Notes

LA BOUTIQUE AUX MIRACLES par Jorge Amado, Editions Stock, 1976, Collection Le cabinet cosmopolite.

Ethiopiques numéro 21

revue socialiste

de culture négro-africaine

janvier 1980

Dans les années 1920-1930, un appariteur – « mulâtre minable et miséreux faisant le savant et le dur » soutient une controverse retentissante avec d’illustres professeurs de la Faculté de Médecine de Bahia qui propageaient des idées racistes, condamnaient le métissage « dégradant », allaient jusqu’à envisager des aires de déportation pour les nègres et les métis. Ces idées trouvaient écho auprès d’une prétendue élite se réclamant de la latinité contre l’africanité, de la civilisation contre la barbarie, de l’église contre l’abominable sorcellerie. Elles trouvaient aussi l’appui du gouvernement et de la police qui exercèrent une répression féroce contre toutes les manifestations populaires d’inspiration africaine : interdiction du candomblé, arrestation et détention des pères de saint, confiscation des cadeaux offerts aux divinités, fermeture des terreiros, passage à tabac des danseurs de capoeira.

Ainsi les théories de quelques enragés de la pureté du sang avaient-elles fini par déclencher au Brésil une véritable guerre des races opposant l’aristocratie blanche aux nègres et aux métis du peuple : cette guerre, c’est celle que nous raconte Jorge Amado dans La boutique aux miracles. Le personnage à la fois historique et légendaire de l’appariteur Pedro Archanjo incarne la résistance du peuple de Bahia, ces graveurs de miracles, sculpteurs, orfèvres, santonniers, chanteurs, improvisateurs, marchandes d’herbes et de graines magiques, tous ces artistes illettrés de l’Université libre du territoire du Pilori, qui travaillent, chantent, rient, luttent jour après jour et opposent à la persécution raciste la vitalité du métissage.

L’auteur, dans une série d’épisodes tour à tour graves, réalistes, fantastiques, émouvants, comiques, nous les présente débordant de vigueur baroque. Le trait commun à tous ces personnages est le « mélange des sangs » et le roman s’affirme comme un hymne à la gloire du métissage biologique et culturel. Il s’ouvre sur une phrase en exergue de Manuel Querino.

« Le Brésil possède deux grandeurs véritables : la féconditéde son sol et le talent de ses métis ».

Il se poursuit par les écrits et les déclarations de Archanjo-Amado qui sous-tendent tout le propos du livre :

« Métis est le visage du peuple brésilien, métisse est sa culture » (p. 168).

« Si terribles sont les conditions de vie du peuple bahianais, si grande est sa misère, si absolue l’absence de toute assistance médicale ou sanitaire que vivre dans de telles conditions représente en soi seule une extraordinaire démonstration de force et de vitalité. Cela étant, la préservation des coutumes et des traditions, l’organisation des sociétés, écoles, défilés, ranchos, ternos, afoshés, la création de rythmes dansés et chantés, tout ce qui signifie un enrichissement culturel, prend des dimensions d’un véritable miracle que seul le mélange des races explique et permet. De la miscigénation naît une race de tant de talent et de résistance, si puissante, qu’elle dépasse la misère et le désespoir dans la création quotidienne de la beauté et de la vie » (p. 305). « Quand il avait commencé le livre, l’image pesante de certains professeurs et l’écho des théories racistes étaient présents à son esprit et influaient sur les phrases et sur les mots, les conditionnant et limitant leur force et leur liberté. A mesure pourtant que pages et chapitres apparurent, Pedro Archanjo oublia professeur et théorie, il ne se préoccupa plus de les démentir dans une polémique théorique à laquelle il n’était pas préparé, il ne pense plus qu’à narrer le mode de vie bahianais, les misères et les merveilles de cette pauvreté et de cette confiance quotidiennes ; à montrer la détermination du peuple de Bahia persécuté et maltraité, à tout surmonter et à survivre conservant et développant ses biens – la danse, le chant, la musique, le fer, le bois – biens de la culture et de la liberté reçus en héritage dans les maisons d’esclaves et les villages de nègres marrons » (p. 167).

Ajoutons que dans ce roman, un des plus incisifs qu’il ait écrit, Jorge Amado déploie les multiples facettes de son talent de conteur.

Le livre a été porté à l’écran dans une adaptation de Nelson Pereira dos Santos et présenté au premier festival du film ibérique et latino-américain à Biarritz. La mise en scène séduit, paraît-il, par sa vitalité, mais sombre par moments dans la confusion en raison sans doute des différents plans du récit et du nombre impressionnant de personnages qui animent cette boutique baroque du Brésil.