Développement et sociétés

LA SOCIAL-DEMOCRATIE ET LA LUTTE DE LIBBERATION EN AFRIQUE DU SUD

Ethiopiques numéro 9,

revue socialiste

de culture négro-africaine, 1977

En Europe, nous pouvons nous réjouir des progrès faits par l’œuvre de la paix. Le processus de détente continue. Les régimes oppressifs de la Grèce et du Portugal sont tombés. En Espagne, le système fasciste marche vers sa fin inévitable, sous la pression d’un peuple impatient, et d’une opposition grandissante réclamant la liberté et la justice sociale. Dans tous ces secteurs, que ce soit pour la consolidation et l’extension de la détente, ou dans le combat pour la liberté et contre la dictature, les sociaux démocrates ont joué un rôle important.

Ces progrès en Europe, toutefois, s’offrent en contraste avec l’oppression et la violence si répandues dans le Tiers-Monde.

Nous l’avons vu au Liban, déchiré par le fanatisme religieux et politique, mais aussi par l’intervention étrangère et des décades de conflits non résolus. Espérons que ce pays est enfin sur le chemin de la paix et de la réconciliation nationale. Tous les peuples du Moyen-Orient ont le droit de vivre à l’intérieur de frontières sûres et reconnues. La social-démocratie, partout dans le monde, et plus peut-être qu’aucun autre mouvement, a soutenu avec fermeté le droit des peuples d’Israël à un Etat et à une vie tranquille dans le progrès. Mais aussi nous devons reconnaître l’identité du peuple palestinien et son droit légitime à l’autodétermination nationale. Aussi longtemps que ces droits seront déniés, les conflits au Moyen-Orient ne seront pas résolus.

En Amérique du Sud, la terreur s’étend comme une peste. Le pouvoir militaire, la torture, les escadrons de la mort, se sont substitués à la tension vers la démocratie et les réformes. L’Argentine, l’Uruguay et le Chili se sont vu ajoutés au nombre croissant des dictatures, à un prix horrifiant en vies humaines et en tortures. Il est temps que la communauté internationale se mobilise en une campagne puissante contre une telle barbarie, et nous devons y ajouter une politique généreuse d’asile envers ceux qui se trouvent forcés de fuir la mort et la prison.

Dans le Sud de l’Afrique, le dernier empire colonial existant s’est effondré. Les peuples de Mozambique, de Guinée-Bissao et d’Angola se sont libérés de la domination du Portugal après des siècles d’exploitation et des décades de luttes. Mais, en Afrique du Sud, au Zimbabwé et en Namibie, la domination de la minorité blanche continue. Je pourrais désigner plusieurs autres zones de conflits ; elles sont en trop grand nombre.

A cette violence ouverte s’ajoute une menace plus anonyme mais non moins sérieuse : la pauvreté croissante, la famine, la mauvaise volonté des nantis à offrir l’aide nécessaire, pendant que croissent les dépenses d’armement.

Aussi longtemps que règnera l’injustice, il sera impossible de parler de paix, car les revendications des peuples en vue de changer leurs conditions de vie et de trouver une voie hors de l’oppression et de la misère sont plus fortes que les admonestations à l’austérité et à la paix. Les luttes de libération peuvent être pour un temps jugulées par des forces supérieures, mais, tôt ou tard, le désir de liberté s’ouvre une voie. Les efforts pour barrer le flot ne servent qu’à intensifier les conflits, armer les attitudes et empêcher la coopération entre les pays et les peuples. Nous devrions, au contraire, aider les nations dans leur effort vers l’indépendance, vers la justice sociale et la dignité humaine.

Le Sud de l’Afrique est porté rapidement vers une crise à l’issue incertaine. L’attention internationale et les efforts diplomatiques restent fixés sur le dernier bastion du colonialisme et de l’apartheid. Ici même, à Genève, se tiennent d’importantes conversations qui conditionneront probablement l’avenir du Zimbabwé. Aux Nations Unies, la pression croît contre les minorités blanches. Dans le Sud même de l’Afrique, les luttes de libération s’intensifient et revêtent de nouvelles formes.

L’explosion approche, la lutte s’approfondit, le risque de violences inutiles et de désintégration économique s’accroît, de même que celui de déplorables interventions extérieures. L’intervention déplorable est l’introduction dans la région des rivalités entre Grandes Puissances. La forme souhaitable d’intervention serait de soutenir la lutte de libération et de réduire la résistance entêtée des forces qui s’accrochent encore au maintien du règne de la suprématie blanche.

Le prochain champ de bataille international

Il y a quelques mois le SIPRI, (Institut de Recherches Internationales pour la Paix, de Stockolm) publiait une documentation exhaustive sur les risques d’escalade du conflit dans le Sud de l’Afrique, qui pourrait bien devenir le prochain champ de bataille international. .

L’oppression continue des populations de l’Afrique du Sud par le régime de l’apartheid et l’occupation illégale de la Namibie sont déjà une menace potentielle pour la paix mondiale. Il est exact que la suprématie blanche est menacée par le succès des mouvements nationalistes dans les anciennes colonies portugaises et par l’intensification des luttes au Zimbabwé et en Namibie, mais dans le même temps le régime renforce ses moyens d’oppression, consolide ses défenses et s’efforce d’obtenir un plus large support international. Le massacre de Soweto, cet été, et les événements qui ont suivi, avec leurs centaines de morts, leurs milliers de blessés et d’emprisonnés, ont servi à démontrer que la suprématie blanche n’hésitera pas à utiliser la violence la plus brutale. Récemment, un certain nombre de syndicalistes et de journalistes ont été arrêtés ou déportés.

Ian Smith a admis que l’Afrique du Sud et la Rhodésie étaient d’accord sur le postulat que leur combat était un soutien de la démocratie, telle que l’homme blanc l’avait amenée en Afrique. Vorster sollicite l’aide internationale pour lutter dans l’intérêt du « monde libre ». N’ont-ils rien appris ? Parlons clairement. Les sociaux-démocrates n’admettront jamais la perversion de la démocratie occidentale. Nous n’admettrons jamais l’oppression et le racisme de Vorster dans un monde libre. Nous connaissons le communisme, tel qu’il est à nos portes, dans l’Est de l’Europe, et nous le combattons. Mais nous reconnaissons aussi la lutte pour la liberté, comme dans le Sud de l’Afrique, et nous la soutenons.

Smith et Vorster se situent à l’opposé de la démocratie. Ils refusent au peuple de Zimbabwé, de Namibie et de l’Afrique du Sud les droits humains les plus fondamentaux qui sont les fondements de la démocratie. Ces mêmes droits humains et politiques qui, lorsqu’ils étaient refusés en Europe aux forces travaillistes, avaient été à la base des premiers programmes de notre mouvement.

L’apartheid est par nature un système de violence qui ne peut être maintenu que par la force et par l’oppression de la majorité noire. Il est aussi un système d’exploitation sociale et économique qui divise les travailleurs entre eux sur la base de la couleur de leur peau, au moment même où deux millions de travailleurs restent sans emploi. Une société qui répond à la recherche de la dignité et de la décence par l’action policière brutale et par le meurtre ne doit pas seulement être condamnée ; elle est aussi vouée à la division permanente et aux conflits.

La résistance entêtée des régimes racistes pose le problème de savoir si seule la violence et la révolution peuvent y être les agents du changement, ou s’il y a un moyen pacifique d’effacer l’affront à la dignité humaine connu sous les noms de colonialisme, racisme et apartheid. Mais il est aisé de prévoir que si ceux qui cherchent la paix et le progrès doivent affronter seulement oppression et exploitation, leur issue sera de recourir à la violence.

L’étude du SIPRI signale également le risque d’internationalisation du conflit, dû au renforcement des investissements internationaux en Afrique du Sud. Les ressources en matières premières de ce pays et sa position stratégique peuvent être un prétexte au renforcement des implications en faveur du régime blanc, ces « implications » elles-mêmes servant à encourager d’autres puissances à devenir plus actives dans cette zone.

Il y a ainsi un risque sérieux que l’Afrique devienne un nouveau champ de bataille entre Noirs et Blancs, entre l’Est et l’Ouest. C’est la chose la moins désirée par les Africains eux-mêmes.

Les nationalistes africains ont toujours eu l’indépendance comme but prioritaire. Ils sont tous intensément opposés au racisme sud-africain. La lutte pour l’indépendance et leur résistance à l’apartheid les unit. De plus, leur détermination a toujours été de ne pas se trouver, après l’indépendance, mêlés au conflit global entre grandes puissances. Un autre facteur d’unification entre eux est leur détermination de rester non alignés.

Dans cette situation, la social-démocratie devrait assurer l’importante tâche d’œuvrer pour la paix, la liberté et la justice sociale. La social-démocratie a joué un rôle important dans l’entreprise d’isolement du régime militaire grec, et a contribué la chute de la junte militaire. Les sociaux-démocrates se sont attachés à la défense et à la consolidation de la démocratie. En Afrique, l’Europe de l’Ouest a des responsabilités sociales, parce que constituée d’Etats riches qui sont d’anciennes puissances coloniales.

L’héritage européen est un lourd fardeau. Nous devrions prêter attention aux avertissements du président du Botswana : « Le maintien de l’amitié entre l’Afrique et le monde occidental dépendra de l’attitude des puissances occidentales vis-à-vis de la libération du Sud de l’Afrique ».

La libération des Africains sera leur œuvre propre, et cette libération doit venir inévitablement, mais la communauté internationale peut contribuer à raccourcir le combat et à le rendre moins violent.

Les composantes de notre politique

Quels doivent donc être les composantes de notre politique ? Permettez-moi de mentionner quelques-uns des secteurs qu’elle devrait couvrir :

Premièrement, les sociaux-démocrates devraient travailler à une résolution contraignante des Nations Unies prohibant toute exportation d’armes en Afrique du Sud et toute collaboration militaire avec ce pays.

Deuxièmement, nous devrions donner un soutien politique et matériel aux mouvements de libération des Etats autonomes dans leur lutte pour l’indépendance nationale et l’émancipation économique. Les efforts venus de l’extérieur pour saboter l’indépendance de l’Angola sont alarmants. Si notre opposition à l’intervention doit avoir quelque crédibilité, nous devons essayer d’arrêter le recrutement, le financement, l’entraînement, le transit et le rassemblement des mercenaires de toute provenance. Nous devons aussi prendre position sans équivoque contre les agressions répétées dont sont victimes, de la part de l’Afrique du Sud, la République de Zambie et la République Populaire d’Angola, et la République du Mozambique de la part du régime minoritaire rhodésien.

Troisièmement, nous devrions mieux coordonner nos efforts pour aboutir à une politique effective d’isolement et de sanction aux Nations Unies contre l’Afrique du Sud. Notre refus de reconnaître les soi-disant Républiques indépendantes Bantoustan, le Transkei étant le premier pas, devrait être suivi de l’opposition à tout effort du capitalisme international de « reconnaître » ces régimes en pratiquant des investissements massifs dans ces zones.

Quatrièmement, nous devrions encourager tout effort fait pour aboutir à la règle de la majorité au Zimbabwé, tout en maintenant les sanctions contre le régime de Ian Smith. La représentation du Zimbabwé à la conférence de Genève devrait sentir que le socialisme international est fermement de son côté dans ce but.

Cinquièmement, nous devrions travailler avec détermination à mettre fin à l’occupation illégale de la Namibie, et nous devrions soutenir la SWAPO.

Sixièmement, nous devons considérer sérieusement la question des investissements nouveaux en Afrique du Sud et l’attitude à adopter à cet égard. J’ai sur ce point des vues très précises, mais j’ai choisi de ne les exprimer ici qu’en termes généraux. Dans ce contexte, nous coopérons de manière étroite avec le ICFTU qui a proposé une série d’intéressantes recommandations. En relation avec ces recommandations, les syndicats suédois sont déjà parvenus à des résultats dans leurs négociations avec les firmes suédoises ayant des filiales en Afrique du Sud.

Septièmement, nous devrions, avec le ICFTU, donner notre appui aux syndicats noirs et mouvements d’étudiants en Afrique du Sud, en Namibie et au Zimbabwé.

L’alternative au développement pacifique dans le Sud de l’Afrique est une guerre raciale dévastatrice qui, pendant longtemps, empoisonnerait les relations entre les groupes, les races, les nations et mettrait en péril la paix mondiale. Les sociaux-démocrates doivent, en conséquence, assumer leurs responsabilités.

La social-démocratie ne devrait pas se tenir aux côtés du colonialisme et du racisme. Dans chaque cas individuel, nous devons être aux côtés des peuples pauvres et opprimés et donner notre aide aux luttes de libération dans le Sud de l’Afrique.

Ce n’est pas seulement une question de contacts et de dialogue, mais d’identification avec la lutte de libération de la majorité opprimée de cette planète.