Philosophie

LA SOCIETE ENTRE CONFLITS ET ESPOIR

Ethiopiques n°72.

Littérature, philosophie, art et conflits

1er semestre 2004

Les conflits et la violence sont si inhérents à l’existence qu’ils apparaissent non plus comme des faits pathologiques mais comme des données normales avec lesquelles il faut composer. En effet, les éléments se déchaînent ; les espèces s’entredévorent ; les hommes sont violents, abusent de leur force et guerroient. Cette réalité semble un fait naturel au point qu’il serait prétentieux et absurde d’en chercher une solution, comme si c’était un problème.

Et pourtant la violence et les conflits ont pris une telle dimension qu’ils constituent pour l’homme un danger et un sérieux problème auxquels il faut apporter une solution adéquate. Pour être adéquate, cette solution doit en sonder les sources profondes. A ce propos, on a longtemps cru que les conflits cessent entre les hommes quand apparaît la raison et qu’elle s’impose et introduit l’ordre, la négociation, la règle et le contrat. La réalité nous montre malheureusement que l’ère de la raison, « l’état positif », est plutôt le règne infernal des conflits de tout genre notamment religieux, ethniques, politiques et sociaux. La raison déchaînée s’en prend elle-même à tout, violente tout et enflamme tous les secteurs. Annoncée comme lumière, la raison est apparue comme ténèbres. Est-il besoin de le dire, aujourd’hui plus qu’hier, la société est en crise.

Faut-il pour autant désespérer ?

Qui peut encore sauver ce monde si le cycle des conflits embrase tous les secteurs en commençant par les milieux politiques et religieux sans épargner celui des intellectuels devenus les tonneaux de résonance du politique ?

Où trouver ² les poches de résistances² aux conflits qui puissent sauver le monde ?

La présente réflexion est une modeste contribution à la tentative de solution aux conflits qui déchirent le monde. Nous pensons qu’une « empathie » avec le texte bergsonien peut inspirer une solution qui, tout en situant la source profonde de ces conflits, donne l’espoir d’une possible humanité. Pourvu que chacun accepte de faire cet effort sans cesse renouvelé de creuser jusqu’au fond de soi-même pour rencontrer l’Autre non plus comme produit de sa culture mais comme Homme tout simplement et tout pleinement.

  1. LA CULTURE OU LE CULTE DU REJET DE L’AUTRE

Se pencher sur les sources des conflits et en rechercher les conditions de résolution, c’est avant tout penser l’homme à la fois comme auteur, victime et solution de ces conflits. Dès lors, la question inaugurale est celle de savoir qui est l’homme. Pour parler comme Descartes, « Qui suis-je ? » moi qui crée les conflits et qui en subis les conséquences ?

Tout le monde s’accorde sur le fait que l’homme participe à une certaine raison, même si les déterminations de cette raison divergent d’un penseur à un autre. Descartes dont la formule semble la plus connue disait, « je ne suis précisément parlant, qu’une chose qui pense, c’est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison » [2]. Après avoir présenté l’homme comme un animal politique, Aristote ajoute et précise que son caractère distinctif en face de tous les autres animaux, c’est la parole (logos) faite pour exprimer l’utile et le nuisible, le juste et l’injuste.

Faire porter la responsabilité des conflits à l’homme, c’est reconnaître que la conscience est la principale cause des querelles. Or la conscience elle-même n’est rien d’autre que la masse de culture qu’elle renferme et qui la fait. En définitive, la source de nos conflits réside fondamentalement dans le principe et le fonctionnement de nos cultures. Hobbes pouvait percevoir cette vérité lorsqu’il soutenait que les trois causes principales de querelle relevaient de la nature humaine : « premièrement, la rivalité ; deuxièmement, la méfiance ; troisièmement, la fierté » [3]. L’homme mène l’offensive soit pour le profit, soit pour la sécurité ou pour la réputation :

« Pour des bagatelles, par exemple pour un mot, un sourire, une opinion qui diffère de la leur ou quelque autre signe de mésestime, que celle-ci porte directement sur eux-mêmes, ou qu’elle rejaillisse sur eux, étant adressée à leur parenté, à leurs amis, à leur nation, à leur profession, à leur nom » [4].

Hobbes ne dit sans doute pas clairement, que c’est la conscience qui est à l’œuvre dans cette offensive belliqueuse. Cette attitude de la conscience est une consigne de la culture qui nous dispose naturellement à l’offensive.

Pour lever tout équivoque afin de ne verser dans l’idéologie de la hiérarchisation des cultures qui débouche sur la distinction entre peuples « civilisés » et peuples « sauvages », disons que la culture ici doit s’entendre au sens de civilisation, c’est-à-dire :

« Un ensemble complexe de phénomènes sociaux, de nature transmissible, présentant un caractère religieux, moral, esthétique, technique ou scientifique, communs à toutes les parties d’une vaste société, ou à plusieurs sociétés en relation ». [5]

Pourquoi la conscience s’identifie t-elle à la culture ?

En quoi la culture nous dispose t-elle au conflit ?

L’ordre social imite de loin l’ordre naturel. C’est pourquoi l’homme est attaché à la société comme l’abeille à la ruche. « Les membres de la société se tiennent comme les cellules d’un organisme » [6]. « Toute phénoménologie de la conscience » révèle qu’au départ celle-ci n’est qu’une réalité en puissance, une conscience sublimée, c’est-à-dire non encore devenue. Cette puissance ne parvient à l’Acte que sous la poussée de la société. La conscience devenue Acte, c’est-à-dire mature n’est rien d’autre que le fruit, le produit de la société, de la culture. Dire alors que toute conscience est conscience de quelque chose, c’est affirmer qu’elle contient la culture qui l’a faite être. En effet, notre parole, nos croyances, nos principes de vie, nos Valeurs, voire notre vision du monde, ne sont que l’expression de notre éducation, disons de notre culture. Nous appartenons plus à la société qu’à nous-mêmes. Notre équilibre dépend de notre union à la société. Il n’existe donc pas de conscience en dehors des valeurs culturelles.

Or ces Valeurs qui fondent notre valeur individuelle ou collective finissent par devenir notre Identité. Le « je » n’est plus que la somme des valeurs qu’il exprime. On le sait déjà, le premier désir de toute conscience, de toute identité c’est de s’imposer à l’Autre tout en le niant. Nous sommes naturellement disposés à jouer au « surhomme ». Consciemment ou inconsciemment, « la volonté de puissance » anime chacun de nous. Le « je » qui n’a pas une telle vocation est voué à la disparition, à la mort. Mourir, c’est ne plus exister, encore moins vivre. Pourtant ce dont on a le plus peur, c’est la mort. Cette peur motive une bonne partie de notre énergie. Il faut donc lutter à mort pour ne pas mourir !

Ainsi naît le conflit entre les hommes. A vrai dire, ce conflit est un conflit des cultures qui se rejettent, se nient parce qu’elles ne tolèrent pas la moindre différence. Ce que je hais en l’autre, ce pourquoi je le trouve étrange et étranger c’est fondamentalement la somme des valeurs qu’il est censé dégager : son langage, son idéologie politique, sa religion, sa manière de manger, de rire, de se vêtir, de se loger, etc. Réciproquement, l’autre me hait pour les mêmes motifs. Dans la conscience de chacun, le mal c’est l’autre. On a souvent pensé que cette attitude n’est propre qu’à la culture occidentale. Pourtant c’est le caractère naturel de toute culture. Lévi-strauss faisait remarquer que « cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » hors de l’humanité, est justement l’attitude la plus marquante et la plus distinctive de ces sauvages même. » [7]

Vers la fin du XXe siècle, on a voulu résorber le problème avec le phénomène de mondialisation ou de brassage des cultures dont certains politiques et intellectuels se sont faits les défenseurs. L’échec d’une telle solution est patent parce qu’à ce « rendez-vous du donner et du recevoir », chaque culture est restée dure et opaque comme une monade sans porte ni fenêtre. Ou lorsqu’elles tentent de « s’embrasser », il y a toujours une culture, (celle qui a une idée poussée de son identité) qui finit par dévorer l’autre. Et elle crie victoire ! Elle a fini par s’imposer à la fin de ce conflit qui ne disait pas son nom. Bergson dit à juste titre que nos sociétés, quel que soit leur niveau de développement, demeurent des sociétés closes :

« La société close est celle dont les membres se tiennent entre eux, indifférents au reste des hommes, toujours prêts à attaquer ou à se défendre, astreints enfin à une attitude de combat ». [8]

S’il y a souvent conflit au sein d’une même société, c’est parce qu’en réalité elle n’a pas une culture mais des cultures. Le conflit naît de la moindre différence entre ces cultures. Si une société s’identifie à sa culture, l’on pourrait donc dire qu’ici, il n’y a pas une société mais des sociétés. Nous ne nions pas la communauté de traits fondamentaux entres les cultures de certaines sociétés. Mais très généralement, le « même », ce qui est identique, voire homogène ne gène pas la conscience. Cela lui semble normal. Ce sur quoi elle s’attarde et à quoi elle s’en prend, c’est ce qui est hétérogène, différent, aussi minime soit-il. C’est donc une attitude réductionniste que celle qui parle par exemple de la culture africaine, ivoirienne ou wê. [9] On peut déjà remarquer qu’au sein d’un même clan ou d’un même groupe ethnique, ayant apparemment la même coutume, des pans de la culture comme le totem, les funérailles divergent en faisant encore de l’autre le bizarre, l’étrange, voire l’étranger. La xénophobie, le racisme, le nazisme, le terrorisme, le tribalisme, le fanatisme et l’intégrisme religieux, etc. ne sont que l’expression diversifiée de ce conflit des valeurs culturelles.

Les philosophes du contrat pensaient que l’établissement d’un pouvoir commun qui puisse tenir les hommes en respect pouvait résoudre le problème. Ils semblent oublier que la politique elle-même, en tant que forme d’organisation et de gestion de la société, est un aspect de la culture. Qui plus est, elle est de plus en plus le champ d’explosion même de ce conflit de cultures.

  1. LE MOUVEMENT RETROGRADE DE LA POLITIQUE : DE LA COMPETITION AU CONFLIT.

Tous nos conflits, qu’ils aient un caractère religieux, ethnique, économique ou social, sont essentiellement des conflits politiques. La politique est un exercice, un jeu dont l’enjeu englobe et dépasse de loin celui des autres activités. La concorde au sein d’un Etat et sa relation pacifique avec les autres Etats tout comme le contraire de ces situations dépendent du déroulement de son jeu politique.

Nous disons de la politique qu’elle est un jeu parce qu’elle met en compétition des individus ou un groupe d’individus qui en principe ne sont pas des ennemis mais des adversaires. Si la démocratie a fini par triompher des autres régimes, c’est justement parce qu’elle rend le plus compte de l’esprit de compétition dans la politique. Aujourd’hui, la légitimité d’un Etat s’apprécie par rapport à son degré de démocratie. La politique est un jeu, une compétition dont l’enjeu est la conquête de positions de pouvoir dans l’Etat (commune rurale, commune, conseil départemental, conseil régional, parlement, gouvernement, présidence, etc.). Mais cette compétition est fondamentalement pacifique. Pour la gagner, il faut non pas la puissance des muscles, encore moins celle des armes. Mais il faut faire valoir son opinion, convaincre du bien fondé de son programme de société afin de se faire élire par le peuple, seul arbitre, juge, détenteur du pouvoir, et organisateur de la dite compétition. Les élections permettent à cet effet d’accéder directement ou indirectement à ces positions. La compétition a souvent lieu non seulement entre les partis mais aussi au sein des partis eux-mêmes. On n’est « grand homme », « grand parti », qu’en fonction de ses « supporters », c’est-à-dire de ceux qui se reconnaissent dans nos actions, notre idéologie politique. Même si les partis se considèrent le plus souvent comme porteurs d’un modèle de société, ils ne sont en principe que de simples instruments de formation de choix politiques.

Le jeu politique ressemble donc quelque peu au jeu de damier. Ici chaque joueur cherche à s’approprier le maximum de pions au détriment de l’adversaire. Pour ce faire, il faut mettre en place des stratégies, piéger l’autre afin de l’amener à perdre des pions. Mais dans le même temps, l’autre, assez averti, voit l’intention de son adversaire ainsi que ses manœuvres. C’est tout comme le nageur dont le dos nu indique le ventre caché dans l’eau. Mais dans ce jeu il n’y a pas conflit ; il y a adversité et seul le plus rusé ou le plus efficace l’emporte sans violence. Comme tout jeu, le jeu politique a ses règles que le compétiteur doit respecter. Cet esprit exige aussi du politique d’être fair-play, loyal et d’accepter la défaite, car la défaite est une des trois éventualités résultant de la compétition. A la fin de la compétition naissent la fraternité et l’amitié entre les compétiteurs. C’est parce que la boxe est un jeu qu’à la fin du combat les boxeurs s’embrassent, se félicitent et finissent souvent par sympathiser.

Malheureusement le jeu politique connaît un mouvement rétrograde dû au fait que les politiques y arrivent avec leur masse de culture, et avec elle son principe de refus de la différence. L’adversaire y est perçu comme un ennemi. Il n’est pas rare d’entendre des slogans du genre « qui n’est pas avec moi est contre moi ». La différence idéologique conduit à la lutte à mort. Chacun refuse la défaite sur le terrain de la politique parce que la défaite est synonyme de mort croit-on. Il faut donc par tous les moyens combattre l’autre pour le tuer au risque de mourir soi-même. Combien d’élections à travers l’Afrique, dont les résultats ne suscitent-ils pas de contestations, de protestations ? Tout se passe comme si les perdants étaient de mauvaise foi ou comme si les vainqueurs n’étaient que des tricheurs.

Au fond, le jeu politique a perdu de sa qualité parce que les hommes y arrivent non plus avec le souci de sympathiser, au sens profond du terme, mais pour se combattre au sens propre du terme. La culture a malheureusement agi ici aussi. S’il est vrai que « la violence physique apparaît tout au long de l’histoire de l’humanité comme moyen ordinaire de lutte politique » [10], c’est justement parce que la culture, que nous tenons pour principale responsable, est inhérente à la société. L’ampleur de ces conflits varie certes en fonction de la complexité des enjeux ou intérêts (lutte pour la terre, les richesses naturelles, les biens matériels, le prestige social, quête d’identité, lutte pour sauver son dieu, etc.) et des moyens de combat (instruments de la technique), mais il y a tout de même conflit, c’est-à-dire violence. Ce qui a donc manqué à l’humanité ce ne sont pas les colloques, les accords de paix et de non-agression, encore moins la création d’organismes internationaux ou nationaux de paix ; c’est cette « épochè », cette mise entre parenthèse, au sens husserlien du terme, de notre culture, cette descente au fond de soi-même pour y ressortir les valeurs humaines propres à nous faire sympathiser les uns avec les autres.

 

  1. L’AME MYSTIQUE ET L’AVENEMENT DE L’HUMANITE

Si le champ politique est le plus en vue dans les conflits qui déchirent le monde, il faut reconnaître que la résolution de ces conflits ne dépend pas des institutions. Ces conflits n’exigent pas une solution politique. Ils demandent un effort plus que moral mais mystique. Cet effort doit consister en cela que chacun travaille en profondeur, creuse au fond de lui, transcende le moi social pour sympathiser avec le moi profond.

Nous sommes parti d’une idée généralement admise par tous : l’homme est un être conscient. Mais si nous faisons la part des choses, nous devons reconnaître que l’homme est dualité. Cette dualité repose sur cette confrontation incessante entre le moi superficiel, c’est-à-dire la conscience sociale et le moi profond ou la conscience humaine. De leurs relations constantes et délicates émane l’unité de la personne. Le moi profond est en nous le représentant de l’humanité tandis que le moi social est la voix de la société et de sa culture. Si le moi superficiel développe la solidarité sociale ainsi que son corollaire de rejet de l’Autre, le moi profond convie à la fraternité humaine.

Ainsi si chacun faisait cet effort pour aller au moi profond qui est en lui mais qui est couvert par la couche culturelle, toutes nos différences s’évanouiraient. Car le moi profond nous fait participer à la communauté des hommes. C’est cette communauté que Henri Bergson appelle de tous ses vœux dans Les deux sources, et qu’il nomme la société ouverte. Il ne s’agit donc pas de constituer une communauté de tous les hommes au sens d’un agrégat d’individus juxtaposés. Dans une telle communauté, les hommes vivent simplement ²ensemble², mais ils ne vivent pas les uns ²avec les autres². Dans la société close, celle des cultures, les hommes vivent ensemble, c’est-à-dire dans une homogénéité spatiale, mais avec une indifférence totale des uns à l’égard des autres. C’est tout comme dans une ferme où l’on élèverait ensemble, des poulets, des moutons et des lapins. Une telle existence ou coexistence serait celle d’un régime d’extériorité radicale où l’indifférence est la norme. Cette indifférence est le signe de ce que chacun se tient solidement et fixement en soi, quand bien même ils partagent ensemble le même espace. Si nos cultures nous opposent, c’est justement parce qu’elles nous convient déjà à ce mode de vie spatiale. Ma société se délimite d’abord dans un espace bien donné. Au-delà de cet espace tout n’est que différence, au moins spatiale, et étranger. La conscience sociale est donc une conscience spatiale. Or l’espace divise et sépare. Il ne s’agit pas non plus de cette solidarité devenue trop vague : celle à travers laquelle « les cosmopolites se vantent d’aimer tout le monde pour avoir le droit de n’aimer personne » [11]. Il s’agit d’une osmose des consciences, qui ont triomphé de la conscience sociale, produisant la joie de découverte humaine et que nous ne pouvons enfermer dans un temps et dans un espace clos. Nous appelons à cette identité de moi profond fondée sur le principe actif de participation à la durée. Car la durée est ce principe dynamique qui tisse sourdement les consciences entres elles, et qui bien que maintenant leur hétérogénéité, les unit les unes aux autres. Elle les maintient dans une unité colorée et vivante dans laquelle les consciences s’entre pénètrent et sympathisent au sens profond du terme. Les organisations internationales ne peuvent pas conduire à ces relations entre hommes. Il y a entre l’Organisation des Nations Unies et la société ouverte, non pas une différence de degré seulement mais surtout une différence de nature.

Le cas est que par le moi profond se révèle la puissance créatrice de l’homme, celle qui le relie intuitivement à la force mystérieuse qui anime l’univers. Avec une telle âme mystique, nos différences ne constituent plus des barrières, des obstacles mais elles sont des hétérogénéités qui contribuent à l’enrichissement de ce tout qu’est le flux humain ; tout comme les sons variés produisent la belle mélodie.

Ce qui est dit ici n’est pas une simple vue de l’esprit encore moins une métaphysique pure. L’histoire nous enseigne que des hommes exceptionnels ont vécu et ont donné l’exemple d’une telle intuition mystique qui est coïncidence avec le moi profond. Jésus-Christ, Mahomet et Socrate et bien d’autres mystiques sont des exemples vivants d’une telle résurrection du moi profond. En ces personnes, la conscience sociale s’est dilatée pour laisser place à l’âme mystique. Les actions de cette âme sont apparentées à l’acte créateur. Ce sont des actions transformantes dans lesquelles la volonté humaine laisse agir en elle Dieu dans sa plénitude qui est amour.

Nous pensons donc que la solution adéquate à ces conflits, qui ne sont en fait que le signe de « l’oubliance de l’être », n’est nulle part ailleurs que dans le retour à l’être. Mais l’être n’est rien d’autre que cette âme mystique en chacun de nous. Notre solution n’est de ce fait pas religieuse mais mystique. Cette solution est à la portée de tous, seulement elle exige un effort exceptionnel non pas pour s’élever dans les nuées mais pour creuser au fond de soi. Là gît l’âme mystique qui nous ouvre à l’humanité et tait toutes nos différences ainsi que nos différends.

CONCLUSION

Les conflits qui minent le monde sont, dans une certaine mesure, des conflits d’identité. L’identité ce n’est pas ce qui est immédiatement identique, c’est-à-dire ce qui est homogène. C’est surtout ce qui constitue notre originalité ; ce qui tout en étant incommensurable avec les autres se veut une hétérogénéité qui participe de l’élan de vie qui anime tous les êtres et les unit. Les crises sont la conséquence d’une réification de cette identité, c’est-à-dire sa réduction à l’homogénéité culturelle qui nous oppose à d’autres identités culturelles. La solution à cette crise doit consister naturellement à un retour à notre vraie identité qui, loin de nous opposer, nous convie à la sympathie : l’âme mystique.

BIBLIOGRAPHIE

BERGSON, Henri, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, 1995,

– La pensée et le mouvant, Paris, PUF, 1993.

GAXIE, Daniel, La démocratie représentative, Paris, CLEFS, 1996.

KONAN KOUASSI, Ernest, « Identité, identification et conflits chez les étudiants africains en France », in Annales de l’Université d’Abidjan, T.XVI, 1983.

ELLUL, Jacques, Autopsie de la révolution, Paris, Calmann-Lévy, 1969

[1] Département de Philosophie, U.F.R. Communication, Université de Bouaké, Côte d’Ivoire.

[2] DESCARTES, Méditations, Paris, Flammarion, 1979, p.83.

[3] HOBBES, Léviathan, Paris, Flammarion, 1990, 1ère partie, chap. XIII.

[4] Ibidem

[5] LALANDE, André, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 1988, Vol II.

[6] BERGSON, Deux sources, Paris, PUF, 1995, p.6.

[7] LEVI-STRAUSS, Claude, La mentalité primitive, Paris, Alcan, p.20.

[8] BERGSON, op. cit., p.283.

 

[9] Groupe ethnique de l’Ouest de la Côte d’Ivoire.

[10] GAXIE, Daniel, La démocratie représentative, Montchrestien, CLEFS, 1996, p.11.

[11] ROUSSEAU, Contrat social, Paris, Pléiade, 1966, p.286.