Critique d’art

L’AFRICAIN DE SERVICE, DES ZOOS HUMAINS AUX BIENNALES D’ART CONTEMPORAIN

Ethiopiques n°73.

Littérature, philosophie et art

2ème semestre 2004

La 49e biennale de Venise de 2001, organisée par Harald Szeemann, s’intitulait « Plateau de l’humanité ». On était donc en droit d’attendre, enfin, un aperçu de l’art africain contemporain en dépit de l’absence notoire de pavillon de l’Afrique sub-saharienne. On aperçut en effet, dans le pavillon italien, sur le « Plateau de la Pensée », voisinant avec le « Penseur » de Rodin ou un bronze indien du XIe siècle, des œuvres en provenance du Sénégal, de la Sierra Leone, du Cameroun ou du Kenya. L’art africain faisait donc bien partie de l’art contemporain. Mais une fois ceci démontré, il fallait chercher avec attention pour rencontrer des œuvres africaines montrées pour elles-mêmes et non comme éléments d’une justification du thème adopté par la biennale. Certes, on se heurtait nécessairement à une statue haute en couleur du Nigérian Sunday Jack Agpan, « Chief », en ciment armé, placé au centre d’une allée. Incontestablement on fut mis en présence de grandes sculptures d’hommes noirs et d’un environnement de type africain chez Sarenco l’Africano, mais il s’avéra assez vite que l’artiste était Italien. Fallait-il alors être Européen pour parler de l’Afrique ? C’est ce que pouvaient en effet confirmer Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi, tous deux Italiens, qui, à partir des archives cinématographiques retravaillées du début du XXe siècle, mettaient en évidence la mentalité coloniale et en même temps dénonçaient ce regard sur l’Autre. A moins que Luc Tuymans – un artiste belge – ne suffise, par son exposition Mwana Kitoko, à faire mémoire des centaines de milliers de personnes tuées au Congo sous le pouvoir colonial.

Et pendant ce temps-là, dans une exposition a latere, en un palais vénitien très éloigné du centre de la biennale, des artistes africains étaient réunis sous la houlette de commissaires africains : Authentic/Ex-Centri : Africa In and Out of Africa [2].

Ce constat vaut pour ce qu’il permet de déchiffrer de l’attitude des institutions artistiques occidentales envers ce type d’art : souvent l’approche de l’art contemporain africain ressemble au regard des premiers explorateurs de l’Afrique [3]. Mais ce n’est pas assez dire, on pourrait soupçonner parfois une parenté entre le regard des organisateurs et celui des visiteurs des « zoos humains » du jardin zoologique d’Acclimatation qui présentait des Nubiens derrière des grilles et le regard des commissaires et des visiteurs de certaines expositions internationales.

C’est pourquoi il ne suffirait pas de s’appesantir sur la rareté des artistes africains dans les expositions contemporaines sans s’interroger sur la nature du regard porté sur ces œuvres venues d’ailleurs. Car ce regard nous apprendra plus sur celui qui regarde que sur ce qui est regardé, sur la diversité de nos intérêts que sur l’originalité des œuvres présentées.

  1. L’ART AFRICAIN CONTEMPORAIN N’EXISTE PAS

En préalable il faut satisfaire à l’exigence du ti estin socratique, le « qu’est-ce que c’est que » de la définition. Question qui se décline en plusieurs autres. En quoi peut-on parler « d’art » quand on parle de l’art africain ? En quoi peut-on parler d’art « africain » ? Y a-t-il une différence à parler de « l’art contemporain africain » ou de « l’art africain contemporain ? »

En quoi peut-on parler « d’art » quand on parle de l’art africain ? La réponse à cette question, qui semble provocatrice, n’est pas simple, car s’ouvrent deux réponses possibles : soit nous déclarons qu’il n’y a pas d’art africain puisqu’il n’existe pas de terme correspondant dans les langues africaines : pas de mot pas de réalité, soit nous déclarons qu’il y a bien un art africain et, du haut de notre supériorité, nous attribuons cette qualité à des œuvres qui n’avaient pas été produites par une visée d’art, mais qui, par l’effet produit sur nous, répondent à une attente que nous qualifions d’esthétique.

En effet, certains disent que « l’art » ne serait pas un concept africain, il serait tout au plus une pratique comme celle de « l’art brut », « l’art naïf » ou « l’art » des malades mentaux. Ce que nous appelons les beaux-arts, en mettant dans cette expression une admiration pour des œuvres d’exception produites par des hommes exceptionnels doués de génie, n’a pas de correspondant en Afrique : il n’y pas de mots pour désigner l’œuvre d’art, l’artiste et l’art dans la plupart des langues africaines. Il serait donc légitime de trouver, dans l’absence de correspondant lexical, la preuve de l’absence d’une réalité. Ces conclusions s’appuient parfois sur certaines déclarations de John Langshaw Austin, l’un des plus célèbres représentants de la philosophie analytique. Le langage courant, la manière de parler ordinaire, renfermerait en effet les distinctions nécessaires et suffisantes à toute recherche philosophique :

« Notre stock commun de mots trace toutes les distinctions dont les hommes ont pensé qu’elles méritaient d’être établies, ainsi que les relations dont ils ont pensé qu’elles valaient la peine d’être marquées, cela tout au long de nombreuses générations : puisque du point de vue de la question de la survie des éléments les plus adaptés, elles ont résisté au test le plus long, elles sont sans doute plus nombreuses, plus sensées et plus subtiles, du moins en ce qui concerne les affaires ordinaires et raisonnablement pratiques, que celles que vous et moi sommes susceptibles d’imaginer un après-midi dans notre fauteuil » [4].

Si l’on fait appel à la sagesse du langage, le manque de mot suggère que la réalité manque. Dire que tous les mots que l’on trouve dans une langue sont les traces des relations dont les hommes ont pensé qu’elles valaient la peine d’être marquées, n’est-ce pas supposer qu’il n’existe pas de distinction – pour ce qui concerne notre propos – entre la technique ou art appliqué et les beaux-arts ? Encore faudrait-il mettre en lumière les présupposés de cette thèse lorsqu’on l’applique à une culture éloignée de la nôtre. On imagine, en effet, implicitement que toute langue fonctionne comme notre langue ; que toute distinction nécessaire est consignée dans notre vocabulaire, y compris lorsqu’elle ne relève pas de l’utilité et du langage ordinaire. Mais cela ne serait-il pas seulement le propre de la culture occidentale ? D’une telle illusion d’optique pourrait trop facilement découler que les Africains n’avaient pas besoin d’une telle distinction, qu’ils n’étaient pas arrivés à un stade de finesse qui la rendait indispensable et qu’ils fonctionnaient et fonctionnent encore selon d’autres distinctions, selon un autre découpage du monde de la production.

Contre cette thèse, on peut retenir celle de Michel Leiris qui affirme que ce n’est pas l’absence d’un mot, fût-ce celui d’art ou même de beauté, qui peut interdire à des objets africains d’entrer dans le domaine de l’art :

« Certains ethnologues et critiques d’art sont allés prétendant que les mots “beauté” et “beau” étaient absents des langues négro-africaines. C’est tout le contraire. La vérité est que le Négro-africain assimile la beauté à la bonté, surtout à l’efficacité [5] ».

Pour lui, la présence ou l’intention de la beauté suffit, même si ces sociétés ignorent l’art pur, « l’art y fait sentir son poids » par l’admiration morale, technique ou magique que l’on porte à l’objet.

Mais en reconnaissant à la pratique africaine la dimension de l’art – contre ceux qui vont proclamant qu’il n’y a pas d’art africain -, on s’affronte à une autre difficulté : que signifie cette assignation à l’art des œuvres que présente l’Occident dans ses expositions, alors même que nous savons qu’elles ont été produites pour d’autres fins ? C‘est de manière rétroactive, à la lumière de notre conception et de notre expérience présente, que nous annexons des œuvres qui n’étaient pas destinées à notre jouissance désintéressée et autonome. C’est donc sous l’éclairage de l’art présent, de ses critères, que nous transformons la visée portée sur ces œuvres. Comme si – et ce serait là le versant positif de cette transmutation abusive – un regard aiguisé par des œuvres postérieures libérait des qualités, des potentialités qui n’étaient pas vues ou même souhaitées. L’acte de transporter une statue de Phidias du temple de l’Acropole ou un masque ndeemba congolais au musée lui fait perdre sa fonction primitive pour lui en faire jouer une autre.

Cependant, ce changement de regard est possible uniquement parce que ces œuvres rejoignaient notre champ esthétique et les concepts qui l’habitent : la beauté, le plaisir, le sacré, le sens, le désintéressement, ou le créateur, le génie, l’homme d’exception. Malgré l’appartenance à un territoire différent, ces œuvres, en produisant un écho relevant pour nous de l’esthétique, acquéraient un visa d’entrée dans l’art. A noter néanmoins que l’on ne pourrait pas en faire autant de tous les objets produits par l’Afrique : une marmite, une chaise ou une chaussure. Limitation qui met un frein à l’entrée de n’importe quel artefact dans un musée au vu de son visa d’appartenance spirituelle ainsi que le souligne Arthur Danto :

« Il est peut-être inévitable que nous soyons amenés à voir comme des œuvres d’art des objets qui ne jouissent pas de ce statut dans les sociétés dont ils sont originaires. Si ces objets sont des artefacts dans la culture dont ils sont issus, ils en sont aussi dans la nôtre, quelles que soient leurs similitudes externes avec des objets qui en sont venus à être des œuvres d’art dans notre propre culture » [6].

Mais peut-on parler d’art « africain » en général ? Alors qu’on ne peut pas parler des mathématiques chinoises mais des mathématiques en Chine ? Alors qu’on ne peut pas parler d’un art européen ou asiatique stricto sensu ? Parler de « l’art africain », comme parler d’ailleurs de « l’art occidental », procède de plusieurs illusions ou postulats. C’est penser tout d’abord qu’une aire géographique suffit à faire une unité artistique. Or il n’existe pas un peuple africain, une unité culturelle ou un esprit commun. Il serait donc vain de rechercher une identité continentale qui surplomberait la dispersion des cultures. Comme les Occidentaux, les artistes africains suivent des parcours individuels même si l’on peut parfois reconnaître des ressemblances, des écoles ou des courants. C’est vouloir dire aussi qu’il y aurait une manière particulière de faire de l’art en Afrique. Cette classification, comme la condescendance de l’homme occidental qui regarde les autres cultures, provient elle-même d’une illusion concernant la propre vision de son art. Son histoire de l’art lui présente une image unifiée de l’art occidental : il y a une logique, des œuvres dominent, il y a eu le jugement du tribunal de l’Histoire de l’Art. Tout ce qui est tombé en dehors de cette histoire, toutes les contradictions, les ruptures non abouties sont gommées et oubliées, pour ne présenter qu’un visage lisse et cohérent d’un parcours unifié pour établir son ipséité. Donc, puisqu’il y a un art occidental pour soi, il y aurait un art « africain » pour l’autre. En acceptant cela, on s’affronte à des difficultés insurmontables : suffit-il d’être Africain pour faire de l’art africain ? Un artiste noir nigérian vivant à New York et qui lit Art Press fait-il de l’art africain ? Un Blanc d’Afrique du Sud fait-il de l’art africain ?

Vouloir parler de l’art africain en général relève d’une normalisation insensée. L’enjeu n’est donc pas de parler de l’art africain, mais bien de voir ce que les Occidentaux font des œuvres de certains Africains dans leurs expositions.

Y a-t-il une différence à parler de l’art contemporain africain ou de l’art africain contemporain ? Quel enjeu se cache-t-il derrière cette place de l’adjectif ? Par exemple pourquoi DAK’ART s’intitule-t-elle « Biennale de l’Art africain contemporain », pourquoi Pierre Gaudibert et Nicole Guez publient-ils à quelques années de distance L’art africain contemporain, alors que André Magnin et Jacques Soulillou écrivent Contemporary art of Africa et qu’il existe un Journal of Contemporary african art ? Esquissons seulement une hypothèse. Parler de l’art contemporain africain, c’est déjà situer l’art africain dans le champ déterminé et valorisé de l’art contemporain pour en voir simplement la particularité. Parler de l’art africain contemporain, c’est peut-être s’interroger sur la contemporanéité de l’art africain, qui, bien que contemporain au sens de présent, ne relève pas des mêmes catégories esthétiques que l’art occidental contemporain. La véritable différence se fait par le défigement de l’expression fixée « art contemporain ». Dans l’une, elle a sa valeur habituelle : « l’art contemporain » a pour particularité d’être africain ; dans l’autre, elle n’a plus sa valeur habituelle et « contemporain » et « africain » reprennent leur sens. Dans l’une, on englobe l’art africain dans le grand groupe de « l’art-contemporain-tel-que-les-vrais-connaisseurs-l’ont-défini », dans l’autre, on envisage un art qui vient d’Afrique et qui date d’aujourd’hui.

Ce qui reviendrait à dire, dans ce dernier cas, qu’un artiste africain contemporain est Africain avant d’être contemporain. Attitude identique à celle que relève Fred R. Myers vis-à-vis des Aborigènes d’Australie ; on refuse le label de « contemporain » à leurs productions, car on les admire au nom de leur authenticité. Or l’authenticité renvoie aux racines de la tradition, s’en écarter c’est courir le risque de s’adultérer et se perdre :

« Il y a, sans doute, une composante de primitivisme dans le regard porté sur les peintures aborigènes ; un « primitivisme” qui reconnaît les Aborigènes comme des exemplaires d’une humanité fondamentale mais qui ne peut les imaginer engagés dans des marchés contemporains, travaillant des matériaux modernes, tout en demeurant “culturellement authentiques”, comme s’il y avait une sorte d’incompatibilité entre l’authentique et le contemporain et une énigmatique affinité entre la différence et la traditions, vue au passé » [7].

Faut-il aller jusqu’à percevoir une différence fondamentale entre la dénomination française et la dénomination américaine ? Les Etats-Unis accepteraient plus facilement l’introduction des Africains dans l’art contemporain, habitués qu’ils sont aux différences culturelles et au multiculturalisme qui sont « des éléments fondamentaux de l’imaginaire national ». Alors que la France aurait davantage de difficultés à renoncer à la notion de primitivisme et rangerait plus volontiers l’art africain dans l’anthropologique ou l’exotique que dans le contemporain.

Quoi qu’il en soit, la position française et toutes celles qui lui ressemblent posent un redoutable problème : ne serions-nous pas – d’une certaine manière – les héritiers de Hegel ? Ne serions-nous pas vis-à-vis de l’art africain d’aujourd’hui dans la même position que celle de Hegel, dans un cours de 1830 [8], lorsqu’il hésite à reconnaître les Africains comme des hommes :

« Nous devons faire abstraction de tout esprit de respect et de moralité, de tout ce qui s’appelle sentiment, si nous voulons saisir sa nature. Tout cela, en effet, manque à l’homme qui est au stade de l’immédiateté : on ne peut rien trouver dans son caractère qui s’accorde à l’humain. C’est précisément pour cette raison que nous ne pouvons vraiment pas nous identifier, par le sentiment, à sa nature, de la même façon que nous ne pouvons nous identifier à celle d’un chien ».

C’est soutenir qu’il n’existe pas de sentir commun ou de communauté instituée des consciences voulues par l’universalité de la rencontre. Prisonnier de sa philosophie de l’Histoire qui postule que l’homme devient peu à peu ce qu’il peut être en prenant conscience de lui-même, Hegel affirme qu’il y a une histoire du devenir homme, car il y a une histoire du devenir libre. N’étant pas parvenu au stade de la liberté, celui que le philosophe, conformément à son époque, appelle le « nègre », possède encore aujourd’hui les caractères de l’homme non encore conscient de lui-même : il en reste, écrit Hegel, « au premier stade » de l’humanité ou encore « état d’innocence », c’est un « homme à l’état brut » ou un « homme naturel ». De ce fait, dominé par ses passions, il demeure dans un état de sauvagerie et de barbarie, mais aussi dans un état d’innocence puisqu’il est dans un état d’inconscience de soi proche de l’animalité. Et, trait ultime en matière religieuse, il possède les pouvoirs du magicien comme le justifie le recours aux mots d’Hérodote : « En Afrique, tous les hommes sont des magiciens ». Termes « d’innocence », de « nature » et de « magie » qui firent florès dans certains catalogues d’art contemporain. Il est alors intéressant de voir comment les stéréotypes ont la vie dure et comment nous restons, en bien des points, dans nos réactions vis-à-vis de l’art africain, semblables aux hommes du XIXe siècle, même les plus éclairés, ainsi que le montre Jean-Hubert Martin, dans le catalogue de l’exposition, Les Magiciens de la Terre :

« La qualité de “contemporaine” leur est refusée, comme si leurs auteurs n’étaient pas vivants, comme s’il s’agissait de fantômes ravivant de vieilles civilisations à jamais englouties. Ils sont alors comparés à des témoignages de notre histoire et ne peuvent être assimilés à notre présent. Lorsque des professionnels des musées d’art se sont dans le passé posé ces questions, le problème du contexte et de sa spécificité leur est paru insurmontable. On aboutit à ce paradoxe que des artistes morts depuis longtemps, donc très éloignés dans le temps, apparaissent comme plus proches que des créateurs vivants, certes éloignés dans l’espace, mais selon des distances qui ne cessent de rétrécir » [9].

Derrière ces réticences tant au niveau du vocabulaire employé que des prises de positions idéologiques, il y aurait donc à soupçonner que l’intérêt pour les artistes africains d’aujourd’hui n’est peut-être pas tant pour leurs œuvres en elles-mêmes que pour ce qui se joue par leur truchement. Ce qui amènerait à penser que la présence de l’art africain dans les expositions d’art contemporain nous renseignerait plus sur nos propres intérêts que sur la situation réelle de la création artistique en Afrique.

  1. DES ZOOS HUMAINS AUX EXPOSITIONS D’ART CONTEMPORAIN

L’hypothèse de travail est la suivante : l’utilisation de l’art africain dans les biennales d’art contemporain possède une certaine parenté avec le parcage des hommes venus d’Afrique dans les « spectacles ethnologiques » de la République.

A partir de 1877, Geoffroy de Saint-Hilaire, directeur du Jardin d’Acclimatation, exposa des Nubiens pour pallier la baisse de fréquentation du parc zoologique. Enfermés comme des bêtes sauvages et souvent accompagnés de « bêtes sauvages » (autruche, chameau ou singes), ils sont offerts aux visiteurs qui jettent de la nourriture aux « indigènes » en riant. Aux Nubiens succédèrent des « tribus » sénégalaises, ou des Ashantis du Ghana. A la fermeture du Jardin zoologique d’Acclimatation, des lieux de spectacle prennent le relais. Les « Folies Bergères » présentent des aborigènes d’Australie et un spectacle « Zoulou » en 1878, le Casino de Paris met en scène des « Guerrières amazones » en 1892, et le Théâtre de la Porte Saint Martin donne à voir des « Somalis ». Ces spectacles insistent sur la cruauté de ces races « incontestablement inférieures » et confortent le doux préjugé de la supériorité blanche à l’époque flamboyante de la domination coloniale. Peu à peu le discours sur l’infériorité et l’animalité des « sauvages » cède le pas à l’alibi de la « leçon d’ethnographie » et du voyage immobile. Et que l’on ne dise pas que ce phénomène reste marginal : des millions de spectateurs ont pu voir ces exhibitions qui s’échelonnèrent sur une cinquantaine d’années [10]. Ceci n’est pas complètement terminé puisqu’un village masaï reconstitué vient d’ouvrir ses portes en Belgique et qu’en Bretagne un village africain fut l’attraction majeure d’un Safari Parc pendant plus de trois ans.

Les zoos humains marquent un moment décisif pour la construction des stéréotypes et des fantasmes : sauvagerie, infériorité de race, exotisme, bizarrerie, étrangeté. Curiosité, fascination et répulsion pour le corps des « sauvages » : la sexualité plurielle, lubrique, bestiale habite l’Occidental comme un désir inassouvi et interdit. « Continent noir », l’Afrique mystérieuse s’offre encore aujourd’hui à notre regard voyeur, avide d’exotisme et de régénération. Que s’est-il passé lors de la grande exposition Les Magiciens de la terre, lorsqu’on a fait venir non seulement des objets, mais aussi des hommes pour exécuter en direct des peintures murales, des mandalas ou des peintures de sable ? Chaque siècle semble avoir les zoos humains qu’il mérite. L’Occident fait venir certaines œuvres africaines dans ses musées et ses expositions pour regarder une certaine Afrique et un certain art africain. L’Occident regarde l’Afrique à travers des œuvres d’art africaines choisies selon des critères bien déterminés comme elle regardait les Africains en les faisant venir dans ses zoos.

Il s’agit d’un phénomène récent puisque c’est seulement dans les vingt dernières années du XXe siècle que les commissaires ont clairement fait appel à des artistes africains vivants et ont montré leurs œuvres dans des expositions d’art contemporain. Jusqu’au milieu des années 80, le monde de l’art contemporain s’articulait autour d’un centre : l’Europe et les Etats-Unis dont les œuvres étaient sans aucune concurrence dans les galeries, les musées et les expositions internationales. A la périphérie : le reste du monde, absent de ces mêmes lieux. Et si par hasard quelques œuvres provenaient d’artistes venus d’ailleurs, leur exposition était soumise à certaines conditions.

L’Occident acceptait uniquement des artistes qui, d’une certaine manière, étaient des lecteurs d’Artforum et qui avaient intégré les apports de l’art occidental avec une petite touche d’ailleurs. Il s’agissait de « montrer comment les artistes s’emparaient d’un langage considéré comme universel – l’art abstrait – et comment ils l’adaptaient à un contexte local, en intégrant quelques éléments stylistiques appartenant à leur tradition culturelle » [11]. Pour accéder au seuil des grandes expositions, les artistes africains devaient non seulement posséder du talent, ce qui semble aller de soi, mais aussi pouvoir entrer dans le circuit en étant remarqués par une personnalité du monde de l’art et par voie de conséquence, ne plus résider en Afrique. C’est dire que cette situation était dans le droit fil d’une idéologie dominante héritière de la colonisation :

« Il y a à peine plus de dix ans, peu de gens imaginaient, en Occident, qu’il était possible de rencontrer sur le continent africain des créateurs qui consacrent leur vie à autre chose qu’à la perpétuation et à l’imitation des œuvres traditionnelles. Primiti : ce stéréotype colle aux œuvres extra occidentales. Et l’ouverture d’un Musée des Arts Premiers au bord de la Seine – voulue par le président Jacques Chirac – n’y changera rien, où l’art africain reste confiné dans son style et enfermé dans son passé. Il a inspiré certaines des plus fortes inventions de l’art européen au début du XXe, mais, dans notre imaginaire, c’est toujours l’Occident qui invente. L’admiration que nous vouons aux pratiques traditionnelles des civilisations non européennes, à leurs œuvres et à leurs artistes, reste conditionnée par l’esprit de colonisation » [12].

Au nom de notre civilisation, on refuse toute idée de création équivalente dans les autres civilisations, et lorsque l’on rencontre des manifestations qui semblent relever de l’art, on les cantonne dans les arts archaïques ou les arts perpétuant des traditions ancestrales.

Pour que cet état de choses change, pour que la réflexion et la sensibilité évoluent, il a fallu attendre la rupture de l’exposition Les Magiciens de la Terre qui se proclamait « Première exposition mondiale d’art contemporain » :« Magiciens de la Terre » est la première exposition qui se propose de couvrir un champ mondial d’investigation, sorte de « constat d’existence de la création artistique du monde entier », et de dépasser les catégories artistiques habituelles ainsi que les limites géographiques et culturelles qui ont divisé les opinions sur les relations entre les différentes cultures du monde » [13].

Noble ambition, s’il en fut, puisque cette exposition exprimait son intention de dénoncer l’impérialisme de la culture occidentale et les habituels cloisonnements de l’art contemporain pour mettre en évidence la volonté créatrice de tous les artistes, quelle que soit leur origine.

 

« For the first time, an important western institution offered to display the work of Third World artists chosen not for their conformity to the so-called international – that is, western modernist or post-modernist – aesthetic but for their ability to express and communicate the imaginative aspects of their culture not yet fallen prey to adulteration, compliance, and compromise in the effort to emulate imposted modeles » [14].

Dans cette perspective, il ne s’agissait pas d’exposer uniquement des artistes non occidentaux car c’eût été une autre manière d’enfermer ces créateurs dans un ghetto, dans une autre forme d’exposition ethnographique ressemblant aux expositions coloniales. Il fallait pouvoir installer un dialogue, des échanges, des confrontations avec des artistes occidentaux : la moitié des artistes exposés n’appartenait pas à la tradition occidentale, l’autre moitié était des vedettes de l’art contemporain. Cette exposition déclencha une controverse qui met en place, pour l’essentiel, les critiques qui seront faites ensuite lors d’expositions semblables.

Après ce choc de 1989, on assiste à plusieurs comportements, selon que l’on se trouve dans les grand-messes internationales d’art contemporain ou dans les expositions individuelles.

La présence de l’Afrique à la biennale de Venise a toujours été minimale et sporadique. En 1997, pas un seul artiste africain ne fut inclus dans la biennale que Germano Celant conçut, sous la bannière « futur, présent, avenir », comme un aperçu de l’art contemporain à la fin du XXe siècle. Les artistes africains n’ont eu aucune place dans le panorama, en dépit de leur existence objective et du constat de leur contribution à la culture contemporaine occidentale. Comme si Germano Celant s’était fait l’écho du constat navrant de Brian Sewell selon lequel les artistes non occidentaux ne méritaient guère plus qu’une note de bas de page dans l’histoire de l’art moderne du XXe siècle.

En 1999, la 48e biennale dAPERTutto proposa seulement trois artistes africains parmi les cent sept exposés. A une question sur la présence de l’Afrique, Harald Szeemann fit une réponse pour le moins consternante : « Je ne suis jamais allé en Afrique, pas même à la biennale de Johannesburg. Alors je ne peux pas inviter d’artistes africains » [15]. L’absence des artistes africains s’explique, certes, par la quasi inexistence de pavillons nationaux africains pour des raisons économiques : ceux que l’on appelle dans un doux euphémisme les « pays en voie de développement » n’ont pas comme priorité l’investissement financier que nécessite une présence dans une biennale européenne. En même temps, cela peut souvent manifester de leur part une absence de politique culturelle nationale, qui passe après le souci de représentativité sportive par exemple. Mais ces raisons ne suffisent pas à rendre compte de l’absence d’artistes africains à la biennale dans la section de l’exposition internationale qui fonctionne comme une Documenta sous la responsabilité du directeur artistique en charge de la biennale.

Et pourtant, en 1998, la 2e biennale de Johannesburg en Afrique du Sud avait montré avec évidence la présence et la force des artistes africains comme partie de la culture globale contemporaine sous la direction artistique de Okwui Enwezor, futur responsable de la Documenta de Kassel 2002. Même si, à mi-parcours, la municipalité avait décidé de suspendre sa participation financière en se déclarant choquée par l’élitisme de la manifestation. On retrouve là le même fallacieux prétexte des censeurs politiques qui veulent interdire une exposition : elle ne répond pas aux attentes du public, elle est boudée par lui et il est par conséquent légitime de ne pas dépenser en pure perte les deniers publics. [16]

Il est donc clair que l’absence des artistes africains dans les espaces internationaux et les expositions n’est pas le résultat d’une quelconque carence de leurs œuvres et de leur pratique, ou d’un manque de connaissance de leur existence, mais plutôt d’une déficience persistante de la volonté d’inviter à l’Ouest des artistes venant d’autres parties du monde. Or, comme l’écrivent Salah M. Hassan et Olu Oguibe [17], If you do not exhibit, you do not exist.

Certes, en dehors des grandes expositions internationales, il existe des expositions réservées à des artistes africains. En 1999, avec ses grandes sculptures, l’artiste sénégalais Ousmane Sow, à Paris sur la Passerelle des Arts, mettait en scène des tableaux de la réalité quotidienne qui s’apparentent au musée colonial ainsi qu’un tableau presque historique de la grande bataille de Little Big Horn. Des millions de spectateurs ont apprécié ce mélange de sauvagerie et d’humanité qui les séduit tant. Selon l’heureuse formule d’Olivier Cena, Ousmane Sow, cet artiste africain, « se retrouve miraculeusement contemporain et offre, en prime, un incomparable frisson d’exotisme » [18]. En somme, ces hommes qui paraissent sauvages restent encore humains dans leur mélange de dignité et de violence. Preuve, s’il en fallait, d’une humanité éternelle qu’un Africain pétri de notre culture était capable de donner à voir.

On a pu apprécier aussi au Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, à l’Institut du Monde Arabe ou dans quelques galeries, des artistes comme Frédéric Bruly Bouabré de Côte-d’Ivoire, Bodys Isek Kingelez, Chéri Samba du Zaïre et Georges Adéagbo du Bénin. Certes, organiser des expositions réservées à un seul artiste semble les mettre sur le même plan que les artistes occidentaux qui demandent des expositions individuelles. Mais dans le cas des artistes africains, cela peut être vu comme une manière détournée de se dédouaner en les exposant tout en ne les mélangeant pas aux artistes occidentaux. Cela pourrait être vu – avec certes un brin de mauvaise foi ou de soupçon – comme une autre forme de zoo.

Un cas à part, cependant, Partage d’exotismes en 2000, à la 5e biennale d’art contemporain de Lyon. Thierry Prat et Thierry Raspail, les directeurs artistiques de la Biennale de Lyon, avaient convié Jean-Hubert Martin – accompagné d’une batterie d’anthropologues – à assurer le commissariat général de la manifestation. La volonté était de montrer la possibilité d’un Partage d’exotismes en jouant sur le “s” d’exotismes pour en souligner l’aspect réciproque et partagé. Si les Africains sont pour nous des étrangers, réciproquement nous sommes aussi pour eux des étrangers exotiques. Mais cette réciproque – même inégalitaire comme le soulignaient les commissaires – est-elle possible ? Car cela présumerait que l’autre se situe dans la même problématique de l’exotisme. Cela présupposerait dès le départ la reconnaissance d’un universel « exotisme ». Or n’est-ce pas un concept bien occidental ? Les Occidentaux sont-ils véritablement exotiques pour les autres ou supposent-ils seulement la réciprocité de ce type de regard ? Dans cette exposition, l’autre n’était-il pas sommé de renvoyer par tous les moyens l’exotisme de l’Occidental ? N’était-ce pas, par-là même, tenter de se dédouaner de l’accusation d’exotisme « idéologiquement incorrect » en compromettant celui qui en est la victime, en le contraignant à renvoyer un regard aussi douteux ? Qui plus est, une fois pris ce parti, tout peut devenir « exotique » dans une sorte de concept mou qui se décline selon vingt-deux catégories : parmi lesquelles, « exotiser », vêtir, habiter, tatouer, manger, souffrir, guérir, mourir, « sexuer », prier ou prédire.

  1. POURQUOI L’OCCIDENT S’INVENTE-T-IL SON PROPRE ART AFRICAIN ?

La question du « pourquoi » s’emploie de deux manières : le « pourquoi » du but et de l’intention et le « pourquoi » de la cause et la raison. Ramenée à l’art africain, elle permet d’explorer deux dimensions. Quel est le but poursuivi, en vue de quoi expose-t-on des artistes africains et à quelles raisons, et à quels désirs profonds répond cette monstration ?

Le « pourquoi final » relève de l’examen des discours officiels qui justifient l’introduction des artistes africains d’Afrique ou de la diaspora. « Générosité », « capacité d’accueil », « reconnaissance d’autrui », « esprit de rupture », autant de formules qui jalonnent les déclarations d’intentions. Il s’agit, à chaque fois, de ne plus se prendre comme le centre du monde de l’art, d’accepter et même de vouloir la différence de l’autre et de changer de regard. Cette mutation du regard passe par l’égalité de traitement qui doit gouverner la présentation des œuvres « contemporaines » et de celles qui sont liées à un classement selon le « populaire », le « naïf », le « brut », le « primitif » ou le « non occidental ». Tentant ainsi de réduire cette injustice qui fait que les grandes expositions internationales négligent l’art de 80% de la population du globe.

Dans le prolongement du geste de Duchamp qui fit entrer un porte-bouteilles dans un musée, il s’agit aussi d’accepter de nouvelles formes et de nouveaux matériaux. Ces « productions impures » surprennent encore davantage le spectateur que la roue de bicyclette, car ces œuvres jouent sur le registre du religieux, du magique ou de la sorcellerie :

« Pour le passé, ce que nous appelons œuvres d’art se trouvant dans le musée sont pour la plus grande part des objets religieux, magiques et funéraires. Je ne comprends pas pourquoi, dès lors qu’ils appartiennent à la période coloniale ou post-coloniale, ce statut leur est refusé. Ceci pour leur fonction. Quant aux matériaux utilisés, ils ne se distinguent pas des objets quotidiens et ready-mades utilisés par les artistes contemporains. La modernité a eu l’effet paradoxal d’ouvrir la création à toutes sortes de canons esthétiques, mais d’exclure les pratiques traditionnelles, car elles ne relevaient pas d’une autonomie de l’art. Il est temps de s’interroger sérieusement sur la pérennité de notre jugement qui relève du “deux poids, deux mesures” ».

Il faut donc entreprendre une déstabilisation des codes établis de l’histoire de l’art par un chahut visuel provoqué par cet « afflux d’objets extérieurs indigérables ». Invitation à un nouveau regard. Il ne s’agit pas de prendre le regard de l’autre ou de regarder l’œuvre comme l’homme de la culture autre le regarde ; il s’agira toujours d’un regard d’Occidental porté sur un objet qui n’appartient pas à sa culture. Mais il faut refuser de s’encombrer une fois de plus des connaissances sur les cultures d’ailleurs. Car il y a là une tâche impossible à remplir : le spectateur ou le commissaire ne doit pas succomber à l’utopie d’une connaissance totale d’un phénomène culturel. Un homme même averti ne peut pas devenir un spécialiste de toutes les cultures. Il doit se déculpabiliser de ne pas tout comprendre et de ne pas tout connaître des savoirs sur ces cultures. Il doit accepter ce dénuement devant les connaissances. Pour autant il ne doit pas renoncer à se laisser « séduire » ou fasciner par les œuvres produites par d’autres. Les indications du « père » de ces expositions sont à cet égard précieuses :

« Si ce regard est curieux, il s’attachera à déceler les points communs et les différences avec ce qu’il connaît. Lassé de voir la reproduction des schémas occidentaux sur toute la planète, il observera les singularités et les originalités culturelles au risque de se faire vilipender au nom d’un exotisme soi-disant coupable » [19].

Au lieu de rechercher des informations chez les anthropologues ou les historiens, au lieu de plaquer la connaissance mal digérée de symboles ou de rites, il faut observer par les sens et laisser librement se faire des associations. « La compréhension élaborée à partir des informations sensorielles, mises en réseau avec les connaissances par le jeu des projections et des associations, ouvre un champ énorme au visiteur qui ose rarement s’y lancer » [20]. L’œuvre est une école d’attention par sa capacité à faire entrer dans son point de vue. Comme telle, elle est invitation à un dialogue entre les hommes par l’intermédiaire des formes et des échos qu’elle suscite.

 

« C’est une particularité des arts plastiques : certains objets ont un sens précis dans leur contexte ; on les déplace et ils nous émeuvent, ou nous plaisent. Cependant je ne crois pas à la contemplation purement esthétique. J’entends dire que parce qu’on ne connaît pas le contexte original, on n’a pas le droit de toucher à ces objets. Moi, je dis que c’est ce déplacement de sens qui est intéressant, il va nous apprendre quelque chose sur nous-mêmes, un dialogue va s’établir à travers ces objets »  [21].

Sans hiérarchisation, ces expositions permettent un croisement des cultures qui n’est pas l’absorption des différences, mais la capacité à se laisser interroger pas l’autre. Un des moyens de ne pas se laisser laminer pas l’homogénéisation qui menace aussi bien le Nord que le Sud.

Mais tout cela n’est-il pas bien idyllique ? N’y a-t-il pas un écart entre ce que l’on voit, les finalités exprimées et les désirs latents ? Pourquoi cet intérêt international à l’égard de l’art africain ? Est-il vraiment aussi désintéressé ? Il faut certainement aller au-delà du généreux désir de montrer ce que Harald Szeemann appelait la « grande famille humaine ».

La recherche du « pourquoi causal » pourrait s’expliciter en des termes freudiens de « manifeste » et de « latent », et s’interroger sur les désirs inconscients qui président à la monstration d’une œuvre d’art. Mais peut-être vaut-il mieux ici poser la question en des termes nietzschéens de généalogie. Car la généalogie chez Nietzsche consiste dans la recherche de l’origine des valeurs (le bien, le bon, le juste, etc.) pour être à même de juger de la valeur de cette origine. Chaque fois que quelqu’un parle au nom de valeurs, une question doit être posée : « N’y a-t-il pas autre chose qui parle en lui au-delà de ce qu’il dit ? » Ce soupçon s’interroge sur le type de vie qui s’exprime et se cache derrière la promotion de ces valeurs-là : est-ce une vie active et créatrice ou une vie réactive et dégénérescente ? Pour notre propos, le soupçon nietzschéen se porterait sur l’état d’une culture et par conséquent sur l’état d’un art qui a besoin de recourir au sang neuf de l’art africain en exposant des œuvres jusqu’alors négligées.

Derrière les raisons nobles évoquées se cache tout d’abord le souhait de nourrir sa soif d’ailleurs. Alors peuvent s’exprimer les besoins relevant de la curiosité, de la recherche du pittoresque, du dépaysement et de la lutte contre l’ennui. L’art suit ainsi la mode de l’ailleurs, de la couleur locale, de l’exotisme, même de pacotille, qui épice le brouet écœurant du quotidien. Il procède du mouvement qui anime toutes les vogues actuelles : l’engouement pour le concept de tribu ou de clan, la frénésie pour les tatouages, la mode des musiques du monde, Jamaïque, Raï, Brésil, la toquade pour les vêtements ou tissus « ethniques », en un mot des saveurs étrangères. Même le Malabar de notre enfance a maintenant un « goût venu d’ailleurs » ! Dans les peintures ou sculptures africaines on retrouverait tout cela, « grandeur nature ». Du reste, ce ne serait pas la première fois que les hommes se tournent vers un ailleurs pour satisfaire à la fois leur goût d’exotisme et leur curiosité. Ne retrouve-t-on pas ici une sorte de « Cabinet de curiosité », mélange de Wunderkammer (cabinet des merveilles) et de Kunstkammer (la chambre des œuvres des métiers d’art) ? À la fin du XVIe siècle, le goût pour cette association cabinet des merveilles et chambres des objets d’art se répand dans toutes les grands cours princières allemandes. Le cabinet englobe peintures, sculptures, curiosités et bibliothèque, et des instruments de chirurgie : res curiosae et exoticae. Cabinet de curiosité dont l’un des intérêts réside dans le rapprochement d’objets venus de lieux, d’époques et de métiers, d’intentions diverses.

Ces œuvres africaines produisent sur le spectateur un effet d’étrangeté merveilleuse, de mystère, d’appel du large : sorte de dépaysement du regard, ouverture à un autre monde qui est déjà à l’origine de l’aventure coloniale :

 

« En effet, parmi les bénéfices que l’expansion coloniale offrait aux contemporains, les plus immédiatement apparents furent, à côté des avantages financiers, la porte ouverte à l’action et l’initiative individuelle qui semblaient impossibles dans la société métropolitaine. Le sentiment de vivre dans un monde fini, fermé, étriqué, tel qu’il s’exprima dans la lassitude des héros de Paul Bourget, ne fut pas uniquement un phénomène littéraire. A ceux que tourmentait le désir d’échapper à la médiocrité du quotidien, aux « anciens parapets », l’expansion coloniale offrit une solution facile » [22].

Sorte d’aventure en chambre, les œuvres d’art présentées dans les biennales permettent des voyages imaginaires semblables à ceux réels qu’Arthur Rimbaud effectua. En tout homme sommeille le rêve de l’explorateur qui s’assouvit à travers ces images de l’Afrique. Cette recherche de dépaysement influe sur la nature des œuvres choisies : les favoris des biennales ont été pendant très longtemps des artistes comme Chéri Samba, Kane Kwei, Sunday Jack Akpan et Esther Mahlangu, qui sont d’une certaine manière pris en otages – comme les « sauvages » dans les zoos humains – parce qu’ils répondent à tous ces désirs et besoins, sans trop effrayer ou inquiéter.

Chéri Samba du Zaïre exerce un art resté proche de la pratique populaire de la peinture de rue, d’enseigne ou de camion, mais aussi de l’art du quotidien qui représente la vie ordinaire ; il peint les événements, il aime les anecdotes caustiques ; il fait une chronique truculente des travers de ses concitoyens ; il observe avec humour ce que cache l’esprit sérieux de la société zaïroise. Peinture urbaine qui mélange l’image et le texte, quelquefois en plusieurs langues : le français et le lingala, comme dans une bande dessinée qui passe de l’image au récit, l’un accentuant l’autre. Parfois l’artiste se met lui-même à parler et commente sa peinture. Dans une facture réaliste simpliste, un naturalisme et une esthétique populiste, il emprunte des archétypes à la culture de masse : sexe, corruption politique, méfaits de la colonisation, sida. Il traite ces thèmes à la manière des fables comiques qui contiennent une touche d’éducation morale. Sorte de journaliste ou de moraliste ou encore d’historien qui souhaite susciter une prise de conscience sociale.

« Ce qui séduit le public occidental est ce mélange de naïveté, de scènes réputées typiquement africaines, de commentaires drolatiques de la vie sociale, de personnages aux caractères et attributs outranciers. Les traits du dessin sont exagérés, la technique hybride, le discours innocents et sentencieux, de quoi satisfaire notre goût pour les productions marginales et la communication. Mais ces peintres de la comédie humaine finissent par ne plus être que des illustrateurs, des fabricants d’images soumis, non à l’obsession d’un artiste, mais à la nécessité de répétition, des formes, des sujets, de l’esprit, surfaces brillantes et réfléchissantes ; leurs peintures produisent un effet sensationnel » [23].

Chéri Samba vendait ses œuvres aux Kinois, mais depuis les Magiciens de la terre, sa cote est devenue trop élevée pour les Congolais. On peut d’ailleurs se demander si, en visant deux types de public, son propos ne s’affaiblit pas. Il doit en effet pour l’Occidental être saisi comme un « artiste africain contemporain » et donc faire en quelque sorte des œuvres de commande et pour ses concitoyens être perçu à la fois comme un artiste du cru et comme un artiste jouissant d’une notoriété sur le marché de l’art occidental.

Kane Kwei vient du Ghana. La légende raconte que l’oncle de Kane Kwei, un pêcheur émérite, demanda à son neveu charpentier de fabriquer son cercueil en forme de bateau. Suivit un deuxième cercueil, une sorte de sarcophage en forme de Mercedes qui fut exposé aux regards de tous dans le convoi funèbre qui traversa toute la ville. Il avait ainsi inventé des cercueils renvoyant à la profession, à une passion ou à un objet familier de leurs hôtes. Depuis, les familles fortunées font enterrer leurs morts dans des cercueils qui correspondent au défunt ; sortes de statues-cercueils conçues selon le vœu du disparu ou de sa famille : un lion pour un chef traditionnel, une automobile pour un chauffeur de taxi, une poule pour une mère de famille nombreuse, ou encore une maison, un homard, une pirogue, etc. Ces cercueils un peu particuliers s’inscrivaient – d’un manière singulière et originale certes – dans la tradition des cultes funéraires de l’Afrique occidentale. Ces bières aux couleurs violentes, en forme d’oignon géant ou de poisson, ne doivent donc pas faire oublier leur adéquation aux pratiques et à la sensibilité de la communauté qui les a adoptées. Le public occidental aime cette manière ludique de transformer un objet de mort en fête de la couleur. Lui qui se masque la mort s’émerveille qu’elle devienne un jeu pour juger de la vie. Mais n’y a-t-il pas néanmoins quelque chose de changé à partir du moment où les cercueils entrent dans les galeries ?

Sunday Jack Akpan, du Nigéria, se relie à la tradition de la sculpture funéraire qui représente le défunt, d’une manière plus ou moins réaliste : en bois ou en terre pour les portraits anciens, en ciment depuis la période de l’entre deux guerres. Cette pratique s’étend de la Côte-d’Ivoire au Zaïre en passant par le Ghana, le Togo, le Bénin, et le Nigeria [24]. Artiste maçon, Akpan a commencé à réaliser des travaux d’art funéraire : simples pierres tombales pour les plus pauvres ou sculptures de ciment peint, réalistes et grandeur nature, à l’effigie du défunt fortuné, notable, ou chef traditionnel. Il décore aujourd’hui des maisons individuelles, des édifices publics et des jardins de notables. Il enrichit aussi les collections d’art contemporain des USA et de l’Europe. Son Chief, en ciment et peinture acrylique, fut salué dans le catalogue de la Biennale de Venise en 2001 comme l’œuvre d’un « professionnel qui mêle la tradition et la contemporanéité, le tribal et le moderne » [25]. Remarque qui condense tout ce que le public recherche dans ce type de travaux.

Esther Mahlangu, d’Afrique du Sud, exécute des peintures murales comme les femmes Ndebele. Tous les quatre ans, à l’occasion des rites de circoncision des adolescents et de leur entrée dans la communauté des hommes Ndebele, les maisons sont repeintes par les femmes. Femmes qui elles-mêmes ont été initiées à la peinture pendant leur isolement forcé lors du passage à l’âge adulte. Le répertoire des formes picturales se transmet de mère en fille, ou en tous cas, par les femmes. Chacune crée son propre motif tout en intégrant les motifs des femmes de sa famille qu’elle a connues, dans une particularisation de l’universel. La vie se reproduit en se particularisant. Dans le cadre de la polygamie, c’est le motif d’une femme qui la distingue d’une autre femme de son époux. Il y a donc dans leur travail tradition et originalité. Les murs sont enduits d’une préparation constituée de bouse de vache et de plâtre et recouverts de peintures très vives, le plus souvent géométriques (horizontales, verticales et lignes brisées). Depuis les années 50, les couleurs naturelles à base d’ocre, de blanc et de noir cèdent la place aux couleurs industrielles plus variées dans les tons, plus faciles d’emploi et plus résistantes.

Esther Mahlangu a été exposée lors des « Magiciens de la terre ». Cette publicité entraîna plusieurs ordres de conséquences. Victimes de ce succès, les femmes Ndebele ont été amenées à recouvrir de leurs peintures des façades de maisons qui n’ont plus rien à voir avec les rites

3. Charlys LEYE, Carré magique (Circa 2002). Toile, peinture, asphalte, bois, métal. (100x81cm). Ph. : Roberts, Allen & Mary.

4. Charlys LEYE, Peinture de la série du Khatim. Peinture, asphalte, bois, métal. (99,8x81cm). Ph. : Roberts, Allen & Mary.

de circoncision, des édifices publics, ou même des églises. On retrouve aussi ces motifs sur des œufs d’autruches ou des plumiers en bois. Cet art décoratif appelé « populaire » plaît aux touristes et les fait venir par cars entiers. On retrouve ces mêmes décors sur les avions de British Airways. Les motifs des femmes peintres ont fasciné le monde de la mode et de la décoration. Chez Esther Mahlangu, dans ce type de peinture murale, ces dernières années, le dessin – peinture vinylique sur ciment et plâtre – s’est enrichi de formes empruntées à la civilisation occidentale, mais fortement stylisées : avions, ampoules, antennes de télévision, téléphone. L’intégration des motifs occidentaux montre, certes, l’autonomie de la démarche, mais introduit une rupture avec les origines. La célébrité entraîne aussi ce que l’on pourrait voir comme des compromissions pour répondre à la demande des Occidentaux. Lors des Magiciens de la terre, elle s’était déplacée avec des assistants pour exécuter un travail éphémère et coûteux. Pour pallier ces deux inconvénients, il suffisait de lui faire peindre sur toile dans son pays ses mêmes motifs. La transmutation est radicale : un acte significatif, inséré dans une pratique religieuse et sociale, se transforme en un geste artistique qui produit une œuvre pour un musée. Cela a pu être vu comme un acte profane ou même sacrilège. Mais Esther Mahlangu rappelle que les peintures, historiquement, favorisaient la cohésion et la reconnaissance sociale de leur peuple. Transportées sur les toiles, ces peintures sont aussi, selon la justification qu’apporte Esther Mahlangu, le moyen de faire connaître leur impact à d’autres peuples et de faire connaître le rôle des femmes dans la société Ndebele. Néanmoins, un certain avatar de son travail peut laisser interdit. En 1995, lors d’une biennale à Johannesburg, Laurent Joubert l’enrôla avec une dizaine d’artistes locaux dans son projet. Il leur fit exécuter, sous sa direction, plus de soixante-dix peintures réalisées sur des panneaux de signalisation routière. Dans cette œuvre, les artistes africains sont utilisés comme de vulgaires pinceaux qui servent son propos : démontrer l’uniformisation des signes à travers l’uniformisation du code international de la circulation. Il ne s’agit donc pas d’une œuvre collective, mais d’une œuvre personnelle qui instrumentalise les motifs Ndebele pour les mettre au service d’une démonstration. Une nouvelle manière de faire qui a des relents de colonialisme.

Finalement, la présence de « l’Africain de service » dans les expositions révèle plus nos manques, nos questions ou nos angoisses que la spécificité de l’art africain, notre rapport à la différence plus que l’originalité de l’autre et notre conception de l’art (hégémonique) plus que le dialogue avec les autres formes d’art.

C ’est ainsi que ce regard qui recherche l’exotique et le folklorique manifeste l’égoïsme du monde artistique occidental, un égoïsme qui rappelle fâcheusement d’autres pillages colonialistes. L’Afrique s’offre à nous tel « un réservoir de marchandises » culturelles, les productions africaines deviennent un bien de consommation comme les autres. On a pu parler à ce sujet de « rapt de la culture des non occidentaux » [26] ou de « territoire fertile où puiser sans vergogne de nouvelles ressources » [27] pour pallier les déficiences des productions occidentales qui s’épuisent. D’une certaine manière, ceci permet de résoudre la crise de l’art. Comme nous les avons dévalisés de leurs matières premières, comme nous avons dévasté leurs terres par des monocultures pour notre huile, notre café ou notre sucre, comme nous avons volé leur sang pour nos plantations ou nos guerres, nous nous livrons au pillage de leur culture, et de leur art.

« En période d’euphorie économique, comme c’est le cas actuellement, le marché de l’art souffre de ne pas être indéfiniment extensible. Les marchands se plaignent plus du manque de “marchandises” (c’est le mot qu’ils emploient) que du manque de clients. Les institutions cherchent des œuvres qui les distinguent. La plupart des continents ont été explorés par les uns et les autres. Or l’Afrique est un réservoir de merveilles et d’inventions.Trivialement dit, c’est un réservoirde marchandises. Ce réservoir est l’enjeu d’une bataille économique qui, comme c’est souvent le cas dans le champ artistique, se déguise en bataille esthétique » [28].

 

On trouve là finalement la clé qui ouvre le pourquoi profond de ce regard tourné vers l’Afrique : c’est profondément le désarroi d’un art malade qui a perdu son sens qui le précipite sur des arts qui lui apparaissent plus vivants, dans une sorte de vampirisme de la part d’une vie qui s’éteint. Un art s’épuise et va chercher ailleurs les forces qu’il ne possède plus : l’art africain va apporter nouveauté, émotions fortes, étrangeté, pureté, innocence et sens. Art qui s’émiette en Occident, qui ne se retrouve pas dans tous ses courants contradictoires et qui peut s’accorder sur la recherche d’un ailleurs mythique pour retrouver une nouvelle naïveté créatrice. Ceci à la manière des expositions coloniales où les affiches reposaient sur une mise en scène républicaine, nationaliste, colonialiste et libérale dans laquelle toutes les idéologies contraires se retrouvaient sur certaines valeurs et construisaient ensemble le paradigme consensuel de « l’indigène » :

« Cela rassurerait chacun de savoir qu’entre les gratte-ciel sud-africains et les réserves d’animaux sauvages au sud, et au nord les médinas arabes de l’Afrique méditerranéenne bousculées par un islam parfois déconcertant, existerait une Afrique millénaire, dite authentique, avec ses masques, ses danses et ses chants dans ses villages aux architectures de terre – comme au premier jour de l’humanité. L’imaginaire exotique et le besoin primaire de pureté et de virginité (quelle que soit la réalité que ces deux mots peuvent recouvrir) seraient préservés. Et ce territoire devenu une réserve virtuelle, un vaste musée naturel rousseauiste que les seuls aventuriers-explorateurs-ethnologues transformés en pique-bœuf chaussés de 4×4 seraient chargés d’arpenter et de décoder. Bien entendu les expressions artistiques seraient d’une facture et d’une inspiration immuables, préservées des chocs et des questionnements qui agitent le reste du monde. Des œuvres nécessairement primitives, brutes et sculptées » [29].

Peu à peu un accord se fait dans le monde de l’art, un sang neuf dans les arts plastiques peut leur redonner la vigueur qu’a retrouvée par exemple la musique qui a fait appel à des rythmes et des couleurs exotiques.

Réservoir de marchandise, mais aussi réservoir de sens pour ceux qui ont perdu le leur. Un art qui a perdu son sens se met en quête de spiritualité. Or l’art africain apparaît comme lié au sacré. Pierre Gaudibert [30] parlait à ce propos des gisements de « sacré », des réserves de « sens » et Jean-Hubert Martin [31] « d’aura qui déclenche des phénomènes mentaux ». Cette notion « d’aura », employée par Walter Benjamin dans le domaine de l’art à l’époque de sa reproductibilité technique, réapparaît périodiquement sous la plume de ceux qui veulent désigner dans l’œuvre d’art cet au-delà de la matérialité de l’objet, ce rayonnement, ce halo de sens et même de « valeurs métaphysiques ». On postule que si l’artiste africain s’est approprié les thèmes religieux, ou les signes ésotériques dans une iconographie personnelle, il garde un lien avec la spiritualité qui peut-être manque à l’Occidental.

Une vie malade cherche des forces chez les autres. Un monde malade, vidé de son dynamisme, de sa vie et de son sens éprouve le besoin de piller ceux qui sont en meilleure santé, dans une sorte de perfusion vampirique. Comme si l’Occident cherchait à ranimer ses forces vitales. On pourrait reprendre aujourd’hui l’image du « sperme », que Paul Guillaume adoptait pour montrer cette réanimation dont avait besoin l’art au début du siècle dernier : « L’art nègre est le sperme vivificateur du XXe siècle spirituel ». [32] L’art africain de remède à un art d’Occident malade et en piteux état. A propos des arts africains, dans de nombreux écrits, on retrouve d’ailleurs ce champ lexical du ranimer, revigorer, revivifier, réveiller, ressusciter, rajeunir ou raviver :

 

« Peut-être le détour par l’Autre artistique peut-il éclairer et stimuler ceux qui cherchent. Ou alors veulent-ils seulement se rafraîchir, se juvénaliser, se revitaliser, se retremper, se régénérer ? Opérer une transfusion sanguine ? Effectuer un retour aux origines, aux commencements, aux sources, à la Mère, à la vie intra-utérine ? » [33].

L’Occident a de plus en plus conscience de ce qu’on a appelé le « désenchantement du monde ». Cette expression schillérienne adoptée par Max Weber dans son Weltentzaüberung désigne strictement parlant « l’élimination de la magie en tant que technique de salut », mais d’une manière générale elle sert à révéler l’expulsion du sacré dans une société technicienne. Reprise par Marcel Gaucher en une acceptation plus large, comme « épuisement du règne de l’invisible » [34], elle renvoie aussi à cette disparition de la magie ou de l’invisible dans le monde. Or l’art peut agir, il peut d’une certaine manière réenchanter le monde. Encore faut-il aller chercher cet enchantement dans des arts qui sont à distance de nous, ces arts appelés « premiers », qui étaient au contact des forces sacrées, ces arts africains qui, par leur caractère sacré, proposent une solution au désenchantement du monde. Un vide de sens métaphysique pousse donc à aller chercher du sens ailleurs. C’est dire que se joue là un enjeu qui dépasse l’art et qui concerne la vie.

On a peut-être atteint ici la raison profonde de l’exposition des artistes africains dans les biennales : l’état de notre art nous renseigne sur l’état de notre vie. Pour Nietzsche, toutes les formes de la vie – Art, Philosophie, Science, Religion – peuvent être considérées soit comme une manifestation de la vie en croissance, une vie qui s’affirme dans toutes ses contradictions, même les plus tragiques et les plus effrayantes, soit comme une manifestation de la vie en décadence, qui se nie, se répète, radote et s’éteint. Si l’état de l’art est l’un des symptômes de l’état de la vie, que nous fait comprendre de notre vie l’état de notre art ?

« Il y a deux sortes de souffrants, d’abord ceux qui souffrent de la surabondance de vie, qui veulent un art dionysien et aussi une vision et une compréhension tragique de la vie – et ensuite ceux qui souffrent d’un appauvrissement de la vie, qui demandent à l’art et à la philosophie le calme, le silence, une mer lisse ou bien encore l’ivresse, les convulsions, l’engourdissement, la folie » [35] .

Notre civilisation se sent vieille, appauvrie : le seul bonheur auquel elle puisse aspirer, compte tenu de son état de délabrement, ressemble à « un petit bonheur de mouche ». Elle aime alors un art douillet, où tout n’est que « luxe, calme et volupté », ce que Nietzsche appelle « le calme, le silence, une mer lisse », que peuvent procurer certaines grandes rétrospectives consensuelles sur les impressionnistes ou Van Gogh. Cependant, par instants, dans de brefs sursauts de vie ou de vigueur, elle rêve d’un art qui ne lui apporte pas seulement le reflet de sa faiblesse, mais un regain de puissance. Une civilisation vieillie produit alors l’illusion de retrouver ailleurs une nouvelle jeunesse. L’art africain joue le rôle de réservoir d’authenticité, de force, de pureté et de sens que nous avons perdu.

Pour répondre à toutes ces attentes, les artistes africains sont ainsi pris au piège : ils doivent se conformer au choix que d’autres ont fait à leur place. Ils doivent produire des objets qui pour l’Occidental évoquent les grands mythes archaïques, alors qu’eux-mêmes sont souvent à distance de ces croyances. Ils produisent alors parfois des objets sans vie, qui donnent à voir une version corrigée et affadie de croyances qu’ils ne possèdent plus. Ils miment leur propre culture : sorte de prêt-à-consommer d’objets africains pour Occidentaux parfois à peine au-dessus du niveau de ce que l’on trouve dans les boutiques à touristes des aéroports. Ils répètent jusqu’à l’écoeurement les produits qui séduisent les Occidentaux. « Ils nous prennent pour des réserves, ils veulent que nous gardions ce qu’ils ont perdu, que nous ne bougions pas. Comme si on t’enlevait le droit de penser le monde » déplore le peintre Mohammed Kacimi [36] . A moins que l’artiste ne puisse aussi dire son rapport à l’Occident.

  1. QUEL AVENIR POUR « L’ART AFRICAIN » ?

On pourrait citer un artiste comme Fodé Camara, ce peintre sénégalais qui réalise des œuvres au titre évocateur de « Y’a bon », qui renvoie au tirailleur jovial à la chéchia rouge de la marque célèbre ou « Le vieux nègre et les tricolores » commandé par le gouvernement français et présentée à Paris en 1989, lors des cérémonies de commémoration du bicentenaire de la Révolution. Mais peut-être est-il plus fécond d’analyser les artistes présentés à Venise dans l’exposition Authentic/ex-centric : Africa In and Out of Africa, par les commissaires d’exposition Salah M. Hassan et Olu Oguibe. Trois exemples seulement pour donner à entendre un autre registre d’artistes qui portent un regard critique sur l’Occident, mais aussi sur eux-mêmes.

Godfried Donkor [37] utilise des archives pour reconstruire et réinsérer les circonstances clés de la circulation des personnalités africaines dans les cercles européens. Il prend un point de départ dans l’engouement pour la boxe des aristocrates de l’Angleterre victorienne, au moment où s’installe la suprématie des Noirs dans ce sport. Dans une même image il combine à la fois l’histoire passée et les événements récents. From Slave to Champ représente d’une part Mike Tyson, ex- poids lourd, peint en grisaille, en boxeur, avec son short et la double ceinture du champion du monde, en insistant sur sa carrure massive, et d’autre part une vue en coupe d’un navire d’esclave. Donkor explique que pour cette peinture il a pensé à Goya et plus particulièrement au « Colosse », en prenant grand soin que la peinture en noir et blanc ne laisse apparaître aucune touche sur le modèle de cette œuvre de Goya. Les bateaux des négriers vus en coupe, qui importaient en Europe et en Amérique des Africains mis en parallèle avec des sportifs noirs ou des célébrités noires, rappellent la cause historique de la présence des Noirs en Occident : la traite, la mise en esclavage et l’exploitation diverse de leur force physique. Il utilise en outre, pour cette mise en scène, aussi bien des photographies de boxeurs noirs que des images de femmes noires extraites de journaux et de magazines. La série des « Black Madonna » montre des jeunes femmes noires en maillot de bain qui posent dans des postures avantageuses. Il met ainsi l’accent sur l’utilisation du corps noir, aussi bien sous l’angle de la force physique (le noir sauvage, brutal) que celui de l’attraction sexuelle plus ou moins salace (la femme africaine provocante), dans une sorte de cannibalisme culturel des Africains par l’Occident.

Hassan Musa [38] présente parfois des peintures qui sont une appropriation plastique et critique des chef-d’œuvres classiques occidentaux. Il s’empare par exemple des thèmes religieux, créant ses propres versions dans un style satirique dans des séries intitulées le New Testament, La Cène, l’Annonciation ou des Saint-Sébatien.

Dans Autoportrait en Saint-Sébastien de 1997, ou Saint-Sebastian of the Sunflower, de 1998, Hassan Musa utilise l’image de martyr de Saint Sébastien. Présenté depuis le XIIIe siècle, ce saint apparaît sous une forme juvénile et les artistes se plaisent à détailler le corps de ce beau jeune homme, nu, transpercé de flèches, mais rayonnant malgré l’atteinte des traits païens. Corps si beau que les dévotes tombaient en d’ambiguës pâmoisons. Hassan Musa traite ce thème comme une image qui critique la présence hégémonique de la culture occidentale. L’association énigmatique des images de Saint Sébastien avec celles de Che Guevara et Van Gogh permet à l’artiste de remplacer une icône ancienne par des icônes nouvelles. Saint Sébastien est communément représenté comme un beau jeune homme transpercé par des flèches. Che Guevara, nu aussi, mais avec son béret, est percé par des épis de maïs renvoyant à l’origine sud-américaine de cette céréale ; Van Gogh, dans la tenue d’Adam, est percé par les tournesols qui ont contribué à sa gloire. Dans les deux cas, les vies que l’on propose à l’admiration évoquent des réactions complexes de culpabilité et de blâme non moins puissantes que celles créées par le martyre de Saint Sébastien. Martyre de la foi, de l’art ou de la politique.

L’Origine de l’Art, 1998, est une œuvre complexe qui fait référence à l’histoire de l’art occidental. Hassan Musa crée sa propre version sur un mode critique et satirique en attachant la tête de La Joconde de Léonard de Vinci au corps féminin offert par Courbet dans L’Origine du Monde. En levant un voile sur son anatomie, Mona Lisa découvre, avec un étonnement et une curiosité amusés, cette partie d’elle-même pour toujours ignorée par Léonard. L’œuvre de Courbet représente la plus célèbre des images transgressives de l’art occidental au point d’avoir été cachée probablement pour son supposé caractère pornographique. L’Origine du Monde montre la partie la plus intime du corps féminin, pendant que Léonard se concentre sur le visage de Mona Lisa, sa bouche et son sourire énigmatique. Hassan Musa redonne ainsi une sexualité à une femme sans corps et une identité à un corps sans tête. En unissant dans une même toile ces chefs-d’œuvre de l’art occidental, populaires mais diamétralement opposés, non seulement il fait une critique puissante de la culture européenne et de sa construction du corps féminin, mais il porte en outre un regard acide sur l’histoire de l’art Occidental qui s’en fait l’écho.

Là encore on assiste à une mise en scène critique des idées qui mènent le monde occidental dans les domaines de l’art, de la religion ou de la politique ; à une présentation des images que propose l’Occident qui peuvent passer du statut d’œuvre d’art au statut de clichés et que l’on peut même retrouver sur les publicités ou les tee-shirt ; à une dérision sous la forme des cadres kitsch, chromos de mauvais goût ; mais peut-être aussi à la difficulté d’une recherche d’identité pour l’artiste qui a été colonisé et donc éloigné de ses racines.

Yinka Shonibare [39] est connu pour son utilisation des étoffes vives, imprimées à la cire, portées dans toute l’Afrique. Il emploie ce tissu comme un outil pour mener une enquête sur les stéréotypes occidentaux et africains. Or ce tissu remplit trois fonctions : pour les occidentaux, il renvoie à tout l’exotisme de l’Afrique, pour les Africains d’Afrique, il renvoie à la fascination pour les marchandises du Nord et pour les Africains de la Diaspora, il renvoie à la revendication de l’identité africaine et à la recherche des racines.

Or tout n’est pas clair dans cet objet autant investi. Okwui Enwezor note que « quelque chose d’aussi apparemment innocent que ce tissu arrive chargé de métaphores politiques, sociales, historiques et culturelles… ». En effet – et là réside la recherche de Yinka Shonibare -, l’origine et l’usage de ce tissu sont révélateurs des autres transactions coloniales. Ces tissus à l’origine étaient fabriqués en Indonésie selon la technique du batik. Ce procédé une fois industrialisé par les Hollandais a été adopté par l’Angleterre qui installa des usines où une main-d’œuvre souvent asiatique imprime des motifs conçus par les Anglais pour le marché africain. Ces tissus sont vendus ensuite en Afrique depuis la dernière moitié du XIXe siècle et aujourd’hui dans tous les pays européens. Il y a donc une « inauthenticité » de ces tissus africains magnifiés par leurs pérégrinations, qui soulève ainsi de sérieuses questions concernant l’authenticité de l’artisanat traditionnel et la mémoire collective de la diaspora africaine.

Yinka Shonibare fabrique des mannequins revêtus de vêtements de coton imprimé africains, mais selon une coupe Victorienne, avec bustier et jupon, exécutés par un très bon tailleur. Avec Mr and Mrs Andrews Without Their Heads de 1998, il fait une sorte de pastiche en trois dimensions et tissu de batik de la peinture bien connue de Gainsborough qui porte presque le même titre. Le tableau célèbre représente le type même d’un genre populaire au XVIIIe siècle connu sous le nom conversation piece : un homme et une femme posent avec leur chien dans la nature. A première vue l’œuvre de Shonibare, qui s’approprie l’art occidental par le tissu « africain », apparaît comme une critique du colonialisme. Voilà ce que l’on a fait des Africains : des imitateurs des manières d’être des colonisateurs et voilà ce que l’on fait des artistes africains : des imitateurs de l’art occidental. Mais la critique s’avère plus profonde, car elle met aussi l’accent sur le système britannique de classes. Comme le démonte bien Okwui Enwezor [40] , ce portrait n’est pas seulement le portrait d’un couple ou une peinture de paysage, mais une peinture de ce qui produit la richesse : le sol. La terre est la véritable source de l’aristocratie anglaise, car c’est la propriété de la terre qui définit le statut d’une classe et les relations des hommes entre eux.

« Shonibare a remarquablement pris cette image idyllique liée à un brutal système de classes discriminatoires et il l’a reproduite exactement dans du bronze et de la fibre de verre. La seule différence est qu’il a habillé le couple dans un patchwork de tissu africain.

Ainsi l’œuvre fait-elle référence au système britannique des classes sociales et aux relations culturelles avec ses minorités culturelles, tels les Asiatiques, les Arabes, les Africains, beaucoup de ceux qui émigrèrent en Angleterre peu de temps après la seconde guerre mondiale. Mais c’est aussi un commentaire sur l’histoire de l’esclavage en Angleterre, le colonialisme et la place du sujet africain dans la douce mais perverse idéologie de classe » [41].

Ce tissu africain, qui n’est pas vraiment africain, permet de décrypter des clichés, des stéréotypes et des ségrégations. Shonibare ne pointe pas seulement le regard des Occidentaux sur les Africains ou réciproquement, mais aussi le regard des Africains sur eux-mêmes. En effet, d’une part, il montre que l’Afrique, si elle n’est pas entièrement fictionnelle, demeure pour le moins construite, façonnée par des idées produites par la collision de l’Europe et de l’Afrique. D’autre part, il souligne que l’identité contemporaine africaine, elle aussi, s’est construite à la fin du XXe siècle. Le tissu africain devient le symbole africain de la jeunesse qui le porte avec fierté dans certains quartiers de Londres comme Brixton. Il devient un signe de défi et de confiance en soi ainsi qu’une manière de garder sa propre identité dans une culture étrangère. Porter ce tissu met en évidence sa liberté à l’égard des standards européens de la mode, sa liaison aux racines : un moyen d’être authentiquement africain, noir et fier de l’être. Or cette supposée identité africaine ressemble pour Shonibare à un fantôme, à une fiction qu’il met en scène. Dans la diaspora, on observe en effet une mutation du tissu « africain », de son usage colonial à sa signification politique.

Mais toutes les formes de cultures et d’identités ne sont-elles pas construites, façonnées et refaçonnées par des formes variées de conjonction, d’appropriation, de contestation et de refus historiques ? Par conséquent, demander ce que sont l’identité et la culture africaines serait tout aussi ridicule que de demander ce que sont l’identité et la culture européennes. Comme si nous déclarions autoritairement que ces identités ont une forme spécifique. C’est pourquoi Yinka Shonibare veut montrer que l’identité africaine est aussi construite que les tissus africains. Ils ne renvoient pas à l’Afrique originelle : « Le tissu africain utilisé dans mon travail est quelque chose d’industriellement produit et, étant donné ses origines culturelles, ma propre authenticité est remise en cause ».

On se trouve ainsi au cœur du débat des artistes venant d’Afrique, celui que l’on pose en termes d’authenticité. L’artiste est pris entre la demande du marché qui veut de « l’art africain » reconnaissable comme tel et les aspirations mondialistes des artistes qui veulent être reconnus mondialement sans les relents d’exotisme de « l’art africain ». Mais il est pris aussi en étau entre ce que certains lui demandent en Afrique et son ipséité, son identité, qu’il cherche à assumer. Dilemme que l’artiste Yacouba Touré posait en termes de traduction et de trahison :

 

« Vous mangez longtemps la même nourriture que les Anglais, est-ce que vous deviendrez Anglais ? » Il ajoutait : « Il faut que vos œuvres aient une référence, aussi minime soit-elle, à une tradition, à une mémoire. Je pense qu’il faut un peu trahir l’africanité, mais la trahir au sens propre comme au sens figuré. C’est-à-dire la laisser entrevoir, la traduire ; et aussi la laisser tomber, lui être infidèle » . [42]

et que pointait Laurent Wolf :

« S’il n’est que traduction, il régresse vers un statut d’art traditionnel éternellement perpétué. Mais s’il n’est que trahison – du passé et de la mémoire -, c’est qu’il se résigne à n’être que ce que le marché lui demande » . [43]

Les artistes africains, aujourd’hui, doivent faire face à une tâche difficile : trouver un équilibre entre un héritage culturel puissant et les paramètres de la création individuelle moderne. Ils ne doivent ni succomber au vertige des attentes d’africanité de l’Occident ni aux pressions de leur « communauté ».

Il y aurait en art le même piège que celui que dénonce Alain Finkielkraut [44] dans un autre domaine : l’artiste « africain » se voit, lui aussi, enfermé dans le ghetto d’une fausse identité. En effet, après la décolonisation, ce qui a permis au colonisé de s’affranchir peut devenir une dangereuse entrave. Revendiquer une identité commune pour échapper à l’uniformisation souhaitée par l’envahisseur en affirmant sa différence permet au colonisé de conquérir la fierté de ce que l’on veut nier en lui. Mais ensuite, cette même identité se transforme en enfermement :

« Rendus à eux-mêmes, les anciens colonisés se retrouvent captifs de leur appartenance, transis dans cette identité collective qui les avait affranchis de la tyrannie des valeurs européennes. A peine ont-ils dit “Nous avons gagné” qu’ils perdent le droit de s’exprimer autrement qu’à la première personne du pluriel. Nous : c’était le pronom de l’authenticité retrouvée, c’est désormais celui de l’homogénéité obligatoire ; c’était l’espace chaleureux de la fraternité combattante, c’est le glacis où la vie publique s’étiole et se fige ; c’était la naissance à elle-même d’une communauté, c’est la disparition de tout intervalle et donc de toute possibilité de confrontation entre ses membres ; c’était un cri de révolte, c’est le soliloque du pouvoir. Il n’y avait pas de place pour le sujet collectif dans la logique coloniale ; il n’y a pas, dans la logique identitaire, de place pour l’individu » [45] .

L’obsession de l’identité, de la pureté ainsi que la crainte de la contamination peut être un frein aussi puissant pour les artistes venus d’Afrique que l’était l’exotisme exigé des Occidentaux. Etre l’otage des intégristes n’est pas plus enviable que d’être l’otage du marché de l’art.

[1] Université de Savoie, France.

[2] On peut noter d’ailleurs que cette exposition fut close longtemps avant la fin de la biennale. A une question posée aux organisateurs il fut répondu : « Circumstances beyond the curators’control prompted the early closing of the exhibition » !

[3] Cf NJAMI, Simon, « Regards anthropométriques », in Essais & Ecrits sur l’art contemporain africain, http://www.revuenoire.com/francais/…

[4] Cité sans référence par A. DANTO, Après la fin de l’art, « Art et artefact en Afrique », édition française, Seuil, 1996, p. 143.

[5] LEIRIS, Michel, « Les Noirs africains et le sentiment esthétique », repris dans Michel LEIRIS et Jacqueline DELANGE, Afrique noire, Gallimard, 1967.

[6] DANTO, Arthur, Après la fin de l’art, « Art et artefact en Afrique », Edition américaine, Princeton, Seuil, 1996, p. 156. Etrange limitation lorsque l’on sait, depuis le regard que nous force à porter Duchamp sur la pelle à neige dans le musée, que c’est le regardeur qui fait l’œuvre. Cela signifie que les objets produits par les Africains peuvent être exposés au même titre que l’égouttoir à bouteilles dès l’instant que l’Occident y trouve son intérêt. Mais n’y a t-il pas un risque : ces derniers venus de l’art sont-il vraiment des artistes à part entière, des artistes au même titre que les Occidentaux ?

[7] FRED, R. Myers, « Question de regard. Les expositions d’art aborigène australien en France » ? Terrain. Carnets du patrimoine ethnologique, « Le regard », n° 30, mars 1998, Editions du Patrimoine, Ministère de la Culture et de la Communication, p. 110.

[8] HEGEL, La Raison dans l’Histoire, trad. Kostas Papaioannou, 10/18, 1981, p. 251.

[9] MARTIN, Jean-Hubert, Préface du catalogue de l’exposition Les Magiciens de la Terre, p. 8.

[10] On gardera en mémoire le « village nègre » et ses figurants autochtones de l’Exposition coloniale de Paris en 1931.

[11] MARTIN, J.-H., interview de J.-H. Martin par Catherine Francblin, « L’art des autres et la magie des uns », in Art Press, mai 1989, n° 136, p.34.

[12] WOLF, Laurent, « Art contemporain, une bataille pour l’Afrique » ?, in Etudes, janvier 2000, n°3921, p. 109.

[13] Petit Journal des Magiciens de la Terre, Editions du Centre Pompidou, Paris, 1989, non paginé.

[14] MAGNIN, André et JACQUES, Soulillou, Contemporary Art of Africa, Thames et Hudson, 1996, p. 7.

[15] SZEEMANN, Harald, « Une biennale bien documentée », interview par Christian Bernard in Art Press, n° 247, juin 1999, p. 21.

[16] Concernant l’escalade de la censure politique, voir E. BURNET, « Censure à la française », in Art Press n° 265, février 2001.

[17] Préface du catalogue Authentic/ex-centric, conceptualism in contemporary african art de l’exposition de la biennale de Venise, Authentic/ex-centric : Africa In and Out of Africa, au Palazzo Fondazione Levi, commissaires d’exposition Salah M. Hassan et Olu Oguibe, 2001, p. 7.

[18] Préface du catalogue Authentic/ex-centric, conceptualism in contemporary african art de l’exposition de la biennale de Venise, Authentic/ex-centric : Africa In and Out of Africa, au Palazzo Fondazione Levi, commissaires d’exposition Salah M. Hassan et Olu Oguibe, 2001, p. 7.

[19] OLIVIER, Cena, « Ousmane Sow – regarde les hommes bouger », Télérama, op.cit, p. 43.

[20] MARTIN, Jean-Hubert, « Les religions du monde entrent au musée par la grande porte », op. cit..

[21] MARTIN, J.-H., interview de J-H. Martin par Catherine Francblin, « L’art des autres et la magie des uns », in Art Press, mai 1989, n° 136, p. 35.

[22] MARTINE, Astier Loutfi, Littérature et colonialisme, L’expansion coloniale vue dans la littérature romanesque française, 1871-1914, Paris-La Haye, Mouton, 1971, p. 50.

[23] BUSCA, Joëlle, Perspectives sur l’art contemporain africain, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 67.

 

[24] MAGNIN, André et SOULILLOU, Jacques, Contemporary Art of Africa, Thames et Hudson, 1996, p.70.

[25] La Biennale di Venezia.49. Esposizione internazionale d’arte. Platea dell’umanità, Electra, 2001, p. 48.

[26] FRANCBLIN, Catherine interview de J-H. Martin par Catherine Francblin, « L’art des autres et la magie des uns », in Art Press, mai 1989, n° 136, p. 36.

[27] BERTRAND, Pascale et BATAILLON, Françoise, in Beaux-Arts Magazine, n°70, juillet août 1989, p. 44.

[28] WOLF, Laurent, in Etudes, janvier 2000, n°3921, p. 110.

[29] PIVIN, Jean-Loup, NJAMI, Simon, MARTIN, Pascal Saint Léon et FALL, N’Goné, « De l’Afrique noire », extrait de la revue Revue Noire cité par Beaux-Arts, « L’art dans le monde », supplément au n° 168, mai 1998, p. 40.

[30] GAUDIBERT, Pierre, « La planète tout entière, enfin… », in Magiciens de la Terre, p. 19.

[31] MARTIN, Jean-Hubert, Cahiers du Musée national d’Art Moderne, n° 28, p. 8.

[32] « A propos de l’art des Noirs », Action, avril 1920. Cité par Marie DEGLI et Marie MAUZE, Arts premiers. Le temps de la reconnaissance, Découverte Gallimard/R.M.N., 2000, p. 136.

[33] GAUDIBERT, Pierre, « La planète tout entière, enfin… », in Magiciens de la Terre, p. 19.

[34] GAUCHER, Marcel, Le désenchantement du monde, Gallimard, 1985, p. II.

[35] NIETZSCHE, Gai Savoir, § 370.

[36] Cité par Joëlle BUSCA, L’art contemporain africain, du colonialisme au postcolonialisme, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 5.

[37] Né en 1964 au Ghana. Il vit, travaille et enseigne en Grande-Bretagne.

[38] Artiste soudanais qui travaille et vit à Domessargues dans le sud de la France. Né en 1951, il est diplômé du College of Fine and Applied Art de Khartoum. Il a obtenu un doctorat d’histoire de l’art à l’université de Montpellier.

[39] Né à Londres en 1962, a vécu au Nigeria et en Angleterre. Actuellement vit et travaille à Londres.

[40] ENWEZOR, Okwui, Tricking the Mind, the Work of Yinka Shonibare, in catalogue Ex-centric, p. 214-227.

[41] ENWEZOR, Okwui, Tricking the Mind, the Work of Yinka Shonibare, op. cit., p. 226.

[42] Cité par WOLF, Laurent, op. cit.., p. 110.

[43] Ibid., p. 111.

[44] FINKIELKRAUT, Alain, La défaite de la pensée, Gallimard, 1997, p. 83 spq.

[45] Idem., p. 86.

-REPRESENTATION ET ECRITURE AU SENEGAL : DEUX PEINTRES, ABDOULLAY NDOYE ET CHALYS LEYE, A LA CROISEE DES ARTS