret n° 76-1021 assigne des principes et objectifs à la politique culturelle du Gouvernement, que le Ministère de la Culture est chargé d’appliquer ; puis il structure celui-ci en services administratifs, en institutions de recherche et d’action culturelle et en écoles de formation.

Les services administratifs sont constitués par le cabinet du ministre, les services et direction (services des inspections, direction des arts, des lettres et de la propriété intellectuelle, du patrimoine historique et ethnographique, des bibliothèques publiques, etc.) qui lui sont rattachés au niveau national, leurs démembrements aux niveau régional et départemental et les établissements sous tutelle. Le décret n° 94-342 a réduit le nombre de directions de quatre à deux.

Les institutions de recherche sont parmi les plus anciennes structures culturelles. Les Archives culturelles et le Centre d’études des civilisations ont des missions similaires, en tant que structures chargées de la collecte, de la conservation et de la transmission des formes d’expression des civilisations négro-africaines, même si leurs méthodes sont différentes. En effet, crées en 1967 par une Convention entre le Gouvernement du Sénégal et l’Office de recherche scientifique et technique d’outre-mer (ORSTOM), les Archives culturelles ont pu réunir 9.110 clichés, 1.350 bandes magnétiques d’enquêtes, 6.114 diapositives et 30 films, grâce auxquels elles ont pu passer de la conservation-étude à la conservation-communication par des visites, des expositions, des projections de films, des émissions radiotélévisées et des conférences, des publications de documents (recueils de contes et récits, syllabaires, catalogues et ouvrages, etc.). Par contre, le Centre d’études des civilisations a créé deux instruments didactiques pour réaliser ses objectifs : la revue Démb Ak Tey (Hier et Aujourd’hui) et La Collection « Léeb » (conte), dans lesquels il publiait les résultats de ses recherches et travaux et qu’il destinait aux jeunes. Afin de mieux intéresser et impliquer sa cible, le centre a également créé une structure spéciale d’intervention en milieu infantile, le « Centre Démb Ak Tey », qui proposait diverses activités culturelles (réactivation de contes, travaux manuels, théâtre, etc.).

A travers ces instruments didactiques, ces deux institutions travaillaient à susciter chez les populations la connaissance, la pratique et le respect des valeurs culturelles traditionnelles ; ce qui devait contribuer à leur enracinement véritable.

Cependant, les deux institutions ont été supprimées en Mars 1990, lors de la restructuration de l’Etat et leur patrimoine transféré à la direction du patrimoine historique et ethnographique du Ministère de la Culture.

  1. LES INSTITUTIONS D’ACTION CULTURELLE

Ces institutions créent la culture en même temps qu’elles animent la vie culturelle ; parmi elles, ce qui est désormais convenu d’appeler « industries culturelles », dont le Sénégal disposait, dès 1964-1966, avant même l’apparition du concept (cf. Manufactures Sénégalaises des Arts décoratifs, Théâtre national Daniel Sorano, Nouvelles Editions Africaines). Leur existence et leur fonctionnement régulier sont indispensables pour le développement de toutes les formes de la culture nationale.

La première forme d’industrie culturelle créée par l’Etat sénégalais a pris la forme d’un atelier de tapisserie, intégré à la section « recherches plastiques nègres », créé en 1964 par l’artiste peintre Papa Ibra Tall et première étape d’un projet ambitieux et cher à Senghor et à Tall d’une manufacture nationale de tapisserie (art non pratiqué auparavant au Sénégal). Le triple objectif de ce projet était l’expansion de l’art, la promotion de l’artiste et la production, la diffusion et la commercialisation d’objets d’art, grâce aux activités de divers métiers d’art, tels la tapisserie, la mosaïque, la reproduction graphique (lithographie et sérigraphie), le tapis de sol, le batik, etc.

Pour les besoins du projet, Senghor fait envoyer dès 1964 les premiers diplômés (Mamadou Wade, Mar Fall, Doudou Diagne et Alioune Diakhaté) en peinture de la section de Tall en formation dans les techniques de tapisserie à Aubusson et aux Gobbelins en France. A leur retour en 1966, ils intègrent l’atelier de tapisserie en qualité de liciers ; cette même année, l’atelier est transformé en manufacture nationale de tapisserie et transféré à Thiès. Son développement rapide, grâce notamment au recrutement de nombreux personnels, à l’abondante production et à la collaboration des artistes plasticiens sénégalais, conduit l’Etat à l’ériger en établissement public à caractère industriel et commercial par la Loi n° 73-61 du 19 Décembre 1973. Elle est alors dénommée Manufactures sénégalaises des Arts décoratifs.

L’attachement de Senghor à la structure et son souci de la voir fonctionner harmonieusement fondent en partie la trop grande dépendance de cette unité à l’égard de l’Etat, dont les nombreuses subventions permettaient d’assurer la rémunération de ses personnels, son approvisionnement en matières premières et la promotion de ses tapisseries, toutes achetées par l’Etat et dont les commissions de sélection des cartons et des maquettes et d’acquisition des productions, réunies annuellement, étaient présidées par le Chef de l’Etat lui-même.

Les manufactures n’ont jamais pu s’affranchir de cette dépendance, qui a perduré ; et quand les subventions de l’Etat se sont réduites et raréfiées, suite à la crise économique intervenue au début des années 80, elles n’ont pas pu s’adapter et surmonter leur crise de croissance, malgré les nombreux projets de réforme initiés très tôt par l’Etat, en collaboration avec divers partenaires (PNUD, OIT, ONUDI, etc.) ; elles connaissent depuis de nombreuses années une situation difficile.

Comme les Manufactures, le Théâtre national Daniel Sorano, une des toutes premières institutions d’action culturelle créée par l’Etat en 1965, devait être un modèle d’industrie culturelle, produisant des services culturels susceptibles d’être commercialisés, diffusés et consommés à grande échelle, comme l’y astreignent ses trois missions essentielles :

– effectuer des recherches sur les valeurs culturelles sénégalaises, dans les domaines du théâtre, du folklore et de la musique traditionnelle ;

– produire des spectacles et participer à la revalorisation et à la diffusion des valeurs du patrimoine culturel national ;

– contribuer à la conservation des valeurs traditionnelles des populations sénégalaises.

Ses moyens, constitués par ses services artistiques (troupe nationale dramatique, ensemble lyrique traditionnel, corps de ballets Linguère et Sira Badral), ses personnels (musiciens, comédiens, danseurs, etc.) et sa magnifique salle moderne de spectacle devaient le lui permettre. Mais Sorano est toujours demeuré un établissement public sous tutelle du Ministère de la Culture et n’a pas su asseoir son autonomie financière pour prétendre accéder au statut d’industrie culturelle.

De même, malgré le schéma originel de leur montage, les Nouvelles Editions africaines n’ont pas pu devenir une véritable industrie culturelle, empêtrées depuis au moins une décennie, dans des difficultés de trésorerie sans fin et de gestion. Là également, la dépendance financière a été fatale. Quand elles ont été créées en 1972 par les Etats ivoirien, sénégalais et togolais en association, les objectifs qui leur étaient assignés (édition d’ouvrages et de manuels scolaires nécessaires aux élèves et aux systèmes d’éducation africaines et production d’ouvrages pour enfants et de romans) leur ouvraient un vaste marché susceptible d’absorber toute leur production.

Ces trois unités n’ont donc pas su se hisser au statut d’entreprise, dont la vocation est l’autonomie et l’autofinancement, sans doute parce que le contexte et la nature de l’Etat national ne le favorisaient pas. En effet, créées par un Etat tout puissant, à une époque où, au niveau national, il était le principal investisseur et employeur, elles en ont d’autant plus bâti que cet Etat se transformait en gestionnaire en même temps que client des structures qu’il créait. Il n’a pu assumer toutes ces fonctions que tant que ses capacités financières le lui permettaient. Au même moment, les hommes qu’il plaçait à la tête de ces structures n’ont pas su concevoir et appliquer des politiques managériales prospectives, des études et des plans de développement et de rentabilité des projets qui leur étaient confiés. Ainsi, la diversification de la production n’a pu être programmées, etc. Lorsque les financements de l’Etat ont tari et n’ont plus comblé les déficits financiers des entreprises, celles-ci ont battu de l’aile ou ont tout simplement cessé leurs activités.

En vérité, de 1960 à 1980, presque toutes les institutions culturelles ont pâti des prodigalités de cet Etat-providence, qui, il faut le reconnaître, a trop embrassé en raison de ses ambitions pour le développement culturel du pays et qui ne devaient négliger aucun domaine. D’où le vaste spectre des autres institutions d’action culturelle, comme le Musée dynamique, les centre culturels régionaux, l’Institut islamique, l’Université des Mutants, le Commissariat des Expositions d’art sénégalais à l’étranger, etc.

La nature et la diversité de toutes ces institutions traduisent incontestablement une constante : la cohérence de la politique culturelle, en vue d’une optimisation croissante de l’efficacité de l’action culturelle.

Le Musée dynamique a été créé en 1966, par la volonté du Président Senghor, afin d’abriter l’exposition d’art nègre du premier Festival Mondial des Arts nègres ; c’est pourquoi il porte la marque de Senghor, qui lui a donné son nom et l’a conçu, en collaboration avec l’ethnologue Jean Gabus et les architectes qui l’ont édifié sous forme de temples péristyle. Il lui assignait trois missions :

– la recherche, la collecte, l’étude, la conservation et la diffusion du patrimoine culturel et artistique ; – l’éducation artistique du public ; – la réalisation d’expositions.

La fonction du Musée déborde ainsi le cadre muséographique strict, car il était un centre de communication multiforme, proposant plusieurs services et activités (expositions temporaires et permanentes, diverses activités culturelles, conservation des oeuvres du patrimoine privé artistique de l’Etat, etc.).

Outre la première exposition, le Musée dynamique a accueilli, de 1966 à 1976, de nombreuses activités et parmi les prestigieuses expositions qu’il a abritées figurent celles de Pablo Picasso, Marc Chagall, Pierre Soulages, Alfred Mannessier, Iba Ndiaye, etc., expositions dont les vernissages étaient présidés par Senghor lui-même et dont il préfaçait les catalogues.

Mais, comme on le sait, le Musée dynamique a connu une tumultueuse histoire ; supprimé en 1976 sur décision de Senghor, le Musée a été transformé en école de danse, Mudra-Afrique, confiée à Maurice Béjart, puis à Germaine Acogny. Cette école est également supprimée en 1982 et le Musée restitué à sa vocation originelle jusqu’en 1988. En 1990, ses locaux sont affectés à la Cour Suprême ; ce qui suscite de nombreuses critiques. En 1996, le Chef de l’Etat prend la décision et annonce officiellement le retour du Musée dynamique à son Ministère de tutelle.

Implantés dans les dix capitales régionales du pays afin de répondre au souci de décentralisation de la politique culturelle, les Centres culturels régionaux y sont des foyers polyvalents d’action culturelle, qui offrent aux jeunes et aux différents acteurs culturel divers services et activités : théâtre, spectacles, musique, danse, cinéma, bibliothèque, expositions, peinture et sculpture, jeux, etc. Ils y sont les principaux foyers d’animation culturelle.

L’Institut Islamique de Dakar est un établissement public sous tutelle, à caractère administratif, créé par la loi n° 74-34 PM/SGG/SL du 08 Juillet 1974, qui en fait une structure d’enseignement complémentaire sur la civilisation et la culture des peuples islamiques. Il a donc pour mission d’enraciner l’Islam et la civilisation islamique dans le pays et de contribuer à leur enrichissement au dialogue entre les civilisations islamiques du monde. Il dispose, dans la mise en oeuvre de ses programmes scientifiques, du département d’enseignement, du département de recherche et du département de la documentation et des publications. Il assure la gestion de la Grande Mosquée de Dakar.

L’Université des Mutants de Gorée est également un établissement sous tutelle du Ministère de la Culture, de 1979, date de sa création, à 1996, date à laquelle elle a été rattachée à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.

Ses promoteurs, le philosophe français Roger Garaudy et Léopold Sédar Senghor, ont voulu en faire un instrument de changement, c’est-à-dire de mutation vers le progrès, pour un développement économique, social et culturel équilibré ; au service du nouvel ordre culturel mondial, elle doit promouvoir le dialogue des cultures, en recevant, en de courtes saisons, des étudiants et stagiaires de pays différents. Elle n’est donc pas une université classique, mais une structure légère et souple qui fait animer ses séminaires par des personnalités (chercheurs, enseignants, hommes de culture, etc.) d’horizons divers.

Le Bureau Sénégalais du Droit d’Auteur est rattaché, par la loi n° 72-40 du 26 Mai 1972, à la Direction des Arts, des lettres et des Bibliothèques publiques ; établissement public à caractère professionnel, il a pour charge la défense des intérêts des créateurs intellectuels et la protection de leurs droits, leur organisation en associations corporatives et le maintien de la discipline en leur sein, l’établissement d’une harmonie entre eux et les promoteurs de leurs oeuvres. Il exerce le monopole de représentation de tous les créateurs, nationaux et étrangers, sur le territoire national, perçoit et répartit les droits d’auteurs.

Le Commissariat aux expositions d’art sénégalais à l’étranger a été créé en 1977, avec, comme mission essentielle, l’organisation de toutes les expositions d’art sénégalais à l’étranger, dont un des objectifs est la réalisation concrète du second axe de la politique culturelle nationale : l’ouverture. Il ainsi pu, malgré le retard, prendre en charge l’organisation de la première édition de l’exposition itinérante d’art contemporain sénégalais à l’étranger (1974-1985), qu’il a présentée dans plusieurs villes européennes, américaines et asiatiques ; et après un temps de préparation, il a entamé la seconde édition par l’étape de paris en 1990, suivie de celles de Bruxelles, Bonn, Oldenburg, Wurzburg, Vienne et Luxembourg. En 1997, elle poursuit encore son périple mondial par les étapes américaines.

Le Commissariat a cependant été supprimé en 1990 lors de la restructuration de l’Etat et ses attributions transférées à la Galerie nationale d’art.

  1. LE FINANCEMENT ET LES STRUCTURES PARALLELES

Toutes les structures précédentes et suivantes étant dotées annuellement de budgets, ce sont des centaines de millions qui sont régulièrement investis dans les arts et la culture chaque année, au point qu’il apparaît hasardeux de prétendre chiffrer, de manière exacte, le financement de l’action culturelle de l’Etat pendant ces décennies. Quelques exemples permettront d’en donner une idée.

La Loi du 1 % procède du souci d’impliquer l’Etat à la promotion des arts sénégalais à une époque où il était le seul véritable investisseur ; en effet, cette loi n° 68-02 du 04 Janvier 1968, relative à la décoration des bâtiments publics ou recevant du public, fait obligation à tout promoteur ou constructeur (public ou privé) à consacrer 1 % du coût de tout projet de construction et d’équipement d’un bâtiment public ou recevant du public et dont le coût dépasse 20 millions de francs, à la décoration.

Malgré quelques exemples d’application à Dakar (stade de football Léopold Sédar Senghor, la place Soweto, les murs de la cité Mermoz, les sièges de la BCEAO et de BCEAO-Sénégal, le complexe King Fahd, etc.), cette loi n’a pas connu beaucoup de succès, les raisons en étant, semble-t-il, diverses négligences tant du côté du Ministère que de celui des partenaires (artistes, architectes, promoteurs et constructeurs).

Le Fonds d’aide aux artistes et au développement de la culture (cf. Décret n° 78-300 du 12 Avril 1978) a pour missions d’accorder des aides et des subventions aux artistes et aux associations culturelles et de contribuer au développement de la culture par des actions diverses (accès aux crédits bancaires, facilitation de la participation des artistes aux rencontres et expositions internationales, achats d’oeuvres d’art, acquisition d’équipements, organisation de journées et semaines culturelles, de concours artistiques, d’expositions, etc.).

Disposant d’un compte du trésor alimenté régulièrement par des subventions annuelles de l’Etat, ce Fonds a pu accorder des aides et des subventions aux artistes des différentes catégories (artistes plasticiens certes, mais aussi comédiens, musiciens, écrivains, etc.), aux chercheurs, aux enseignants, aux orchestres et aux associations, etc. ; en même temps, il a permis à l’Etat d’enrichir son patrimoine artistique par des achats d’oeuvres d’art.

Le Patrimoine privé artistique de l’Etat est rattaché à la direction du patrimoine historique et ethnographique, qui est chargée de sa gestion ; il a été constitué progressivement par des achats d’oeuvres d’art effectuées par l’Etat, par les oeuvres qui lui sont offertes et par celles qui ont fait l’objet d’échanges.

Les achats sont effectués par une commission nationale, par le Chef de l’Etat lors des vernissages d’expositions et par le Ministre de la culture à l’occasion d’expositions individuelles ou collectives. En 1992, le patrimoine artistique de l’Etat comprenait 2292 oeuvres de toutes les catégories (peintures, sculptures, tapisseries, céramiques, locales et étrangères). Cette collection est répartie en deux catégories : les unes sont affectées aux palais nationaux (Présidence de la République, Assemblée Nationale, Cour Suprême, Cabinets ministériels, hauts fonctionnaires, etc.) et aux représentations diplomatiques sénégalaises à l’étranger (ambassades et consulats) ; celles qui ne sont pas affectées sont déposées dans la réserve nationale, transférée depuis 1990 à la direction du patrimoine historique et ethnographique, qui procède régulièrement à leur contrôle , à leur recensement et à leur entretien.

La Fondation Léopold Sédar Senghor n’est pas, à proprement parler, une structure de l’Etat, mais participe activement au développement et à la promotion des arts et des lettres sénégalais. Elle a été créée en Octobre 1974 par la volonté de son parrain et président, Léopold Sédar Senghor, et témoigne ainsi de la vocation mécénale de celui-ci ; car c’est lui qui lui alloue sa dotation initiale, représentant son capital et lui assigne comme objectifs prioritaires la sauvegarde et l’enrichissement du patrimoine culturel africain, la contribution au développement de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la culture, l’aide à la formation de professionnels de la recherche et de l’enseignement supérieur, et la contribution à l’instauration d’un climat de compréhension et de coopération internationales. C’est pourquoi, ses principales activités ont été centrées sur l’édition de bulletins et de publications (sa propre revue, Ethiopiques, revue trimestrielle de culture négro-africaine, la Revue Sénégalaise de Philosophie et la Revue d’Etudes Germano-Sénégalaises, toutes deux de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, etc.), sur l’organisation de concours littéraires et artistiques dotées de prix, sur la bibliothèque centrale au siège de la Fondation, sur l’octroi de bourses, d’aides, de subvention, de titres de voyages, d’indemnités de mission, etc., à des étudiants, des chercheurs et des enseignants, sur l’octroi d’aides de financement d’édition de thèses de doctorat, etc.

Ainsi sur un budget global de 527.722.596 F de 1985 à 1990, la Fondation a consacré 28.204.075 F aux missions et déplacements et 188.935.876 F aux aides et bourses, soit 217.151.951 F à l’action culturelle (environ 40,5 % du budget global).

LE FINANCEMENT ET LES STRUCTURES PARALLELES

Après quelques difficultés financières pendant les dernières années, qui ont conduit à la suspension de ses activités, la Fondation semble devoir reprendre ses activités en ce début d’année 1997.

  1. LES ECOLES DE FORMATION ARTISTIQUE

Elles constituent un volet essentiel de la politique culturelle du Sénégal et qui se traduit par l’importance que leur confère l’Etat, leur permanence, les dotations budgétaires et la continuité de la formation pendant toutes ces décennies, alors que les difficultés et la crise ont provoqué la disparition ou la suppression, dans d’autres secteurs, de structures et institutions, autant sinon plus importantes.

L’option d’une formation artistique dans le pays procédait de préoccupations diverses :

– éviter le déracinement culturel et le déchirement consécutifs à l’expatriation en Europe ;

– faire accéder un plus grand nombre de jeunes sénégalais à ce type de formation ;

– prendre en compte et intégrer les données culturelles nationales dans les programmes d’enseignements ; donc africanisation et sénégalisation de la formation artistique, non seulement dans ses contenus et ses méthodes, mais également par ses personnels enseignants ;

– faire advenir des arts sénégalais modernes : peinture, sculpture et architecture.

Il s’agissait donc d’une première tentative d’intégration culturelle des arts plastiques et de leur pratique, de telle manière que, puisant ou s’inspirant de la culture traditionnelle, nationale et africaine, les arts plastiques nouveaux réalisent une synthèse entre le patrimoine culturel hérité du passé et la modernité actuelle. Cette volonté intégrative se référait, bien entendu, aux deux axes fondamentaux de la politique culturelle de Senghor : l’enracinement et l’ouverture.

C’est pourquoi, pendant près de deux décennies, période pendant laquelle les enseignants sénégalais n’étaient pas nombreux, la politique de formation a recouru à des enseignants expatriés, Français, Belges et Russes principalement, qui ont pu asseoir une formation artistique de type Beaux-Arts de l’Occident ; ce recours à la modernité occidentale incarnait ainsi la dimension de l’ouverture.

Mais, au moment où Senghor accédait au pouvoir, le Sénégal disposait déjà de structures de formation artistique. Car, aux expériences privées initiées par des expatriés français (Le Conservatoire de Dakar de Paul Richez, 1948 ; les Académies de Peinture de Cusson et de Charles Biet, 1960-1966), le nouvel Etat du Mali (fédération qui regroupait l’ancien Soudan français et le Sénégal) substituait, dès 1958-1959, la Maison des Arts du Mali. Dans cette structure, la formation en arts plastiques est initiée par Iba Ndiaye, peintre sénégalais formé en France et revenu au pays cette même année 1959 et qui ouvre une section « arts plastique ».

L’année suivante, la formation artistique est enrichie par la création, par Papa Ibra Tall, également peintre formé en France et rentré en 1960, d’une nouvelle section, « recherches plastiques nègres ».

Cependant, malgré quelques innovations, ces deux peintres ne pouvaient, en raison de la formation reçue en Occident, que transposer au pays le type d’enseignement en vigueur en Occident, mais qui ne satisfaisait pas entièrement Senghor. Aussi, apprenant, l’expérimentation d’une formule pédagogique originale initiée, depuis 1950, au Congo-Brazzaville, dans le centre de formation en arts plastiques de Poto-Poto, Senghor invite en 1960 son fondateur et animateur, Pierre Lods, à venir participer à la mise en place d’une nouvelle pédagogie artistique sénégalaise.

La pédagogieque Lods appliquait à Poto-Poto, qui se fondait sur la croyance en la spontanéité créatrice du Noir, rencontrait les vues et théories de Senghor (émotivité, sensibilité, instinctivité et spontanéité, etc., du Noir), qui envisageait, dans ce domaine de la formation artistique également, de faire de la Négritude le fondement de arts plastiques sénégalais modernes.

Après ce bref séjour à Dakar, Pierre Lods est définitivement affecté, au titre de la coopération française et sur intervention de Senghor, au Sénégal en 1961 ; il devait assister Papa Ibra Tall, alors responsable de la section « recherches plastiques nègres ».

Quand la fédération du Mali disparaît en Novembre 1960, la maison des Arts du Mali est transformée en Ecole des Arts du Sénégal et l’institutionnalisation de la formation artistique s’accentue : la section « arts plastiques » devient « Division Beaux-Arts » et recrute à partir du niveau du CEPE ; cette division est en outre dotée d’une nouvelle section de formation de maîtres de dessin, recrutés eux avec le niveau du BEPC. L’Ecole des Arts comporte toujours ses anciennes divisions de formation de musiciens, de comédiens et de danseurs.

Lors du premier Festival mondial des Arts nègres (1966), les succès obtenus par les jeunes artistes sénégalais de l’ « Ecole de Dakar » conduisent les autorités du pays à entreprendre une réorganisation de l’établissement, afin de relever le niveau des enseignements, d’assurer la collégialité du recrutement des élèves, de sanctionner les études par des diplômes reconnus par l’Etat, etc.

Le décret n° 72-957 du 27 Juillet 1972 crée l’Institut national des Arts en remplacement de l’Ecole des Arts du Sénégal ; cet institut comprend trois écoles : l’Ecole d’architecture, le Conservatoire et l’Ecole des Beaux Arts.

Cette école des Beaux-Arts est elle-même composée de deux divisions (art plastique et éducation artistique), qui forment d’une part des artistes peintres et sculpteurs indépendants et d’autre part des maîtres d’éducation artistique, tout en mettant l’accent sur l’enrichissement des contenus des enseignements et sur le relèvement du niveau des études (durée et contenus des études, niveau et mode de recrutement, composition des jurys et examens, etc.).

Très rapidement le développement de ces différentes écoles, au plan des effectifs notamment, incite les autorités à éclater l’Institut national des Arts en établissements autonomes tant au plan administratif qu’au plan pédagogique (1979) :

– le Conservatoire de Musique de Danse et d’Art Dramatique est maintenu tel quel, avec cinq divisions de formation de musiciens modernes, de musique traditionnelle, d’éducation musicale, de danse et d’art dramatique ;

– l’Ecole d’Architecture devient Ecole d’Architecture et d’Urbanisme (décret n° 73-243 du 12 Mars 1973), avec trois départements d’architecture et d’urbanisme, des techniciens supérieurs et un atelier de recherche fondamentale et appliquée ;

– l’Ecole Nationale des Beaux-Arts (décret n° 79-263 du 15 Mars 1979) comprend trois départements : art (peinture et sculpture), communication ou spécialités technico-artistiques de l’audiovisuel et environnement (conception et réalisation en architecture, en aménagement et en paysagisme, en mobilier, en maquette et en prototypes, etc.) ;

– L’Ecole Normale Supérieure d’éducation Artistique (décret n° 79-360 du 17 Avril 1979) forme en quatre ans des professeurs d’éducation artistique des lycées et collèges.

Cette nouvelle réforme introduit des innovation importantes : une approche sociologie de l’éducation artistique accompagnée d’une pédagogie active qui requiert la manipulation des matériaux de l’environnement, suppression des barrières entre les différentes disciplines artistiques qui ne se limitent plus au dessin mais s’étendent à tout le champ des moyens d’expression dans l’environnement de l’enfant, prise en charge de cette approche et de cette pédagogie par des enseignants de formation pluridisciplinaire.

Parmi les résultats de cette réforme, figurent une plus grande créativité des artistes et une plus grande liberté, consécutives aux possibilités infinies d’intégration des matériaux de l’environnement ; mais également un accroissement de la population des artistes plasticiens, ainsi qu’une diversification des spécialités artistiques. Appliquée pendant près d’une décennie, cette réforme aurait pu enregistrer des succès encore plus importants si la crise économique des années 80 n’avait pas réduit les dotations budgétaires et matérielles, les recrutements annuels et les débouchés.

Ainsi, depuis son initiation, outre l’accent mis de plus en plus, dans les programmes et les contenus des enseignements, sur l’intégration des données culturelles nationales et des matériaux de l’environnement local, sur la sénégalisation des personnels enseignants et sur la diversification des filières de formation, afin d’obtenir de véritables professionnels de l’art, cette politique de formation artistique, ininterrompue pendant près de quatre décennies, a doté le pays d’une importante population d’artistes plasticiens, dont le professionnalisme, la créativité et le dynamisme se mesurent aujourd’hui à l’intense vie culturelle nationale, aux nombreuses manifestations artistiques tout au long des saisons et au partenariat diversifié avec l’étranger notamment.

  1. LES MANIFESTATIONS ARTISTIQUES

Au début de la formation artistique comme pendant toutes les décennies écoulées, créer les conditions et les moyens de la formation et de la pratique artistique ainsi que du développement des arts et des lettres n’était pas le seul souci des autorités de l’Etat. La seconde préoccupation majeure consistait à insérer et à enraciner les valeurs artistiques et littéraires contemporaines dans la vie quotidienne des populations sénégalaises ; toutes choses qui devaient assurer la cohérence de la politique, non seulement par la prise en charge de tous les domaines des arts, mais également par l’incarnation concrète des dimensions fondant la politique culturelle : l’enracinement et l’ouverture.

Aspects importants de la politique artistique, les manifestations artistiques se répartissent en deux catégories, en fonction des deux axes de la politique culturelle ; les manifestations nationales visent à enraciner les nouvelles valeurs dans le vécu quotidien des Sénégalais, tandis que les manifestations internationales tendent à assurer l’ouverture du pays au monde.

La première manifestation artistique et culturelle à la fois, d’envergure nationale et de portée internationale, organisée par le Sénégal indépendant a été le Premier Festival mondial des Arts nègres en 1966. Gigantesque fête populaire, à laquelle ont participé plus de cinquante pays d’Afrique, d’Amérique, des Antilles et d’Europe, ce Festival a eu pour objet, selon Senghor, de convier les Nations au « dialogue de Dakar », afin de « combler les fossés, dissiper les malentendus, accorder les différences », sur le chemin de la Civilisation de l’Universel. Ce Festival a consisté en plusieurs manifestations : spectacles (musique, danse et ballets, théâtre et spectacle féerique de Gorée)., colloque sur l’art négro-africain et expositions (exposition d’art africain traditionnel et exposition d’art contemporain). Ces manifestations ont enregistré la participation de plusieurs centaines d’artistes de toutes les catégories ; l’exposition d’art africain traditionnel a rassemblé 516 oeuvres d’art ancien, appartenant à 47 musées, 25 collectionneurs privés, 7 chefferies traditionnelles et 4 églises de pays d’Afrique ; l’exposition d’art contemporain a réuni 219 artistes en provenance de 21 pays africains, américains et européens. Divers concours, dotés de prix, ont été ouverts lors de ces manifestations.

Ce festival de Dakar devait être le commencement d’une tradition, dont la seconde étape serait Lagos, capitale du Nigéria, pays vedette de ce Festival.

Au Sénégal, la tradition est poursuivie par l’organisation d’activités artistiques et culturelles sous l’égide de l’Etat.

Ainsi, après avoir montré, en une riche synthèse, ce que le Sénégal et l’Afrique noire ancienne avaient produit dans le domaine de l’art, Senghor, fidèle à ses convictions, s’est attelé à faire découvrir et à faire apprécier les valeurs de civilisations des autres peuples à la population sénégalaise. A cette fin, il a invité à Dakar des artistes européens et a fait venir certains d’eux à l’occasion des vernissages de leurs expositions, qu’il présidait lui-même ; en outre, il faisait éditer des catalogues de ces expositions et les préfacer. Ainsi, les prestigieuses salles du Musée dynamique ont accueilli, entre 1966 et 1976, non seulement des expositions d’art sénégalais contemporain, mais également diverses expositions d’artistes européens : Pablo Picasso, Marc Chagall, Pierre Soulages, Alfred Mannessier, Fritz Hundertwasser, etc.

L’organisation des expositions de ces artistes étrangers à Dakar traduisait l’attachement de Senghor au dialogue des cultures, condition et moyen de réalisation de la Civilisation de l’Universel.

Toujours au niveau national, Senghor a fait instituer très tôt une tradition de semaines culturelles régionales, afin que, par souci de décentralisation de la politique culturelle, les populations locales s’impliquent activement dans la vie culturelle nationale ; organisées chaque année, ces semaines culturelles mobilisaient des artistes, des associations et des groupes à caractère culturel (troupe de théâtre, de musique, de ballet et de danse, etc.), dans divers concours artistiques dotés de prix. Les oeuvres primées au niveau régional (3 par discipline) étaient retenues d’office pour participer au concours national.

Conformément au second axe de sa politique culturelle (ouverture), Senghor a fait initier une expérience originale, sans doute unique dans le monde, d’exposition itinérante d’art contemporain sénégalais à l’étranger, afin de faire découvrir aux autres peuples les oeuvres plastiques de la jeune « Ecole de Dakar ». Il confie la réalisation du projet au Commissariat aux Expositions d’art à l’étranger, qui s’est mis rapidement à la tâche et a pu faire partir la première édition de l’exposition de Dakar en 1974.

Après un périple mondial qui l’a conduite dans trois continents (Europe, Amérique et Asie), dans quatorze pays (France, Finlande, Autriche, Italie, Suède, Norvège, Mexique, Etats-Unis, Canada, Brésil, Japon, Corée du Nord, Corée du Sud et Chine) et dans vingt cinq villes, cette exposition est rentrée à Dakar en 1985.

Puis, au bout de quelques années de préparation, la seconde édition a également entamé son périple mondial en Septembre 1990, en rendant visite à la Grande Arche de la Fraternité de Paris et le poursuit encore.

Parallèlement à cette exposition itinérante, l’Etat a pu, grâce aux financement accordée aux artistes par le Fonds d’aide, contribuer à la participation des artistes sénégalais à des manifestations artistiques à l’étranger (expositions individuelles et/ou collectives, salons, biennales, festivals, etc.)

 

  1. LES PROJETS CHERS A SENGHOR

Parmi les nombreux projets initiés par Senghor dans le cadre de la politique culturelle et dans lesquels il s’est personnellement impliqué, non seulement dans la conception mais aussi dans la mise en oeuvre, figurent deux projets qui n’ont pu voir le jour pendant son exercice du pouvoir.

1 – Le projet de musée des civilisations négro-africaines est sans doute un des plus vieux projets formés par Senghor, puisqu’il date du Premier Festival mondial des Arts nègres de 1966. Musée pilote, correspondant à la préoccupation, à l’époque, de l’UNESCO de création d’une telle structure dans une ville africaine, le projet de ce musée a mobilisé beaucoup de monde pendant longtemps dans sa conception et les démarches de sa mise en oeuvre. Après en avoir choisi le site sur la corniche ouest, à l’emplacement de l’ancien camp militaire Lat-Dior, Senghor fait déguerpir camp et familles de militaires ; c’était en 1979. Il était trop tard pour concrétiser le projet, car, un an après, Senghor quittait le pouvoir.

2- Le projet d’Institut d’Esthétique négro-africaine devait être intégré à l’Université de Dakar. Prolongement et approfondissant les théories esthétiques de Senghor, cet institut apparaissait comme un complément nécessaire de la formation artistique institué très tôt et qui devait faire advenir, dans l’esprit de Senghor, de nouveaux arts nègres (peinture, sculpture et architecture en particulier). A cette fin, Senghor fait créer, dès 1977, un certificat de spécialisation d’esthétique dans les enseignements du département de philosophie de la faculté des lettres et Sciences humaines. Malheureusement, le projet ne dépasse pas ce stade et l’Institut ne se crée pas, probablement parce que Senghor n’est plus là.

CONCLUSION

La tradition de mécénat d’Etat initiée par Senghor n’a pas été interrompue ou abandonnée par son successeur ; au contraire, outre le maintien des formes traditionnelles, ce mécénat s’est diversifié par des initiatives nouvelles et s’est approfondi par la recherche et l’exploitation de nouveaux créneaux.

Ainsi, dès 1982, Abdou Diouf Chef de l’Etat, décide de faire élaborer une Charte culturelle nationale, dont la conception a bénéficié de la collaboration de toutes les compétences nationales concernées. Après plusieurs années de travaux, cette commission a déposé en 1989 ses conclusions, destinées en priorité à lutter contre les formes modernes d’aliénation culturelle, à réinsérer les faits culturels nationaux dynamiques dans la quotidienneté des citoyens et à constituer un bréviaire de valeurs et de normes à prendre en compte dans le système éducatif moderne et à enseigner.

Cette Charte inspire, tout en intégrant les deux axes initiaux, la politique culturelle appliquée depuis lors.

En 1983, la Galerie nationale d’art est créée et inauguré, en même temps que l’Orchestre national commençait ses prestations publiques.

A partir de 1988, en collaboration avec l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), le réseau des Centres de Lecture et d’Animation Culturelle (CLAC) a commencé à être mis en place en milieu rural.

En 1990, sont créées et/ou mis en place le Commissariat général à la réalisation du Mémorial de Gorée, la Biennale de Dakar, les Grands Prix du Président de la République pour les Arts et pour les Lettres ; le Village de la Biennale est aménagé.

En 1991, la première édition du Spectacle « Sons et Lumière » est organisée à Gorée.

Parallèlement à la réduction drastique des budgets et des possibilités de financement de l’Etat, une réorientation de la politique culturelle est opérée à partir de 1990. Cette réorientation s’est traduite, dès 1992, par l’organisation des Journées du Partenariat, lors de la Biennale de Dakar et dont les objectifs majeurs consistaient, entre autres, à rechercher des possibilités nouvelles et des sources de financement des projets culturels et à inciter les artistes à initier des projets d’industries culturelles.

L’actuel Ministre de la Culture, Abdoulaye Elimane Kane, nommé en Mai 1995, a perçu, semble-t-il, l’importance et les enjeux de la dynamique nouvelle ; et prenant en compte les contraintes majeures de l’Etat, il redéfinit de manière réaliste, dans une interview au Sud-Quotidien (n°s 706 et 707 des 16 et 17 Août 1995), les axes de la nouvelle politique culturelle de l’Etat : réaffirmation et ancrage dans les fondements originels de la politique culturelle du pays (enracinement et ouverture), appui et soutien à la créativité et à l’innovation artistique et culturelles, restructuration de certaines institutions, privatisations d’autres structures, recherche de financement de projets culturels et artistiques, création d’une Fondation de Développement des Industries Culturelles (FODIC), mise en place, en partenariat avec l’Union Européenne, du Projet de Soutien aux Initiatives culturelles (PSIC), avec un financement initial de 300 millions de Francs CFA, etc.

Sur la base de ces nouveaux axes, une nouvelle réforme des écoles de formation est entreprise et aboutit à leur fusion dans une structure unique, l’Ecole Nationale des Arts (décret n° 95936 du 05 octobre 1995), qui intègre le Conservatoire, l’Institut de coupe, de couture et de mode et les deux Ecoles nationales des Beaux-Arts et Normale Supérieure d’Education Artistique, qui deviennent désormais des départements.

Les formes de mécénat sont variées et ne se limitent pas essentiellement au financement. Certes, dans le passé, à côté des actions mécénales orientées vers les structures de formation, de recherche et d’action culturelles et vers les manifestations artistiques, les formes mécénales les plus spectaculaires et qui semblaient les plus significatives étaient les achats d’oeuvres d’art et le financement de la promotion artistique.

Mais l’ère de l’Etat-providence est révolue et prenant l’exacte mesure de ses capacités et de ses limites, l’Etat sénégalais semble devenir plus réaliste et moins ambitieux.

Il apparaît en effet de plus en plus évident que le mécénat comporte des formes très diverses : une plus grande attention et un plus grand intérêt pour les arts, une plus grande implication dans les choses de l’art, un parrainage et une sponsorisation, une aide ponctuelle et une intermédiation, un partenariat et des relations associatives, une critique d’art et une éducation à travers la presse (journaux et revues, télévision et radio, etc.)… et, bien entendu, des financements, etc. Ce nouveau réalisme incite désormais l’Etat à saisir et à exploiter toutes les opportunités de mécénat qui se présentent, optimisant ainsi et multipliant les chances de succès et d’efficience de son mécénat.

Ces adaptations et réorientations, exploitées judicieusement par l’ensemble des partenaires dans la promotion des arts, peuvent provoquer des changements décisifs dans les arts plastiques sénégalais contemporains.

N.B. : Ce texte est un résumé d’un ouvrage à paraître prochainement.