Développement et sociétés

L’AUTOGESTION ET SES FORMES EN YOUGOSLAVIE

Ethiopiques numéro 9,

revue socialiste

de culture négro-africaine, 1977

A l’étape actuelle du développement de la Yougoslavie, l’autogestion constitue la substance, l’essence de son système socio-politique. Elle en est le principe fondamental. Mieux, on peut affirmer qu’elle est la base sur laquelle repose et s’édifie tout le mécanisme du système socio-politique.

Le caractère de l’autogestion

En tant que principe fondamental et base du système socio-politique, l’autogestion a un contenu et un sens qui sont déterminés par le stade de développement atteint par la Yougoslavie et les conditions dans lesquelles elle se réalise. C’est dire que telle qu’elle se présente aujourd’hui en Yougosavie, l’autogestion n’est pas parfaite. C’est dire aussi que son évolution n’est pas achevée, qu’elle est en devenir.

C’est en 1950 que l’autogestion fit son apparition dans le système yougoslave sous sa forme initiale. Autogestion des producteurs, autogestion ouvrière, elle n’était alors appliquée que dans les entreprises, dans l’économie. Plus tard, en 1953, l’autogestion du peuple travailleur devait être instituée dans l’éducation, la culture et les services publics. C’était la « gestion sociale ». Par la suite, ces deux formes allaient se développer et prendre de l’extension pour se fondre (1963) en un processus unique et aboutir au système d’autogestion sociale.

– Se situant dans la sphère des rapports aussi bien politiques qu’économiques, l’autogestion consacre la souveraineté à la fois politique et économique de la classe ouvrière de tous les travailleurs. Il ne s’agit pas d’un simple transfert des fonctions de l’Etat à la société et aux organes d’autogestion. De même, on ne saurait la ramener uniquement à la multiplication de ceux qui gèrent, des centres de décision. Ce n’est pas non plus un moyen d’élaborer, de développer les techniques classiques de la démocratie. Elle est beaucoup plus que cela : elle traduit ou plus exactement elle est une refonte du pouvoir lui-même, de l’Etat classique. L’autogestion est le processus de démocratisation de toute la société, d’une société dans laquelle l’Etat dépérit. Dans la mesure où l’Etat est encore présent et où il continue d’agir, il n’est plus qu’un instrument de la classe ouvrière. Ainsi conçue, l’autogestion constitue incontestablement un système dans lequel il est possible de réaliser le passage de la société de classes à la société sans classes.

La nouvelle Constitution de la RSFY (1974) commence par définir de manière globale, au plan des principes, le contenu de l’autogestion en partant de la conception que la classe ouvrière et tous les travailleurs sont les titulaires du pouvoir et de la gestion des autres affaires de la société. En effet, comme nous avons eu l’occasion de le constater, elle dispose explicitement que ce sont les travailleurs qui exercent le pouvoir et assument la gestion des autres affaires sociales en usant de leur droit de décision dans les organisations élémentaires de travail associé, les communautés locales, les communautés autogestionnaires d’intérêts et les autres organisations et communautés autogestionnaires, mais aussi dans les assemblées des communautés socio-politiques (par l’intermédiaire de leurs délégations et de leurs délégués) et en orientant et contrôlant l’activité et les travaux des organes responsables devant les assemblées, etc.

Compte-tenu de cette disposition constitutionnelle et d’autres encore dont il sera question par la suite, on peut dire grosso modo que la Constitument dans la pratique) deux sphères principales dans lesquelles l’autogestion se réalise : d’abord, les organisations de travail associé, les communautés autogestionnaires d’intérêts et les communautés locales, et ensuite – les communes et les autres communautés socio-politiques (Provinces autonomes, Républiques socialistes et Fédération). Cela étant, il convient de souligner que ces deux sphères ne sont pas entièrement coupées l’une de l’autre. Ajoutons que l’exercice du pouvoir politique est nettement plus marqué dans la seconde.

Il importe enfin d’attirer l’attention sur la disposition de la Constitution qui prévoit la possibilité de confier aux organisations de travail associé et aux autres communautés et organisations autogestionnaires, voire aux organisations sociales, aux associations de citoyens et à d’autres organisations, le soin de réglementer certains rapports d’intérêt général, de statuer sur certains droits et certaines obligations et d’assumer d’autres attributions et compétences publiques. Ce droit peut leur être accordé en vertu de la loi ou d’une décision que l’assemblée, communale prend conformément à la loi.

– S’agissant de l’exercice de l’autogestion, on ne saurait trop insister sur l’importance des deux principes constitutionnels suivants :

Premièrement, la Constitution garantit aux travailleurs le droit de s’organiser sur la base autogestionnaire dans les organisations de travail associé, les communautés autogestionnaires d’intérêts et les autres organisations et communautés autogestionnaires, ainsi que de déterminer quels y seront leurs intérêts, droits et devoirs communs.

Deuxièmement, la Constitution souligne que la gestion de ces organisations et communautés, de même que leur structure, doivent être articulées de manière que les travailleurs puissent statuer eux-mêmes – à toutes les phases du processus de travail et dans toutes les parties des organisations et communautés – sur les questions concernant leur travail et leurs intérêts, exercer leurs droits autogestionnaires, réaliser leurs intérêts collectifs et contrôler l’exécution des décisions et l’activité de tous les organes et services techniques.

Une autre disposition constitutionnelle revêt une signification particulière pour l’exercice de l’autogestion dans les organisations de travail associé et les autres communautés et organisations autogestionnaires : les organes de l’Etat n’ont envers ces organisations et communautés que les droits qui leur sont reconnus par la Constitution.

Enfin, il importe d’indiquer que la Constitution garantit au travailleur et au citoyen le droit à l’autogestion qu’elle tient pour un droit imprescriptible et inaliénable. Elle proclame en même temps la responsabilité de chacun pour les décisions autogestionnaires et leur mise en œuvre.

– La protection accordée par la société aux droits autogestionnaires des travailleurs et à la propriété sociale est aussi importante que caractéristique. En effet, celle-ci s’avère indispensable pour que l’autogestion en général et surtout les droits autogestionnaires des travailleurs et la propriété sociale qui leur sert de base, soient à l’abri d’éventuels abus. Toutefois, cette protection a une fonction indéfectiblement liée à la première. Elle doit prévenir et écarter les tendances négatives -bureaucratiques, technocratiques, etc. – qui risquent d’affecter le développement de l’autogestion et qui sont en fait contraires à l’autogestion elle-même et surtout aux droits autogestionnaires des travailleurs.

Les fonctions de protection sont confiées à divers organismes : assemblées des communautés socio-politiques et organes responsables devant elles, tribunaux, Cours constitutionnelles, procureur, avocat social de l’autogestion.

Il peut advenir que les rapports autogestionnaires soient sérieusement perturbés dans une organisation de travail associé ou une autre communauté ou organisation autogestionnaire, et aussi que les intérêts de la société y soient gravement lésés. De même, il peut arriver qu’une organisation ou une communauté autogestionnaire, n’exécute pas les obligations dont elle doit s’acquitter en vertu de la loi. Dans les cas de cet ordre, la Constitution dispose que l’assemblée de la communauté socio-politique compétente a le droit de dissoudre les organes de gestion et les organes d’exécution, de relever les organes de direction de leurs fonctions (qu’ils soient individuels ou collégiaux), de décreter l’élection des nouveaux organes de gestion, de nommer entretemps des organes provisoires et de prendre les autres mesures prescrites par la Constitution et la loi. Ultime recours sans doute, ce moyen est aussi opportun qu’efficace lorsqu’il s’agit de sauvegarder l’autogestion, les droits autogestionnaires et la propriété sociale.

L’autogestion dans les organisations de travail associé

L’autogestion dans les organisations de travail associé est sans conteste la forme d’autogestion la plus complète, la plus directe et la plus réelle que connaisse la pratique yougoslave. Ainsi que nous l’avons indiqué, elle fit son apparition dans les organisations économiques pour gagner ensuite les autres secteurs d’activité. L’autogestion est exercée aujourd’hui dans toutes les organisations de travail associé quels qu’en soient le genre et le caractère (entreprises, hôpitaux, écoles, etc.). Il s’agit désormais d’un système d’autogestion ouvrière qui embrasse tous les domaines de l’activité humaine.

Les deux dernières décennies ont été caractérisées par un élargissement et un approfondissement incessants de l’autogestion des ouvriers et de tous les autres travailleurs. Les décisions ne pouvant plus être prises par des individus isolés ou des groupes restreints, on a vu prévaloir graduellement un système de concertations et de décisions collectives fondé sur la synthèse des opinions et points de vue de chacun et de tous, étant entendu qu’entretemps les droits autogestionnaires des ouvriers, de tous les travailleurs n’ont cessé de gagner en ampleur. Néanmoins, ce processus s’est accompagné- et c’est encore le cas dans une certaine mesure – de diverses tendances négatives : étatiques, technocratiques, bureaucratiques, anarcho-libérales, etc. On peut affirmer cependant qu’en réglementant comme elle le fait l’autogestion dans les organisations de travail associé, la nouvelle Constitution (1974) fournit une protection efficace contre ces tendances et assure la base juridique nécessaire au développement et au renforcement de l’autogestion. .

– L’autogestion dans les organisations de travail associé repose sur le droit des ouvriers – garanti par la Constitution – de travailler avec les moyens appartenant à la société afin de satisfaire leurs besoins personnels et collectifs et de gérer leur travail, les conditions et les résultats de leur travail, librement et dans l’égalité des droits avec les autres ouvriers du travail associé. Ils ont en effet le droit inaliénable de gérer l’activité, les affaires de leur organisation de travail associé, ainsi que les affaires et les ressources de toute la reproduction sociale, de réglementer leurs relations de travail mutuelles, de statuer sur le revenu réalisé dans les différentes formes d’association du travail et des moyens de production et d’acquérir des revenus personnels.

Pour qu’ils puissent exercer valablement leurs droits autogestionnaires, les ouvriers doivent être informés de toutes les questions concernant les décisions qu’ils sont appelés à prendre et le contrôle qu’ils assument dans les organisations de travail associé. C’est du reste la raison pour laquelle la Constitution garantit leur droit à être informés régulièrement des affaires de leurs organisations, de la situation matérielle et financière de celles-ci, de la manière dont les revenus sont répartis, de l’utilisation des ressources disponibles. etc.

 

Comme nous l’avons dit, les droits autogestionnaires des ouvriers sont garantis par la Constitution. Tout fait et tout acte oui portent atteinte à ces droits sont dès lors anticonstitutionnels. Le contrôle ouvrier autogestionnaire que les travailleurs exercent dans les organisations élémentaires et les autres organisations de travail associé contribue également à la fois à la protection et à la jouissance des droits autogestionnaires. Ce contrô1e, ils l’exercent soit directement, soit par les soins des organes de gestion, soit enfin par l’intermédiaire d’un organe spécialement constitué à cette fin. Il porte pratiquement sur toutes les questions et toutes les activités au sein de l’organisation de travail associé. concernant aussi bien la gestion de l’organisation que les droits et le statut des ouvriers et des autres travailleurs.

Du fait que les droits autogestionnaires existent et sont garantis.. il est normal que chaque ouvrier soit tenu d’assumer consciencieusement ses fonctions d’autogestion. Cette responsabilité est explicitement prévue par la Constitution.

C’est par un mécanisme très développé et ramifié que les ouvriers exercent l’autogestion dans les organisations de travail associé. Le mécanisme qui fonctionne actuellement est – cela va sans dire – loin d’être achevé et parfait. Il repose évidemment sur certains principes constitutionnels, dont le plus important est celui qui veut que dans les organisations élémentaires et les autres organisations de travail associé, l’autogestion se réalise : premièrement, par les décisions que les ouvriers prennent à leurs réunions, par voie de référendum et dans les autres formes qu’ils ont à leur disposition pour se pro­noncer et manifester leurs opinions ; deuxièmement, par l’entremise de leurs délégués aux conseils ouvriers ; et troisièmement, en contrôlant l’exécution des décisions prises, ainsi que de l’activité des organes et des services techniques de leurs organisations.

Les réunions d’ouvriers et le referendum comptent parmi les formes les plus importantes – consacrées par la pratique – de participation à l’autogestion dans les organisations de travail associé. Tout le personnel d’une organisation de travail a le droit d’y assister et de prendre part aux débats et à l’adoption des décisions. A la différence des réunions d’électeurs, de citoyens, organisées suivant le principe territorial, les réunions d’ouvriers sont plus fréquentes et les participants y sont plus nombreux et plus actifs. Elles jouent un rôle important dans la présentation des candidats aux délégations et des délégués. Les ouvriers s’y concertent et, grâce aux informations qu’ils y reçoivent, ils peuvent valablement exercer leur contrôle sur les travaux des organes d’autogestion et statuer sur un certain nombre de questions. Le référendum est assez souvent appliqué dans les organisations de travail associé. Les décisions qui sont arrêtées de cette façon portent le plus fréquemment sur des questions intéressant le statut des organisations de travail associé (fusions, rattachement d’une entreprise à une autre, changement de siège, etc.), mais aussi sur l’utilisation des ressources, les investissements, les équipements collectifs, etc…

Le principal organe de gestion d’une organisation élémentaire ou d’une autre organisation de travail associé est le conseil ouvrier composé de délégués des ouvriers, du personnel [1]. Les membres de cet organe représentatif sont élus et révoqués par les ouvriers eux-mêmes. Leur mandat ne peut durer plus de deux ans. Le conseil ouvrier est chargé du fonctionnement et de la gestion des affaires de l’organisation. Il a, en vertu de la Constitution, des droits et devoirs très importants : élaborer le projet de statuts de l’organisation qui doit être adopté directement par les ouvriers, adopter les règlements et autres actes normatifs, le plan et le programme de travail et de développement, arrêter la politique d’affaires, élire, nommer les autres organes et les démettre de leurs fonctions, etc. Les délégués au conseil ouvrier doivent se conformer aux institutions et lignes directrices arrêtées par les travailleurs eux-mêmes et sont responsables devant eux. Ajoutons qu’ils sont personnellement et matériellement responsables des décisions qu’ils adoptent en abusant de leurs prérogatives, malgré les mises en garde des autorités compétentes.

 

Les organisations élémentaires et les autres organisations de travail associé possèdent d’autres organes tels que les organes d’exécution et les organes de direction. Les premiers – auxquels sont confiées diverses fonctions d’exécution – sont élus par le conseil ouvrier pour une période qui ne peut excéder deux ans ; ils sont révocables avant l’expiration de leur mandat. Les membres des organes collégiaux d’exécution sont responsables devant le conseil ouvrier et les travailleurs. La Constitution insiste sur leur responsabilité personnelle pour leurs propres décisions ainsi que pour la mise en œuvre des décisions du conseil ouvrier et des travailleurs eux-mêmes. Cette responsabilité implique également l’obligation de fournir au conseil ouvrier et aux travailleurs des informations exactes et complètes. Elle est d’ordre matériel pour les dommages subis par l’organisation de travail du fait des décisions prises sur leur proposition s’ils ont dissimulé des faits importants ou s’ils ont fourni sciemment des informations inexactes.

Les organes de direction (individuels ou collégiaux) sont chargés de la conduite des affaires de l’organisation de travail associé, de l’organisation et de la coordination du processus de travail ainsi que de la mise en œuvre des décisions prises par le conseil ouvrier et son organe d’exécution. Autonomes dans leur activité, ils sont responsables devant les travailleurs et le conseil ouvrier. La Constitution en détermine la responsabilité de la même manière que celle des membres de l’organe d’exécution. Par ailleurs, l’organe de direction ou plus exactement le président de l’organe collégial de direction est responsable de la légalité de l’activité de l’organisation de travail et de l’exécution des obligations que celle-ci doit assumer en vertu de la loi. A ce titre, il est responsable devant la communauté sociale. Sa responsabilité couvre également les résultats de la gestion de l’organisation, de même que l’organisation et la coordination des différentes phases du processus de travail. Evidemment, elle se situe dans le cadre de ses droits et devoirs. C’est le conseil ouvrier qui désigne les membres des organes de direction et les démet de leurs fonctions. Leur mandat ne peut excéder quatre ans.

L’autogestiondans les communautés autogestionnaires d’intérêts

Cette importante forme d’autogestion se développe de plus en plus dans la pratique yougoslave. Elle apporte des changements toujours plus substantiels, voire radicaux, dans le rôle de l’Etat dont elle restreint l’intervention dans de nombreux domaines d’activité. En effet, les communautés autogestionnaires d’intérêts sont constituées dans différents secteurs de la vie sociale pour satisfaire les besoins et intérêts personnels et collectifs des travailleurs, et en coordonner les activités en fonction de ces besoins et intérêts. Elles sont fondées par les travailleurs soit directement soit par l’intermédiaire de leurs organisations et communautés autogestionnaires, au moyen de conventions autogestionnaires qui fixent leurs droits, obligations et responsabilités réciproques [2].

Sanctionnant leur existence et leur importance, la nouvelle Constitution de 1974 ménage d’amples possibilités quant à leur organisation sur la base de l’autogestion. C’est ainsi qu’elle prévoit que les ouvriers et les autres travailleurs qui réalisent – suivant les principes de réciprocité et de solidarité – leurs intérêts et besoins personnels et collectifs dans l’éducation, les sciences, la culture, la santé publique et la prévoyance sociale, et les ouvriers des organisations de travail associé de ces secteurs mettent sur pied des communautés autogestionnaires d’intérêts. Ils y procèdent à ce qu’il est convenu d’appeler un libre échange d’activité ; mettant en commun leur travail et leurs moyens, ils décident à droits égaux de la manière dont ces activités seront exercées ainsi que des autres questions essentielles pour le fonctionnement de ces secteurs. En outre, les travailleurs fondent des communautés autogestionnaires d’intérêts pour l’assurance retraite et invalidité, le logement et l’habitat, etc. Elles peuvent être constituées aussi pour les services communaux, l’énergie, les eaux, les transports et ainsi de suite [3].

Dans les communautés d’intérêts la gestion est exercée par les assemblées composées de délégués élus et révocables par les travailleurs, les organisations de travail associé et les autres communautés et organisations autogestionnaires (membres de la communauté d’intérêts). Ces délégués sont tenus de se conformer aux instructions de ceux qui les ont élus et devant lesquels ils sont responsables. La convention autogestionnaire portant fondation d’une communauté d’intérêts détermine notamment le champ d’action, les compétences et les responsabilités de l’assemblée et des autres organes, le contrôle des travaux des organes de gestion et des services techniques par les membres de la communauté d’intérêts, le mode d’information de ces derniers concernant l’activité de ces organes et services, ainsi que les questions qui doivent être débattues et réglées au sein de la communauté, etc. L’assemblée de la communauté institue par ailleurs des organes d’exécution responsables devant elle. Les membres de la communauté peuvent enfin recourir au référendum pour prendre position sur les questions de fond.

L’autogestion dans les communautés locales

Forme spécifique du système yougoslave, l’autogestion dans les communautés locales connaît actuellement un essor particulièrement rapide.

Avant la promulgation de la Constitution de 1974, les communautés locales étaient une force facultative d’organisation autogestionnaire des travailleurs et des citoyens. C’est ce qui explique qu’elles n’existaient pas dans de nombreuses régions de la Yougoslavie. La Constitution de 1974 dispose que les communautés locales doivent être obligatoirement formées sur tout le territoire de la Yougoslavie. Elle sanctionne le droit et le devoir des travailleurs et des citoyens de s’organiser dans les communautés locales suivant les principes de l’autogestion au niveau de la localité, du quartier ou de plusieurs agglomérations reliées entre elles, pour y satisfaire des besoins et intérêts collectifs. A cet effet, les travailleurs et les citoyens rassemblés dans les communautés locales établissent des liens avec les organisations de travail associé, les communautés autogestionnaires d’intérêts et les autres organisations et communautés autogestionnaires.

Dans les communautés locales ainsi organisées, l’autogestion permet aux travailleurs et aux citoyens de se prononcer sur la réalisation de leurs intérêts collectifs ainsi que sur la satisfaction solidaire de leurs besoins communs concernant l’aménagement des agglomérations, l’habitat, les services communaux, la prévoyance infantile et sociale, l’éducation, la culture, l’éducation physique, la protection du consommateur, la protection et la promotion de l’environnement, la défense nationale, l’autoprotection sociale, etc. Mais au niveau de la communauté locale les travailleurs et les citoyens participent aussi à la gestion des affaires publiques ainsi qu’à l’élaboration des décisions sur les questions d’intérêt général qui sont prises dans les communes et les communautés socio-politiques supérieures. Ils statuent à leurs réunions, par voie de référendum, en recourant aux autres formes qui leur permettent d’exprimer leurs opinions, par l’intermédiaire de leurs délégués et en participant à la conclusion des conventions autogestionnaires [4] et des accords sociaux [5]. Enfin, ce sont les travailleurs et les citoyens eux-mêmes qui adoptent les statuts de leur communauté locale.

L’autogestion dans communes et les autres communautés socio-politiques

C’est dans les communautés socio-politiques (communes, Provinces autonomes, Républiques et Fédération) que les travailleurs et les citoyens (de même que les nations et les nationalités) réalisent certains intérêts communs et exercent les fonctions du pouvoir et de la gestion des autres affaires sociales. Leur engagement sur ce plan comporte d’importants éléments d’autogestion. En effet, toutes les autres formes d’autogestion que nous avons évoquées se réalisent en fait sur le territoire ou au sein de ces communautés. Le mécanisme du pouvoir et de l’autogestion dans les communautés socio-politiques comporte également diverses formes de démocratie directe et d’autodétermination, ainsi que ce qu’il est convenu d’appeler les conventions autogestionnaires et les accords sociaux. Toutefois, c’est surtout par l’intermédiaire de leurs délégués aux assemblées et aux organes responsables devant elles que les travailleurs participent à l’exercice du pouvoir et à la gestion des autres affaires sociales dans le cadre de ces communautés. A cet égard le système de délégation et le système d’assemblée dont nous nous proposons de parler dans les chapitres qui suivent, ont une importance de tout premier ordre pour l’organisation socio-politique de la Yougoslavie.

L’autogestion dansla commune remonte à 1953 ; elle fut introduite dans le système socio-politique de la Yougoslavie par la Loi constitutionnelle promulguée cette année-là. Au cours de la période précédente, la commune avait été plus ou moins la forme d’autonomie locale propre à la démocratie classique. Organes représentatifs, les comités populaires n’étaient en fait que des organes du pouvoir d’Etat à l’échelon local, et c’est au terme d’un processus assez long qu’ils devaient devenir les organes de base, les organes suprêmes du pouvoir. A cet égard, il convient de relever deux importants tournants : la Loi constitutionnelle dont il vient d’être question, et la Loi sur l’organisation et les compétences des communes et des arrondissements votée en 1955 qui fit de la commune l’organisation politico-territoriale fondamentale de l’autogestion du peuple travailleur. La Constitution de 1963 allait proclamer ensuite que l’autogestion dans la commune était la base politique d’un système socio-politique unique, la commune étant désormais considérée comme la collectivité sociopolitique primaire.

La commune [6] est aujourd’hui la collectivité socio-politique autogestionnaire de base, fondée sur le pouvoir et l’autogestion de la classe ouvrière et de tous les travailleurs. Elle est le milieu social, le lieu où les travailleurs et les citoyens créent et assurent les conditions de leur vie et de leur travail orientent le développement social, coordonnent et réalisent leurs intérêts satisfont leurs besoins collectifs etc. C’est dans la commune que les travailleurs et les citoyens exercent le pouvoir et gèrent les autres affaires sociales -tout le pouvoir et toutes les affaires sociales à l’exception de celles qu’ils gèrent, en vertu de la Constitution, dans les communautés socio-politiques plus larges. .

Le mécanisme du pouvoir et de la gestion des autres affaires sociales dans la commune est très complexe. Il comporte à la fois de forts éléments d’autogestion et des survivances de l’organisation propre au pouvoir d’Etat. En effet, les travailleurs et les citoyens y exercent leur pouvoir de décision avant tout, regroupés dans les organisations élémentaires de travail associé, les communautés locales, les communautés autogestionnaires d’intérêts et les autres organisations et communautés autogestionnaires, en mettant à profit les autres formes d’association autogestionnaire et d’organisation sociopolitique et au moyen des conventions autogestionnaires et des accords sociaux.

Les formes classiques de la démocratie directe que sont les réunions et le référendum permettent également aux travailleurs et aux citoyens de participer à l’exercice du pouvoir et à la gestion des autres affaires sociales au niveau de la commune. Les réunions sont organisées dans des unités restreintes sur le territoire de la commune. Tous les citoyens majeurs domiciliés dans ces unités et jouissant du droit de vote, peuvent y prendre part. Elles leur offrent la possibilité de se concerter, d’examiner et de débattre diverses questions, de s’informer, de contrôler l’activité des organes de l’Etat et de l’autogestion, de prendre des initiatives et d’adopter des décisions concernant différents problèmes. Disons également qu’elles jouent un certain rôle dans le processus de présentation des candidats aux sièges de délégués. Mais en fait ces réunions n’ont pas connu une affirmation tant soit peu importante. Les citoyens n’ont guère manifesté d’intérêt pour elles ; assez peu fréquentées, elles n’ont pas bénéficié d’un concours très agissant de la population. Le référendum – en tant que forme de décision directe des travailleurs et des citoyens dans la commune, apparaît comme un élément plus important du système socio-politique. Jusqu’ici les communes ont eu recours au référendum à propos de la réalisation de divers projets locaux : construction de routes, électrification des villages, etc. En général, il est organisé pour permettre à la population de se prononcer préalablement sur des questions de la compétence de l’assemblée communale ou d’entériner des actes de l’assemblée. Evidemment, les statuts de la commune peuvent préciser les questions qui doivent être soumises obligatoirement au référendum. Celui-ci est décrété par l’assemblée et les décisions prises au référendum par les travailleurs et les citoyens sont toujours obligatoires.

Enfin, dans la commune les travailleurs et les citoyens exercent le pouvoir de décision par l’intermédiaire de leurs délégations et de leurs délégués à l’assemblée communale et aux organes responsables devant cette assemblée. Reliés à l’assemblée communale par le système de délégation, ils participent à l’exercice de ses fonctions qui sont très importantes. En effet, comme toutes les autres assemblées du système yougoslave, elle est un organe de l’autogestion sociale et l’organe suprême du pouvoir dans le cadre, évidemment, des droits et des devoirs de la commune.

Ce mécanisme montre sans conteste que c’est dans la commune – bien plus que dans les autres communautés socio-politiques – que se déroule un intense processus de socialisation du pouvoir, et que les éléments de l’autogestion y sont très marqués et développés.

Dans les communautés socio-politiques plus étendues (Provinces autonomes, Républiques et fédération), les travailleurs et les citoyens exercent l’autogestion, c’est-à-dire le pouvoir et la gestion des autres affaires sociales, principalement par l’intermédiaire des délégués élus aux assemblées de ces communautés. Organes de l’autogestion sociale et organes suprêmes du pouvoir, ces assemblées exercent des fonctions très larges, les fonctions principales du pouvoir et de la gestion des autres affaires de la société. A la faveur du système de délégation institué en 1974 (et dont il sera question plus en détail par la suite), les travailleurs et les citoyens ont acquis des possibilités bien plus amples d’exercer une influence réelle sur les travaux des assemblées et de participer beaucoup plus directement à l’accomplissement de leurs fonctions. Autrement dit, ils peuvent prendre une part toujours plus directe et plus agissante à l’exercice du pouvoir politique dans le cadre des communautés socio-politiques supérieures.

En plus des conventions autogestionnaires et des accords sociaux, les travailleurs et les citoyens ont à leur disposition un autre instrument – le référendum – pour participer à l’exercice du pouvoir et à la gestion des autres affaires sociales au niveau de ces communautés. On se doit de faire remarquer cependant que jusqu’ici on n’a eu recours au référendum ni dans les Provinces autonomes, ni dans les Républiques, ni enfin dans la Fédération. Par contre, les débats publics sur les textes constitutionnels, les lois et autres actes généraux – en tant que forme d’engagement et d’activité politiques des travailleurs et des citoyens dans les Provinces autonomes, les Républiques et la Fédération (et les communes bien entendu) sont devenus une partie intégrante du mécanisme d’exercice du pouvoir et de la gestion des autres affaires sociales.

Les conventions autogestionnaires et les accords sociaux

Les ouvriers’ et les autres travailleurs ont recours aux conventions autogestionnaires et aux accords sociaux pour réglementer leurs rapports mutuels, harmoniser leurs intérêts et articuler les rapports sur un plan social plus étendu. Les conventions autogestionnaires et les accords sociaux sont dès lors une forme très importante du pouvoir de décision autogestionnaire. En effet, ils introduisent dans le fonctionnement des organisations de travail associé et des autres communautés et organisations autogestionnaires ainsi que des communautés socio-politiques, un important élément de désétatisation de la gestion des affaires sociales. Il s’agit désormais d’un rouage habituel du mécanisme de l’autogestion.

La convention autogestionnaire est conclue par les ouvriers des organisations élémentaires et autres organisations de travail associé et les travailleurs des communautés locales, des communautés autogestionnaires d’intérêts et des autres organisations et communautés autogestionnaires, dans le cadre de leurs droits autogestionnaires. Son but est d’harmoniser les intérêts des ouvriers et des travailleurs dans la division sociale du travail et la reproduction sociale, d’associer le travail et les moyens de production, et enfin de réglementer les rapports mutuels y afférant. Les organisations de travail et les autres organisations de travail associé, les banques, les communautés d’affaires et autres communautés professionnelles peuvent être fondées en vertu des conventions autogestionnaires. Celles-ci peuvent également avoir pour objectif de fixer les bases et les critères de la répartition du revenu et des ressources destinées aux revenus personnels, de fixer des droits, obligations et responsabilités réciproques et de réglementer d’autres rapports d’intérêt commun.

La convention autogestionnaire engage ses signataires et ceux qui y adhèrent par la suite.

L’accord social est conclu par les organisations de travail associé, les chambres d’économie et les autres associations générales, les communautés autogestionnaires d’intérêt, les autres organisations et communautés autogestionnaires, les organes des communautés socio-politiques, les syndicats et les autres organisations socio-politiques et sociales. Il réglemente suivant les principes de l’autogestion les rapports socio-économiques et autres rapports intéressant ceux qui l’ont conclu ou même des rapports présentant un intérêt social plus vaste, général.

Comme la convention autogestionnaire, l’accord social est obligatoire pour ceux qui l’ont passé ainsi que pour ceux qui y adhèrent par la suite. .

[1] Membres des organes de gestion des organisations de travail associé en 1972 : Organisations de travail des activités économiques

-possédant des conseils ouvriers : Conseils ouvriers…..6.130

Membres des conseils

ouvriers……….135.171

– ne possédant pas de conseils ouvriers distincts (il s’agit des petites orga­nisations de travail dans lesquelles tout le personnel constitue en quel­que sorte le conseil ouvrier) :

Communautés de travail .. 1.611 Membres des communautés de travail… 42.123

Organisations de travail associé des activités sociales dans lesquelles des conseils ont été formés :

Conseils…….8.951

Membres des conseils………208.482

Source : Annuaire statistique de la Yougoslavie, 1975, p. 79.

[2] Les communautés autogestionnaires d’intérêts sont également fondées en vertu de la loi. En 1973, on comptait 1.116 communautés autogestionnaires d’intérêts dont 121 avaient été constituées en vertu de conventions autogestionnaires et d’accords sociaux, et 995 en vertu des dispositions légales (Source : Annuaire statistique de la Yougoslavie, 1975, p. 97). Toutefois, la tendance étant d’accentuer toujours plus la désétatisation dans la sphère des activités sociales, les communautés autogestionnaires d’intérêts sont fondées désormais de plus en plus au moyen de conventions autogestionnaires et d’accords sociaux.

[3] Les communautés autogestionnaires d’intérêts en 1973

Total ………………………1.116

Education……………………..397

Culture……………………….253

Sécurité Sociale……………….146

Prévoyance sociale et infantile .. 161

Emploi…………………………77

Autres activités………………..82

Source : Annuaire statistique de la Yougoslavie, 1975, p. 97.

[4] Le processus de consolidation graduelle des communautés locales étant encore en cours, le mécanisme de l’autogestion n’y est pas partout développé jusqu’au bout ni de la même manière. C’est ce qui explique que dans certaines Républiques et régions les réunions de citoyens soient encore la forme fondamentale de la prise des décisions, tandis que les conseils des communautés locales en sont les organes exécutifs, comme cela était le cas avant la promulgation de la nouvelle Constitution (1974). Dans d’autres Républiques et régions, on a procédé après l’adoption de la nouvelle Constitution de la RSFY, à l’élection des assemblées des communautés locales qui en sont les organes fondamentaux de gestion. Elles sont composées de délégués des organisations élémentaires de travail associé et des organisations socio-politiques du territoire des communautés locales. Néanmoins, les assemblées peu­vent être constituées d’une autre manière. Disons aussi que dans l’exercice de l’autogestion au niveau des communautés locales un rôle important est joué par les délégations qui y sont formées par les travailleurs et les citoyens. Il en sera question plus en détail au chapitre suivant de cet ouvrage.

En 1974, d’après des données incomplètes, les 8.878 conseils formés dans les communautés locales comptaient 108.120 membres. Source : Annuaire statistique de la Yougoslavie, 1975, p.98.

[5] Chaque communauté locale possède ses statuts. Ceux-ci déterminent les droits les devoirs et l’organisation de la communauté locale, ainsi que ses rapports avec les organisations de travail associé et les autres organisations et communautés autogestionnaires. Les statuts règlent également les autres questions présentant de l’importance pour la communauté locale et pour la vie de ses travailleurs et citoyens.

En 1974, il y avait au total 11.606 communautés locales. Source : Annuaire statistique de la Yougoslavie 1975 p. 98

[6] La Yougoslavie compte actuellement (1975) 500 communes

Les communes suivant la superficie totale :

– de moins de 50 km2 18

– de 50 à 100 ……………… 10

– de 100 à 200 ……………… 36

– de 200 à 300 ……………… 83

– de 300 à 400 ……………… 93

– de 400 à 500 ……………… 60

– de 500 à 600 ……………… 50

– de 600 à 700 ……………… 45

– de 700 à 800 ……………… 34

– de 800 à 900 ……………… 22

– de 900 à 1.000 ……………… 15

– de 1.000 à 1.200 ……………… 24

– de plus de 1.200 ……………… 20

Les communes suivant la population (1971) :

– de moins de 5.000 h. ………………. 3

– de 5.000 à 10.000 . ………………. 27

– de 10.000 à 15.000 ………………. 37

– de 15.000 à 20.000 ………………. 94

– de 20.000 à 25.000 ………………. 54

– de 25.000 à 30.000 ………………. 44

– de 30.000 à 35.000 ………………. 45

– de 35.000 à 40.000 ………………. 31

– de 40.000 à 45.000 ………………. 23

– de 45.000 à 50.000 ………………. 26

– de 50.000 à 55.000 ………………. 21

– de 55.000 à 60.000 ………………. 12

– de 60.000 à 70.000 ………………. 27

– de 70.000 à 80.000 ………………. 12

– de 80.000 à 90.000 ………………. 10

– de 90.000 à 100.000 ………………. 12

– de plus de 100.000 ……………….. 32

Source : Annuaire statistique de la Yougoslavie, 1975, p. 554-555.